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Sujet: Gilets jaunes
ZarathoustraDom
#4
Ce mouvement ? Un signe clair, à mes yeux, d'un système à bout de souffle, d'un monde malade qu'il faut évidemment changer mais que les vieux conservatismes tentent de garder intact parce que le saut dans l'inconnu fait plus peur que la certitude du mur vers lequel nous fonçons pourtant à grande vitesse...
Vos questions sont évidemment pertinentes... même si ce site n'est peut-être pas le plus approprié pour en débattre ! Rire ! Quoique... Il s'agit finalement bien de rapports de domination / soumission entre "l'élite" du pouvoir politique et de la puissance de l'argent, d'un côté, et le "peuple" de l'autre ! Ce que Karl Marx a dénommé la "lutte des classes".
On pourrait débattre des jours entiers sur ces questions, et écrire de volumineux livres. Des centaines de débats sont organisés en France dans le cadre du "Grand Débat National" voulu par Macron. Et les media s'en font des gorges chaudes à longueur de pages et d'émissions ! Il y a donc beaucoup à dire ! Tout commentaire sur ce sujet est donc forcément imparfait, tronqué, partiel et oublieux de mille détails importants. Je vais néanmoins tenter une synthèse, qui ne reflète évidemment que ma propre opinion, et en aucun cas celle des gilets jaunes, ni de leurs opposants déclarés, les foulards rouges.
Je précise de ce point de vue que je ne suis pas gilet jaune au sens strict, mais que je considère nombre de leurs revendications comme légitimes. Je suis apolitique, n'appartiens à aucun parti ni aucune mouvance syndicale ou think tank politique. Je me considère juste comme un humaniste, au sens ancien du terme, c'est-à-dire de celui qui cherche à comprendre le monde par la raison plutôt que par le dogme, et à appréhender le savoir et la connaissance dans son ensemble, plutôt que de vouloir être un spécialiste de tel ou tel domaine.
En préambule, avant donc de répondre directement à vos questions, je vous livrerai mon analyse de la situation et du "système" économico-politico-social dans lequel nous vivons, et cela au travers du prisme de cinq thèmes-clé : le populisme, la dette, la distribution des richesses, la démocratie, et l'écologie. Attention, cela risque d'être long et ennuyeux ! :-)
1/ La montée des populismes
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Tout d'abord, le mouvement des gilets jaunes, contrairement aux apparences et aux tentatives de récupération de tous bords, n'est pas un populisme politique, puisqu'il a - pour l'instant - cette caractéristique de n'être pas incarné par un ou deux leaders forts. Il reflète donc la diversité du peuple, dans toutes ses composantes, mais en particulier celle qui souffre.
Cependant, on ne peut isoler ce mouvement de la montée inexorable des populismes dans le monde, qui reflète l'insatisfaction et la colère des citoyens face au "système" : en Italie avec Salvini et Di Maio, au Brésil avec Jair Bolsonaro, aux Philippines avec Rodrigo Duterte, aux États-Unis avec Donald Trump, en Angleterre avec le Brexit, en Hongrie avec Viktor Orban, en Pologne avec Andrzej Duda, en République Tchèque avec Miloš Zeman, dans l'Inde de Narendra Modi, le Québec de François Legault ou la Turquie de Recep Erdogan... Le mouvement des gilets jaunes en France a
Alors, on peut se moquer de ces populismes, les mépriser, les ignorer, les prendre de haut : ce serait là commettre une grave erreur, et ignorer les causes profondes de ces colères, de ces effervescences, de ces indignations, de ces révoltes, de ces violences. Il me semble plus constructif de s'interroger sur la motivations profondes de la montée simultanée de ces populismes, qui bousculent l'équilibre du monde et font vaciller les démocraties.
Et il me semble utile de comprendre deux phénomènes essentiels :
- ces populismes sont aussi bien d'extrême-gauche que d'extrême-droite, avec des thèmes récurrents qui ressemblent fort à une recherche de boucs émissaires pour les difficultés des plus démunis : citons pêle-mêle les politiciens, les banquiers et la finance, les media, les franc-maçons, les juifs, l'Islam, les migrants, les lobbies, l'Europe, l'ONU...
