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Méridienne d'un soir

Femme switch. 38 ans. est célibataire.
La rubrique "Articles" regroupe vos histoires BDSM, vos confessions érotiques, vos partages d'expériences SM. Vos publications sur cette sortie de blog collectif peuvent aborder autant les sujets de la soumission, de la domination, du sado-masochisme, de fétichisme, de manière très générale ou en se contentrant très précisément sur certaines des pratiques quu vous connaissez en tant que dominatrice/dominateur ou soumise/soumis. Partager vos récits BDSM, vécus ou fantames est un moyen de partager vos pratiques et envies et à ce titre peut être un excellent moyen de trouver sur le site des partenaires dans vos lecteurs/lectrices. Nous vous rappelons que les histoires et confessions doivent être des écrits personnels. Il est interdit de copier/coller des articles sur d'autres sites pour se les approprier.
Par : le Il y a 22 heure(s)
Juliette portait un tailleur gris anthracite croisé, une jupe au dessus des genoux, un chemisier blanc classique et des chaussures à talons hauts. La quarantaine passée, elle avait su conserver une silhouette jeune car mince de taille, les fesses musclées et une poitrine ferme, elle faisait beaucoup de sport mais son chignon et son regard sévère trahissaient sa maturité. Dirigeant une agence de publicité, en femme d'affaires avertie, elle était très exigeante avec son entourage professionnel. Elle vivait dans le luxe, mais elle ressentait au fond d'elle-même, un profond vide affectif. Peut-être que le hasard de cette rencontre avec Laurence lui permettrait-il d'égayer son quotidien, et de réaliser un fantasme secret et prégnant, jusqu'à ce jour irréalisé. Ses bureaux se trouvaient au premier étage d'un ancien immeuble rénové qui lui appartenait, elle avait trois employés, un comptable, Xavier, une secrétaire, Marion et une jeune stagiaire Chloé. Tous trois travaillaient silencieusement, dans leur bureau. L'ambiance était studieuse et feutrée. Dans son bureau, Juliette, malgré la charge de travail, de nombreux contrats à finaliser, était songeuse. Aucune nouvelle de son amie, elles avaient pourtant échangé leurs numéros de portable, mais celui de Laurence ne répondait jamais, alors elle s'était résignée à tourner la page sans pour autant selon ses consignes avoir eu de relations avec un homme. Mais ce jour là, il était près de midi, lorsque son téléphone sonna, elle le saisit et lu le nom de l'appelant, de l'appelante plutôt, car l'écran affichait Laurence.   Un délicieux frisson mêlé d'appréhension l'envahit.   - Laurence, enfin... Je désespérais que tu m'appelles. - Eh bien, tu vois, tout arrive. - Je t'ai téléphoné je ne sais combien de fois, pourquoi ne répondais-tu pas ? - Ai-je des comptes à te rendre ? - Heu... Non. - Te souviens-tu de notre dernière conversation ? - Oui parfaitement, j'ai chaque mot en tête. - Tu es toujours dans les mêmes dispositions ? Juliette avala sa salive avec difficulté, avant de répondre timidement: - Oui. - Alors redis-moi ce que tu m'a dis.   Juliette se mit à trembler de façon nerveuse, elle savait qu'elle jouait gros maintenant, il lui aurait été facile de couper court à cette conversation et plutôt que de s'engager dans une aventure tordue, elle était tentée de poursuivre sa vie de femme à laquelle rien ne résistait, mais son estomac se serra, la chaleur du désir l'envahissait, l'irrésistible envie de découvrir un univers totalement inconnu pour elle, celui de la soumission.   - Je t'ai dit que je t'appartenais et que je ne voulais que toi, que j'étais disponible pour toi seule. - Ok, alors tu te prépares et tu viens au 18, rue Bouquet, troisième étage, la porte sera ouverte. - Tout de suite ? Tu es complètement folle ou quoi ?   La rue Bouquet se trouvait dans le vieux quartier, l'immeuble était vétuste mais correct sans plus, elle monta les étages, la porte était ouverte, elle pénétra dans la pièce sombre. Laurence était assise sur un canapé, les jambes croisées, elle avait changé de coiffure, ses cheveux étaient très courts maintenant, elle portait une jupe courte noire en cuir. Sa tenue, la lumière tamisée, on ne distinguait que ses yeux lumineux comme ceux d'une chatte dans la nuit.   - Assieds toi. Sans un mot, Juliette s'exécuta. - Je t'avais dit de ne pas te faire baiser par un homme, tu l'as fait ? - Oui, je te le promets. - C'est bien, mais je me renseignerai, à partir de maintenant, ce jour et cette heure tu m'appartiens on est d'accord ? - Oui. - Attention, si tu te rebelles, je saurais te remettre au pli, c'est à prendre ou à laisser, tu as réfléchi à tout ça ? Juliette tremblait tellement maintenant qu'elle ne pouvait empêcher le saccadement de ses mains.   - Je ne changerai pas d'avis. - Je veux l'obéissance, la fidélité, tu devras satisfaire tous mes désirs et mes caprices sexuels, as-tu compris ? - Euh... Oui.   Laurence resta assise et écarta les cuisses, sous sa jupe en cuir, elle était nue.   - Bon, maintenant, tu vas me bouffer la chatte et tu te casses sans rien dire. Juliette s'approcha silencieusement, se mit à quatre pattes et fourra sa langue dans son sexe la tournant consciencieusement puis la rentrant au plus profond, le nez enfoncé dans le fin duvet, ça dura peu de temps, Laurence poussa un cri puissant, puis elle la repoussa vivement du revers de la main.   - C'est bon, je crois que je vais faire de toi une vraie salope. Maintenant, va-t'en. Sans dire un mot car respectant son ordre elle prit son sac et s'éclipsa à pas feutrés. Dés qu'elle fut chez elle, elle prit une douche et se caressa, elle fermait les yeux en levant la tête. Elle sentit un orgasme arriver. Elle avait accepté une soumission totale. Trois jours passèrent sans que Laurence ne se manifeste. Juliette était occupée, en rendez-vous, quand le lundi matin, le téléphone de son bureau sonna, il était 11h15, énervée, elle prit l'appel.   - Donne-moi ton adresse, je vais te rendre visite. - Mais, c'est que je suis très occupée. - Tu discutes ? - Pardon, 51 avenue Victor Hugo. - OK j'arrive.   Lorsqu'on lui annonça son arrivée, Juliette se dirigea avec angoisse vers la porte d'entrée, Laurence était là, un sourire malicieux aux lèvres, la main appuyée sur la cloison. Étonnamment, elle était plutôt classe avec cette petite robe courte et légère aux couleurs vives, elle avait mit des talons hauts et portait un trois-quarts bleu marine. Cette jeune femme sombre dégageait à ce moment là un charme certain, ces habits masquaient sa grande minceur. Le hall d'entrée moderne possédait une grande baie vitrée; au bureau d'accueil, Marion tenait le standard, puis elles pénétrèrent dans le bureau général ou travaillaient Chloé et Xavier, enfin elle lui fit visiter son bureau extrêmement luxueux, fauteuils et canapé Knoll en cuir, et meubles contemporains.   -Tu me présentes à ton personnel ?   C'est ce qu'elle fit. Laurence, enfin partie, Juliette fut rassurée car avec elle on ne savait jamais ce qui pouvait arriver. Une heure plus tard, elle reçu un texto. "Viens chez moi ce soir à 20 heures, pas à 20h01 ou à 19h59. Tu amèneras un gode pas trop gros." Elle arriva devant la porte de Laurence à 19h50 mais resta sur le palier, attendant qu'il soit 20 heures pile pour sonner. Avant cela, gênée, elle avait trouvé un sex-shop et acheté ce gode sous les regards narquois et amusés des clients car elle portait des lunettes de soleil. À 20 heures pile, elle sonna. C'est ouvert entendit-elle. Doucement elle pénétra dans l'appartement, Laurence était assise sur le canapé, détendue, souriante, une cigarette à la main, elle lui dit:   - C'est classe chez toi mais ton argent, je m'en moque, ce qui m'intéresse, c'est de te transformer en véritable salope, et que tu deviennes ma pute, mon esclave sexuel. Juliette demeura muette, ne sachant quoi répondre, elle avait envie de partir en courant mais, déjà, elle mouillait. - Déshabilles-toi totalement.   Elle se déshabilla rapidement puis se tint debout, les mains croisées sur son pubis, attendant de nouvelles directives. Laurence se leva, se dirigea vers elle en la fixant du regard, Juliette baissa les yeux devant celle qui aurait pu être sa fille mais qui la dominait. Arrivée près d'elle, Laurence brusquement la gifla violemment, Laurence recula protégeant son visage rougi de ses mains.   - Mais pourquoi ? Je n'ai rien fait. - Non, mais c'est juste pour te montrer qui commande, ici, comprends-tu ? - Oui. - Maintenant, enfonce-toi bien le gode dans le cul, mais à sec, sans préparation. - Mais, c'est impossible. Elle leva la main faisant mine de la gifler à nouveau. - Oui, oui ne t'énerve pas. Elle s'accroupit et fit pénétrer le gode doucement, c'était très douloureux, pourtant, elle n'en n'avait pas choisi un gros. Il avait un bout évasé, de façon, à ce qu'il puisse pénétrer complètement et profondément, tout en restant fixé en elle. -OK viens t'asseoir près de moi. - Ne t'inquiètes pas, tu vas t'habituer, chaque fois que tu viendras me voir, je veux que tu le portes en toi pour t'élargir. Il faudra que tu apprennes à marcher avec sans te faire remarquer, tu verras tu t'y habitueras. Bon, tu vas commencer par me faire un cunnilingus, comme une salope en t'appliquant, tu es devenue une experte maintenant. Après, ce sera au tour de mon anus. Juliette s'exécuta et pendant qu'elle avait la tête fourrée entre les cuisses de la Domina, elle trembla en écoutant: - Maintenant relève toi, écoute ce que je vais te dire, je veux que tu séduises ta stagiaire, comment s'appelle-t-elle déjà ? - Chloé. - Ah oui, c'est ça, Chloé, alors tu vas la séduire, je te donne une semaine, je vais revenir te voir mercredi prochain, quand je reviendrai, je veux que cela soit fait et je veux que tu te montres obéissante avec elle comme avec moi, sinon tu prendras la raclée de ta vie. Juliette avait les yeux baissés, des larmes commençaient à couler sur ses joues, elle n'osa pas répondre mais acquiesça de la tête. Le lendemain à 14 heures puisque Chloé ne travaillait que les après-midi, gênée, elle lui demanda de la suivre dans son bureau. - Chloé, j'ai décidé de vous donner une prime. - Ah bon ? Je ne m'attendais pas à cela, mais merci beaucoup, Madame.   Elle était étonnée car sa patronne était du style à n'être jamais satisfaite de son personnel.   - Oui, je trouve votre travail excellent et je veux vous remercier, heu... Vous êtes heureuse de travailler ici ? - Oui, Madame. - Je vous en pris, Chloé, appelez moi, Juliette, j'aimerais que nous devenions amies.   Le lendemain, la stagiaire gênée au début, était maintenant détendue.   - Chloé, j'aimerais vous inviter à dîner ce soir, votre mari accepterait ? - Je ne suis pas mariée, Madame. - Appelez moi Juliette, je vous en prie.   Le soir même elle vint la chercher chez elle à vingt-heures, comme convenu, elle l'attendait en bas dans la voiture. Quand Chloé arriva vêtue d'une robe bleu ciel très sage, une veste bleue marine sur les épaules car la nuit était fraîche, Juliette sortit pour lui ouvrir la portière. La stagiaire la regardait décidément de plus en plus interloquée. Elle avait choisi un restaurant réputé, étoilé au guide Michelin. La soirée se passa agréablement, elle était pleine de petites attentions, lui servant le vin, étant à l'écoute de sa conversation, la complimentant pour diverses raisons. Chloé, qui sous ses aspects réservés, était une jeune fille très fine d'esprit. Elle avait bien compris le jeu de sa patronne, pourquoi du jour au lendemain celle qui était si désagréable, s'efforçait de lui être sympathique et devenait si attentionnée, c'était plus qu'étrange, d'autant que Juliette n'avait rien à attendre d'elle, comme stagiaire elle n'avait pas de compétences particulières et avait une vie somme toute banale, la seule chose qui pouvait expliquer ce comportement, c'est qu'elle devait être lesbienne et qu'elle la draguait tout simplement.   Sa réflexion fut rapide, Chloé ne se sentait pas spécialement attirée par les femmes mais c'était une fille qui avait eu de nombreuses aventures malgré qu'elle n'ait que dix-neuf ans, elle était plutôt libertine, elle décida donc de profiter de la situation qui s'offrait à elle car elle voulait avoir un vrai contrat de travail après son stage et sans aucun doute beaucoup d'autres avantages.   - Je ne suis pas mariée, Juliette.   Elles étaient en voiture sur le chemin du retour quand Chloé aventura sa main sur la cuisse de sa patronne; troublée, Juliette ne réagit pas, alors elle la laissa durant tout le trajet, lui caresser doucement la cuisse, puis arrivées en bas de son immeuble elle la tutoya. -Tu viens prendre un verre ? - Euh... Oui, avec plaisir.   Pendant qu'elles montaient l'escalier les idées tourbillonnaient dans la tête de Juliette; que faisait-elle encore ? Elle avait le sentiment de s'enfoncer dans un jeu qu'elle estimait pervers. Ne serait-elle pas accusée à tort d'harcèlement sexuel ? Jusqu'où tout cela la mènerait-elle ? - Tu prends un whisky ? - Oui merci. - Cinq minutes je reviens.   Lorsque Chloé revint, elle avait passé un peignoir en soie noir, elle s'assit à côté de Juliette et sans lui demander la permission, l'embrassa sur la bouche, Juliette se laissa faire passivement, puis Chloé se leva et fit tomber son peignoir dévoilant sa nudité, elle était mate de peau, fine et grande, une poitrine de statue grecque, de taille moyenne et très ferme; elle avait défait sa queue de cheval et ses cheveux châtain clair couraient sur ses épaules. Elle éteignit la lumière puis entreprit de la déshabiller lentement comme si elle n'avait jamais fait que ça puis elle lui prit la main et l'amena dans la chambre, elles se mirent en position de soixante-neuf. Juliette était maintenant experte de sa langue et la fit jouir trois fois alors qu'elle même n'arriva pas à l'orgasme.   - Tu n'as pas joui, ça me gène mais tu sais pour moi, c'est la première fois, alors je ne m'y prends pas très bien. - Non, ne t'inquiètes pas, je jouis rarement mais le plus important pour moi, c'est de te satisfaire.   Une idée traversa la tête de Chloé. Juliette ne voulait que faire jouir sa partenaire sans s'occuper de son plaisir à elle ? Non seulement, c'était une lesbienne, se dit-elle, mais en plus elle aimait être dominée, elle eu un léger sourire au coin des lèvres, elle aimait ça, elle allait être servie. Et puis de toute façon que risquait-elle ? Rien.   - Va dans ma chambre, tu prends le gode dans le tiroir de la table de nuit que je viens d'acheter, fais vite.   Le désarroi de Juliette était visible, comment lui parlait-elle, cette petite stagiaire qui hier encore tremblait devant elle. Elle ruminait intérieurement mais était obligée de respecter les consignes de Laurence. Elle alla donc sans rien dire dans la chambre et ramena ce gode qui était de grosse taille.   - Maintenant, accroupis-toi, mets-toi le gode dans la bouche et tu le suces, pendant ce temps tu te masturbes, on va voir si tu jouis.   Sans dire un mot elle s'exécuta, Chloé s'était assise sur le bord du lit et jouissait du spectacle, le regard amusé. Cette aventure commençait à lui plaire. - Plus profond le gode, je vais t'apprendre à bien sucer toi, au fond tu es une sacrée salope.   Contre son gré, Juliette, sentit monter en elle un orgasme puissant, elle ne put contenir un râle profond et long qui se termina par un petit cri aigu. Chloé eut un petit rire moqueur.   - Et bien toi dis donc, sous tes airs de mijaurée, tu es une vraie salope.   Le lendemain matin, lorsqu'elle arriva au bureau, elle était vêtue de son tailleur bleu-marine très classique, jupe au dessus des genoux, chemisier blanc, chaussures à talons. Chloé, quand elle la vit arriver lui fit un clin d'œil, elle lui répondit par un petit sourire gêné. Cinq minutes plus tard on tapait à son bureau, sans attendre de réponse, Chloé entra et referma la porte puis vint s'asseoir sur le coin du bureau.   - Tu as mis une jupe c'est bien, mais tu es trop sérieuse, tu dois être un peu plus sexy, dégrafe un bouton de ton chemisier, il est fermé trop haut. Sans répondre, Juliette s’exécuta, essayant d'afficher un sourire complice de circonstance mais n'arrivant pas à dissimuler son embarras.   - Fais voir ? Ouais c'est mieux... Bof.   Elle s'approcha d'elle, lui dégrafa elle-même un bouton de plus et écarta son col, laissant apparaître les larges aréoles de de ses seins, à la limite supérieure de son soutien-gorge en dentelles blanches.   - Voilà, c'est beaucoup mieux, reste comme ça toute la journée même pour tes rendez-vous, compris ? Je te surveille. Demain je veux que tu viennes encore plus sexy; tu mettras un soutien-gorge balconnet transparent, et dorénavant tu ne porteras plus jamais de tanga ou de string. Je veux te savoir nue et offerte à tout moment. Derrière ton bureau, tu ne croiseras plus jamais les jambes, non plus. Juliette décida avec honte mais secrètement avec bonheur de se soumettre totalement à Chloé et à Laurence.   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
