Méridienne d'un soir
par le 05/10/20
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Le 11 juillet 1920, à 94 ans, disparaissait l'impératrice Eugénie, dernière souveraine des Français, à la fin d'une vie
qui ne l'avait pas épargnée. Elle fut accusée d'avoir provoqué le désastre de 1870, taxée de frivolité à l'instar de
Marie-Antoinette, soupçonnée de frigidité, si bien que Napoléon III dut chercher satisfaction ailleurs. Ainsi l'Impératrice,
personnage principale de la fête impériale, était coupable de tout. En réalité, qui était-elle ? Née en 1826 à Grenade
d'un père ouvertement acquis aux idées napoléoniennes, elle a, petite fille, sauté sur les genoux de Stendhal et écouté
les fascinantes histoires de Mérimée. Sportive et fière, elle enflamme, presque par hasard, le séducteur Napoléon III.
Brillant symbole du Second Empire, Eugénie ne se contente pas de préserver les apparences face aux liaisons
tapageuses de l'Empereur. Nommée régente après la naissance de son fils, en 1856, elle s'initie à la politique.
La chute du Second Empire et l'exil en Angleterre marquent le début d'une existence modeste, mais non sans
grandeur. Après la mort de Napoléon III, en 1873, Eugénie reporte son amour et ses espoirs sur le Prince impérial,
qui meurt en 1879, transpercé par les sagaies des Zoulous. Alors commence une longue expiation. Pendant quarante
années, Eugénie, veuve très respectée et mère accablée, parcourt l'Europe entière dans une inépuisable nostalgie.
Eugénie est aussi l'impératrice d'une infinie générosité, la pionnière du féminisme, la complice de l'unité italienne,
la lectrice favorable à Flaubert, la passionnée de spiritisme, l'épouse heureuse à Biarritz, la femme éclairée qui
encourage Pasteur. Eugénie de Guzman Palafox y Portocarrero est née le 5 mai 1826 à Grenade, en Espagne.
Don Cipriano, son père, est un fervent admirateur de Napoléon Ier. Il a soutenu le règne de Joseph Bonaparte,
placé sur le trône d’Espagne par son frère Napoléon Ier. Cela lui a valu quelques inimitiés à la chute de l’Empire
français, notamment celle du nouveau roi d’Espagne, Ferdinand VII. La jeune Eugénie naît dans une famille
francophile et napoléonienne, qui s’installe en France en 1835, dès que ses finances lui permettent. Âgée de neuf
ans, Eugénie entre alors au couvent du Sacré-Coeur de Paris, où elle est une élève assez dissipée. Elle développe
ses connaissances et sa culture plutôt en fréquentant les invités prestigieux que sa mère reçoit, comme les écrivains
Mérimée et Stendhal. Lorsque son père décède à Madrid, le 15 mars 1839, Eugénie n’a que treize ans. Sa mère
doit parfaire son éducation en vue de lui faire faire un beau mariage. Mais la jeune fille est romantique et fougueuse
et n’entend pas obéir. Elle tombe amoureuse de son cousin, le duc d’Albe, lui écrit des lettres enflammées, mais
il est fiancé à sa sœur aînée Paca. Après cette déception sentimentale, Eugénie ne vit que pour sa passion du
théâtre et des bals, et repousse plusieurs fois des propositions de mariage. En 1847, elle prend le titre de comtesse
de Teba et devient dame d’honneur de la reine d’Espagne. Mais après une nouvelle dépression à l’automne 1848,
sa mère la force à revenir en France. La future impératrice et sa sœur sont éduquées dans le culte napoléonien.