- ils ont tous pour caractéristique commune une volonté identitaire et nationaliste du repli sur soi, du rejet des instances internationales et des traités multi-latéraux (TAFTA, etc...), et cela contrairement aux populismes des années 30 qui ont suivi la Grande Dépression de 1929 et qui ont conduit au désastre que l'on sait : le national-socialisme nazi comme le marxisme-léninisme (via le Komintern) avaient tous des visées expansionnistes et internationales.
Ces tendances ne sont pas un signe de bonne santé de nos démocraties...
2/ Le problème de la dette
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De fait, beaucoup d'économistes s'accordent à dire que ces vagues de mécontentement sont la réplique du tremblement de terre survenu avec la crise des subprimes de 2008 : en sauvant les banques et leurs actionnaires (en sauvant le système financier, diront les gouvernants), par un programme d'injection massive de liquidités (le "quantitative easing" de la FED et "l'assouplissement quantitatif" de la BCE) à hauteur de près de 10 000 milliards de dollars, la dette a été transférée par un coup de baguette magique de l'actionnariat privé des banques aux états, et les états - sous pression du système financier pour financer la charge de cette dette et en concurrence fiscale entre eux - doivent alors couper drastiquement dans les dépenses publiques et dans les programmes sociaux pour alimenter l'ogre insatiable de la finance... Depuis la crise de 2008, l'endettement mondial n'a pas diminué, mais augmenté : la leçon n'a pas été comprise !
Certes, le problème de l'endettement des états ne date pas de 2008, mais il atteint aujourd'hui des proportions intenables, et la France a sans doute passé à l'heure où j'écris ces lignes le cap fatidique d'une dette supérieure à 100% du PIB, à savoir 2 300 milliards d'euros : si l'on considère qu'il y a grosso modo 38 millions de foyers fiscaux en France, cela représente une dette de plus de 60 000 € par ménage (et 140 000 € si l'on ne considère que les 16 millions de ceux qui sont imposables sur le revenu) !
Concrètement, si l'on voulait régler le problème de la dette pour la ramener à une valeur proche de zéro (comme a su le faire par exemple l'Allemagne) par des moyens orthodoxes, il faudrait :
- continuer à assurer le service des intérêts de la dette, soit plus de 40 milliards par an (en espérant que les taux d'intérêt ne remontent pas trop !) ;
- arrêter de vivre au-dessus de nos moyens, puisque nous générons en moyenne 60 milliards de déficit budgétaire, et donc d'endettement supplémentaire, chaque année (et plus de 80 milliards en 2018, et près de 100 milliards prévus pour la loi de finance 2019... ceci avant les 10 milliards promis par Macron et les mesures supplémentaires qui seront éventuellement décidées à l'issue du Grand Débat National !) ;
- commencer à rembourser du capital, par exemple à hauteur de 50 milliards par an (et nous mettrions alors 46 ans à épurer notre dette, hors effet de croissance économique et de régression mécanique du montant des intérêts au fur et à mesure que le capital est remboursé !).
On le voit, une gestion orthodoxe de la dette réclamerait un effort budgétaire à hauteur d'au moins 150 milliards par an. A titre indicatif, le budget de l’État français pour l'année 2018 était de 386 milliards d'euros, auquel il faut ajouter, pour être complet, à peu près 200 milliards pour les collectivités territoriales, et environ 490 milliards pour le budget de la Sécurité Sociale (dont approximativement 200 au titre de l'assurance maladie, 14 pour les accidents et maladies professionnelles, 50 pour la branche famille, et 230 pour la branche vieillesse).
Cela est-il possible sans casse sociale, sans destruction massive de "l'état providence" construit sur les décombres de la seconde guerre mondiale, sans provoquer une récession économique majeure telle qu'en ont connus les pays qui se sont soumis aux diktats de la BCE et du FMI (par ex. la Grèce) ?
On le comprend, cette question est centrale dans la conduite de la politique de notre pays, et donc indirectement dans la crise des gilets jaunes.
Cependant, s'il n'y avait que le problème de la dette, il pourrait en fait être réglé assez simplement : il y a plusieurs manières de faire cela historiquement : par l'inflation, par la dévaluation, en faisant défaut, en s'appropriant les biens de ceux qui en ont (ex. Philippe le Bel et les Templiers puis les banquiers Lombards), en faisant la guerre pour développer son "Lebensraum" (la pire des solutions, bien sûr !)... et surtout en arrêtant de vivre au-dessus de ses moyens ! Mais la mondialisation et l'interconnexion des économies qui en résulte, les systèmes financiers mondiaux, les traités constitutionnels (Maastricht, Lisbonne) et la monnaie unique européenne ne permettent plus de faire cela aussi aisément.