Charlotte fut préparée dans l'attente de la soirée. Elle avait été avertie que Juliette serait accompagnée de plusieurs couples à qui elle l'offrirait, quoi qu'on pût exiger d'elle ou lui infliger. Il fut décidé qu'elle ne les verrait pas et que les mains attachées derrière le dos, on la conduirait dans une cave d'un manoir.   On fixerait à son cou un collier et à ses poignets des bracelets. Juliette avait choisi sa tenue: une jupe courte en taffetas noire, dévoilant ses cuisses, et un chemisier clair marquant un corset en cuir resserré de façon à faire saillir ses seins. Elle s'assura que son ventre ainsi que le sillon de ses reins étaient parfaitement lisses afin que ses deux orifices soient ouverts sans frein à toutes ses exigences, ou à celles des inconnus à qui elle la destinait.   Pendant qu'on lui liait les cheveux en queue de cheval, pour lui bander les yeux, un cri indubitablement féminin retentit, elle se mit à trembler. À force d'être humiliée, il lui semblait qu'elle aurait dû être habituée aux outrages, sinon au fouet, à force d'être fouettée. Une affreuse satiété de la douleur et de la volupté devrait la résigner, comme le supplice d'une fille offerte comme elle, et même lorsqu'elle n'était pas livrée, de son corps toujours accessible.   Un long silence suivit, troublé seulement par des chuchotements. Elle reconnut Juliette. Sa mince silhouette était entièrement vêtue de noir, du col officier de son chemisier, jusqu'à ses bottes en cuir. Elle déganta sa main droite et posa doucement son majeur et son index près de l'oreille gauche de Charlotte. La Maîtresse des lieux, qui semblait particulièrement l'apprécier, l'entraîna au bout d'une laisse dans la cave, au beau milieu d'une réception où des couples contemplaient le spectacle d'une jeune femme nue se faisant prendre sauvagement par des esclaves mâles.   Des hommes et des femmes en tenues de soirée, tous masqués, étaient éparpillés çà et là une coupe à la main. Au centre de la salle, sur un grand lit en fer forgé noir, érigé en estrade, la femme qu'elle imaginait se faire torturer, était possédée par deux hommes aux corps d’athlètes qui la pénétraient frénétiquement dans la lueur des torches. Elle avait de petits seins fermes et des hanches à peine formées. Les participants se tournèrent vers elles et les saluèrent en s’inclinant en silence.   Ses doigts glissèrent le long de sa mâchoire, puis de son cou, contournèrent son sein gauche, caressant sa taille, et s’arrêtèrent sur sa vulve, en appuyant légèrement sur la chair fragile. Saisissant la dragonne de la laisse reliée aux anneaux d'or fixés sur ses lèvres intimes, elle ouvrit les deux battants du grand salon et la guida vers l'autel de son sacrifice. Au fond de la salle, éclairée par des projecteurs diffusant une lumière pâle, l'attendait la croix de saint André. Avançant vers sa crucifixion, tenue par ses anneaux. Juliette lui tendit la main pour l'aider à gravir les deux marches qui la menait à son calvaire. Elle la plaqua le dos contre le bois, la laissant ainsi exposée de longs instants.   Elle la présenta comme étant son esclave. Tout lui serait infligé sans pitié pour juger de l'efficacité du fouet. En elle, elle devinait une volonté ferme et glacée, que le désir ne ferait pas fléchir, elle devait obéir docilement. Les yeux bandés, elle ne pouvait apercevoir les derniers invités qui descendaient dans la cave, grossissant l'assistance silencieuse. Ainsi exposée et écartelée sur cette croix, seule dans le noir et le silence, elle se demandait pourquoi tant de douceur se mêlait à tant de terreur, ou pourquoi tant la terreur lui paraissait aussi douce. On la détacha enfin pour l'exhiber.   À peine libérée, quelqu'un lui demanda de se tourner et on lui délia les mains en lui ôtant le bandeau des yeux. On la fit avancer, trébuchant un peu, vers un homme qui voulait la toucher. Il lui ordonna de se déshabiller,et de se présenter, ce qu'elle fit instantanément: debout les bras coudés derrière la tête en écartant les cuisses, comme on le lui avait signifié, afin de livrer avec le plus d'indécence possible le spectacle de son intimité.   Se présenter de telle façon oblige l'esclave à s'abandonner, quels que soient ses réticences, à mieux se donner. Par cette mise à nu, le corps livré, déshabillé, disséqué, est comme bafoué, humilié, sans concession. La soumise ainsi exhibée apprend à se surpasser dans l'épreuve, poussée parfois au paroxysme de l'épuisement et de la souffrance physique. C'est ainsi qu'elle peut s'épanouir et accepter les châtiments les plus cruels de sa Maîtresse.   Juliette apparut avec un esclave à demi-nu harnaché de cuir au bout d’une laisse. L’homme à l’allure athlétique était doté d’une musculature impressionnante et d’un sexe épais dont on osait à peine imaginer la taille en érection. Elle fit allonger l'homme sur le dos, puis la tirant par les cheveux, força alors Juliette à s’agenouiller entre ses jambes, la croupe en l’air et le visage écrasé contre son pénis. La soumise entendit alors des ricanements dans l’assemblée.   Ce n'était pas la caresse de ses lèvres le long de lui qu'il cherchait, mais le fond de sa gorge. Il la fouilla longtemps,et elle sentait gonfler et durcir en elle le bâillon de chair qui l'étouffait, et dont le choc lent et répété lui tirait des larmes. Debout sur l'estrade, Juliette faisait voler sa cravache sur ses reins. Elle lui ordonna de lui lécher les testicules et le pourtour de son anus. Charlotte s'exécuta, faisant glisser sa langue de la hampe jusqu'à l'entrée de sa cavité anale.   L'esclave semblait apprécier et s'enfonçait dans sa bouche pendant qu'elle le couvrait de salive. Elle se plaça derrière elle et plongea ses doigts dans son vagin déjà humide de désir. Elle explora longuement sa vulve, remonta sur son anus, le caressa du bout des doigts, puis se redressa: “Enfile-toi un doigt dans le cul!”; sa cravache siffla dans les airs et s’abattit sur sa croupe: “Allez chienne, doigte-toi le cul!”. Juliette était sûre d'elle et faisait preuve d'une tranquille détermination.   Les lèvres forcées par le glaive charnel, elle dut se cambrer pour atteindre la raie de ses fesses. Elle introduisit tant bien que mal un doigt dans la moiteur de sa voie la plus étroite pendant que Juliette continuait de la fouetter: “Tu aimes ça, chienne, te doigter l'anus devant des inconnus". Elle répondit d'un “oui” chevrotant en écho aux coups de cravache mordant maintenant l'intérieur de ses cuisses, espérant ainsi mettre fin à mon supplice. Mais sa Maîtresse avait décidé de la mener.   Elle laissa tomber sa cravache et s’agenouilla derrière elle: “Enfile tes autres doigts, chienne !”. Elle s’exécutait docilement alors qu’elle forçait son anus en écartant ses fesses de ses doigts pour faciliter son introduction. Les invités semblaient goûter à la scène, se regroupant pour regarder. La situation était très humiliante. Juliette était partagée entre le sentiment de honte et l’étrange plaisir d’être utilisée comme un vulgaire objet sexuel, humilié et gémissant, une chose sans valeur.   Mais ce ne furent que les préliminaires. Juliette la releva en tirant sur son collier comme on le ferait pour rappeler un chien à l’ordre: “Ça ira comme ça, salope. Maintenant assieds-toi sur sa queue !”; encouragée par ses coups de cravache, Charlotte enjambait maladroitement l'esclave et s'accroupit dos à lui, tout en se demandant comment accueillir un sexe aussi monstrueux. Impatiente, Juliette maintint le sexe à la verticale et la força à descendre dessus en tirant sur son collier.   Sa croupe s’écrasa sur la pointe saillante. Tous les invités se regroupèrent autour de la scène et elle put voir distinctement leurs regards lubriques et cruels briller derrière leurs masques dans la lueur des torches. Alors qu'elle s'efforçait de garder l’équilibre, l'esclave la força à s’empaler sur son sexe. Charlotte tentait de résister, mais en vain. Son membre surdimensionné défonça ses reins, distendant lentement son anus. Une bouffée de chaleur l'envahit, tout son corps était perlé de sueur.   Juliette exultant, donna alors l'ordre à l'esclave mâle de la pénétrer tout en caressant ses testicules: “Allez, chien, défonce-lui son cul de salope !”. L’homme obéit sans sourciller et l’attira contre son sexe brutalement pour lui faire mal. Ses deux sphincters anaux se dilatèrent sous la pression et il la pénétra d'un seul coup. Elle manqua de s'évanouir. L’assemblée poussa un “Oh” d’étonnement mêlé d’admiration. Juliette demeura un instant interdite à la vue de ce membre à moitié emprisonné.   Partagé comme elle entre douleur et plaisir, l'esclave mâle relâcha son étreinte, en la maintenant dans cette position grotesque, accroupie, empalée au sommet de son sexe. Juliette, agenouillée face à elle, lui meurtrissait les seins en lui pinçant les pointes tout en l’observant avec un regard pervers qui l'effraya. Elle quitta ses yeux, plongea sa tête entre ses cuisses, posa délicatement sa bouche sur sa vulve rougie par ses coups de cravache puis aspira son clitoris entre ses lèvres. La bouche de Juliette estompa peu à peu la douleur de la colonne de chair qui saccageait ses reins.   Elle luttait pour ne pas jouir. Les invités regardaient dans un silence quasi religieux. Le spectacle qu'elle offrait, haletante, empalée sur ce sexe monstrueux agissait sur l’assemblée comme un puissant aphrodisiaque. Juliette se dénuda alors et commença à se caresser en la fixant, les yeux brillants de désir. Non loin de Charlotte, une femme s’était accroupie aux pieds de son compagnon et le gratifiait d’une fellation des plus passionnées. Juste à côté, deux hommes encerclaient une ravissante brune aux cheveux courts qui s'abandonnait totalement, basculée à la renverse, à leurs doigts qui la fouillaient.   Une boule de chaleur explosa dans son ventre et irradia tout son corps. Parcourue de spasmes, elle jouit en silence tout en éjaculant au visage de sa Maîtresse, ses jambes vacillèrent mais l'esclave la tenait toujours fermement embrochée au sommet de son sexe. Il ne s'était pas encore libéré mais son anus qui se contractait nerveusement le mettait au supplice.   L’assemblée demeurait alors silencieuse. On entendait juste les sons de gorge profonds de la femme accroupie, étouffée par le sexe de son compagnon qui lui tenait la tête des deux mains et déversait son sperme en elle. Les deux hommes qui étaient masqués, s'immobilisèrent pour la regarder, délaissant pour un instant la jeune femme brune, maintenant nue à leur merci, pour mieux l'envahir. Plus loin un homme qui se masturbait en l'observant n’arriva plus à se retenir et éjacula.   Juliette s’essuya le visage du revers de la main et lècha sa cyprine sur ses doigts en lui adressant un sourire narquois. Elle se pencha à nouveau entre ses cuisses mais cette fois pour s’occuper de l'esclave. Elle commença par effleurer ses testicules du bout des doigts puis elle remonta sur sa hampe qu'elle caressa comme un objet sacré. Elle semblait s'amuser de façon perverse avec ce sexe surdéveloppé pour faire souffrir l'homme. Elle glissa une main sous ses fesses musclées et stimula son anus en le masturbant de plus en plus fort. C'était excitant d'assister à son érection: il grossit et se déploya.   L’effet ne se fit pas attendre. Dans un ultime effort pour retarder l’inévitable, il se cambra sous elle et rompit le silence de la salle par un long râle bestial. Elle sentit son sexe tressaillir, la remplissant d’un flot de sperme saccadé. La sensation fut divine et l’instant si intense qu'elle fut à nouveau sur le point de jouir. Visiblement satisfaite, Juliette se redressa, posa ses mains sur ses épaules et se pencha sur Charlotte pour l’embrasser. Elle goûta à ses lèvres, les aspira, les mordilla puis pénétra sa bouche de sa langue mouillée. Fermant les yeux, vaincue, la soumise se laissa emporter par un nouvel orgasme.   Alors qu’elle s'abandonnait à son étreinte, elle appuya de tout son poids sur ses épaules et força Charlotte à s’empaler de nouveau sur le sexe redevenu raide. Le pieu de chair dégoulinant la pénétra facilement et l’envahit alors sans plus aucune résistance. Distendue, la sensation d’être remplie totalement dépassa tout ce qu'elle avait enduré auparavant.   Son orgasme redoubla d’intensité et semblait ne plus vouloir s’arrêter. Juliette releva son menton du bout des doigts et la regarda jouir avec le sourire de la victoire. L'esclave mâle qui était resté passif jusque-là recommença à s'ébranler lentement dans son foutre tout en s’agrippant fermement par sa taille, n'ayant rien perdu de son ardeur, bien au contraire.   Juliette l’abandonna à son sort. Elle s’accroupit juste derrière Charlotte et écrasa sa croupe sur le visage de l'homme. Ce dernier sembla apprécier cette douce humiliation et continua de lui fouiller les reins en redoublant d'acharnement. Dans un bruissement gras et humide, rompant le silence, son corps se balançait au rythme de ce va-et-vient féroce.   