À ce moment-là, Louis-Napoléon Bonaparte vient d’être élu président. Dès son retour en France, début 1849,
Eugénie fréquente la princesse Mathilde, la cousine de Louis-Napoléon Bonaparte. Dès leur première rencontre,
le futur empereur est sous le charme, et invite la jeune espagnole à Saint-Cloud. Mais, dans un premier temps,
Eugénie se montre assez distante avec son illustre soupirant. Revenue d’un long voyage en Europe, Eugénie
revoit Louis-Napoléon devenu Prince-Président après son coup d’État du 2 décembre 1851. Le regard d’Eugénie
change au fil des mois, si bien que Louis-Napoléon, devenu Napoléon III le 2 décembre 1852, fait rapidement une
demande en mariage à la mère d’Eugénie, le 15 janvier 1853. Le 22 janvier, il officialise l’annonce de son prochain
mariage devant les corps constitués. Le mariage civil se déroule au palais des Tuileries le 29 janvier 1853, suivi le
lendemain du mariage religieux en l’église Notre-Dame. Eugénie est qualifiée "d’ornement du trône" dans le
discours de mariage de Napoléon III aux corps constitués. Il attend de sa femme qu’elle soit "catholique et pieuse",
et "gracieuse et bonne pour faire revivre les vertus de l’impératrice Joséphine." L’Empereur met ainsi en avant le
rôle social qu’il souhaite voir son épouse jouer, resplendir l’éclat de sa beauté et donner un héritier à la dynastie.
Eugénie s’implique profondément auprès des pauvres. Elle redonne vie à la Société maternelle, une institution
caritative créée par la reine Marie-Antoinette. Elle visite les malades du choléra lors des épidémies de 1865 et 1866.
Elle se préoccupe du sort des enfants détenus en prison. Elle soutient aussi la cause des femmes. Elle passe
commande à la sculptrice Marie-Louise Lefèvre-Deumier et soutient celles qui sont faites à la future fondatrice de
"l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs" Hélène Bertaux et elle appuie la candidature, finalement refusée de
l’écrivaine George Sand à l’Académie française. Elle protège Julie Victoire Daubié, la première femme institutrice
à se présenter au baccalauréat. Surtout, elle soutient le travail du ministre de l’Éducation Victor Duruy en faveur
de l’enseignement pour les filles. Elle apporte plus tard, lors de son exil britannique, son soutien aux suffragettes,
bien que trouvant parfois certaines de leurs actions extrêmes. Elle prend parfois également position pour des
artistes sulfureux. Ainsi, elle défend contre la censure le recueil "Les Fleurs du mal" du poète Charles Baudelaire.
Eugénie doit aussi s’adresser aux plus aisés et les séduire. Elle se montre très douée dans l’art de la conversation
et de la réception au palais de Compiègne, où la cour séjourne chaque été. Émile Ollivier, chef de cabinet de
Napoléon III, note cependant que l’Impératrice n’a pas oublié ses jeunes années impétueuses. Elle a l’esprit "d’une
héroïne de Cervantès", spontanée, emportée et parfois irréfléchie. Elle-même dit régulièrement regretter de parler
trop vite. Mais elle a le don de créer des effets de mode grâce à ses toilettes somptueuses. Ses ennemis l’appellent
"Fée Chiffon" et de canaliser la cour grâce à de grandes réceptions. Sans Eugénie, il n’y aurait pas eu l’expression
"Fête impériale " qui décrit l’atmosphère exquise qu’elle installe autour de l’Empereur durant deux décennies.
Le rôle de l’Impératrice reste très limité. Sa première tâche est de donner un héritier au trône et, après une première
fausse couche, elle donne naissance au Prince Impérial, le 16 mars 1856. Ce sera l’unique enfant du couple impérial.
Napoléon III fait parfois de son épouse la messagère de ses décisions sans qu’elle n’ait aucune influence sur celles-ci.
Elle entretient ainsi une correspondance fournie avec la reine Victoria et lui expose passivement les positions de son
époux. La reine Victoria explique ainsi au roi des Belges, en mai 1859, qu’Eugénie est abattue par le conflit du moment
entre l’Autriche et la France au sujet de l’Italie. Son rôle dans l’expédition du Mexique (1862-1837) est tout aussi mineur.
Eugénie est certes entourée d’une petite cour mexicaine favorable à l’intervention française, mais Napoléon III est
surtout influencé par la perspective financière de cette expédition. La souveraine française résume ainsi son approche
de la politique: "Je n’ai jamais été et ne serai probablement une femme politique" , et précise que de toutes façons
Napoléon III ne tolère pas les tentatives d’influence sur sa personne. Eugénie doit avant tout assurer avec brio son rang.