Cependant, la dette n'est qu'une partie minuscule de l'iceberg très profond des problèmes de notre civilisation moderne capitaliste ultra-libérale.
3/ Le déséquilibre de la distribution des richesses
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Le troisième aspect important de la question que vous soulevez me semble être celui de ce système ultra-libéral introduit depuis le début des années 80 sous l'influence des gouvernements Reagan et Thatcher, et de l'extraordinaire déséquilibre de la distribution des richesses qui en résulte, tant et si bien qu'aujourd'hui 26 milliardaires détiennent à eux seuls une fortune équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de la population mondiale, soit 3,7 milliards d'individus (source Oxfam International).
Ce système est délétère, y compris pour le système lui-même, parce que cette concentration extrême des richesses entre les mains de quelques-uns a évidemment pour corollaire l'accentuation de la pauvreté des autres. Thomas Piketty a brillamment démontré cette évidence dans son magistral ouvrage "Le capital au XXIème siècle" : lorsque le rendement du capital est supérieur à l'accroissement des richesses sur une longue période, ceux qui détiennent ce capital s'enrichissent toujours plus au détriment de ceux qui ne le détiennent pas. Ce faisant, ils se tirent une balle dans le pied, puisqu'à force de s'appauvrir les consommateurs ne peuvent plus consommer... L'équilibre économique devient alors fortement instable, conduisant à des crises toujours plus fortes.
Ces crises peuvent prendre la forme de simples crises économiques, avec sa cohorte de restaurants du cœur, de soupe populaire, de SDF, de chômeurs, de vies brisées... Mais, à force de trop tirer sur la ficelle, elles peuvent aussi dégénérer en rebellions, la forme la plus atténuée étant le vote extrémiste populiste, et la forme la plus grave pouvant devenir celle de la révolte, de la révolution, du chaos social. Car il se trouve qu'à moment donné, quand - même en travaillant - le peuple a faim et soif, quand il ne peut plus se loger décemment, quand il ne peut plus se chauffer en hiver, quand il ne peut plus mettre d'essence pour aller travailler, quand il ne plus se soigner, quand il ne peut plus offrir de cadeau de Noël à ses enfants, quand il est écrasé par les impôts, les agios bancaires et les saisies sur salaire, il y a toujours un moment où il finit par se révolter contre l'injustice. Et quand le peuple commence à entrer en rébellion contre le système en place, nul ne peut vraiment prévoir comment cela se finira...Surtout quand le pouvoir est sourd à ses complaintes et à ses aspirations légitimes d'équité sociale, de justice fiscale, d'équilibre dans le distribution des richesses et de représentativité citoyenne. Et aussi, accessoirement, quand le peuple assiste aux turpitudes de ceux qui - censés donner l'exemple - baignent au contraire dans la corruption, la fraude et l'évasion fiscale ou la "phobie administrative" ! La longue litanie des Balkany, Thomas Thévenoud, Jérôme Cahuzac, Claude Guéant, François Fillon et autres Carlos Ghosn et Dany Boon, ainsi que des affaires Panama Papers, HSBC, LuxLeaks ou CumEx files, laisse des traces dans la mémoire collective et dans le fort sentiment d'injustice : il y a deux poids deux mesures entre ceux qui volent un œuf et ceux qui volent un bœuf ! Combien de responsables de la crise des subprimes sont en prison aujourd'hui ? Aucun !
En réalité, la théorie du capitalisme ultra-libéral n'est pas une théorie, c'est plutôt l'absence de théorie, la démission des gouvernements face aux entreprises, la défaite du politique face au pouvoir de l'argent. C'est en fait le retour aux sources du capitalisme, c'est-à-dire à la "main invisible des marchés" d'Adam Smith qui est censée produire un effet d'auto-régulation de ses propres débordements. Autrement dit, le renoncement à toute régulation, avec pour corollaire la loi du plus fort, et l'abandon de toute valeur morale, ou plutôt l'argent comme seule valeur morale dominante.