Elle faisait maintenant face à l’assemblée qui se pressait autour d'elle pour la regarder jouir. Ne prenant même plus la peine de se cacher, plusieurs hommes se masturbaient sans retenue, juste devant elle. Du haut de l'estrade, une jambe sur l’accoudoir de son fauteuil, la Maîtresse des lieux se caressait tout en se délectant du spectacle de la sodomie.   Des mains glacées se posèrent alors sur sa peau et la firent tressaillir. Charlotte s'offrit avec docilité aux caresses de plus en plus insidieuses. Un silence suivit, troublé par quelques chuchotements dont elle essayait vainement de percevoir le sens. Subitement, elle se sentit soulevée de terre, ses poings et ses chevilles furent liés par force de nouveau à la croix.   Dans cette position qui favorisait l'examen de son corps, un doigt força brusquement ses reins et la pénétra avec douleur. Celui qui la violait ainsi, sans préparation, la menaçait durement. Soudain, on la cingla. Elle reconnut immédiatement les coups appliqués par sa Maîtresse. Elle a une méthode particulière, à la fois cruelle et raffinée se traduisant par une caresse de la cravache avant le claquement sec, imprévisible et toujours judicieusement dosé.   Après le dernier coup, elle caressa furtivement son ventre enflammé et cette simple marque de tendresse lui donna le désir d'endurer encore davantage. Quand le cuir s'attaqua à ses seins, elle comprit qu'elle serait fouettée intégralement sauf le visage. Comme une confirmation, les lanières atteignirent le bas de son ventre, en cinglant ses lèvres intimes. Elle laissa échapper un cri de douleur, comme un écho au hurlement entendu dans le couloir.   On lui ordonna de se mettre à quatre pattes, dans la position la plus humiliante pour l'esclave. Elle reconnut à la douceur des mains de femmes qui commencèrent à palper son corps. Elles ouvrirent son sexe. Peu après, son ventre fut investi par un objet rond et froid que Juliette mania longtemps avec lubricité. On décida alors de la reconduire chancelante au premier étage pour la placer dans un trou spécialement aménagé dans le mur.   Alors que l'on usait de tous ses orifices, un homme exhiba son membre qu'elle tentait de frôler avec ses lèvres puis avec sa langue, mais avec cruauté, il se dérobait à chaque fois qu'elle allait atteindre sa verge. Prise d'un besoin naturel, on lui refusa de se rendre aux toilettes. Confuse, elle vit qu'on apportait une cuvette et elle reçut l'ordre de se soulager devant les invités rassemblés. L'humiliation était là. Se montrer dans cette position sidégradante, alors qu'exhibée ou fouettée, prise ou sodomisée, sa vanité pouvait se satisfaire de susciter le désir.   L'impatience qu'elle lut dans le regard attentif de Juliette parut agir sur sa vessie qui se libéra instinctivement. Lorsqu'elle eut fini de se soulager, sa Maîtresse lui ordonna de renifler son urine, puis de la boire. Au bord des larmes mais n'osant pas se rebeller, elle se mit à laper et à avaler le liquide clair et encore tiède. Après avoir subi les moqueries des invités, elle fut amenée devant Juliette dont elle dut lécher les bottes vernies du bout de sa langue. On lui ordonna ensuite de se coucher sur le sol et de relever ses jambes afin que chacun puisse la prendre facilement. Elle fut possédée par l'ensemble des invités qui se succédaient à la chaîne sur son corps.   Puis on la releva pour la placer sur un tabouret hérissé d'un volumineux olisbos. Dans cette nouvelle position, son ventre devenait douloureux, mais ce fut pire lorsqu'on lui ordonna de s'asseoir sur le cylindre massif et de le faire pénétrer entre ses reins profondément. Elle sentait son anus s'écarteler au fur et à mesure qu'elle s'empalait sur le cylindre de latex. Alors, on la força à se pénétrer l'un et l'autre de ses orifices. La souffrance se mua en plaisir.   " - Je suis fière de toi, tu te comportes comme je l'espérais, tu dois continuer".   Juliette venait de lui signifier que son dressage n'était pas achevé. Sa peau subit aussitôt le contact de mains posées au creux de ses reins puis entre ses fesses. Une cravache noir la cingla brusquement avec une telle violence qu'elle poussa un véritable rugissement. La rigidité du cuir enflammait ses reins et son dos. Les coups lacéraient sa chair, lui procurant de lancinantes sensations de brûlure. Lorsque la tige l'atteignit exactement entre les cuisses, sur le renflement du pubis, elle comprit soudain qu'elle allait jouir. Une fois la fulgurante jouissance dissipée, elle osa implorer leur pitié. Charlotte naïvement venait bien malgré elle de rompre le charme de la séance.   Ils décidèrent de lui faire payer chèrement cette inqualifiable faiblesse. Elle fut à nouveau placée dans le mur comportant un trou en son milieu, de façon à ce que sa tête dépasse d'un coté et ses reins de l'autre. Elle allait être prise par l'arrière et contrainte par la bouche. Ce fut Juliette qui l'installa. Elle était en position, jambes docilement écartées, la bouche déjà ouverte, la croupe exagérément offerte, prête à être fouillée et investie.   Ce fut l'abattage. Impatient de se satisfaire, un homme prit la place de l'autre, sa bouche servant d'écrin. Au même moment, un autre utilisait son vagin sans ménagement, avant de forcer brusquement ses reins, qui comme la totalité de son corps étaient à sa merci. Il s'enfonça sans préliminaire pour lui faire mal. Le silence soudain l'exaspéra, car elle ne pouvait rien voir de ce qui se passait autour d'elle. Espérant le fouet comme une délivrance, un troisième sexe plus dur encore pénétra sa croupe. Le ventre de Juliette se liquéfia alors.   Elle était prise, on ravageait ses reins meurtris. Elle compris enfin que le membre qui la pénétrait était un olisbos à ceinture dont Juliette s'était ceint à la taille. Elle exigea d'elle qu'elle se cambre davantage, pour qu'elle puisse "la remplir jusqu'au fond." Charlotte céda à l'impétuosité d'un orgasme qu'elle aurait voulu pouvoir contrôler. Juliette se détacha de Charlotte qui glissa au sol. Elle récupéra ses appuis et réussit à se tenir debout, mais on la rattacha fermement sur la croix de saint André face à la salle plongée dans la pénombre. Charlotte demeura ainsi le reste de la soirée, souillée de sperme et de sueur, les chevilles et les poignets entravés.   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.   
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Par : le Il y a 22 heure(s)
Elle aimait sa persévérance. Elle signifiait qu'il prenait très au sérieux les sentiments qu'il éprouvait pour elle. Mais, en même temps, les innombrables attentions qu'il lui prodiguait la déstabilisaient. Elles ne lui laissaient pas le temps de souffler et rendaient plus difficile encore la possibilité de lui résister. Elle ne put s'empêcher d'être émue par ses pensées. Charlotte pénétra dans le hall d'entrée et salua d'un signe de tête la réceptionniste. Elle prit l'ascenseur, les mains moites, le cœur battant à tout rompre. Sous sa robe, pour accompagner son string, elle avait choisi un soutien-gorge pigeonnant, dont le voile léger couvrait à peine ses seins. La caresse de la soie sur leurs pointes dressées ajoutait encore à sa suave excitation. Elle portait un parfum léger, sensuel. Et sa façon de le saluer, toute simple, était éblouissante. Il ne se souvenait pas qu'une femme l'ait jamais intrigué à ce point. Peut-être était-ce dû au masque qu'elle portait ou à la réputation qui la précédait. Quoi qu'il en soit, elle était ravissante, et de celles qui accrochent le regard et fascinent. Et ce n'était pas une question de robe ni de bijoux. C'était toute sa personnalité qui transparaissait: sexy, impertinente, séductrice. S'amuser à provoquer un homme aussi désirable, était plus facile qu'elle ne l'aurait cru. Le déguisement n'était qu'un artifice. C'étaient ses yeux verts derrière son masque et sa bouche sensuelle qui le troublait. La soie fluide moulait somptueusement les courbes de sa silhouette. Le précieux collier plongeait de manière suggestive entre ses seins, le métal froid lui rappelant que si elle jouait correctement son rôle, très bientôt les doigts de l'inconnu effleureraient sa peau avide de caresses. Elle laissa ses doigts glisser le long du collier, jusqu'au cabochon niché au creux de sa poitrine. Elle avait réussi à le surprendre, à l'intriguer. Elle ne disposait que d'une nuit.   - Monsieur, dit-elle. Je veux que nous fassions l'amour. L'homme leva un sourcil étonné et un sourire amusé effleura ses lèvres. Charlotte ne voulait surtout pas qu'il réfléchisse. Elle voulait qu'il se contente de ressentir et de réagir. D'un geste téméraire, elle glissa la main vers sa nuque, noua les doigts dans ses cheveux sombres et attira son visage vers le sien. C'était elle qui avait pris l'initiative du baiser. Ce fut l'homme qui en prit le contrôle. Il n'y eut pas de phase d'approche. Ses lèvres pressèrent les siennes, sa langue pénétra sa bouche, trouva la sienne, s'y mêla en un baiser sauvage, exigeant, prenant d'elle tout ce qu'elle avait à donner. Elle s'abandonna à son étreinte, s'enivrant de l'odeur de sa peau, une odeur virile, troublante.   - Allons dans un endroit plus intime, voulez-vous ?   Il eut un bref mouvement de sourcils, comme s'il soupçonnait un piège, mais il était trop poli pour répondre.   - Nous venons d'arriver. - N'avez-vous pas envie d'être seul avec moi ? Car je n'ai aucune envie de différer mon plaisir. Ni le vôtre. - Comment savez-vous que nous aurons du plaisir ? - Une femme sait ces choses-là. - Même si mes exigences sortent du commun ?   L'ascenseur s'immobilisa à son étage. Elle prit l'homme par la main et ils franchirent la double porte aux vitres gravées, traversèrent le hall de marbre et gagnèrent la luxueuse suite préparée. Elle était toute entière éclairée de bougies et ils traversèrent le salon en direction de la vaste chambre élégante, raffinée, décorée dans un subtil dégradé de tons chauds. D'autres bougies étaient disposées de part et d'autre de l'immense lit. Sur la commode, on avait disposé deux flûtes de cristal et une bouteille de champagne dans un seau à glace en argent. Le lit était entrouvert et les draps soyeux, comme une invitation aux ébats. Charlotte avait ouvert toutes grandes les portes de la terrasse qui surplombait l'océan pour laisser la brise parfumée baigner la chambre. L'homme ne prêta pas la moindre attention au décor. Il ne s'intéressait qu'à elle.   - Baissez la fermeture de ma robe, susurra-t-elle d'une voix enjôleuse.   - Vous ne voyez pas d'inconvénient à ce que je prenne mon temps, j'espère, murmura-t-il à son oreille.   Elle se sentit soudain la bouche sèche. Elle avait envie d'être nue, de sentir ses mains sur elle tout de suite, mais aussi follement envie qu'il prenne tout son temps. Il descendit la fermeture Eclair de quelques centimètres. Le corsage de la robe s'ouvrit dans son dos, s'écarta de sa poitrine et elle sentit un souffle d'air frais balayer ses seins. Du bout des doigts, il caressa son son cou, ses épaules, décrivant de petits cercles sur sa peau nue tandis qu'elle écartait doucement les pans de son corsage. Elle n'avait pas bougé, tenant toujours ses cheveux relevés pour lui, dans une position cambrée qui projetait en avant ses seins avides de la caresse de ses mains expertes. Elle ne s'inquiéta pas quand il plaça autour de son cou, un collier en acier comportant une charnière, située au centre. Il le verrouilla brusquement grâce à un système de vis et d'écrou.   - Vous avez un dos superbe, dit l'homme sans se troubler. Il fallait qu'elle s'écarte, qu'elle reprenne le contrôle du jeu. Mais c'était si bon de sentir ses mains sur ses seins qu'elle n'en eut pas la volonté. Et il s'y attendait. Il savait qu'elle ne pourrait pas. Il l'avait lu dans son regard, senti dans la façon dont elle cédait à la tentation, s'abandonnant à ses mains expertes. Ses paumes effleuraient sa chair, ses doigts la frôlaient à peine. La sensation était telle qu'elle dut se mordre les lèvres pour ne pas gémir. Elle referma les doigts sur ses épaules. Sa peau était chaude et douce. Du velours sur de l'acier. Chaque caresse de ses mains sur ses seins, chaque pression de ses doigts faisait croître le désir niché au creux de son ventre. Jamais elle ne s'était sentie à ce point prête pour un homme, excitée, humide. Elle l'était déjà au moment où elle avait ôté sa robe. Il pressa de nouveau la pointe de ses seins.   Mais l'homme avait décidé d'imposer son rythme, de l'exciter, de la pousser à bout, puis de faire machine arrière au moment où il la sentirait prête à chavirer. Quand elle glissa les pouces sous l'élastique de son string et le fit glisser très lentement sur ses fesses, des fesses musclées, elle se retourna et il découvrit son pubis finement rasé, il la fixa, fasciné, le regard brûlant de désir, une expression si intense sur le visage qu'elle fut saisie de peur. L'homme bondit alors, tel un animal sauvage, et tandis qu'elle se redressait, il la souleva dans ses bras. Lorsqu'il l'eut posée sur la terrasse, il saisit la rambarde, emprisonnant Charlotte entre ses bras. Elle était piégée. Son petit numéro de strip-tease avait définitivement chassé l'homme réservé et distant et libéré l'être viril et impétueux. Comme attirés par un aimant, ses doigts se refermèrent sur son sexe. Il était long et dur. Il sursauta lorsqu'elle allongea les doigts, les referma sur ses testicules qu'elle pressa doucement. Du pouce, elle effleura son gland gonflé et fut heureuse de l'entendre gémir de plaisir. - Je vais explorer toutes les zones sensibles de votre corps avec ma langue, murmura-t-elle. Comme hypnotisée par le bruit des vagues qui se brisaient sur les rochers de la côte, en contrebas, elle s'agenouilla et prit le sexe de l'homme dans sa bouche. Il avait le goût du vent et de la pluie, le goût viril d'un homme. Et comme elle le lui avait promis, elle l'amena au bord de l'orgasme. Brusquement, il glissa les mains entre ses reins. Perchée sur ses talons hauts, elle se trouvait cambrée, les fesses en arrière, dans la position idéale pour qu'il glisse un doigt en elle. Un doigt qu'il plongea dans sa voie la plus étroite, l'élargissant avec volupté jusqu'à ce qu'elle fut détendue.   - Je veux que vous veniez en moi par cet endroit. - Je le sais.   Mais il s'arrêta. Il se redressa, plaqua son corps contre le dos de Charlotte. Son membre dur plongea entre ses fesses. Elle se cambra pour le prendre en elle, mais il s'écarta, referma les mains sur ses seins et en pressa la pointe durcie. Ce fut comme si une décharge électrique traversait le corps de la jeune femme. Elle se cambra de nouveau, collant son rectum contre lui. Lorsque enfin, il la pénétra, elle était si brûlante, si excitée qu'elle jouit aussitôt dans une explosion de tous les sens. Elle se serait écroulée si les bras puissants de l'homme ne l'avaient retenue. Il glissa une main entre ses cuisses et, ouvrant délicatement sa chair, il se mit à caresser son clitoris. Elle le sentait partout, avec son sexe planté profondément dans ses entrailles. Quand elle atteignit l'orgasme, il se décolla d'elle brutalement. Bientôt, tandis qu'elle retrouvait ses esprits, l'homme la tenait serrée contre lui, blottie dans ses bras.   - Avez-vous déjà été attachée et fouettée ? - Non jamais.   Sans attendre, l'inconnu dit à Charlotte de se lever pour lui lier les poignets d'une corde de chanvre qu'il attacha au plafonnier de la chambre, bien tendue pour l'obliger à se tenir bras levés et sur la pointe des pieds. Elle entendit le cliquetis de la boucle de la ceinture tandis qu'il l'ôtait de son pantalon. - Que faites-vous ? - Je répare seulement un oubli. Souvenez-vous de mes exigences spéciales. La douleur laissera alors place au plaisir. L'homme commença par apprécier la souplesse du ceinturon en cuir en fouettant l'air. Le premier coup claqua sèchement contre ses fesses. Il n'était pas du style à y aller progressivement. Il avait frappé fort avec l'assurance qui lui était coutumière et Charlotte sentit sa peau d'abord insensible, réagir rapidement à la brûlure du cuir. Le deuxième coup tomba, plus assuré encore, et elle gémit de douleur en contractant les muscles de ses fesses. L'homme la fouetta avec application. Ses coups précis, parfaitement cadencés, atteignaient alternativement une fesse, puis l'autre, parfois le haut des cuisses, parfois le creux des reins. Vingt, trente, quarante coups. Charlotte ne comptait plus. Aux brûlures locales d'abord éprouvées, s'était substituée une sensation d'intense chaleur, comme si elle était exposée à un âtre crépitant.   - Vous voudrez bien vous retourner. - Non, pas devant, haleta-t-elle, Pas devant. - Vous devez aller jusqu'au bout de vos fantasmes de soumission.   Charlotte pivota lentement sur elle-même. Elle avait gardé les yeux baissés mais elle aperçut quand même le ceinturon s'élever dans l'air et s'abattre sur elle, au sommet de ses cuisses. Elle hurla à nouveau et releva la jambe pour essayer de se protéger du coup suivant. Elle sentit soudain qu'elle n'y échapperait pas et se vit perdue. Il ne refrappa pas immédiatement. Il attendit que Charlotte ne puisse plus se tenir ainsi sur la pointe du pied et qu'épuisée, elle s'offre à nouveau au fouet. Il continua à la fouetter méthodiquement sur les hanches et sur les seins. Quand le cuir atteignit le renflement de sa vulve, subitement son corps fut traversé de part en part par une fulgurante flamme de couleur rouge orangé. Elle en sentit la chaleur l'irradier et plonger dans son ventre comme une boule de feu. La douleur et le plaisir fusionnèrent ensemble. Elle hurla à nouveau mais de plaisir cette fois. L'homme cessa presque aussitôt de la frapper. Il s'approcha de la jeune femme et ce fut lui qui remarqua le premier que le fouet de cuir, sous lequel elle avait d'abord gémi, la marquait beaucoup moins et donc permettait de faire durer la peine et de recommencer parfois par fantaisie. Charlotte n'avait aucune envie de bouger. Comblée, elle ne rêvait que de rester là, blottie dans les bras de l'inconnu. Mais pour lui, il était hors de question de passer la nuit avec elle. Le risque était trop grand qu'elle découvre son identité.   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
Tout à coup, je la regardais avec une sorte d'épouvante: ce qui s'était accompli dans cet être dont j'avais tant envie m'apparaissait effroyable. Ce corps fragile, ses craintes, ses imaginations, c'était tout le bonheur du monde à notre usage personnel. Son passé et le mien me faisaient peur. Mais ce qu'il y a de plus cruel dans les sentiments violents, c'est qu'on y aime ce qu'on aime pas. On y adore jusqu'aux défauts, jusqu'aux abominations, on s'y attache à ce qui fait de plus mal. Tout ce que je détestais en elle était sans prix pour moi. Et mon seul bonheur, c'était le plaisir même; le mien, le sien, tous ces plaisirs du monde, camouflés la plupart du temps sous de fugaces désirs, des amours passagères, des illusions d'un moment. Nous avions du mal à parler. Il y avait un silence entre nous, fait de nos fautes et de nos remords. L'éclatement et l'évidence des amours partagées, la simplicité qui jette les corps l'un vers les autres. Ce monde ambigu où les choses s'interprètent et où nous leur prêtons un sens qui est rarement le sens, c'était l'insoutenable légèreté du bonheur où le temps et l'espace n'étaient plus neutres dans l'amour et la soumission. Ils se chargeaient de nos espoirs et de nos attentes, et le monde entier se couvrait ainsi d'un réseau de signes qui lui donnait un sens parfois absurde. Si tout était là, la vérité serait à la portée de tous, à la merci d'un miracle, mais on ne peut n'allumer que la moitié d'un soleil quand le feu est aux poudres. Qui n'a vu le monde changer, noircir ou fleurir parce qu'une main ne touche plus la vôtre ou que des lèvres vous caressent ? Mais on est où nous le sommes, on le fait de bonne foi. C'est tellement peu de choses que ce n'est rien. Mais on n'avoue jamais ces choses-là. Juliette passa ses bras autour du cou de Charlotte. Elle l'enlaça à contrecœur tandis qu'elle posait la tête contre sa poitrine. Elle l'embrassa dans le cou et se serra contre elle. Glissant la main dans ses cheveux, elle posa ses lèvres timidement sur sa joue puis sur sa bouche, l'effleurant délicatement avant de l'embrasser de plus en plus passionnément. Involontairement, elle répondit à ses avances. Elle descendit lentement ses mains dans son dos, et la plaqua contre elle. Debout sur la terrasse, assourdies par le bruit des vagues, elles se laissèrent gagner par un désir grandissant. Charlotte s'écarta de Juliette, la prenant par la main, l'entraîna vers la chambre. Ensuite, elle s'écarta d'elle.   La lumière de l'aube inondait la pièce, jetant des ombres sur les murs. N'hésitant qu'une fraction de seconde avant de se retourner vers elle, elle commença à se déshabiller. Charlotte fit un geste pour fermer la porte de la chambre, mais elle secoua la tête. Elle voulait la voir, cette fois-ci, et elle voulait qu'elle la voit. Charlotte voulait que Juliette sache qu'elle était avec elle et non avec une autre. Lentement, très lentement, elle ôta ses vêtements. Son chemisier, son jean. Bientôt, elle fut nue. Elle ne la quittait pas des yeux, les lèvres légèrement entrouvertes. Le soleil et le sel de la mer avaient hâler son corps. Il venait d'ailleurs, de l'océan. Il émergeait des eaux profondes, tout luisant de ce sucre étrange cher à Hemingway. C'était la fleur du sel. Puis Juliette s'approcha de Charlotte et posa ses mains sur ses seins, ses épaules, ses bras, la caressant doucement comme si elle voulait graver à jamais dans sa mémoire le souvenir de sa peau. Elles firent l'amour fiévreusement, accrochées désespérément l'une à l'autre, avec une passion comme elles n'en avaient jamais connue, toutes les deux douloureusement attentive au plaisir de l'autre. Comme si elles eu avaient peur de ce que l'avenir leur réservait, elles se vouèrent à l'adoration de leurs corps avec une intensité qui marquerait à jamais leur mémoire. Elles jouirent ensemble, Charlotte renversa la tête en arrière et cria sans la moindre retenue. Puis assise sur le lit, la tête de Charlotte sur ses genoux, Juliette lui caressa les cheveux, doucement, régulièrement, en écoutant sa respiration se faire de plus en plus profonde. Soudain, les lèvres de Juliette exigèrent un maintenant plein d'abandon. La communion ne put être plus totale. Elle lui prit la tête entre ses deux mains et lui entrouvrit la bouche pour l'embrasser. Si fort elle suffoqua qu'elle aurait glissé si elle ne l'eût retenue. Elle ne comprit pas pourquoi un tel trouble, une telle angoisse lui serraient la gorge, car enfin, que pouvait-elle avoir à redouter de Juliette qu'elle n'eût déjà éprouvé ? Elle la pria de se mettre à genoux, la regarda sans un mot lui obéir. Elle avait l'habitude de son silence, comme elle avait l'habitude d'attendre les décisions de son plaisir. Désormais la réalité de la nuit et la réalité du jour seraient la même réalité. Voilà d'où naissait l'étrange sécurité, mêlée d'épouvante, à quoi elle sentait qu'elle s'abandonnait, et qu'elle avait pressenti sans la comprendre.   Désormais, il n'y aurait plus de rémission. Puis elle prit conscience soudain que ce qu'en fait elle attendait, dans ce silence, dans cette lumière de l'aube, et ne s'avouait pas, c'est que Juliette lui fit signe et lui ordonnât de la caresser. Elle était au-dessus d'elle, un pied et de part et d'autre de sa taille, et Charlotte voyait, dans le pont que formaient ses jambes brunes, les lanières du martinet qu'elle tenait à la main. Aux premiers coups qui la brûlèrent au ventre, elle gémit. Juliette passa de la droite à la gauche, s'arrêta et reprit aussitôt. Elle se débattit de toutes ses forces. Elle ne voulait pas supplier, elle ne voulait pas demander grâce. Mais Juliette entendait l'amener à merci. Charlotte aima le supplice pourvu qu'il fut long et surtout cruel. La façon dont elle fut fouettée, comme la posture où elle avait été liée n'avaient pas non plus d'autre but. Les gémissements de la jeune femme jaillirent maintenant assez forts et sous le coup de spasmes. Ce fut une plainte continue qui ne trahissait pas une grande douleur, qui espérait même un paroxysme où le cri devenait sauvage et délirant. Ces spasmes secouèrent tout le corps en se reproduisant de minute en minute, faisant craquer et se tendre le ventre et les cuisses de Charlotte, chaque coup, le laissant exténué après chaque attaque. Juliette écouta ces appels étrangers auxquels tout le corps de la jeune femme répondait. Elle était vide d'idées. Elle eut seulement conscience que bientôt le soir allait tomber, qu'elle était seule avec Charlotte. L'allégresse se communiqua à sa vieille passion et elle songea à sa solitude. Il lui sembla que c'était pour racheter quelque chose. Vivre pleinement sa sexualité, si l'on sort tant soit peu des sentiers battus et sillonnés par les autres, est un luxe qui n'est pas accordé à tous. Cette misère sexuelle la confortait dans son choix. Le masochisme est un art, une philosophie et un espace culturel. Il lui suffisait d'un psyché. Avec humilité, elle se regarda dans le miroir, et songea qu'on ne pouvait lui apporter, si l'on ne pouvait en tirer de honte, lui offrir qu'un parterre d'hortensia, parce que leurs pétales bleus lui rappelaient un soir d'été heureux à Sauzon à Belle île en Mer.   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
Alors qu'il y avait au-dessus d'elle une grande glace, recouvrant totalement le plafond, que n'interrompait aucun luminaire, la jeune femme se voyait ouverte, chaque fois que son regard rencontrait le large miroir. Comme dans un rêve, on entendait le feulement de Charlotte monter peu à peu vers l'aigu et un parfum déjà familier s'exhala de sa chair sur laquelle les lèvres de Juliette étaient posées. La source qui filtrait de son ventre devenait fleuve au moment qui précède le plaisir et quand elle reprit la perle qui se cachait entre les nymphes roses qu'elle lui donnait. Elle se cambra de tous ses muscles. Sa main droite balaya inconsciemment la table de travail sur laquelle elle était allongée nue et plusieurs objets volèrent sur la moquette. Un instant, ses cuisses se resserrèrent autour de sa tête puis s'écartèrent de nouveau dans un mouvement d'abandon très doux. Elle était délicieusement impudique, ainsi couchée devant Juliette, les seins dressés vers le plafond, les jambes ouvertes et repliées dans une position d'offrande totale qui lui livrait les moindres replis de son intimité la plus secrète. Quand elle commençait à trembler de tout son être, elle viola d'un doigt précis l'entrée de ses reins et l'orgasme s'abattit sur elle avec une violence inouïe. Pendant tout le temps que le feu coula dans ses veines, Juliette but le suc délicieux que son plaisir libérait et quand la source en fut tarie, elle se releva lentement. Charlotte était inerte, les yeux clos, les bras en croix. Tout ne lui serait pas infligé à la fois. Elle aurait plus tard la permission de se débattre, de crier et de pleurer. Venant d'un autre monde, sa maîtresse entendit sa voix lui dire qu'elle était heureuse et qu'elle voulait que cela ne finisse jamais. Elle s'agenouilla entre ses jambes et Juliette voyait ses cheveux clairs onduler régulièrement au-dessous d'elle. Sa vulve était prisonnière du plus doux et du plus chaud des fourreaux qui lui prodiguait la plus divine des caresses.    Un court instant, elle s'interrompit pour lui dire qu'elle n'aurait jamais cru que c'était aussi bon de se soumettre puis brusquement, adorablement savante, sa main vint se joindre à ses lèvres et à sa langue pour la combler. Mille flèches délicieuses s'enfoncèrent dans la chair de Juliette. Elle sentit qu'elle allait exploser dans sa bouche. Elle voulut l'arrêter mais bientôt ses dents se resserrèrent sur la crête rosée. Un plaisir violent et doux s'abattit sur les deux amantes et le silence envahit la pièce. Le plafond était haut, les moulures riches, toutes dorées à la feuille. Juliette invita Charlotte à pénétrer dans la salle de bains où elle fit immédiatement couler l'eau dans une baignoire digne d'être présentée dans un musée, un bassin en marbre gris à veinures rouges, remontant à l'avant en volute, à la façon d'une barque. Un nuage de vapeur emplissait le monument. Elle se glissa dans l'eau, avant même que la baignoire ne fut pleine. La chaleur est une étreinte délicieuse. Une impression d'aisance l'emplit. Voluptueuse, Charlotte s'abandonna à ce bien-être nouveau sans bouger. Le fond de la baignoire était modelé de façon à offrir un confort maximum, les bords comportaient des accoudoirs sculptés dans le marbre. Comment ne pas éprouver un plaisir sensuel ? L'eau montait sur ses flancs, recouvrait son ventre pour atteindre ses seins en une onde caressante. Juliette ferma les robinets, releva les manches de son tailleur, commença à lui masser les épaules avec vigueur, presque rudesse. Ses mains furent soudain moins douces sur son dos. Puis à nouveau, elle la massa avec force, bousculant son torse, ramollissant ses muscles. Ses doigts plongèrent jusqu'à la naissance de ses fesses, effleurant la pointe de ses seins. Charlotte ferma les yeux pour jouir du plaisir qui montait en elle. Animé par ces mains caressantes qui jouaient à émouvoir sa sensibilité. Une émotion la parcourut.    L'eau était alors tiède à présent. Juliette ouvrit le robinet d'eau chaude et posa ensuite sa main droite sur les doigts humides de Charlotte, l'obligeant à explorer les reliefs de son intimité en la poussant à des aventures plus audacieuses. Ses phalanges pénétrèrent son ventre. Les lèvres entre les jambes de Charlotte, qui la brûlaient, lui étaient interdites, car elle les savait ouverte à qui voudrait. Juliette perdit l'équilibre et bascula sur le bord de la baignoire. Son tailleur trempé devint une invitation à la découverte, et la soie blanche de son corsage fit un voile transparent révélant l'éclat de ses sous-vêtements. Elle dégrafa sa jupe et se débarrassa de son corsage. Dessous, elle portait un charmant caraco et une culotte de soie, un porte-jarretelle assorti soutenant des bas fins qui, mouillés, lui faisaient une peau légèrement hâlée. Ses petits seins en forme de poire pointaient sous le caraco en soie. Elle le retira délicatement exposant ses formes divines. Bientôt, les mains de Charlotte se posèrent langoureusement sur ses épaules et glissèrent aussitôt sous les bras pour rencontrer les courbes fermes de de la poitrine. Son ventre palpita contre les fesses de son amante. Elle aimait cette sensation. Peu à peu, ses doigts fins s'écartèrent du buste pour couler jusqu'à la ceinture élastique de la culotte. La caresse se prolongea sous le tissu. Juliette pencha la tête en arrière et s'abandonna au plaisir simple qui l'envahit. Alors, rien n'exista plus pour elle que ce bien-être animé par le voyage rituel de ces doigts dans le velours de sa féminité. L'attouchement fut audacieux. Combien de temps restèrent-elles ainsi, à se caresser et à frissonner, ne fut-ce pas un songe, l'ombre d'un fantasme ? Elles n'oseraient sans doute jamais l'évoquer. Mais Juliette se rhabilla et abandonna Charlotte sans même la regarder.   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