Parmi les peintres à la mode du Second Empire, une femme occupe une place de choix: Rosa Bonheur. Née en 1822,
elle a étonné ses maîtres par sa précocité. En 1848, elle a remporté sa première médaille au Salon avec le "Labourage
en Nivernais." Elle a trouvé sa voie, l’évocation de la nature, de scène rustique en scène rustique, du "Marché aux chevaux"
à la "Fenaison en Auvergne." Amie de George Sand, elle la rappelle un peu. Elle s’habille souvent en homme et quand
elle se montre femme c’est sans égard à la mode. Elle est ardente, pleine de vie, libérée des préjugés, préoccupée des
droits de la femme. Sans doute fait-elle un peu scandale, mais n’est-ce pas là le propre des artistes ? La société bien
pensante admire et achète ses tableaux, mais ignore l’auteur qui n’en a cure. Or, le 15 juin 1864, l’Impératrice, qui
séjourne à Fontainebleau décide de voir cette personne en marge. Accompagnée de Mérimée, elle arrive à l’improviste
dans la villa de Barbizon où Rosa Bonheur vit et peint. L’Impératrice admire ses tableaux et reste une heure à causer
avec elle de la condition de la femme et des réformes à lui apporter. Un an après, au moment où sa seconde régence
allait prendre fin, l’Impératrice provoqua une espèce de sensation en conférant la Légion d’honneur au peintre.
L’Impératrice ne se contente pas de s’intéresser à quelques personnalités exceptionnelles, l’instruction féminine retient
son attention. Elle s’est consacrée à trois progrès dans ce sens qui sont dans l’ordre chronologique: le baccalauréat des
filles, leur accès à l’instruction publique et enfin les études de médecine. Le contact de personnalités féminines à
commencer par la reine Victoria, a beaucoup apporté à Eugénie. Elle a constaté ce qu’une Rachel, une George Sand,
une Marcello, une Rosa Bonheur parvenaient à réaliser à force d’étude et de travail. Ce fut une révélation pour elle.
Pourtant, les contemporains, et les certains historiens aujourd’hui, prêtent à l’Impératrice une influence sur les décisions
de Napoléon III. Eugénie est probablement victime des rumeurs qui courent à son sujet dès son mariage. Le Prince
Napoléon, cousin de l’Empereur, et la famille Bonaparte dans son ensemble ont vu une mésalliance dans cette union
et ont une antipathie tenace contre la jeune femme. Le soir-même de la naissance du Prince Impérial, le Prince Napoléon
écrit son chagrin de voir Eugénie être confortée par son nouveau statut de mère de l’héritier. Ces relations difficiles,
alliées à la haine portée par les républicains à Napoléon III et donc à sa femme, ont contribué à la légende noire
d’Eugénie, au-delà de sa mort. On finit par lui reprocher la chute de l’Empire, voire, le comble, la mort du Prince Impérial.
Très coquette, Eugénie se fait ambassadrice de la haute couture et dépense des sommes folles pour sa garde-robe.
L'impératrice adore les belles pierres qu'elle achète chez Mellerio, son joaillier préféré. Ses achats de bijoux se seraient
élevés à l'équivalent de dix millions d'euros. L'Impératrice possédait une des plus importantes collections de bijoux de
son temps. L'admiration d'Eugénie pour Marie-Antoinette ne se limite pas au théâtre, à la mode et aux bijoux. Elle fait
décorer la plupart des grandes demeures impériales dans le style Louis XVI, comme Compiègne ou Fontainebleau.
Mais les tensions avec la Prusse resurgissent à propos de la succession d'Espagne quand le prince Léopold de
Hohenzollern dont le frère a été élu prince souverain de Roumanie en 1866, se porte candidat le 21 juin 1870 au trône
d'Espagne, vacant depuis deux ans. Un Hohenzollern sur le trône espagnol placerait la France dans une situation
d'encerclement similaire à celui que le pays avait vécu à l'époque de Charles Quint. Cette candidature provoque des
inquiétudes dans toutes les chancelleries européennes. En dépit du retrait de la candidature du prince le 12 juillet 1870,
ce qui constitue sur le moment un succès de la diplomatie française, le gouvernement de Napoléon III, pressé par
les belliqueux de tous bords exige un engagement écrit de renonciation définitive et une garantie de bonne conduite
de la part du roi Guillaume Ier. Le roi de Prusse confirme la renonciation de son cousin sans se soumettre à l'exigence
française. Cependant, une guerre contre la France est le meilleur moyen de parachever l'unification allemande.