Dans ce contexte global, Emmanuel Macron (et son gouvernement) a fait le choix délibéré d'une politique économique basée pour l'essentiel sur la "théorie du ruissellement", qu'il a expliquée en utilisant l'allégorie des "premiers de cordée" : cette théorie n'a pourtant aucun fondement économique sérieux, et aucun économiste même libéral ne la défend. Elle n'est en réalité qu'une métaphore politique, portée à l'origine en 1896 aux États-Unis par un candidat démocrate à l'élection présidentielle, William Jennings Bryan, pour critiquer et caricaturer le programme de son adversaire. Mais elle a été rendue célèbre par Reagan lorsque, entre 1981 et 1989, il fait passer le taux marginal d'imposition de 70% à 28%. Ainsi que l'a expliqué bien plus tard David Stockman, son ministre du Budget d'alors, dans un article paru dans The Atlantic en décembre 1981 : « On a décidé que pour rendre cela politiquement acceptable, il allait falloir réduire toutes les tranches. La baisse générale des impôts de 30 % a toujours été un cheval de Troie destiné à permettre de baisser le taux le plus élevé. » On voit donc bien que cette théorie relève en réalité d'une vaste supercherie. Et pourtant, Emmanuel Macron s'entête contre toute évidence à défendre jusqu'au bout les trois marqueurs forts de cette politique : la suppression de l'ISF (pardon, la transformation de l'ISF en IFI !), la suppression de "l'exit tax" (qui pénalisait financièrement les personnes souhaitant abandonner leur domiciliation fiscale en France), et l'instauration de la "flat tax" à 30% (en lieu et place de la tranche marginale supérieure d'imposition sur le revenu à 45%).
4/ Le déni de démocratie
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Le quatrième point de vue qui me semble fondamental pour comprendre la crise des gilets jaunes est celui du déni de démocratie.
Soyons toutefois clair d'emblée : la véritable démocratie n'a pratiquement jamais existé dans l'histoire de l'humanité. L'expérience la plus notable sur une longue durée est celle de la démocratie dite athénienne, au 6ème siècle avant JC (avec la réserve importante que l'exercice de cette démocratie était réservé aux seuls "citoyens", ce qui excluait alors par exemple les esclaves et les femmes !). La démocratie directe se caractérise généralement par :
- l'horizontalité du pouvoir (les gilets jaunes la mentionnent dans leurs tentatives de s'organiser en tant que force politique) et donc la consultation de tous les citoyens sur tous les sujets de décision, sans "chef" ;
- la révocabilité des mandatés ou des élus éventuels ;
- le mandat impératif (et souvent le vote impératif), accompagné souvent d'un système de tirage au sort de ceux qui exercent cette mandature, pour une durée limitée et avec l'impossibilité de la renouveler ;
- la prise de décision à la majorité, au consensus, ou encore à l'unanimité.
Pourquoi fait-elle si peur aux "élites" ? Sans doute pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'elle est associée à certains mouvements ou courants révolutionnaires comme les Zapatistes au Mexique, les Sans-culottes ou les Enragés pendant la révolution française de 1789, à la Commune de Paris en 1871, ou encore les Conseils ouvriers dans l'Allemagne et l'Italie d'après-guerre en 1918-1920. Très certainement aussi parce qu'elle a été dévoyée par les expériences des Soviets de Russie. Mais, beaucoup plus fondamentalement, il me semble, pour quatre raisons essentielles, dont deux mauvaises et deux bonnes :
- par construction, dans une démocratie directe, il n'y a plus d'élite, puisque chaque citoyen a le même pouvoir ! De mon point de vue, cette raison n'est pas une bonne raison de l'écarter.
- la deuxième raison est plus pernicieuse : le peuple peut être capable du meilleur... mais aussi du pire ! On le sait, dans cette crise des gilets jaunes, certains voudraient abolir l'IVG ou le mariage pour tous, ou bien rétablir la peine de mort. Selon moi, ceci n'est pas une bonne raison non plus, c'est même plutôt le contraire, car les "élites" (pris ici dans le sens de ceux qui ont le pouvoir) ont amplement prouvé dans l'histoire de l'humanité leur capacité de nuisance effroyable, en provoquant des guerres, en organisant le pillage, la torture ou l'esclavagisme, ou en décidant de génocides, pour ne citer que ces exemples...
- pour une autre raison aussi, plus justifiée à mes yeux : beaucoup de sujets dans notre monde moderne sont d'une complexité et d'une technicité effrayante, et tous les citoyens n'ont pas la capacité ou l'envie de s'y plonger. Il est donc nécessaire à moment donné de confier son pouvoir à un tiers de confiance pour prendre les bonnes décisions...
- et enfin, malheureusement, parce que, là aussi par construction, chaque avis de chaque citoyen ayant le même poids, les avis divergent vite, il y a autant d'avis que de citoyens, des clans se forment et se dissolvent aussi vite que les sujets apparaissent et disparaissent : bref, le chaos s'installe vite, et la cité ou le pays deviennent vite ingouvernables ! On assiste d'ailleurs déjà à cela au sein des gilets jaunes, après seulement deux mois d'existence... Cette instabilité chronique est selon moi la véritable raison qui doit nous faire éviter une démocratie directe pure et dure.
Je reste donc partisan d'une démocratie représentative avec des mécanismes institutionnels permettant de gouverner avec une relative stabilité.
Cependant, il est évident aussi que notre système démocratique est bien malade, et que les citoyens ne sont pas ou très peu écoutés. C'est là l'une des origines profondes du mouvement des gilets jaunes.
Qui n'a pas connu d'enquête d'utilité publique où les décisions sont prises d'avance, et où la parole citoyenne est ignorée ?
Qui ne ressent pas que les intérêts économiques de quelques-uns prédominent sur l'écoute des habitants et l'intérêt collectif pour de grands projets d'aménagement tels que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le site d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure ?
Qui n'éprouve pas un malaise profond quand les lobbies industriels dictent leur loi contre l'intérêt collectif des consommateurs ?
Qui n'est pas dégoûté par la "politique politicienne", comme on dit, quand les citoyens français et néerlandais rejettent en 2004 le "Traité de Rome", et que trois ans plus tard, Nicolas Sarkozy ratifie sans consultation le traité de Lisbonne, qui en est l'exacte copie ?
Qui veut croire que les profils socio-professionnels de nos députés et sénateurs sont représentatifs de tous les français, et qu'ils ne sont donc pas déconnectés de leur réalité ?
De plus, à l'heure d'Internet et des réseaux sociaux (sujet que vous évoquez dans vos questions), l'information circule très vite, et est accessible instantanément à tout le monde.
Pour toutes ces raisons, il m'apparaît largement justifié de soutenir la revendication centrale des gilets jaunes autour du R.I.C. (Referendum d'Initiative Citoyenne). Après tout, cela fonctionne très bien depuis des siècles dans un pays comme la Suisse. De plus, quand on voit les pétitions citoyennes issues d'organisations telles que Avaaz ou Change.org, on est vite rassurés : le peuple n'est pas si con que cela, et ses revendications sont souvent plus raisonnables que les délires de quelques politiciens illuminés et guidés seulement par l'appât du gain et la chasse clientéliste aux électeurs !
L'immense succès de l'essai "Indignez-vous" publié peu avant sa mort par Stéphane Hessel en 2010 aurait du déjà alerter les pouvoirs en place sur le ras-le-bol citoyen : il y développait l'idée d'engagement personnel - à la façon des résistants pendant le second conflit mondial - pour refuser d'accepter l'augmentation des inégalités de distribution de la richesse, pour contester la politique d'immigration du gouvernement Fillon d'alors, pour dénoncer l'influence de la finance sur les choix politiques, et récuser le détricotage progressif des acquis du Conseil National de la Résistance (en particulier la Sécurité Sociale et les régimes de retraite). Cet opuscule s'était vendu à 4 millions d'exemplaires, et avait été traduit en 34 langues !
5/ L'urgence écologique et climatique
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Enfin, le cinquième angle sous lequel on peut considérer ce mouvement consiste à le mettre en parallèle avec l'enjeu écologique et climatique : ce n'est pas un hasard s'il a pris sa source dans la réaction à l'augmentation du prix de l'essence résultant de la logique d'une taxe pigouvienne (c'est-à-dire visant à intégrer dans leur prix le coût social des activités économiques, ce que l'on exprime parfois par le principe du "pollueur-payeur", cette appellation devant son nom à l'économiste britannique Arthur Cecil Pigou qui le premier a proposé cette idée en 1920). Mais il est intéressant de constater qu'au moment même où les gilets jaunes occupaient par centaines de milliers les rond-points et défilaient tous les samedis, la pétition pour le climat "L'affaire du siècle" recueillait plus de deux millions de signatures, tandis que des centaines de marches pour le climat étaient organisées dans toute la France (et des milliers dans le monde entier).
Et l'on touche là je crois au cœur de la dichotomie et de la schizophrénie du monde capitaliste ultra-libéral : il veut nous faire croire que les ressources de notre planète sont illimitées, que chacun aura droit à sa part de richesse, que le dogme de la croissance permanente et infinie ne peut être discuté. Pourtant, tous les indicateurs sont là pour nous alerter : le pic du pétrole est atteint, la biodiversité est détruite, l'agriculture intensive rend les terres mortes, le réchauffement climatique est une évidence quotidienne, les matières premières se font rares et chères, les terres, l'air et les océans sont saturés de détritus et de polluants, déchets qui sont le marqueur indélébile de notre civilisation pour les générations futures...
Il y a aujourd'hui près de 2 milliards d'êtres humains (sur 7,6 milliards au total, soit un peu plus de 25% de la population mondiale) qui vivent plus ou moins au niveau de vie occidental, c'est-à-dire avec un véhicule à moteur et un smartphone, l'accès aux médicaments et à Internet, un réfrigérateur et un lave-vaisselle... Mais, ce faisant, en 2018, le "jour du dépassement" (celui où l'humanité a déjà consommé les ressources que la nature peut renouveler en un an et vit donc « à crédit » jusqu'à la fin de l'année) a été atteint dès le 1er août, et "l’horloge de la fin du monde" (aussi appelée horloge de l'Apocalypse ou Doomsday Clock en anglais) affiche inexorablement minuit moins deux.
Nous avons mis des millions d'années à atteindre le 1er milliard d'habitants : autour de l'an 1800.
Nous avons ensuite mis 130 ans à atteindre le 2ème milliard : vers 1930.
Puis 30 ans pour atteindre le 3ème milliard : vers 1960.
Puis 15 ans pour le 4ème milliard : vers 1975.
Puis 11 ans pour le 5ème milliard : en 1986.
Puis 13 ans pour le 6ème milliard : en 1999.
Puis 12 ans pour le 7ème milliard : en 2011.
Dans le scénario moyen des prévisions de l'ONU, nous passerons le 8ème milliard en 2021, le 9ème milliard autour de 2035, et le 10ème milliard vers 2060, pour atteindre environ 11 milliards en 2100.
On pourrait espérer que d'ici 2060, quand nous atteindrons le 10ème milliard, au moins 50% de la population mondiale ait atteint le niveau de vie occidental, soit 5 milliards de personnes. Mais qui peut croire un seul instant sans se voiler la face ou s'enfouir la tête dans le sable que la planète - même avec les progrès technologiques et les gains de productivité - dispose des ressources nécessaires pour 5 milliards d'habitants dans 40 ans alors qu'elle n'y parvient déjà pas pour 2 milliards aujourd'hui ?
Dans ce contexte, la suppression de la taxe d'habitation est manifestement une promesse de type populiste irresponsable (visant à mieux faire passer la pilule de la suppression de l'ISF et l'instauration de la "flat tax" ?), mais une aberration économique et écologique, alors même que le lieu où l'on habite est évidemment celui où principalement l'on consomme et l'on pollue ! On pouvait critiquer de nombreux aspects de cette taxe d'habitation, aussi bien dans son mode de calcul que dans son équité fiscale et sociale : mais pourquoi la supprimer, au lieu de l'aménager ? Ce sont là 20 milliards de ressources qui disparaissent des caisses de l'état, et en particulier des communes et donc des services de proximité, et dont personne ne sait dire à l'heure actuelle comment elles vont être compensées (ce qui démontre la caractère totalement improvisé de cette mesure) ! N'y a-t-il pas d'autre impôt plus injuste à supprimer ou à réduire ?
Conclusion
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Après ce très (trop ?) long préambule explicatif, il est peut-être temps de conclure... et de répondre à vos questions !
"Que pensez-vous des diverses mobilisations dites gilets jaunes ?"
Vous l'aurez compris, je pense qu'elle est totalement légitime au regard des injustices criantes dans la distribution des richesses.
Mais j'ajoute les deux nuances importantes que la réparation de ces injustices ne doit pas se faire en ajoutant de la dette à la dette, ni en hypothéquant l'avenir de la planète et les générations futures par une politique qui ignorerait les impératifs de l'écologie.
De ce point de vue, il ne s'agit donc pas de donner davantage de pouvoir d'achat aux citoyens pour qu'ils consomment davantage et détruisent ainsi davantage notre planète et notre climat, mais de raisonner à richesses égales, voire décroissantes, et dans ce cadre de mieux répartir ces richesses entre tous.
"Que pensez-vous des réactions du gouvernement ?"
Je pense qu'il a été constamment à côté de la plaque, et en retard.
Je pense qu'Emmanuel Macron a fait preuve d'un mépris de classe extraordinaire avec ses formules telles que "feignasses", "gaulois réfractaires au changement", "foule haineuse" ou "pour trouver un job, il suffit de traverser la rue".
Je pense qu'au début du mouvement, lorsque la revendication portait uniquement sur le prix de l'essence, il a vite éteint les menaces de grèves des chauffeurs routiers (en leur accordant une dérogation à la taxe carbone sur l'essence) tout en comptant sur l'essoufflement du mouvement : l'on n'a alors entendu que son silence assourdissant !
Puis il a réagi avec beaucoup de retard et sur ce seul sujet, avec un cafouillage immense, ce qui a ainsi permis aux revendications de s'étendre et de se structurer, et a facilité la fameuse jonction des mécontentements qu'il craignait tant ! Et encore, il a de la chance, les stylos rouges (le corps enseignant), les blouses blanches (les personnels de santé), les étudiants, et les banlieues difficiles ne se sont pas vraiment jointes au mouvement !
Aujourd'hui encore, en plein Grand Débat National, il affirme "je ne changerai pas de cap" !
Enfin, il faut dire un mot des violences en marge des manifestations : bien sûr, toute forme de violence est par principe inacceptable. Mais dans la pratique, on est en droit de se poser la question si les gilets jaunes auraient obtenu quoi que ce soit sans cette violence ? On peut aussi légitimement se demander si la violence policière (que le gouvernement essaie de faire passer pour de la "force légitime") est acceptable ou non ? On peut enfin se demander si la violence sociale de nos sociétés n'est pas incomparablement supérieure à la violence physique des manifestations : que pèsent quelques vitrines cassées et voitures brûlées au regard de vies détruites par le chômage de masse, de milliers de SDF et sans abris, de femmes élevant seules leurs enfants dans le dénuement le plus complet, de gens qui ont un travail mais doivent dormir dans leur voiture parce qu'ils ne peuvent pas se loger, etc. ?
Je n'ai pas de réponse toute faite à ces questions, mais le débat méritait d'être posé, les gilets jaunes l'ont fait, et c'est heureux. Le gouvernement a trop longtemps tergiversé, et c'est ce qui a provoqué cette explosion de violence, de mon point de vue. Je ne nie pas pour autant que les manifestations sont infiltrées par des casseurs dont le seul but est de créer le chaos et de faire vaciller le système et la démocratie, et qu'il faut donc les réprimer avec la plus grande fermeté.
"et que pensez-vous du décalage d'informations entre les médias officiels et les réseaux sociaux ?"
Les réseaux sociaux sont de façon évidente un relai essentiel de "fake news" et de manipulation de masse. Pour cette raison (et bien d'autres encore), je n'y suis pas présent... et je m'en passe très bien !
Pour ma part, je suis un fervent adepte du Canard Enchaîné, le seul organe de presse indépendant du pouvoir politique et du pouvoir de l'argent (pas de publicité ni d'actionnaires).
Et, avec votre permission, je rajouterais volontiers une question subsidiaire : "Compte tenu de la situation financière de l'état et de notre dette colossale, y a-t-il dans notre pays assez d'argent pour financer un vrai programme de mesure sociales qui éteindrait la colère des gilets jaunes et apaiserait le pays ?"
Je n'ai pas la réponse précise à cette question, mais on peut cependant faire les observations suivantes :
- on estime qu'il y a environ 100 milliards de fraude fiscale, et 60 milliards "d'optimisation fiscale"
- plus de la moitié du CICE (soit 10 milliards en année normale, et 20 milliards cette anné) est attribué à de grandes entreprises qui n'ont pas créé un seul emploi en contrepartie (voire parfois en ont supprimé) !
- les GAFA réalisent des dizaines de milliards de profit en France, et ne paient qu'un impôt sur les sociétés ridicule !
- beaucoup d'autres grandes sociétés du CAC40, on l'oublie trop souvent aussi, paient en France un impôt dérisoire voire nul grâce à "l'optimisation fiscale" : Total par ex. réalise depuis des années plus de 10 milliards de profit net annuel, mais ne paie pratiquement aucun impôt en France (ni ailleurs, d'ailleurs) !
- les 40 entreprises du CAC40 ont annoncé pour l'année 2017 des bénéfices records d'un montant total de plus de 93 milliards d’euros, et les entreprises françaises dans leur ensemble ont distribué au titre de l'année 2017 plus de 150 milliards d'euros sous forme de dividendes (elles sont championnes du monde de la distribution de dividendes en proportion de leurs résultats !) : ces dividendes, grâce à Mr Macron, sont désormais imposés à la "flat tax" de 30%, au lieu de 45% précédemment dans la plupart des cas (taux marginal supérieur d'impôt sur le revenu), soit 15% de perte de revenus pour l'état, ce qui représente plus de 20 milliards d'euros
- de nombreux patrons et dirigeants d'entreprises ayant leur siège social en France sont domiciliés ailleurs qu'en France, et évitent ainsi de payer les impôts dus sur leurs revenus de toutes sortes (salaires, avantages en nature, stock options, retraites chapeau, etc.)
- l'état paie 44 milliards d'intérêts sur sa dette (sur un budget total d'environ 300 milliards) aux banques et actionnaires parce que les traités européens lui interdisent d'émettre lui-même la monnaie dont il a besoin pour fonctionner (et sur laquelle il n'aurait donc pas d'intérêt à payer) (bon, d'accord, il faut sortir du traité de Lisbonne pour cela, ou forcer à le renégocier, et alors ?)
- la transformation de l'ISF en IFI a fait perdre au moins 3 milliards de revenus à l'état
- la multitude des niches fiscales de toutes sortes, pour les entreprises comme pour les riches particuliers ne profitent qu'à eux, et non à l'ensemble de citoyens, et représente des dizaines de milliards
- les "PPP" (partenariats public-privé, par ex. pour la construction et l'exploitation du ministère de la Justice ou du "Pentagone français" de Balard) et autres concessions (l'exemple le plus flagrant étant celui des concessions autoroutières à Vinci) coûtent des dizaines de milliards de manque-à-gagner ou de dépenses à l'état français, et donc à chaque citoyen
(liste non exhaustive !)
Mais pas de ruissellement en vue : depuis 2009, les deux tiers de ces bénéfices ont été reversés aux actionnaires sous forme de dividendes (et moins d’un tiers a été réinvesti), tandis que les salariés n’ont touché que 5,3 % sous forme de participation et d’intéressement.
L'ONG Oxfam a calculé que « Si les entreprises du CAC 40 avaient choisi de maintenir en 2016 le niveau – déjà élevé, de dividendes de 2009, et d’augmenter les salaires des employés plutôt que de maximiser les dividendes des actionnaires, l’ensemble des travailleurs du CAC 40 auraient pu voir leurs revenus augmenter d’environ 14 000 euros sur la période, soit plus de 2 000 euros par an et par employé. »
Au contraire, les dividendes ont augmenté de près de 60 %, soit pratiquement trois fois plus que la moyenne des salaires (22,6%) depuis 2009.
Pour finir, deux conclusions :
- parmi les trois pouvoirs qui régissent le monde depuis la nuit des temps - le pouvoir par la violence, le pouvoir par l’argent et le pouvoir par le savoir - choisissons sans ambiguïté le pouvoir par le savoir !
- ne laissons pas les populismes rétrogrades et conservateurs émerger : ils pourraient bien un jour interdire et pénaliser les pratiques BDSM ! :-)
Dernière modification le 03/02/2019 17:11:36 par ZarathoustraDom.
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