La mer est comme cela. Elle peut accumuler les malveillances, multiplier au-delà de l'imaginable les mauvais hasards et, lorsque tout semble perdu, détourner sa fureur et faire une fleur à ceux contre qui elle s'est acharnée. Il y avait peu de chances que la tempête ramène "Albatros" près de son point de départ à Sauzon. Il y avait peu de chances que le soleil se démasque juste à temps pour permettre d'identifier la côte et de corriger le cap qui plaçaient le bateau juste au vent de son port. Le romantisme est une attitude séduisante et la terre d'élection des adolescents, mais tant de fausses monnaies y ont cours qu'il faut se garder de se payer de mots. Mais par mauvais temps, à bord, les yeux se ferment mais on ne dort pas, c'est un état intermédiaire, pas exactement le demi-sommeil, plutôt une torpeur éveillée, l'esprit reste en alerte mais le corps s'absente, le temps se ralentit. Le drap remontait jusqu'au menton, laissant nus les bras et les épaules. Elle ferma les yeux. Juliette contempla impunément le pur ovale du visage de Charlotte. Sur la peau mate des joues et du front, sur les paupières bistrées passaient, comme des risées sur la mer, de brefs frissons qui gagnaient les belles épaules, les bras, la main tenue par son amante. Une émotion inconnue s'empara d'elle. Serrer une femme dans ses bras, c'est se priver de la voir, se condamner à n'en connaître que des fragments qu'ensuite la mémoire rassemble à la manière d'un puzzle pour reconstituer un être entièrement fabriqué de souvenirs épars: la bouche, les seins, la chute des reins, la tiédeur des aisselles, la paumes dans laquelle on a imprimé ses lèvres. Or parce qu'elle se présentait ainsi allongée, pétrifiée telle une gisante, Juliette découvrait Charlotte comme elle ne croyait ne l'avoir jamais vue. Elle ne reconnaissait pas la fragile silhouette à la démarche vacillante sur la jetée du port, menacée dans son équilibre par la bourrasque qui se ruait sur Sauzon. Elle était infiniment désirable, ce à quoi, elle avait peu songé depuis leur première rencontre. Plus surprenante était l'immersion de Charlotte dans le sommeil dans la tempête, comme si seule une pression de la main de sa maîtresse libérait d'un torrent de rêves. Un souffle à peine perceptible passant ses lèvres entrouvertes. Comme le suaire que les sculpteurs jettent sur une statue d'argile ocreuse encore fraîche, le drap mollement tendu épousait les formes secrètes de la jeune fille: le ventre à peine bombé, le creux des cuisses, les seins attendant les caresses. Juliette se pencha sur ce masque impassible comme on se penche sur un livre ouvert. En la serrant dans ses bras, elle la réveillerait, la rappellerait sur l'île où un avis de grand frais s'était abattu. Un élan de tendresse étrangla Juliette. De très près, son front apparaissait comme un mur impénétrable derrière lequel se cachait un courage inouï. On pouvait y lire aussi de la crainte. Un peu de sueur brillait sous ses aisselles épilées et Juliette en sentit l'odeur âpre et fine, un peu végétale et se demanda comment une femme si belle pouvait parfois se montrer d'une si grande docilité. Elle savait qu'elle lui appartenait mais se demandait où étaient sa bouche, ses seins, ses reins. Les exigences de Juliette, le plus difficile n'était pas de les accepter, le plus difficile était simplement de parler.   Dans la moiteur de la nuit, elle avait les lèvres brûlantes et la bouche sèche, la salive lui manquait, une angoisse de peur et de désir lui serrait la gorge, et ses mains étaient froides. Si au moins, elle avait pu fermer les yeux. Mais non, elle veillait sur la lancinante douleur des traces. La veille, elle avait accepté d'être fouettée jusqu'au sang par Juliette. Elle se souvint seulement qu'elle ne lui avait jamais dit autre chose qu'elle l'aimait. Un ordre l'aurait fait se rebeller, mais cette fois-ci, ce qu'elle voulait d'elle n'était pas qu'elle obéît à un ordre, mais qu'elle vînt d'elle-même au-devant de ses désirs sadiques. Encore un instant, avait-elle dit. Charlotte se raidit, mais en vain. Elle reçut quarante coups de cravache. Elle le subit jusqu'au bout, et Juliette lui sourit quand elle la remercia. Dans le lit, elle ne pouvait cesser de désirer refermer ses cuisses meurtries. Juliette s'était révélée chaque nuit de leur vie languissante toujours plus fougueuse dans leurs ébats d'alcôve. Toutes les femmes amoureuses ont le même âge, toutes deviennent des adolescentes exclusives, inquiètes, tourmentées. Charlotte endormie n'échappait pas à la règle. La mer est comme ça. Elle peut accumuler les malveillances, multiplier au-delà de l'imaginable les mauvais hasards, les coïncidences mortelles et, lorsque tout semble perdu, détourner sa fureur et faire une fleur à ceux contre qui elle s'est acharnée. Mais il y avait peu de chance que la tempête ramène le voilier près de son point de départ. Le canot tous temps de la SNSM était sorti en fonçant dans les rouleaux d'écume au large de la pointe des Poulains. Rien de plus stupide que la bravoure frôlant l'inconscience. La fin était là, tracée par les rochers. Le cercle se resserrerait autour d'eux pour la curée. Ce serait au tour de Juliette d'être muette. Le froid ne les referait pas vivre. La vague envahirait le carré, l'ancre flottante ne tiendrait pas. Le bateau se coucherait et se relèverait mais pour combien de temps. Il faudrait apprendre à mourir car le flot reprendrait possession de son domaine. Rien n'est plus important que les vertiges de Monet et de son ami, le pêcheur Poly. La découverte des aiguilles de Port-Coton des rochers du Lion de Port-Goulphar et de Port-Domois. Un soleil rouge, un soleil de fiction incendie le couchant. Lisse comme un toit de zinc, la mer est morte, on la croirait déserte sans le friselis. La côte a disparu. Admirable justesse du langage marin dont ricanent les niais. Au-delà du jargon de pure technique, les mots cernent au plus près la vérité des choses dans toutes leurs dimensions avec tant d'exactitude et de simplicité qu'ils en sont poétiques. Les sémaphores signalent "mer belle". Le langage des gens de mer ne se prête pas à l'épopée. Les voiles, bien ferlées, n'ont pas contrarié le redressement du mât pour notre plus grand bonheur.   Renaître à la vie est heureux pour les amoureux. Pour qu'un rêve soit beau, il ne faudrait pas s'éveiller. En aucune façon, Juliette demandait à Charlotte de se renier mais bien plutôt de renaître. C'est bon, les autres, c'est chaud, c'est nécessaire. Juliette avait du goût pour les autres. Pour elle, c'était une attitude moins altière que l'imprécation et l'anathème, moins chic aussi; le monde est peuplé de mains tendues et de cœurs entrouverts. Le jour n'en finissait pas de se lever. Le spectacle de l'aube réticente n'était pas exaltante. Des nuages bas galopaient sous une couche de cumulonimbus plombés. Le vent, contre la houle, créait une mer confuse, heurtée, rendant la navigation confuse. Ce fut un soulagement de revoir la lumière. Il fallait prendre un autre ris dans la grand-voile et envoyer un petit foc car, sous les rafales qui forcissaient, le vieux ketch commençait à fatiguer, descendre dans le carré et regarder une carte marine de plus près. Charlotte faisait semblant de dormir dans le joyeux charivari des objets usuels livrés au roulis. Nous étions dans le sud de Groix. Continuer sur ce bord en espérant identifier à temps les dangers de Belle-Île ou changer d'amures et courir un bord hasardeux vers le large en attendant l'embellie. C'était la meilleure solution quitte à tourner le dos volontairement à la terre. C'était l'heure du bulletin météo de Radio-France annonçant un vent frais du nord-est. C'était le vrai mauvais temps. Raison de plus pour virer de bord, vent devant si possible, sinon lof pour lof et à la grâce de Dieu. Sous son seul petit foc, "Albatros" allait vite, trop vite, il ventait en furie. Il souffrait. Lorsqu'il dévalait la pente d'une lame, nous avions peur qu'il se plante dans la lame suivante. Le bout-dehors plongeait sous l'eau. Chavirer par l'avant n'est pas une légende. La barre franche devenait dure. À bord, les yeux se fermaient, mais personne ne dormait, c'était un état intermédiaire, pas exactement le demi-sommeil, plutôt une torpeur éveillée. Le corps s'absentait mais l'esprit demeurait en alerte. Des torrents d'eau mousseuse s'écoulaient par les dalots. La mer était grise tout autour mais d'un vert profond. Sur ses pentes ruisselaient des cascades blanches. Combien de temps "Albatros" avait-il souffert contre la peau du diable ? La mer était grise. La tempête cessa et nous rentrâmes à Sauzon.    Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
À l'abri de l'océan, les prairies remplacent la lande rase et les foins bordent bientôt les falaises. Les ajoncs aux senteurs de miel et d'amande crépitent sous le soleil, les arbres fiers débordent des vallons, tout est douceur. Attentive au ciel, indifférente à la mer, silencieuse bruyère ou grondement lourd des vagues, lumineuse ou grise, contradictoire et solitaire en sa libre prison, derrière l'espace du vent, aimer enfin, en ne cherchant plus rien. De place en place, immobiles comme leur fond verdâtre, s'étendaient des grandes flaques d'eau aussi limpides que tranquilles et ne remuaient pas plus qu'au fond des bois, sur son lit de cresson, à l'ombre des saules, la source la plus pure, puis de nouveau les rochers se présentaient plus serrés, plus accumulés. D'un côté, c'était la mer dont les flots sautaient dans les basses roches, de l'autre la côte droite, ardue, infranchissable. Nous nous roulions l'esprit dans la profusion de ces splendeurs, nous nous en repaissions alors nos yeux amoureux. Nous sommes arrivées à Locmaria, à l'heure du bain. La nuit était noire sur la plage, la lune, le sourire en coin. Les étoiles lointaines ou filantes brillaient peu, l'air chaud n'empêchait pas le petit frisson qui vous parcourt quand vous entendez la mer sans la voir, sa puissance que le corps devine. La maison était à cent mètres du rivage. Elle était simple et belle, sur un terrain en pente planté de pins, de mimosas, et dominé par un araucaria poussé pas droit, un arbre singulier, jamais familier au yeux ni à l'esprit, qui barrait le ciel tel un hiéroglyphe dont Juliette possédait seule la pierre de Rosette. Le lendemain matin, Charlotte fut réveillée de bonne heure par le gazouillis sans cesse des étourneaux. Elle se frotta les yeux; tout son corps était raide. Elle avait eu un sommeil agité, s'éveillant après chaque rêve, se rappelant avoir vu, durant la nuit, les aiguilles de sa pendulette dans différentes positions, comme si elle n'avait cessé de vérifier le passage du temps. Elle avait dormi dans la chemise qu'elle lui avait donnée et, tout en se remémorant la soirée passée ensemble, elle se rappela les rires insouciants et, surtout, la façon dont Juliette lui avait parlé de littérature. C'était si inattendu, si encourageant. Tandis que les mots repassaient dans son esprit, elle comprit quels regrets elle aurait eus si elle avait décidé de ne pas l'accompagner. Par la fenêtre, elle observa les oiseaux pépiant qui cherchaient de la nourriture dans les premières lueurs du jour. Juliette, elle le savait, avait toujours été quelqu'un du matin qui accueillait l'aube à sa façon. Elle aimait se baigner tôt sur la plage de Donnant. Charlotte s'attarda sur ce souvenir du matin qu'elle avait passé avec elle, sur le sable, à regarder le lever du soleil. Elle se leva pour aller prendre un bain de mer, sentant le sol froid sous ses pieds.   Elle avait raison. Juliette s'était levée avant le soleil. Elle s'était habillée rapidement. Le même jean que la veille au soir, un maillot une pièce, une chemise de flanelle et des mocassins Tod's. Passer l'aube sur la plage avait quelque chose de magique, de presque mystique. Elle le faisait maintenant chaque jour. Que le temps fût clair ou ensoleillé, ou bien froid avec une bise pinçante, peu importait. Elle nageait au rythme de la musique des pages écrites la veille. En quelques mouvements de brasse, fruit d'une longue habitude, elle sentait sur sa peau la fraîcheur mordante de l'air, et le ciel était noyé dans une brume de différentes couleurs. Noir juste au-dessus d'elle comme un toit d'ardoise, puis d'une infinité de bleus s'éclaircissant jusqu'à l'horizon, où le gris venait les remplacer. Elle prit quelques profondes respirations, s'emplissant les poumons d'iode. Elle aimait marquer un temps au point du jour, guettant le moment où la vue sur les rochers était spectaculaire, comme si le monde renaissait. Puis elle se mit à nager avec énergie. Quand elle arriva à la maison, elle se sentit revigorée. Charlotte était rentrée de la plage et l'attendait. Juliette se doucha. Elles s'embrassèrent tendrement. Quelle sorte de pouvoir possédait-elle sur sa jeune amante après tout ce temps ?   Charlotte passa enfin dans la salle de bain, se fit couler un bain, vérifia la température. Tout en traversant la chambre en direction de la coiffeuse, elle ôta ses boucles d'oreilles en or. Dans sa trousse à maquillage, elle prit un rasoir et une savonnette, puis se déshabilla. Depuis qu'elle était jeune fille, on disait qu'elle était ravissante et qu'elle possédait un charme ravageur. Elle s'observa dans la glace: un corps ferme et bien proportionné, des seins hauts placés et doucement arrondis, le ventre plat et les jambes fines. De sa mère, elle avait hérité les pommettes saillantes, la peau toujours hâlée et les cheveux blonds. Mais ce qu'elle avait de mieux était bien à elle, ses yeux, des yeux comme les vagues de l'océan ou le ciel, d'un bleu azur, se plaisait à dire Juliette. Dans la salle de bain, elle posa une serviette à portée de main et entra avec plaisir dans la baignoire. Prendre un bain la détentait. Elle se laissa glisser dans l'eau. Quelle belle journée. Elle avait le dos crispé, mais elle était contente d'avoir accompagné Juliette à Belle-Île-en-Mer. Elle se couvrit les jambes de mousse et entreprit de les raser, songeant à Juliette et à ce qu'elle penserait de son comportement. Elle le désapprouverait sans aucun doute. Elle resta encore un moment allongée dans le bain, avant de se décider à en sortir. Elle se dirigea vers la penderie pour se chercher une robe. La noire avec un décolleté un peu plongeur ? Le genre de toilette qu'elle portait pour des soirées. Elle la passa et se regarda dans le miroir, se tournant d'un coté, puis de l'autre. Elle lui allait bien, la faisait paraître encore plus féminine. Mais non, elle ne la porterait pas. Elle en choisit une moins habillée, moins décolletée, bleu clair, boutonnée devant. Pas tout à fait aussi jolie que la première, mais mieux adaptée aux circonstances. Un peu de maquillage, maintenant un soupçon d'ombre à paupière et de mascara pour faire ressortir ses yeux. Une goutte de parfum, pas trop. Une paire de boucles d'oreilles, des petits anneaux. Elle chaussa des talons hauts que Juliette exigeait, comme elle exigeait qu'elle soit nue sous sa robe, d'autant plus nue qu'elle était toujours intégralement rasée, lisse, offerte, ouverte à ses désirs ou ceux des inconnues auxquelles elle la destinait. Depuis son infibulation, elle ne portait plus aucun sous-vêtement, la culotte la plus légère irritait sa chair et lui faisait endurer de véritables tourments. Juliette l'obligeait à en porter pour la punir.   Elle portait deux anneaux d'or sur ses petites lèvres, signe de son appartenance à sa Maîtresse, Juliette. Les marques imprimées sur son pubis, étaient creusées dans la chair. Rien que de les effleurer, on pouvait les percevoir sous le doigt. De ces marques et de ces fers, Charlotte éprouvait une fierté insensée presque irraisonnée. Elle subissait toujours les supplices jusqu'au bout, faisant preuve en toutes circonstances d'une totale docilité. Qu'une femme fût aussi cruelle, et plus implacable qu'un homme, elle n'en avait jamais douté. Mais elle pensait que sa Maîtresse cherchait moins à manifester son pouvoir qu'à établir une tendre complicité, de l'amour avec les sensations vertigineuses en plus. Charlotte n'avait jamais compris, mais avait fini par admettre, pour une vérité indéniable, l'enchevêtrement contradictoire de ses sentiments. Toujours docile, elle aimait le supplice, allant jusqu'à regretter parfois qu'il ne soit pas plus long et plus féroce, voire inhumain. Mais sa nature masochiste ne suffisait pas à expliquer sa passion. Elle aimait cette partie obscure qui faisait partie d'elle et que sa Maîtresse nourrissait. Juliette la hissait, elle la projetait en révélant les abysses de son âme, la magnifiant, la sublimant en tant qu'esclave, lui faisant accepter son rôle d'objet. Elle avait créé un lien indestructible.   Elle ne pourrait jamais oublier le jour de ses vingt ans. Ce jour-là, Juliette quitta plus tôt les cours qu'elle donnait à la Sorbonne pour venir la chercher à la sortie de la faculté. La soirée s'annonçait douce et agréable. Charlotte écoutait le bruissement des feuilles, en songeant à la beauté naturelle du jour. La nature vous rend plus qu'elle ne vous prendet ses bruits obligent à penser à son destin. Le grand amour vous fait cet effet-là. Les nuages traversaient lentement le ciel du soir. Ils s'épaissirent un peu. Désormais, la réalité de la nuit et la réalité du jour seraient la même réalité. Chez elle, Juliette lui demanda de se mettre nue, et la regarda sans un mot lui obéir. N'avait-elle pas l'habitude d'être nue sous son regard, comme elle avait l'habitude de ses silences. Elle l'attacha et lui demanda pour la première fois,son accord. Elle voulait la fouetter jusqu'au sang. Elle lui dit seulement qu'elle l'aimait. Alors elle la battit si fort qu'elle suffoqua. Au petit matin, Charlotte était allongée près de Juliette, elle ne pouvait penser à meilleure occupation que de la dévorer des yeux. Le soleil du matin qui entrait par raies obliques entre les lamelles du store rehaussait le brun luisant de son corps. Elle était assoupie sur le ventre; le haut de ses bras étirés au dessus de sa tête était bronzé et ses aisselles blanches. Juliette glissa un doigt sur la courbe sinueuse de son dos et sa peau satinée se couvrit d'un frisson. Elle était grande et très blonde. Une femme idéalement belle. Bientôt, son regard s'attarda sur ses cuisses écartées et immanquablement, une tension sourde s'empara d'elle. De ses lèvres, elle lècha sa peau tout en dessinant ses omoplates avant de laisser glisser le majeur jusqu'au creux de ses reins. Elle frôla l'œillet secret qui déjà cédait aux effleurements. Les chairs se distendirent, pour se raffermir aussitôt comme brusquées.   La douleur vive s'était évanouie alors Juliette la vit qui hésitait: devait-elle reprendre le fil de ses paroles susurrées ? Allait-t-elle l'accepter ? Elle désirait la faire oser pour elle, pour qu'elle puisse dérouler le fantasme d'une femme. Une femme objet. Bien sûr, il est à craindre que pour une autre, cela ne se passerait pas comme cela. Elle se tairait. Mais Juliette la voulait obscène, pour mieux la prêter. Elle la sentait brûlante et raidie sous ses doigts. Il courtisait seshôtes, il les choyait, savoureusement. Le giclement séminal accompagna les mots venus se fracasser comme une éclaboussure. Le coeur s'était déplacé au fondement du corps. Il battit, se contracta et se rétracta comme l'aorte qui donne vie. Son âme n'était plus qu'un organe, une machine qui répondait à des mécanismes vitaux. Juliette sentait la jouissance envahir Charlotte peu à peu. Le désir brûlait, et retombait, suspendu bientôt à la prochaine salve.   L'amante fut à cet instant forcément animale. Elle exigea tout, tout de suite. Elle écarta les doigts et en introduisit subrepticement un troisième. Là, la femme soumise s'attendit à ce qu'elle eut exigé un quatrième puis un cinquième. Elle se trompait. Mesurait-t-elle seulement combien, elle se trompait ? L'amante est toujours dans la force. La prouesse n'est bien souvent qu'un détail. Elle l'empala d'un mouvement violent pour se caler en terrain conquis, profondément. Le cri résonna en écho venant lécher les parois d'une chambre que l'on imaginait forcément sombre. Les murs étaient d'un blanc clinique; un matelas flanqué à même le sol pliait sous les corps nus, brunis par le soleil, soudés, parfaitement imberbes. Maintenant, Charlotte allait supplier pour céder à l'impétuosité de l'orgasme.   Les chairs résistèrent, se plaignirent, s'insurgèrent puis craquèrent, obéissantes. Elle desserra les dents de son index meurtri, bleui par la morsure. La jouissance sourde venait de loin, d'un tréfonds dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Elle hurla. Qu'elle voulait le poignet. Qu'elle voulait plus encore. Qu'elle irait le chercher, elle-même si Juliette ne cédait pas. Elle vit la fureur s'emparer du corps, et le vriller, l'hystérie libérer toute l'énergie de l'organisme. D'un mouvement brusque, le poignet venait d'écarteler ses reins, elle avait joui. Le jour était tombé sur Locmaria. Juliette lui posa un baiser sur les lèvres. Elle porta la main jusqu'au visage penché sur elle et lui toucha la joue, l'effleurant de ses doigts. Charlotte eut le souffle court quand Juliette baissa la tête pour l'embrasser entre les seins, quand elle sentit sa langue remonter lentement jusqu'à son cou. Leurs corps s'enlacèrent. Ce fut presque au ralenti que toutes deux s'étendirent devant la cheminée. Elles passèrent la nuit endormies dans les bras l'une de l'autre.   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir. 
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Par : le Il y a 22 heure(s)
"L’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire". Munich est en pleine effervescence artistique au début du XXe siècle. Déjà, en1892, des artistes se séparaient de l'Association munichoise et formaient la première sécession d'Allemagne. La revue "Jugend", organe du Jugendstil, ou Art nouveau, ferment de rénovation, paraît en 1896. La même année voit l'arrivée des russes Wassily Kandinsky, Alexei von Jawlensky et Marianne von Werefkin. Kandinsky ouvre une école d'art en 1902 et préside le groupe "La Phalange", se situant rapidement comme une des personnalités marquantes de la fameuse cité des arts. En 1904, tous les mouvements avancés se fédèrent en une première association. Des expositions de Cézanne, de Van Gogh, de Gauguin, des néo-impressionnistes sont suivies de celles des nabis, de Matisse, de l'art oriental. Von Tschudi, nommé directeur des musées de l'État bavarois en 1909, contribue à donner à Munich une place prépondérante dans le mouvement moderne. Une nouvelle fédération d'artistes "avancés" se forme, la Neue KunstlerVereinigung (NKV). Kandinsky en est le président. Les expositions de la NKV sont animées d'un esprit d'internationalisme culturel analogue à celui des Indépendants à Paris. Son programme, rédigé par Kandinsky et Jawlensky, est une profession de foi, la croyance esthétique en un éclectisme qui embrasse les productions les plus archaïques et les plus modernes. Dans ce vaste groupement hétérogène, la majorité des peintres en reste à un mélange de fauvisme et de Jugendstil. Vers 1910, divers artistes, subissant l'attraction des idées de Kandinsky, forment un petit groupe, prélude de la scission d'où naîtra alors le "Blaue Reiter", une des manifestations les plus importantes du dynamisme propre au génie allemand. Idée-force plus que groupe, "DerBlaue Reiter", ou "Le Cavalier bleu", n'est pas un mouvement cohérent et organisé comme la Brücke à Dresde. Il est l'aboutissement d'une évolution qui trouve son origine dans un véritable confluent d'idées et d'expériences européennes. Le refus du Jugement dernier de Kandinsky par le jury d'exposition de la NKV met en évidence des dissentiments personnels et esthétiques. Deux camps se forment alors, l'un autour de Kandinsky, l'autre autour d'Erbslöh et Kanoldt. Kandinsky démissionne. Franz Marc le suit avec Kubin et Münter. Jawlensky et Werefkin tout en sympathisant avec leurs idées restent à la NKV. De façon tout à fait précise et concrète, le "Blaue Reiter"à sa naissance est constitué par les rédacteurs de l'Almanach, c'est-à-dire Kandinsky et Marc aidés de Macke, tous trois réunis, l'été et l'automne 1911, à Sindelsdorf où se trouve également le jeune peintre Campendondek.   "Un jour je peignais, le noir avait alors envahi toute la surface de la toile, sans aucune formes, sans contrastes, sans transparences". Le Cavalier bleu est ainsi un cercle d'amis, ouvert. Le dix décembre 1911, Kandinsky et Marc décident d'affirmer leur position par une exposition. Grâce à l'appui de Von Tschudi, elle a lieu à la galerie Tannhäuser, du huit décembre 1911 au deux janvier 1912, sous le titre "Der Blaue Reiter". L'emblème provient tout naturellement de ces cavaliers et chevaux dont les deux amis sont obsédés et de leur commune prédilection pour le bleu, couleur signifiant une même aspiration vers le spirituel, comme Kandinsky l'explique alors dans le Kunstblatt XIV, 1931. Un de ses tableaux de 1903 porte déjà ce titre. Les peintres invités à l'exposition sont réunis autour du Douanier Rousseau: Delaunay, Kandinsky, Marc, Macke, Campendonk, les deux Burljuck, le compositeur et peintre Schönberg et quelques autres: Niestlé, Bloch, Elisabeth Epstein, Kahler. Sélection alors restreinte mais pourtant significative, l'exposition a une importance historique et parcourt l'Allemagne. La seconde exposition s'ouvre le deux février 1912 à la galerie Glotz à Munich, sous le titre "Noir et Blanc". Consacrée à l'art graphique, elle a une portée plus large et réunit plusieurs centaines de dessins, gravures, aquarelles des premiers exposants, des membres de la Brücke, de Klee, Kubin, des cubistes Braque, Picasso, Derain, La Fresnaye, de Vlaminck, des russes Malevitch, Larionov, Gontcharova, des Suisses, un Alsacien, Arp, des allemands isolés, Morgner et Tappert. Le peintre allemand August Macke fit partie du groupe "Der blaue Reiter". Né le trois janvier 1887 à Meschede (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), August Macke, après avoir étudié à l'École des beaux-arts de Düsseldorf, rencontra en 1910 Franz Marc qui l'introduisit dans les cercles du Cavalier bleu. Macke participa d'ailleurs activement à la création de ce mouvement. En 1912, il rencontra Robert Delaunay, et son travail pictural est alors marqué par l'orphisme. Le peintre se rend avec P. Klee et L. Moilliet en Tunisie où il exécute une série d'aquarelles de facture cubiste, riches en modulations chromatiques. Il meurt au combat le vingt-six septembre 1914 à Perthes-lès-Hurlus (Marne), laissant une œuvre en pleine évolution. Macke disparaît trop tôt pour quel'on puisse saisir la portée réelle de sa peinture. En l'espace de six ans, il avait assimilé les acquis du cubisme, du futurisme et des tendances artistiques les plus avancées. Si les œuvres de 1907-1908 trahissent encore les influences de l'impressionnisme français, celles de 1909-1911, par leur structure spatiale, révèlent celles de Cézanne. Après une brève période fauve (Autoportrait, 1911), le peintre élabore une grammaire plastique fondée sur la valeur émotive de la couleur et sur l'analyse de l'objet figuratif accomplie par les cubistes ("Femme devant une vitrine", 1914, Folkwang Museum, Essen). Dans les derniers mois de sa vie, il essaye d'atteindre un équilibre de construction qui s'incarne en une série de facettes géométriques rendues avecdes tons vifs, selon la technique expressionniste. La plupart de ses œuvres tendent alors également vers une bidimensionnalité de l'espace: trame colorée et morcelée étendue sur tout le champ visuel ("Paysage avec desvaches et un chameau", 1914, Kunsthaus, Zurich). Les toutes dernières aquarelles de Macke laissent pressentir une évolution abstraite novatrice et originale fondée sur la simplification des formes et sur la couleur pure.   "Dans cet extrême j'ai vu en quelque sorte la négation du noir. Les différences de texture réfléchissaient plus ou moins faiblement la lumière et du sombre émanait une clarté, une lumière picturale, dont le pouvoir émotionnel particulier animait mon désir de peindre". Franz Marc appelait son ami August Macke "Monsieur Couleur", tant celui-ci n’était qu’émotions en couleurs. Mais bref, infiniment bref, fut son passage terrestre. Sorte de Rimbaud de l’expressionnisme, il laisse pourtant une peinture certes encore en devenir, mais déjà d’une grande profondeur et totalement unique. Qu’aurait-il exploré comme nouvelles illuminations, s’il n’avait pas été ce peintre visionnaire fauché avant que les blés ne soient mûrs. On est donc sérieux quand on meurt à vingt-sept ans, broyé par la bouche immonde de la guerre, dans un champ d’horreur dans la Marne, lors de la période la plus meurtrière de cette guerre, son début. August Macke venait juste d’entreprendre un voyage lumineux avec son ami Paul Klee, où il avait fait provision de vie, de soleil, d’aquarelles et de photos qui devaient servir à de futurs tableaux. Toute cette lumière emmagasinée ne servira pourtant pas à aveugler l’abîme noir de la mort , et dans son ultime tableau "l’Adieu" perce déjà de façon prémonitoire son adieu à lui, qui s’était jeté comme Franz Marc dans la guerre fraîche et joyeuse, et qui deux mois après son déclenchement, sera tué dans une embuscade en Champagne. La course du Cavalier Bleu s’est brisée, comme le rêve profond, dans la boue de la guerre, dans les tranchées du réel. Il était alors la face lumineuse de l’expressionnisme allemand, alliant formes et couleurs dans une recherche sereine d’harmonie. Il n’était pas enfermé dans le nationalisme étroit d’une école allemande comme les peintres de Die Brücke, mais voulait aller à l’universel avec une grande ouverture d’esprit, et pourtant il est parti fleur au fusil se faire tuer dans les tranchées, pour lutter contre la France, alors que les peintres français comme Delaunay, Manet étaient son bréviaire, mais il croyait à une sorte de "purification" de la société par la guerre, il aspirait à une apocalypse bienfaitrice. Ce jeune homme, éternellement jeune homme, n’avait pas comme son ami Franz Marc, trop d’inquiétudes sous-jacentes, ni une vision pessimiste du monde. Il semblait avoir une vision du paradis, et ses personnages se promènent à Berlin dans des parcs pleins de soleil et de couleurs: tout est calme, luxe et volupté.   "La réalité d'une œuvre, c'est le triple rapport qui s'établit entre la chose qu'elle est, le peintre qui l'a produite et celui qui la regarde. Mon instrument n'était plus le noir, mais cette lumière secrète venue du noir". Aussi plus que dans cet expressionnisme soit nord-allemand avec le courant "Die Brücke", Le pont, ou même celui du Blaue Reiter, dontil fut une cheville ouvrière avant de s’en détacher, il faudrait imaginer un autre courant pour August Macke, celui de "l’expressionnisme rhénan", apaisé et plus porté vers les recherches plastiques. Ce n’est plus une révolte picturale contre la société, attentive aux réalités politiques et sociales, mais une description paradisiaque d’un monde apaisé où de belles dames en robes à la mode, des messieurs en costumes, tous oisifs ou en promenade dominicale, déambulent ou se reposent dans un univers urbain sans violence, avant-goût d’un jardin d’Eden. En fait tout ce que vomissaient majoritairement les expressionnistes. Étranges donc sont les chemins ensoleillés de Macke pour ses contemporains. Inactuel, il reste encore plus présent que les autres. Sans doute pressé par le sablier du destin, il traverse à toute allure toutes les étapes de la vie d’un peintre. En moins de six années de travail forcené, il dévore et assimile les influences les plus diverses: l’impressionnisme, le futurisme, le cubisme et l’expressionnisme. Et de toutes ces fleurs il fait son miel unique. Forte tête il refuse tout assujettissement à une doctrine ou un maître, aussi malgré son admiration fraternelle pour Franz Marc, il rompt brutalement avec le mouvement "Blaue Reiter" en1912, ne supportant plus l’autorité tatillonne de Vassily Kandinsky, qui voulait lui imposer ses vues sur la spiritualité dans l’art, et aussi sa domination. Macke, à vingt-cinq ans, est déjà singulier et libre, cheval sauvage parcourant ses propres domaines. Moins marqué par le déclin de l’Occident que ses collègues, il se concentre non pas sur la décadence des choses, mais sur leur harmonie, et sur le rapport entre les formes et les couleurs. Il va peindre surtout en intégrant alors les influences de Delaunay et des cubistes des scènes urbaines de la vie quotidienne: promenades, jardins, loisirs, belles dames en ballade. Peintre voyant, fiévreux, August Macke aura parcouru toutes les tendances picturales de son temps, en les magnifiant toutes. Loin de tout enfermement dans une doctrine, il dépasse l’expressionnisme allemand, car ce n’est pas la théorie qui le guide, mais la contemplation du réel. Pour le rendre vivant tous les outils à sa portée seront utilisés et les débats sur les temps modernes à représenter, ou sur le beau et le laid ne l’intéressent pas, pas plus que les artifices de la nature, autant de débats expressionnistes.   "Enfant, j'aimais peindre, dessiner. On me donnait des couleurs mais je préférais tremper mon pinceau dans l'encrier". Comme le disait Kirchner, il voulait mettre en avant le besoin pur et naïf de réunir harmonieusement l’art et la vie. Il n’aimait pas les aventures désespérées et chaotiques des artistes allemands qui se cherchaient, pas plus que les sermons sur la spiritualité dans l’art, du gourou Vassily Kandinsky, avec qui il se fâchera bien vite, ne supportant pas son autoritarisme. Il le raillait en le nommant "Le Grand Spirituel". Il le caricaturera en cavalier montant son cheval, Franz Marc. Pour lui "trop de théorie finit par tuer l’art". Et il suivra son chemin dès 1912, solitaire, avec sa liberté insolente, sa fraîcheur. Il ne brisera pas les formes, comme le fera Schönberg, son collègue au Blaue Reiter, avec lamusique atonale, mais peu à peu l’attirance vers l’abstraction émergera, trop tard hélas. August Macke était la faceclaire et pure de l’expressionnisme. Brève fut sa vie, brève fut sa carrière artistique, et pourtant au bord de l’abstraction, il avait trouvé son style et son amour de la lumière pourra éclater une dernière fois dans ses 38 aquarelles et ses 110dessins, du court voyage à Tunis au printemps 1914. La couleur, la couleur pure, fut sa quête, sa recherche de l’azur, son illumination: "J’ai mis maintenant tout mon salut dans la recherche de la couleur pure". La couleur et lui ne feront plus qu’un. Il était devenu "Monsieur Couleur". La trajectoire d’August Macke fut brève, mais lumineuse, et ses noces avec la couleur et la lumière l’ont illuminé. August Robert Ludwig Macke est né le trois janvier 1887 à Meschede (Rhénanie-Du-Nord-Westphalie) où son père, August Friedrich Hermann, exerce les fonctions d’ingénieur des Ponts et Chaussées. Macke avait deux sœurs aînées. Peu après sa naissance, la famille s’installe à Cologne, où August sera élève au Kreuzgymnasium. En 1900, la famille emménage à Bonn, où Macke poursuivra sa scolarité. En 1903 il rencontre Élisabeth Gerhardt, âgée de 15 ans, et qui sera, toute sa courte vie, sa fidèle compagne. Contre la volonté de ses parents, il quitte prématurément le lycée, sans diplôme, en 1904. De 1904 à 1906, il suit les cours de l’Académie des Beaux-arts de Düsseldorf et simultanément les cours du soir de l’École des Arts décoratifs afin de ne pas se limiter aux sujets les plus académiques qui l’ennuient. Il se lasse de ne dessiner que des "mannequins en plâtre". Il se sent étranger, déplacé dans ces formes d’enseignement. Il se voudra autodidacte, sauvage. Lors d’un voyage à Bâle en 1900, August découvre au Kunstmuseum la peinture de Böcklin, le célèbre peintre symboliste de l’Ile des morts, qui inspira alors magnifiquement aussi Rachmaninoff. Il fait de Böcklin son modèle. Sa route est enfin tracée mais le destin le fauchera.   "Ce sont des différences de textures, lisses, fibreuses, calmes, tendues ou agitées qui captant ou refusant la lumière font naître les noirs gris ou les noirs profonds". En 1905, il crée des décors et des costumes au Schauspielhaus de Düsseldorf. En avril, il effectue son premier voyage en Italie avec Walter Gerhardt, déjà la rencontre avec la lumière le marque. Il visite à nouveau une exposition d’Arnold Böcklin à Heidelberg. En juillet 1906 il voyage en Hollande et en Belgique. Et il poursuit son voyage à Londres où il visite le British Museum. Macke quittera l’Académie en novembre, déçu par l’académisme de l’enseignement, pour suivre des études indépendantes. L’été 1907, il se rend pour la première fois à Paris où il découvre l’impressionnisme à travers les œuvres de Manet, Degas, Seurat, Monet, Pissarro, Renoir, Toulouse-Lautrec. Sa première rencontre avec l’impressionnisme français sera déterminante, indélébile. Il découvre également la joyeuse vie parisienne sur les boulevards, dans les parcs et les cabarets. Il réalise alors de nombreuses esquisses pour saisir ses impressions spontanées. Il va transposer ses impressions dans les tableaux des promeneurs de Berlin. Et il décide aussi de travailler non plus en atelier mais en plein air. Il refuse la peinture de pensée pour suivre celle de la forme et couleur de la peinture française. Macke fera ensuite un séjour de six mois dans l’atelier d’études de Lovis Corinth à Berlin, pour se perfectionner. Il y rencontre Bernard Koehler, grand collectionneur et futur mécène du Cavalier bleu. Il voyage ensuite en Italie (1908) et en France, pour acquérir quelques œuvres pour la collection Koehler. Bernard Koehler est l’oncle de sa future femme, Elizabeth Gerhardt. Il travaille intensivement sur des dessins de grands chefs-d’œuvre de la Renaissance italienne. De1908 à 1909, il effectue son service militaire d’un an. Le cinq Octobre 1909, Macke et Elisabeth Gerhardt se marient. Le voyage de noces se déroule à Paris où August Macke peint "l’Autoportrait au chapeau". Macke étudie les peintures de Honoré Daumier et pour la première fois voit les œuvres des futuristes italiens. Il se rend au Salon d’Automne, se familiarise avec l’art des Fauves français. De retour en Allemagne, le couple s’installe alors à Tegernsee, à cinquante kilomètres de Munich, fuyant la vie mondaine, et où Macke peindra, dans une grande fièvre créatrice, une très grande quantité de tableaux, environ deux cents. Il sort de son isolement en 1910, grâce à la rencontre avec Franz Marc le six janvier 1910, dont il admire les tableaux vus à Munich, et qu’il veut rencontrer. Ils deviendront amis pour la vie, malgré des divergences esthétiques, et Franz Marc sera effondré à l’annonce de la mort de son ami. Il ne s'en remettra jamais.   "Le reflet est pris en compte et devient partie intégrante de l'oeuvre. Il y intègre la lumière que reçoit la peinture et la restitue avec sa couleur transmutée par le noir". La visite de l’exposition Matisse à la Galerie Thannhauser à Munich,en février 1910, est un choc, surtout les tableaux "La musique et la Danse", avec leurs couleurs rouges, la négation detoute perspective, la représentation symbolique des personnages. Cela va l’influencer durablement et il rend tout son pouvoir aux taches de couleur intenses, violentes et déposées en aplats. Le fait de se confronter à des peintres bien plus âgés que lui, va précipiter son évolution et le faire grandir en tant que peintre. Il va également passer d’un certain impressionnisme, à une fusion des couleurs et des formes. Son fils Walter naît le treize avril 1910. August Macke, profondément citadin, décide de s’installer à Bonn en novembre 1910, dans un nouvel atelier, car une nouvelle période de sa peinture est en cours. À la fin de l’été, il voyage à Kandern et à Thoune (Suisse) et fait la connaissance de Paul Klee. Macke se rapproche de Franz Marc et de Vassily Kandinsky qui lui apporte une nouvelle impulsion artistique,mais il garde sa propre conception artistique et ne se plie pas aux injonctions de Kandinsky sur l’art. Il va participer de façon très active à l’élaboration de l’Almanach de Cavalier bleu qui malgré sa brièveté va fixer les cadres de l’expressionnisme allemand. Il se charge de réunir les images de la partie ethnographique de l’album et il étudie dans son essai "Les Masques", les masques africains et y établit la correspondance entre l’art des peuples primitifs et celui de l’Europe moderne, avant que cette idée soit reprise par tous. En février 1912, Macke participe à la première exposition du "Cavalier Bleu" à la Galerie Thannhauser, à Munich avec une dizaine de tableaux, dont l’"Orage" de 1910.En 1912, il parvient à exposer à Moscou, Cologne, Munich et Iéna, et participe à des expositions itinérantes du "BlaueReiter, et il voyage en Hollande au printemps. Avec 16 dessins, il participera à la seconde exposition du "Cavalier Bleu"chez Tannhäuser, à Munich, mais cette exposition le déçoit. Il s’éloigne alors de Kandinsky et du "Cavalier bleu" et peindra même en 1913 une caricature féroce du "Cavalier bleu" qu’il trouve trop influencé par Kandinsky. Il collabore à l’Exposition internationale à Cologne où il fait la connaissance d’Ernst Ludwig Kirchner et des autres artistes "DieBrücke". Le vingt-et-un janvier 1913, il reçoit la visite de Robert Delaunay et de Guillaume Apollinaire à Bonn. Son fils Wolfgang naît alors le huit février. En mars, il visitera aussi l’exposition Delaunay à Cologne. La peinture de Delaunay, l’orphisme, va l’amener vers l’abstraction, et il est aussi fasciné par les peintres italiens du futurisme, sans souscrire à leur pathos verbal. D’ailleurs August Macke se sera méfié tout au long de sa courte vie des idéologies artistiques.   "Il faut surtout se garder de répéter ce qui a réussi. On tombe souvent très vite dans son propre académisme. Tous les académismes sont mauvais. Mais le pire, c’est encore celui de soi-même". Il est alors l’organisateur de l’exposition "Expressionnistes Rhénans" au Salon d’art de Friedrich Cohen à Bonn. Et il collabore aussi au Premier Salon d’Automne allemand à Berlin. Il déménage en Suisse à l’automne 1913, pour s’éloigner de la scène artistique trop turbulente et surtout trouver du temps pour son développement artistique propre. Il vit à Hilterfingen, au bord du Lac de Thoune (Suisse), d’où il partira pour un voyage à Marseille en avril 1914. Entre-temps, avec son ami suisse le peintre Louis Moilliet, il se livre à d’intenses séances de travail commun. Dans cette période intensive de création, il élabore quelques-uns de ses ouvrages les plus importants. De Marseille, il part le six avril vers Tunis avec Klee et Moilliet en passant par Palerme et Rome. Il y peint de nombreuses aquarelles et prend de nombreuses photos. Ensemble, ils travaillent dans le quartier arabe et dans le port de Tunis. Là enfin il voit la lumière du Sud, intense, généreuse, alors qu’il ne l’appréhendait que par des sources littéraires. De retour en Allemagne il va peindre 36 toiles en transposant les motifs du voyage à Tunis. Mais brusquement la guerre éclata. Le 8 août 1914, Macke est mobilisé. Le 26 septembre, August Macke est tué dans une escarmouche à Perthes-les-Hurlus, en Champagne. Ses restes sont inhumés au cimetière militaire de Souain. Il avait vingt-sept ans. Le tableau "l’Adieu" peint en 1914 est son requiem. Cette dernière œuvre d’August Macke revêt une dimension prophétique. En effet, la première guerre mondiale vient d’éclater et il pressent que son enthousiasme pour la guerre va se flétrir. Dans ce tableau Auguste Macke montre l’angoisse qui l’étreint à l’approche de son départ pour le front et ce tableau s’oppose donc aux affiches de propagande qui se multipliaient à cette époque. Pourtant Macke, engagé volontaire, croyait en la guerre fraîche et joyeuse qui devait purifier le monde. Déjà les doutes l’assaillent, et lui l’étoile filante de l’expressionnisme, encore gorgé du soleil de Tunis, va vers sa mort dans les tranchées glauques. "À la guerre nous sommes tous égaux. Mais parmi mille braves, une balle en a atteint un irremplaçable. Sa mort, c’est l ’amputation d’une main de la culture. L’aveuglement de l’un de ses yeux. Nous autres peintres, nous savons bien qu’avec la disparition de ses harmonies, la couleur de l’art allemand devra pâlir de plusieurs suites de sons, et revêtira une sonorité plus sèche, assourdie. Il a, avant nous tous, donné à la couleur la sonorité la plus claire et la plus pure qui soit, aussi vive et claire que l’était tout son être".   "Ces relations entre les formes sont un transfert de relations de l'univers à une autre signification. Dans ce qu'elle a d'essentiel la peinture est une humanisation du monde. Ce que j’ai trouvé de plus neuf dans la peinture est cela. Il existe des couleurs mises ensemble qui résonnent, ainsi par exemple un rouge et vert particulier, qui quand on les regarde se meuvent et scintillent. Maintenant, si tu peins quelque chose plein d’espace, alors le son de la couleur qui scintille, devient effet de couleur et espace trouver cette énergie de la couleur créatrice de l’espace, plutôt que de se contenter de restituer un clair-obscur mort, ceci est notre objectif le plus beau". Contrairement à Franz Marc qui se défiait de l’espèce humaine qu’il trouvait laide et corrompue, pour ne peindre finalement que des animaux, August Macke aura pour thème principal l’humanité : belles dames élégantes, hommes lisant dans les parcs, magasins de mode hauts en couleurs, promenades dans les parcs ou les allées ensoleillées. Mais les visages, les caractères des gens, disparaissent derrière des taches de couleur. Ces couleurs vibrent, la lumière surgit alors des contrastes, la beauté du monde étincelle. Sur un seul plan, sans perspective, ses personnages glissent dans un univers étale, heureux, où passe une simple brise de bonheur, des nappes d’harmonie. Il prend souvent sa famille comme modèle dans son œuvre. Il sera calmement, presque insolemment, un des grands précurseurs de l’art moderne. Lui-même décide très tôt de quitter le conformisme et les sentiers battus de l’art allemand. Il trouve une source d’inspiration fondamentale dans les mouvements artistiques en France, impressionnisme, cubisme, et surtout auprès de Robert Delaunay et de son approche des formes et des couleurs. Mais Macke, lui qui se veut profondément indépendant fera de ses influences une nouvelle approche des couleurs et des formes. Tout déborde de couleurs éclatantes et de formes lumineuses. Ses peintures se concentrent principalement sur l’expression des sentiments et des émotions plutôt que sur la reproduction de la réalité objective. Pour cela il n’hésite pas à distordre la couleur et la forme. De grands aplats, venus de l’influence cubiste, structurent ses tableaux. Il aime opposer tous les contraste de couleurs complémentaires, comme le rouge et le vert, présents dans ses tableaux.   "Si l'on sait qu'on ne sait pas, si l'on est attentif à ce que l'on ne connait pas, si l'on guette ce qui apparaît comme inconnu, c'est alors qu'une découverte est possible". Fasciné par les valeurs chromatiques, il les inscrit dans des formes simples, et se concentre sur les rapports entre les problèmes des couleurs et des formes. Peu marqué par les recherches spirituelles de Marc ou Kandinsky, il se plonge alors plutôt dans les recherches plastiques, plus déterminantes pour lui, car plus proches des émotions spontanées. Avec son physique robuste, son faux air de garçon de ferme, il est ancré dans la nature, aussi fasciné par la ville et ses personnages éclatants de couleurs dans des scènes quotidiennes. Il contemple le réel, plus qu’il ne l’interprète. Sans spéculation métaphysique, il rend hommage à la nature, presque joyeusement. Il ne veut pas chercher une nouvelle réalité comme Delaunay, mais simplement transcrire par la métaphore de la peinture sa beauté lumineuse. Il suit ses calmes promeneurs dans les parcs, dans le zoo, sur les berges des rivières, ou devant les vitrines des magasins de mode, ainsi qu’au cirque. Comme des méandres calmes de vie, il peint l’absence de précipitation de ses personnes, aussi lentes que le cours du fleuve. Point de violences de couleurs, mais un équilibre qui place Macke dans une position très isolée dans l’expressionnisme allemand, toujours tenté par l’apocalypse. Lui simple et direct il trace son chemin de joie, empli de poésie visuelle. Il ne recherchait point la puissance, mais l’amplitude. Et en deux ans seulement il atteint sa pleine maturité, exploitant autant la leçon analytique du Cubisme que le chromatisme lumineux de Delaunay, les couleurs fortes du fauvisme, les apports du "Cavalier Bleu", les élans de Matisse, la force de Manet, son grand inspirateur. Mais il est avant tout August Macke, unique, original, vivant et lumineux. Tout est ainsi modulation chromatique, et va de variations en variations subtiles ou fortes. Serein, il semble avoir tendu une corde au-dessus des couleurs et il danse. Tout est suggéré d’un simple coup de pinceau, simplifié à son essence. Tout devient lyrique, instantané, immédiatement saisissable, comme autant d’émotions immédiates. Tout est sensations et force de vivre. La couleur est émotion à elle seule. Elle est puissance de vie et c’est elle qui crée l’espace et les formes. Chez August Macke la lumière jaillit du tableau même. L'obsession des couleurs est au cœur de sa vie picturale et quand il sent que celle-ci peut s’effondrer il peint l’un de ses derniers tableaux, l’Adieu, qui représente le départ des hommes pour le front, pour le début de la première guerre mondiale, en teintes tristes et prémonitoires de sa propre mort. Et lui, en tant que peintre expressionniste cultivant avant tout l’art de l’émotion, s’est attaché à décrire le monde extérieur dans un langage purement émotionnel. L’or pur de la couleur pure fut son Graal, son obsession, son paradis perdu et retrouvé. La couleur lui fut ôtée au fond des tranchées en Champagne à 27 ans, au moment des vendanges. Sa mort n’était pas encore mûre en lui, et c’est comme un fruit vert qu’il partit, mais son ombre pure repose désormais sur tous les cadrans solaires du monde et il détache les vents sur les plaines.   Bibliographie et références:   - Franz Marc, "August Macke" - Marie-Claude Delion-Below, "August Macke" - Michael Baumgartner, "August Macke" - Geneviève Roux-Faucard, "August Macke" - Jacqueline Munck, "August Macke" - Andrei Nakov, "August Macke" - Magdalena Moeller, "August Macke" - Marc Restellini, "August Macke" - Denise Wendel-Poray, "August Macke" - Detmar Westhoff, "August Macke" - Roman Zieglgänsberger, "August Macke"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
Évoquer la vie d'Anne Cécile Desclos (1907-1998), c'est tenter d'approcher, à travers le mystère qui l'entourait, au plus près de son intimité, une femme secrète et singulière, célèbre dans le monde entier comme auteur "d'Histoire d'O", chef-d'œuvre de la littérature érotique publié en 1954, dissimulée sous le nom de Pauline Réage, plus connue sous celui de Dominique Aury, qu'elle porta dans sa carrière littéraire chez Gallimard et à la NRF, auprès de Jean Paulhan. Sa plus grande passion était le secret et toute sa vie était organisée autour de la clandestinité, de lettres cachées et témoignages contradictoires, sous des pseudonymes, comme autant de vies pour cette femme indépendante et moderne à l'existence passionnée et passionnante, hors du commun et d'une liberté irréductible. D’un côté, carmélite de la littérature, grande traductrice, entrée après la guerre au couvent Gallimard, toujours sobrement habillée, de l'autre, auteur pétrie de poésie britannique, habitée d'obscurs souterrains, peuplés de prisonnières nues, courageuse au point d'être aux abîmes de soi, en dépit des risques, des convenances, des jugements de l'époque ou des paradoxes. Mais Anne Cécile Desclos était beaucoup plus que cela. Tout en elle disait le raffinement, le goût de la dissimulation, de la clandestinité, de l’influence, l'exigence d’être à la fois une conquérante et une éminence grise, secrétaire de la NRF, elle fut pendant vingt ans la seule femme membre du comité de lecture de Gallimard, et en 1963 entra au jury Femina. Si elle avait une certitude, c’était celle-ci: la clé du pouvoir personnel, c’est le secret. Discrète égérie de la prestigieuse Nouvelle Revue Française, elle attendit l'âge de quatre-vingt-sept ans pour avouer benoîtement en 1994, à un journaliste du New-Yorker qu'elle était l'auteur, sous le nom d'emprunt de Pauline Réage, d'"Histoire d'O", le plus célèbre roman de langue française érotique du XXème siècle. En juin 1954, "Histoire d'O" parut en toute discrétion. Son jeune éditeur, Jean-Jacques Pauvert, qui fit connaître le marquis de Sade, quelques années plus tard était totalement inconnu, tout comme Pauline Réage. Le succès de Françoise Sagan avec "Bonjour tristesse" éclipsa en librairie le roman. En le préfaçant, Jean Paulhan, directeur de la prestigieuse NRF, par sa renommée mit le tout Paris littéraire en émoi. On s'amusait dans les dîners en ville, à deviner qui se cachait derrière le pseudonyme: Paulhan lui-même, Pauline Réage, à une lettre près, l'anagramme d'Égérie Paulhan, Montherlant, Queneau, Robbe-Grillet, Breton ou même Malraux. "En tout cas, pas une femme!" s’esclaffait Camus. Jean Dutourd, ayant déconseillé à Gaston Gallimard d'éditer le sulfureux manuscrit ne pouvait lui être soupçonné. La remise du prix des Deux-Magots, en 1955, fit alors éclater le scandale. Admirateurs zélés, André Pieyre de Mandiargues, Georges Bataille et détracteurs acharnés, François Mauriac, Pierre de Boisdeffre se déchirèrent. Information pour outrage aux bonnes mœurs fut même ouverte, mais l'intervention de l'auteur auprès du ministre de la Justice lui même, calma les esprits. L'affaire se conclut par une simple triple interdiction de vente aux mineurs, d'affichage et de publicité. Mais, en 1975, le réalisateur Just Jaeckin en adaptant le livre, au cinéma, avec Corinne Cléry dans le rôle principal, relança la polémique. L'Express publiant un cahier photo couleur du long-métrage, ainsi que des extraits du roman accompagnés d'une longue interview de l'énigmatique Pauline Réage par Régine Deforges.   Le scandale recommença alors tandis que Françoise Sagan savourait son succès en brûlant sa vie. En effet, s'ensuivirent de nombreux désabonnements, une manifestation dans les rues de féministes, enfin une plainte de l'archevêché de Paris .Anne Cécile Desclos continuait elle d'arpenter tranquillement la rue Sébastien-Bottin, au numéro cinq de laquelle se trouvait le siège des Éditions Gallimard, dans le septième arrondissement. Car Pauline Réage, de son véritable nom, Anne Cécile Desclos, était la maîtresse semi-clandestine de Jean Paulhan. "Je n'étais pas jeune, je n'étais pas jolie. Il me fallait trouver d'autres armes." Chez Gallimard, durant des décennies, elle fut l'ombre ouvrière derrière Paulhan et un personnage central de la scène littéraire mais c'est son amant qui brillait. Ses errements politiques suivirent aussi le chemin de ses passions amoureuses, parfois pour le pire. Laissons apparaître Anne-Cécile Desclos, le nom des papiers officiels, pas forcément celui qu'elle préférait. Un nom qui n'est pas choisi, c'est déjà une atteinte à la liberté. Éprise de l'écrivain d'extrême droite Thierry Maulnier, alors qu'elle tente de quitter un mari violent, elle écrit dans "L'Insurgé", journal d'avant-guerre lancé par son amant, futur académicien. La ligne éditoriale est maurrassienne et "raisonnablement antisémite." Malgré son aversion pour tout ce qui touche à la politique, "un jeu de hasard et de massacre", la jeune femme y rédige des critiques littéraires entre des diatribes haineuses visant Léon Blum et la République. Mais la guerre sépare les amants et Maulnier la quitte pour une autre. "L'herbe est devenue noire", dira-t-elle. L'amour des mots et de les écrire la mène alors à la Résistance. Anne-Cécile-Dominique écrit à "Combat" de Sartre et Malraux, diffuse clandestinement le journal résistant les "Lettres françaises", fondé par Paulhan, s'engage au Comité national des écrivains (CNE), émanation du Parti communiste, dirigé par ÉdithThomas. Employée par cette dernière comme collaboratrice littéraire du journal féministe "Femmes françaises", elle la trouve délicieuse. Édith Thomas est hétérosexuelle mais c'est un détail. Elle se déclare: " Édith, je vous ai attirée dans un guet-apens. Je vous aime comme un homme aime une femme." Que faire ? Les deux femmes s'aimeront jusqu'à Paulhan. La femme de lettres avait proposé d'aimer double mais Édith Thomas préféra de loin souffrir que partager.   Née le vingt-trois septembre 1907 à Rochefort-sur-Mer, elle fut élevée en Bretagne par sa grand-mère. Adolescente, elle alimenta une correspondance intime avec une jeune fille de son âge, tout en tentant de réprimer son ambivalence sexuelle. Élève au lycée Fénelon à Paris, elle se prit de passion pour la Littérature libertine du XVIIIème siècle. En particulier pourle personnage de Valmont des "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos. Elle fut ensuite la première femme admise en khâgne à Condorcet. Elle poursuivit des études d'anglais à La Sorbonne, sympathisant activement avec les idées du mouvement de la jeune droite maurrassienne. Elle épousa en 1929, Raymond d'Argila, jeune aristocrate catalan qui lui donna un fils. Le mariage se solda par un divorce, son mari la battant, dans des excès de folie et de violence. Elle entretint une relation amoureuse avec l'écrivain,Thierry Maulnier. Son père, professeur agrégé en anglais, et homme de gauche lui présenta Jean Paulhan, directeur de la Nouvelle Revue française (NRF). Employée de Vichy au service de la Résistance, durant la guerre, elle acheva en 1943 un texte sur "l'Anthologie de la poésie religieuse française". De l'étroite collaboration avec Paulhan, vingt ans plus âgé qu'elle, naquit une passion amoureuse. Jean Paulhan proposa à Pierre Drieu la Rochelle, nouveau directeur de la NRF qui lui fut préféré par le secrétaire d'État à l'information Paul Baudouin conseillé par Thierry Maulnier, d'en faire la secrétaire de direction de la revue. Mais Drieu la Rochelle refusa au prétexte que c'était une femme mais son amant l'introduisit dans le cercle de ses amis écrivains, Jouhandeau, Cocteau, Gide, Herbart ou Édith Thomas, laquelle dirigeait le CNE avec Claude Morgan à partir de 1942. Pour autant, si elle continua de mépriser les personnes de Brasillach et de Rebatet, extrémistes de "Je suis partout" qu'elle refusait de saluer depuis au moins l'automne 1941, Anne Cécile Desclos ne rompit pas les liens tissés avant-guerre, en particulier avec Maurice Blanchot, dont la complicité fraternelle, voire charnelle ne faillit jamais, et Thierry Maulnier, qui rédigea la préface d'une anthologie de poèmes préclassiques publiée en 1941. