Méridienne d'un soir
par le 10/11/20
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Fille du roi d’Espagne Philippe IV et d’Elisabeth de France, Marie-Thérèse naît le 20 septembre 1638. Bien qu’elle
soit le neuvième enfant du couple royal, sa naissance est dignement fêtée car les six infantes précédentes, et l’un
de ses deux frères aînés, sont morts au berceau. Il ne reste comme héritier que le prince des Asturies, Balthazar-Carlos,
né en 1629. Dès sa naissance, on envisage de marier Marie-Thérèse à son cousin, Louis Dieudonné, futur Louis XIV,
héritier du trône de France. La reine Elisabeth, sœur du roi Louis XIII, rêve de voir sa fille régner sur son pays natal
et lui enseigne que seule la couronne de France est digne d’elle. Cette mère aimante disparaît prématurément en
octobre 1644. Marie-Thérèse se rapproche alors énormément de son père, à qui elle voue une véritable adoration.
L’infante reçoit une éducation stricte à la cour de Madrid mais n’est pas privée d’affection et de divertissements. Elle
est entourée d’animaux de compagnie, de nains et participe aux cérémonies officielles aux côtés de son père. En
1646, Balthazar-Carlos décède d’une pneumonie. Marie-Thérèse devient alors l’unique héritière de Philippe IV. Dès
lors, il n’est plus question de la marier à un prince étranger qui rattacherait l’Espagne à son royaume. Dans l’espoir
d’avoir un héritier mâle, Philippe IV se remarie en 1649 avec sa nièce, Marie-Anne de Habsbourg, qui est plus âgée
seulement quatre ans de plus que l’infante. Marie-Thérèse, qui demeure pour l’heure l’unique héritière du royaume
d’Espagne, est toujours associée aux apparitions de son père, effaçant la nouvelle reine. L’infante s’entendra bien
avec sa jeune belle-mère, jusqu’à ce que celle-ci donne enfin un fils à Philippe IV en 1657, après la naissance de la
petite infante Marguerite-Thérèse en 1651, et qui a pour marraine sa demi-sœur aînée. Après la naissance de l’infant
Philippe-Prosper, Marie-Thérèse est de nouveau une princesse à marier. Elle a alors de nombreux prétendants
dont le duc de Savoie, le futur roi du Portugal Alphonse VI, ainsi que l’empereur Léopold Ier, frère de sa belle-mère.
Mais depuis toujours, l’infante d’Espagne espère épouser son cousin Louis XIV, roi de France. Depuis 1635, les deux
pays sont en guerre. Une union entre les deux cousins mettrait fin au conflit et Marie-Thérèse apparaît alors comme
un gage de paix. Après de longues négociations, le traité des Pyrénées est signé en novembre 1659, mettant fin à
la guerre et scellant l’union de Louis XIV avec l’infante. Tandis que Louis XIV fait route vers Saint-Jean-de-Luz où
doit avoir lieu la cérémonie du mariage le 2 juin 1660, Marie-Thérèse renonce solennellement à l’héritage de son
père. Le lendemain l’infante épouse Louis XIV par procuration, lequel est représenté par Don Luis de Haro. Le neuf
juin, elle épouse le roi de France en l’église de Saint-Jean-de-Luz. Les adieux entre Marie-Thérèse et Philippe IV
sont déchirants mais le roi d’Espagne insiste auprès de sa fille sur le fait qu’elle est désormais française, avec ces
termes:"Vous devez oublier que vous avez été infante pour vous souvenir seulement que vous êtes reine de France."
Marie-Thérèse ne rechigne pas lorsqu’elle doit laisser derrière elle sa suite espagnole mais elle demande à son
époux de pouvoir demeurer toujours auprès de lui. Cette requête ne doit pas être interprétée comme une soumission
de la jeune reine mais comme un accord qu’elle exige de son époux. Louis XIV tiendra cet engagement. Le 26 août,
la jeune reine fait son entrée dans Paris où elle est acclamée, le peuple français la voyant comme la princesse qui a
permis de mettre fin à une longue guerre entre la France et l’Espagne. Bien qu’Anne d’Autriche fasse tout pour
faciliter l’intégration de sa nièce Marie-Thérèse au sein de la cour de France, la nouvelle reine ne s’habitue pas aux
coutumes de son pays d’adoption. Durant sa jeunesse, elle a vécu dans ses appartements privés, apparaissant peu
en public et sans grande proximité avec les courtisans. En France, les souverains se mêlent presque aux membres
de la cour, qui viennent baiser la main de la jeune reine, alors qu’en Espagne on avait à peine le droit d’effleurer sa
robe. Cette proximité nouvelle dérange Marie-Thérèse au plus haut point qui trouve cela indigne de sa personne.
Aux salons fréquentés par les courtisans, elle préfère sa chambre où elle se réfugie avec ses dames de chambre et
ses naines. On en conclut trop vite que la reine ne s’intéresse pas à la vie de cour et qu’elle est effacée. Le premier
novembre 1661, Marie-Thérèse met au monde un premier enfant, le dauphin Louis qui décédera en 1711. Tout au
long de sa grossesse, puis au cours de son accouchement, Louis XIV n’a cessé de se montrer attentionné envers
son épouse. Dans le même temps en Espagne, l’infant Philippe-Prosper décède mais la reine, enceinte en même
temps que Marie-Thérèse, donne naissance à un nouveau fils le 6 novembre 1661. En France, Louis XIV s’est
rapproché de sa cousine et belle-sœur, Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans. Contrairement à Marie-Thérèse,
la jeune princesse anglaise a été préparée à vivre à la cour de France et n’ignore rien des coutumes françaises et
de l’étiquette. La reine souffre de la proximité de son époux et de la duchesse d’Orléans et s’en plaint auprès
d’Anne d’Autriche. Celle-ci sermonne Louis XIV, ce qui n’empêche pas ce dernier de continuer à voir sa belle-sœur
régulièrement avant de tomber sous le charme de l’une de ses filles d’honneur, Louise de La Vallière. Cette jeune
fille de dix-sept ans est la première d’une longue liste de maîtresses pour Louis XIV pour le malheur de son épouse.
Malgré sa liaison avec Mlle de La Vallière, le roi rejoint Marie-Thérèse chaque soir et la reine lui donne régulièrement
d’autres enfants après la naissance du dauphin. Hélas, tous décèdent en bas âge, victimes de la consanguinité ou
de maladies infantiles. Chaque décès de l’un de ses enfants est un déchirement pour Marie-Thérèse, qui ne trouve
du réconfort que dans la religion. Elle voit dans la mort de ceux-ci un signe du ciel et se soumet, priant pour leurs
âmes. Dans ces moments-là, Louis XIV joint ses larmes à celles de la reine avant d’aller retrouver sa maîtresse.
La jeune reine ne comprend pas comment son mari peut lui préférer une autre femme. Elle a été élevée dans l’idée
qu’elle était le parti le plus prestigieux d’Europe, a eu de nombreux prétendants et a été le gage de la paix entre la
France et l’Espagne. Dans l’esprit de Marie-Thérèse, il est inconcevable que Louis XIV puisse être attiré par d’autres
femmes, issues de la noblesse de cour. Les mariages dynastiques n’ont pas pour but de favoriser, selon le vocable
contemporain, l’épanouissement sexuel des époux. L’essentiel est qu’ils soient aptes à la reproduction. Le plaisir
charnel vient en plus, si affinités. S’agissant de Marie-Thérèse, il ne faudrait pas, en raison des multiples caricatures
qui lui collent à la peau, imaginer une jeune femme pudibonde et rétive au devoir conjugal. Elle est née dans le
pays de tous les interdits, ce qui ne signifie pas de toutes les frustrations. Leur première nuit a été heureuse, et la
jeune reine, très éprise de son beau et fougeux mari, a pris goût, en toute dévotion à leurs jeux sensuels nocturnes.
La plupart des auteurs ont vu dans son comportement une mièvrerie impudique et une infantilité indignes d’une
reine du Grand Siècle. C’est oublier qu’à la cour de Louis XIV, les fonctions physiologiques les plus triviales sont
évoquées, dans les conversations quotidiennes, sans aucune réserve et dans les termes les plus crus. Quant à
l’intimité d’une reine de France, contemplée dès son lever dans le plus simple appareil par les princesses chargées
de lui passer sa chemise et de l’assister dans toutes ses fonctions naturelles et les soins de son corps, elle est
inexistante. Pour le reste, l’annonce matinale que son mari l’a honorée, est pour la reine un devoir d’information
sur une affaire intéressant l’avenir de la Couronne. Elle le fait à sa manière, joyeuse et spontanée, si révélatrice
de son besoin d’être aimée et de montrer aux autres qu’elle est aimée. La Palatine en fait le constat sans cruauté,
car elle est très attachée à la reine, mais les courtisans rient sous cape parce qu’ils la savent quotidiennement
trompée, ce qu’elle aussi sait parfaitement. Alors, certes, Marie-Thérèse est une épouse trompée, pas plus que sa
mère, Isabelle ou sa grand-mère Marie de Médicis, mais pas à un seul moment Louis XIV ne l’a mise en concurrence
avec ses maîtresses, comme Henri IV en promettant le mariage à Gabrielle d’Estrée et à Henriette d’Entragues.
Le dix-sept septembre 1665, le roi d’Espagne, Philippe IV, décède à l’âge de soixante ans, laissant le trône à un
enfant chétif, Charles II, âgé de quatre ans. Anne d’Autriche, minée par un cancer du sein, ne tarde pas à suivre son
frère dans la tombe. La reine-mère meurt le vingt janvier 1666, laissant Marie-Thérèse privé de son principal soutien
à la cour. Même si la disparition d’Anne d’Autriche afflige énormément la jeune reine, elle lui permet d’occuper seule
la première place auprès du roi. En effet, jusqu’à sa mort, la mère de Louis XIV était considérée comme la véritable
reine de France, bien que Marie-Thérèse ait la préséance sur elle. Mais, respectueuse et reconnaissante, la reine
s’est effacée volontiers au profit de sa tante et si, dans les cérémonies officielles, Marie-Thérèse occupait la première
place, elle s’inclinait en coulisse face à Anne d’Autriche si bien que les courtisans continuaient à s’adresser à la
reine-mère, et non à l’épouse de Louis XIV, pour leurs requêtes. Avec la mort d’Anne d’Autriche, Marie-Thérèse
devient la seule souveraine du royaume. En 1667, la guerre de Dévolution éclate entre la France et l’Espagne.
En effet, Louis XIV revendique des territoires espagnols car la dot de Marie-Thérèse n’a pas été réglée. Or, la
renonciation de l’Infante à ses droits sur l’héritage de son père, n’était valide que si la dot était intégralement versée.
De plus, l’Espagne possède des territoires dans le Brabant et, selon le "droit de dévolution", seuls les enfants nés
du premier mariage peuvent en hériter. Marie-Thérèse est donc, légalement, la seule héritière de ces territoires,
ce que conteste, naturellement, la mère de son demi-frère, le petit Charles II. Dans cette guerre contre son pays
natal, Marie-Thérèse approuve Louis XIV, obéissant ainsi à la promesse faite à son père lors de son mariage, se
consacrer entièrement et sincèrement à sa position de reine de France, quitte à oublier qu’elle fut infante d’Espagne.
Le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le deux mai 1668, met fin au conflit, célébrant la puissance de Louis XIV qui y
gagne une douzaine de villes flamandes. Si la reine est fière des conquêtes faites en son nom, elle ignore encore
que le roi a fait de la marquise de Montespan, l’une de ses dames d’honneur, sa nouvelle maîtresse. Bientôt elle doit
partager jusqu’à son propre carrosse avec Mlle de La Vallière, favorite officielle, et Athénaïs de Montespan, nouvelle
conquête de Louis XIV, qui va régner sur son cœur durant près de douze ans. À ses maîtresses, le roi fait des
enfants qui sont d’abord tenus à l’écart de la cour et élevés dans l’ombre. Vient ensuite le temps de leur légitimation,
ce qui ne choque pas Marie-Thérèse. En Espagne, celle-ci a été habituée à ce que les souverains, à l’exemple
de son père, aient des bâtards. Ce qui la perturbe davantage, c’est que Louis XIV partage son amour entre sa
famille légitime et celle qu’il forme avec ses enfants naturels et leurs mères en dehors de leur union conjugale.
À la cour, un grand nombre de courtisans reproche à Marie-Thérèse de ne pas participer activement à la distribution
des grâces et des faveurs royales. C’est un rôle qu’elle laisse volontiers à son époux mais qui la fait passer pour une
souveraine faible et totalement soumise, n’osant aller contre la volonté de son mari. Or, la reine s’est fait entendre
plusieurs fois lorsque Louis XIV avait un avis contraire au sien. Quand, en 1670, la cousine du roi, la Grande
Mademoiselle, demande la permission d’épouser le duc de Lauzun, Marie-Thérèse s’interpose alors que le roi allait
donner son consentement. La fille de Philippe IV tient a ce que l’image de la famille royale ne soit pas entachée par
un mariage entre une princesse et un gentilhomme, qui ferait rire toute l’Europe. Dans cette affaire, elle n’hésite pas
à s’entourer de princes opposés à l’union que souhaite la Grande Mademoiselle, affichant ainsi sa désapprobation.
Face à tant d’oppositions et sans le soutien de son épouse, Louis XIV plie et revient sur la promesse faite à sa cousine.
En 1673, la reine lutte également pour conserver auprès d’elle l’une des dames de sa suite espagnole. Alors que Louis
XIV décide du renvoi de toutes celles qui ont accompagné Marie-Thérèse en France, celle-ci ose demander à la marquise
de Montespan de l’aider à ce que Felipa Abarca demeure à la cour. Il ne faut pas voir le geste de Marie-Thérèse comme
rabaissant pour elle. Si elle cherche l’appui de la favorite contre Louis XIV, c’est parce qu’elle sait que sa cause est
juste. Devant son épouse et sa maîtresse, le roi cède une nouvelle fois. Ces exemples nous montrent que Marie-Thérèse
respecte généralement les décisions du roi en bonne épouse, mais qu’elle sait également s’opposer et rassembler autour
d’elle des appuis de taille lorsqu’elle considère que le roi prend une décision injuste ou indigne de leurs royales personnes.
Après que Louis XIV ait renoncé à la marquise de Montespan, la reine se rapproche de celle qui est devenue surintendante
de sa maison. Marie-Thérèse espère profiter davantage de son époux mais ce dernier passe de plus en plus de temps
avec Mme de Maintenon, ancienne gouvernante des enfants naturels qu’il a eus de Mme de Montespan dont Marie-Thérèse
se méfie. Lorsque Louis XIV revient vers elle, la reine n’est dupe qu’à moitié. Influencé par Mme de Maintenon, le roi se
montre plus attentionné avec son épouse mais ne lui accorde pas davantage de sentiments qu’autrefois. Lorsqu’il est
question du mariage du dauphin, Marie-Thérèse ne cache pas son souhait qu’il épouse Maria-Antonia de Habsbourg,
fille de sa demi-sœur l’impératrice Marguerite-Thérèse. C’est enfin une autre de ses cousines que le dauphin épousera.
Très vite, la reine devient jalouse de sa belle-fille, jugeant que les festivités pour son mariage, puis pour la naissance de
son fils en 1682, sont moins grandioses que ce que l’on a fait pour elle. Les membres de la cour entourent désormais
davantage la dauphine, leur future reine que Marie-Thérèse et celle-ci admet avec beaucoup de difficultés qu’après ses
maîtresses, Louis XIV consacre maintenant beaucoup de temps à sa belle-fille. Le vingt-six juillet 1683, la reine est
incommodée par un abcès sous le bras gauche. Mal soignée, elle décède le trente juillet, à l’âge de quarante-quatre ans.
La mort soudaine de Marie-Thérèse surprend tout le monde et il est certain que son trépas aurait pu être évité, les
médecins d’Aquin et Fagon tenant à saigner la reine contre l’avis du chirurgien Gervais. Lorsque l’on prévient Louis XIV
de la mort de son épouse, celui-ci répond: "C’est le premier chagrin qu’elle m’ait causé. Le ciel me l’avait donné comme
il me la fallait, jamais elle ne m’a dit non." Il ne faut pas voir ici de l’indifférence ou un détachement de la part du roi face
à la disparition de Marie-Thérèse car tous les témoins affirment que Louis XIV est affligé de la perte de la reine au point
de rester plusieurs jours enfermé dans ses appartements, à Versailles. Le deux août, le cœur de la reine est déposé au
Val-de-Grâce tandis que son corps rejoint la crypte de Saint-Denis, le dix août, comme le veut la tradition royale.
Née infante d’Espagne, Marie-Thérèse a su devenir tout à fait française et se conformer à son rôle principal en donnant
un héritier à la couronne. Mais finalement, même en se pliant à tout ce que l’on attendait d’elle, la reine a toujours souffert
du même mal, ne pas être la favorite. Son père lui a préféré sa jeune demi-sœur et son époux ses nombreuses maîtresses.
Au moment où elle aurait pu s’affirmer au château de Versailles, où la cour venait de se fixer, la mort l’en a empêchée.
Bibliographie et références:
- Joëlle Chevé, "Marie-Thérèse d'Autriche, épouse de Louis XIV"
- Bruno Cortequisse, "Madame Louis XIV, Marie-Thérèse d'Autriche"
- Marc Lefrançois, "Histoires insolites des Rois et Reines de France"
- Jean Pierre Rorive, "Petites histoires des grands de France"
- Lucien Bély, "Dictionnaire Louis XIV"
- Simone Bertière, "Les Femmes du Roi-Soleil"
- Pascale Gélard,"Marie-Thérèse d'Autriche, épouse de Louis XIV"
- Paul Martin-Zeller, "Les Femmes du Roi-Soleil"
- Robert Mandrou, "Louis XIV en son temps"
- Philip Mansel, "Louis XIV, roi du monde"
- Jean-Christian Petitfils, "Louis XIV"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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