Il se rêvait chat. Elle était souris.
Dans cet appartement ensoleillé d'automne, avec la ville qui murmurait derrière les vitres, un petit souriceau désespérait de retourner à l'océan. Le regard plongé dans son bocal d'apprentissage à respirer sous l'eau, il ne se rendit pas compte que la petite souris des villes qui y vivait pointait son museau aux moustaches frémissantes. Le regard malicieux et le sourire mutin, elle scrutait le chariceau. Elle adorait ses habitudes. Ses petits coins familiers et surtout ces instants où elle rentrait avec un trésor qu'elle n'était pas censée posséder. Ce matin, c'était un beau morceau de fromage. Trop gros pour ses petites pattes, elle avait dû le caler dans son dos pour le transporter. À chaque pas, elle sentait son poids battre doucement le rythme.
Au milieu de la pièce, le jeune souriceau déguisé en chat de mer l'attendait. Il se tenait bien droit comme un petit soldat, sérieux à en faire sourire la souris des villes. Ses fausses oreilles félines se dressaient fièrement. Sa queue en tissu traînait par terre et sur sa tête, son chapeau, un peu absurde, trônait. Un chapeau en forme de poisson rouge aux grands yeux ronds figés dans une éternelle surprise d'être sorti de son bocal comme le lapin du chapeau du magicien. C'était complètement farfelu, bien qu'il lui allait très bien. Lui qui rêvait de plonger dans l'océan.
Quand elle fit son entrée, la souris des villes sentit son cœur fondre, attendrie devant tant de doryssitude.
- Coucou cher souriceau, lança-t-elle avec malice. Tu fais toujours le guet ?
Le souriceau bomba le torse.
- Je suis un chat, pas un souriceau ! Un chat redoutable ! Un chat sans peur !
Le chariceau se mit à rugir du mieux qu'il peut pour impressionner la souris des villes qui se retenait avec beaucoup de mal de ne pas rire. Elle s'approcha, lentement. De près, le poisson du chapeau paraissait encore plus insolite. Immobile et luisant telle une petite statue qui n'avait rien demandé à personne. Elle le dévisagea, puis regarda le souriceau. Un sourire lui vint aux lèvres, ceux qui ne font pas attention pourrait la dire moqueuse mais c'était un sourire plein d'affection qu'elle arborait.
- Tu te rends compte à quel point tu es impossible avec ce chapeau ? chuchota-t-elle.
- Impossible... comme un prédateur ? s'enquit-il, plein d'espoir.
- Impossible comme... irrésistible, corrigea-t-elle.
Il baissa les yeux, fier et un peu timide.
- Mais... j'oublie souvent ce que je dois faire, admit-il. Je devais surveiller... quelque chose. Je ne me souviens plus quoi. C'était peut-être pas surveiller quelque chose d'ailleurs...
Sa tentative de réflexion lui faisait frémir les moustaches. C'est terrible d'être un chat à la mémoire filante.
- Peut-être que ce n'était pas quelque chose à surveiller mais plutôt à attendre ?
La tête inclinée, la souris ne le quittait pas des yeux. Allez savoir qui des deux est finalement le chat.
- Attendre quoi ? Les vagues dans ton bocal ?
Elle lui sourit, touchée par sa simplicité presque enfantine. Pendant qu'il haussait les épaules, un peu perdu. Il finit par conclure.
- Oui... Ou quelqu'un. Toi, peut-être ?
Qu'il était touchant ce souriceau qui se rêvait chat et voulait nager avec les poissons.
- Tu n'as rien oublié, lui dit-elle doucement. Tu joues ton rôle à merveille. Mais dis-moi, si tu es un chat, tu as peur de l'eau. Pourquoi t'entraines-tu à respirer sous l'eau ? Et puis, rappelle-toi aussi que tu n'aimes pas ça.
Elle se tourna un peu pour lui montrer le fromage qui dépassait de son dos.
Il ouvrit de grands yeux.
- Ah oui ! Le fromage ! Si si, j'aime le fromage ! Et les chats aiment le fromage, ce n'est pas réservé aux souris des villes.
- Tu es un drôle de mélange, tu sais. Un peu chat, un peu souris, un peu poisson rouge...
- Et ça ne te dérange pas ?
- Pas du tout. C'est justement pour ça que je t'aime bien.
Le souriceau resta un moment silencieux, le regard planté dans le sien, oubliant pour une fois de jouer les grands félins. Sur sa tête, le chapeau-poisson demeurait parfaitement immobile, mais on aurait presque juré qu'il était à sa place dans cette scène.
- Tu vas où avec ton fromage ? finit-il par demander.
- Le ranger dans un coin où tu pourras me rejoindre, répondit-elle avec un sourire doux. Mais pour ça, il va falloir que tu t'en souviennes.
Elle tourna les talons, le fromage bien calé contre son dos, et traversa la pièce de son petit trot caractéristique. Il la suivit des yeux jusqu'à la porte, sentant une chaleur lui envahir la poitrine. Cette fois, même s'il oubliait le fromage, il était sûr de se souvenir d'elle, de son rire doux et malicieux, baigné dans la lumière de la ville. Et il se prit à rêver d'être ce chat qui donnerait la fessée à cette souris. Les yeux du chariceau quittèrent la direction prise par la petite souris pour retourner à son bocal. Si on pouvait lire dans ses pensées, on pourrait presque entendre un « je l'aurai un jour, je... » Blop, l'idée avait filé à la vitesse de l'éclair pour retourner vérifier que le bocal ne faisait pas de vagues.
(Image faite par IA, texte perso)
Dimension:
1200 x 800
Taille:
1.9 Mb
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LuneMystique
Un peu de tendre moquerie ne fait pas de mal. 
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18/11/25

LuneMystique
Ah oui ? Les heures des repas ne comptent pas.
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18/11/25

LuneMystique
L'heure du coucher non plus. Reste pas grand chose de rituel pour se rappeler.
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18/11/25

LuneMystique
A la bonne heure. On y reste sur cette question d'heure. Va falloir se pencher dessus.
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18/11/25

Asdepik
Moralité : souris à la vie et n'en fait pas tout un fromage ! 🧀🐭
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2
18/11/25

Idaelle
Dans ce récit qui joue avec les formes et les rêves, il flotte une sensualité subtile, presque imperceptible, une caresse de lumière sur une peau endormie. Rien n’est appuyé, rien n’est explicite : tout passe par des détails, des frôlements d’images, ces minuscules vibrations qui naissent quand deux présences se reconnaissent avant même de se toucher.
Cette maladresse fière, ce sérieux un peu absurde, crée entre eux une tension douce, une attente délicieuse.
Il y a dans leurs échanges une sensualité d’automne : tiède, feutrée, dorée. Une manière de se regarder qui fait vibrer l’air. Elle l’observe comme une promesse encore timide ; lui la suit du regard comme on suit une lumière qui réchauffe sans brûler. Ce n’est pas une histoire qui finit en queue de poisson — au contraire, elle laisse dans son sillage la sensation d’un frisson qui court le long de la page, d’une histoire qui continue de respirer après la dernière phrase.
C’est la sensualité des presques : presque un sourire, presque un aveu, presque un geste. Une sensualité qui ne dit jamais son nom, mais qui s’attarde, lumineuse, entre les lignes. Merci bcp pour ce récit .
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1
19/11/25

Idaelle
j'attends avec impatience la saison 2 😉
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19/11/25

LuneMystique
L'avantage du presque, Idaelle, c'est qu'il laisse la porte ouverte à toutes les fenêtres. Mais qu'il a aussi fermé sans hésitation toutes les autres. En tout cas, merci pour ces commentaires. Je note donc qu'il va falloir une suite à cette première partie.
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1
19/11/25

Idaelle
Oui cela me semble nécessaire. La question que je me pose, tu es partie de l'image ou elle s'est imposée à toi pour illustrer à merveille le récit ?
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19/11/25

LuneMystique
Je suis partie d'une blague entre une souris et un chariceau. J'ai mis les mots clés pour avoir cette image. Et j'ai écrit à partir de l'image.
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1
19/11/25
