Méridienne d'un soir
par le 04/10/20
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La simple évocation du nom de Marie-Antoinette mobilise un savoir répandu, généralement connu. La reine
guillotinée, l’Autrichienne, la femme coquette jouant paraît-il à la bergère dans son domaine de Trianon et au
Hameau, l’épouse insatisfaite, la mère attentive et moderne, la femme dépensière qui aurait vidé les caisses de
l’État, la reine martyre et victime de la Révolution. Marie-Antoinette accumule les idées reçues. Elle est une reine,
et une femme, qui a fait naître les fantasmes les plus improbables auprès de ses contemporains comme des siècles
qui suivront. Incarnant un XVIIIème siècle parfaitement idéalisé et parfois mièvre, Marie-Antoinette, trajectoire
féminine et royale peu commune dans l’Histoire, suscite depuis au moins le XIXème siècle, de nombreuses écritures
et réécritures historiques au point de créer une mémoire sans cesse renouvelée. Les historiens commencent seulement
à faire de Marie-Antoinette un objet historique, certes difficile à dépassionner. Kaléidoscope aux facettes inépuisables,
Marie-Antoinette déborde des cadres de pensée de l’Histoire. Si la reine n’avait pas été guillotinée, serait-elle encore
si présente dans la mémoire collective ? Faut-il voir en elle seulement "Madame Déficit" comme elle fut surnommée ?
Il est communément admis que la Révolution n’aurait pas éclaté si l’État n’avait pas été au bord de la banqueroute.
Les dépenses de la royauté, de la cour et, en particulier, celles de la reine auraient, progressivement, vidé les caisses
du royaume si durement remplies par le tiers-état, accablé par une fiscalité profondément injuste. Reine frivole,
Marie-Antoinette aurait dépensé un argent qui n’était pas le sien pour ses seuls plaisirs et ceux de sa petite société.
Dès l' année 1785, la reine est surnommée "Madame Déficit." C’est à elle que l’on attribue tous les maux du royaume
et le gouffre financier dans lequel la monarchie est sous peu de tomber. Pourtant, la royauté doit faire montre de
dépenses, luxueuses et même ostentatoires, faisant ainsi la publicité des savoir-faire du royaume et permettant de
faire vivre une foule d’ouvriers travaillant dans les manufactures et les filatures, ainsi que les artistes et artisans. Quelles
sont les dépenses de Marie-Antoinette et pourquoi lui sont-elles reprochées ? "L’Autrichienne." Un sobriquet aussi
tranchant que la lame du couperet. Un surnom que la haine révolutionnaire n’a eu de cesse de clamer pour désigner
à la vindicte populaire son bouc émissaire, la reine Marie-Antoinette, forcément traîtresse puisqu’étrangère.
Allemandes, italiennes, espagnoles, autrichiennes, les princesses européennes ont été mariées comme autant de
marchandises échangées dans le luxe et le faste, appelées à donner une nombreuse progéniture mâle aux rois de
France pour garantir la continuité dynastique, et à se soumettre humblement aux rituels, écrasants, de la monarchie
absolue. Ces reines françaises, d’origines étrangères, laissent toutes une image noire dans l’histoire de France. Il en va
ainsi pour Catherine et Marie de Médicis et surtout pour Marie-Antoinette. Tant admirée que détestée, elle continue
d'évoquer les tumultes d'une époque violente et troublée. Mais elle ne fut pas seulement la bergère aux moutons
enrubannés, souvent caricaturée, jugée frivole et dépensière, ce fut aussi une femme de caractère confrontée aux
événements les plus brutaux de son temps qui sut s'affranchir des traditions et soutint Louis XVI jusqu'à l'échafaud.
Marie-Antoinette est l’avant-dernier enfant de l’empereur François Ier de Lorraine et de l’impératrice d’Autriche
Marie-Thérèse, au milieu de leurs cinq fils, Joseph l’héritier du trône, Léopold, Charles, Ferdinand et Maximilien et de
leurs huit filles, Anne, Marie-Christine, Marie-Elisabeth, Marie-Amélie, Marie-Jeanne, Jeanne-Gabrielle, Marie-Josèphe,
Marie-Caroline. Elle naît le 2 novembre 1755, au palais de la Hofburg, à Vienne. Elle reçoit une éducation où le maintien,
la danse, la musique et le paraître occupent l’essentiel de son temps et ne bénéficie d’aucune instruction politique.
À dix ans, elle a du mal à lire ainsi qu’à écrire en allemand, parle peu et difficilement le français auquel elle préfère
l’allemand, et très peu l’italien, trois langues qui étaient alors pourtant parlées couramment dans la famille impériale.
À cette époque, la cour d’Autriche possède une étiquette beaucoup moins stricte que celle de Versailles, les danses
y sont moins complexes, le luxe y est moindre et la foule moins nombreuse. Sa mère Marie-Thérèse, comme tous les
souverains de l’époque, met le mariage de ses enfants au service de sa politique qui est de réconcilier les Habsbourg et
les Bourbons pour faire face aux ambitions de la Prusse et de l'Angleterre. Le mariage entre le dauphin, le futur Louis XVI,
et Marie-Antoinette doit être l’apothéose de cette politique. Marie-Antoinette quitte Vienne en avril 1770, à l’âge de
quatorze ans. Selon l’usage, au moment de quitter le Saint Empire tous ses biens venant de son pays d’origine, même
ses vêtements, lui seront retirés dans un bâtiment construit tout exprès sur une île au milieu du Rhin. Les deux entrées
de ce bâtiment étaient disposées de telle manière qu’elle y entre du côté autrichien et en ressorte en France.
Le 17 avril 1770, Marie-Antoinette renonce officiellement à ses droits sur les couronnes de la maison d’Autriche et, le
16 mai 1770, épouse le dauphin à Versailles. Le jour même des noces, un scandale d’étiquette a lieu. Les princesses de
Lorraine, arguant de leur parenté avec la nouvelle dauphine, ont obtenu de danser avant les duchesses, au grand dam
du reste de la noblesse, qui murmure déjà contre "l’Autrichienne." La jeune fille, au physique agréable quoique pas
complètement développé, est assez petite et ne possède pas encore la "gorge" si appréciée en France. La jeune
dauphine a néanmoins beaucoup de grâce et une légèreté presque dansante dans sa façon de se mouvoir. Elle attire
dès son arrivée l’inimitié d’une partie de la cour. De plus, la jeune dauphine a du mal à s’habituer à sa nouvelle vie,
son esprit se plie mal à la complexité et à la rouerie de la "vieille cour", au libertinage du roi Louis XV et de sa maîtresse
la comtesse du Barry. Son mari l’aime mais l’évite, partant très tôt chasser. Le mariage n’est consommé qu’en août 1777.
Elle peine à s’habituer au cérémonial français, au manque d’intimité et subit péniblement "l’étiquette" de la cour.
Elle est manipulée par les filles du roi Louis XV qui lui enseignent l’aversion pour la comtesse du Barry, ce qui agace
Louis XV. Par ailleurs, Marie-Antoinette s’en fera bientôt une ennemie. Pendant les premiers temps, elle refuse de lui
parler mais, forcée par Louis XV, finit par adresser la parole à la comtesse. Marie-Antoinette ressortira humiliée de cet
incident. En outre, Vienne tente de la manipuler par le biais de la volumineuse correspondance qu’entretient sa mère
avec le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche à Paris. Ce dernier est le seul sur lequel elle peut compter,
car le duc de Choiseul, celui qui avait permis le rapprochement de la France avec l’Autriche, est tombé en disgrâce
moins d’un an après le mariage, victime d’une cabale montée par Mme du Barry. Elle est victime de sa maladresse.
Louis XV meurt le 10 mai 1774 et Marie-Antoinette devient reine de France et de Navarre à dix-huit ans. Toujours sans
héritier à offrir à la France et toujours considérée comme une étrangère, la reine devient vite, dès l’été 1777, la cible de
premières chansons hostiles qui circulent de Paris jusqu’à Versailles. S’entourant d’une petite cour d’amis vite qualifiés
de favoris, la princesse de Lamballe, le duc de Lauzun, le baron de Besenval, le duc de Coigny puis la comtesse de
Polignac, elle suscite les jalousies des autres courtisans. Ses toilettes et les fêtes coûteuses qu’elle organise profitent
au rayonnement de la France, notamment en matière de mode et du commerce du textile, mais sont critiquées, bien
qu’elles soient une goutte d’eau dans les dépenses générales du fonctionnement de la cour, des administrations,
ou comparées au niveau de vie très élevé et fastueux de certains princes de sang ou seigneurs menant grand train.
Pour retrouver à Versailles ce qu’elle a connu à Vienne, une vie plus détendue en famille, elle part souvent pour le Petit
Trianon, dans le parc de Versailles qui fut la possession des favorites de Louis XV, Mme de Pompadour et Mme Du Barry.
Louis XVI l'alloua à Marie-Antoinette, pour quelques privilégiés et ses enfants. Elle fait construire un village modèle, le
Hameau, et y installe des fermiers. Par son désir de plaisirs simples et d’amitiés exclusives, Marie-Antoinette va vite se
faire de plus en plus d’ennemis, même à la cour de Versailles. Elle tente d’influencer la politique du roi, de faire et
défaire les ministres, toujours sur les conseils de ses amis. Mais, contrairement à la rumeur, son rôle politique s’avèrera
extrêmement limité. Une véritable coterie se monte contre elle dès son accession au trône, des pamphlets circulent,
on l’accuse d’avoir des amants, le comte d’Artois son beau-frère, le comte suédois Hans Axel de Fersen ou même des
maîtresses, la duchesse de Polignac, de dilapider l’argent public en frivolités ou pour ses favoris, de faire le jeu de
l’Autriche, désormais dirigée par son frère Joseph II. Le château de Versailles se dépeuple, fui par des courtisans aigris
ou préférant les plaisirs de Paris. Le 19 décembre 1778, Marie-Antoinette accouche de son premier enfant, Marie-Thérèse,
dite "Madame Royale." Le 22 octobre 1781, c’est le tour d’un dauphin, Louis Joseph Xavier François. Mais cela ne sert
pas forcément Marie-Antoinette, car les libelles ont vite fait d’accuser l’enfant de n’être pas de son époux, Louis XVI.
En juillet 1785, éclate l’affaire du Collier. Le joaillier Bohmer réclame à la reine 1,5 million de livres pour l’achat d’un
collier de diamants dont le cardinal de Rohan a mené les tractations, au nom de la reine. La reine ignore tout de cette
histoire et, quand le scandale éclate, le roi exige que le nom de sa femme soit lavé de l’affront. Le cardinal est arrêté.
Le roi confie l’affaire au Parlement, l’affaire est jugée par Étienne François d'Aligre, qui conclut à la culpabilité du couple
d’aventuriers à l’origine de l’affaire, les prétendus "comte et comtesse de la Motte" et disculpe le cardinal de Rohan et le
comte de Cagliostro, abusés mais innocents. La reine, bien qu’innocente, sort de l’affaire du collier très déconsidérée
auprès du peuple. Marie-Antoinette se rend enfin compte de son impopularité et tente de réduire ses dépenses,
notamment en réformant sa maison, ce qui déclenche plutôt de nouveaux éclats quand ses favoris se voient privés de
leurs charges. Rien n’y fait, les critiques continuent, la reine gagne le surnom de "Madame Déficit" et on l’accuse de
tous les maux du royaume, notamment d’être à l’origine de la politique anti-parlementaire de Louis XVI, "Madame Veto."
Une phrase pour le moins révoltante pour son peuple est attribuée à Marie-Antoinette. Le peuple n'ayant plus de pain
à manger, la reine aurait répondu à leurs plaintes: "Qu'ils mangent de la brioche !". Cette réponse est d'autant plus
choquante qu'elle montre une distanciation entre les personnes aisées et les classes populaires. Une distanciation
dont Marie-Antoinette n'aurait pas eu conscience, au vu de cette phrase. D'autant que la brioche est plus coûteuse que
le pain. Ce propos est apparu dans l'ouvrage de Jean-Jacques Rousseau de 1782, "Confessions", et celui-ci l'attribue à
"une grande princesse". L'impopularité de Marie-Antoinette a fait que cela lui a été octroyé. Il semblerait toutefois que
cette formule vienne d'une des filles de Louis XV, Madame Victoire, qui aurait suggéré plutôt la croûte de pâté. De plus,
il n'existe aucune preuve que la reine ait tenu ces propos. Cependant cette phrase est restée dans les mœurs et est
souvent reprise, non sans humour. Lorsque la Révolution éclate, Marie-Antoinette, affectée par la mort du dauphin
Louis-Joseph, ne cille pas une seconde et pousse le roi à résister. Mue par son orgueil, la reine s’oppose à tous les
compromis qui lui sont présentés par les plus modérés, tels que La Fayette, Mirabeau ou Barnave. L’idée-même d’une
monarchie constitutionnelle la répugne. Elle préfère se tourner vers ses frères, Joseph II et Léopold II.
Digne, Marie-Antoinette affronte la situation avec un courage qui en étonne plus d’un. Depuis les journées des 5 et 6
octobre 1789, la famille royale est retenue aux Tuileries. Toujours dans un état d’esprit combatif, la reine convainc son
époux de s’enfuir et le 20 juin 1791, le couple et les enfants s’évadent de Paris. Mais ils sont finalement interceptés à
Varennes et ramenés vers la capitale dans une atmosphère très tendue. Sous la pression, Louis XVI approuve la
Constitution le 14 septembre 1791, mais les rumeurs d’une éventuelle guerre conduite par Léopold II, empereur du
Saint Empire romain germanique, contre la France ravivent la haine du peuple à l’égard de la reine. Le manifeste de
Brunswick, paru en France le 1er août 1792, attise encore les tensions et mène finalement à l’émeute du 10 août.
Les Tuileries sont envahies par la foule furieuse et la famille est immédiatement enfermée à la prison du Temple.
Marie-Antoinette espère encore pouvoir échapper à la mort mais les massacres de septembre 1792 prouvent déjà
le contraire. La plupart de ses amis sont tués et la tête sanglante de sa chère princesse de Lamballe est agitée devant
sa fenêtre. Quant à son époux, il est finalement jugé puis exécuté le 21 janvier 1793. Peu de temps après, le dauphin,
second fils de Marie-Antoinette, né en 1785, lui est enlevé avant d’être monté contre elle. Le mois suivant, elle est
arrachée à sa fille et conduite à la Conciergerie. Son procès est imminent. Noyée sous de monstrueuses accusations,
elle garde la tête haute, espérant secrètement qu’on l’épargne. Mais tout est décidé d’avance et les plaidoyers de ses
avocats sonnent creux. Le peuple lui témoigne du respect, ce que redoutait Robespierre. Il a donc fait appel à un
acteur, Gramont, qui, tout au long du procès, exhorte la foule à l'insulter. Soumise à d'abjectes accusations, Marie-
Antoinette se défend avec une dignité bouleversante. Particulièrement inéquitable, le procès ne dure que trois jours,
et la reine n'a pas le droit de faire appel. On l'accuse d'inceste et d’entente avec les puissances étrangères. Si le
procès de Louis XVI devant la Convention avait conservé quelques formes de procès équitable, ce n’est pas le cas
de celui de la reine. La sentence tombe. Elle est condamnée à mort pour haute trahison. C’est encore avec toute la
dignité qu'il lui reste qu’elle gravit les marches de l’échafaud le 16 octobre, à l'âge de trente-huit ans. Par son destin
tragique, par la haine qu’on lui a vouée des années durant, Marie-Antoinette a profondément marqué l’Histoire de
France. Accusée d’avoir été "le fléau des Français" et celle qui a poussé le roi à la trahison, la reine, en cristallisant la
fureur du peuple, a bien malgré elle, considérablement terni l’image de la monarchie avant que la Révolution n’éclate.
Mais l’historien doit s’efforcer de restituer la mémoire du passé dans le temps long de ses avatars, s’il veut comprendre
les événements ou les personnages qui s’y cachent, quelle que soit sa position et quel que soit son questionnement.
Alors, peut-être, au delà de ses dépossessions successives, rendra-t-on un jour Marie-Antoinette à elle-même, et sa
mort à ce qu’elle a été, l’élimination symbolique et politique d’une reine autant que d’une femme, autant que d’une mère.
Bibliographie et références:
- Georges Avenel, "La Vraie Marie-Antoinette"
- Jean-François Autié, "Journal de Léonard, le coiffeur de la reine"
- Stefan Zweig, "Marie-Antoinette"
- René Benjamin, "Marie-Antoinette"
- Paul et Pierrette Girault de Coursac, "Marie-Antoinette"
- Évelyne Lever, "Marie-Antoinette"
- Simone Bertière, "Marie-Antoinette l’insoumise"
- Bernadette de Boysson,"Le goût d’une reine"
- Jean Chalon, "Chère Marie Antoinette"
- Philippe Delorme, "Marie-Antoinette"
- Michel de Decker, "Les dangereuses liaisons de Marie-Antoinette"
- Emmanuel de Waresquiel, "Juger la reine"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
6 personnes aiment ça.
vous aimez beaucoup l'histoire merdienne !!
J'aime 05/10/20
Méridienne d'un soir
En effet, mon ami hochso; bonne journée à vous. 1f607.png
J'aime 05/10/20
Claudie🌸
Il y a bien des similitudes avec l'époque actuelle.En particulier la violence verbale et physique, le fait de vivre dans l'instant et l'émotionnel permanent. Plus de place pour la réflexion, l'analyse factuelle, le recul le respect de la différence... Il faut juste faire pleurer dans les chaumières. L'histoire n'est-elle pas un éternel recommencement?
J'aime 05/10/20
Méridienne d'un soir
Bonjour claudie; en effet, depuis la nuit des temps, l'histoire est un éternel recommencement; bonne journée à vous. 1f607.png
J'aime 05/10/20