Le 19 juillet 1870, la guerre est déclarée à la Prusse et à ses alliés. L’impératrice retrouve pour la troisième fois la
fonction de régente mais ses prérogatives sont extrêmement limitées et tout repose sur le cabinet des ministres dirigé
par Émile Ollivier. Le 4 septembre, en pleine nuit, le Corps législatif est réuni pour apprendre la défaite de Sedan et
la capture de l'Empereur. Jules Favre, député républicain, prend aussitôt la tête d’une coalition réclamant sa déchéance
et dans la journée, se rend à l’hôtel de Ville de Paris pour y proclamer la III ème République accompagné d’une foule
de Parisiens. Eugénie doit quitter la France en hâte. Elle trouve refuge en Angleterre, sous la protection bienveillante
de la reine Victoria. Son fils l’y rejoint ainsi que l’ex-empereur, une fois libéré de sa captivité en Allemagne. Le couple
emménage à Camden Place, à Chislehurst, non loin de Londres. C’est là que Napoléon III meurt le 9 janvier 1873
au cours d’une intervention chirurgicale destinée à le guérir de la maladie de calculs dans les reins. En 1879, le fils
du couple impérial part avec l’armée britannique combattre les Zoulous en Afrique du Sud. Il est tué le 1er juin en
faisant front à une troupe ennemie, laissant sa mère ravagée de chagrin. C'est le premier Bonaparte tué au combat.
Eugénie ne se remettra jamais de la perte de son fils unique. Elle part en Zoulouland sur les pas de son fils défunt
l’année suivante et, à son retour en Angleterre, fait construire sur le domaine de Farnborough, sa nouvelle demeure,
une abbaye servant de tombeau à son époux et son fils. Dès lors, elle se mure dans le silence et semble fuir sa
douleur dans les voyages. Depuis son enfance, partagée entre l’Espagne et la France, jusqu’à ses nombreux séjours
en bord de mer dans le Sud-Ouest à Biarritz, Eugénie a toujours eu le goût des voyages, mais ils ne réussissent pas
à apaiser son chagrin. Patriote et française de cœur, lors de l'armistice, elle transmet à Clémenceau une lettre du
roi de Prusse qui révèle les intentions expansionnistes de l'Allemagne. Ce document jouera un rôle capital dans la
restitution de l'Alsace-Lorraine. En juillet 1920, devenue presque aveugle, Eugénie se rend à Madrid pour y être
opérée de la cataracte. L'opération est un succès, mais elle meurt peu après. Elle s’éteint à l’âge de quatre-vingt-
quatorze ans, à Madrid le 11 juillet 1920. Elle repose auprès de son époux et de son fils à Farnborough. L'étrangère
qui avait voulu être l'impératrice des français, s'éteint dans le pays de sa naissance. Eugénie disait d'elle-même:
"Ma légende est faite. Au début, j'étais la femme frivole pour devenir ensuite la femme néfaste, mais la légende
l'emporte toujours sur l'histoire." De la lumière à l'ombre, le destin de la dernière souveraine reste hors du commun.
Bibliographie et références:
- Eugène de Mirecourt, "L'impératrice Eugénie"
- Frédéric Loliée, "La vie d'une impératrice, Eugénie de Montijo"
- Georges Lacour-Gayet, "L’Impératrice Eugénie"
- Octave Aubry, "L'Impératrice Eugénie"
- Maurice Paléologue, "Les entretiens de l'impératrice Eugénie"
- Jean Autin, "Eugénie De Montijo"
- Jean des Cars, "Eugénie, la dernière impératrice"
- Jean Tulard, "Dictionnaire du Second Empire"
- Louis Girard, "Napoléon III"
- Raphaël Dargent, "L'impératrice Eugénie"
- Maxime Michelet, "L'impératrice Eugénie"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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Méridienne d'un soir
Bonjour et merci pour votre commentaire scenariste, bon après-midi à vous, Monsieur. 1f607.png
J'aime 06/10/20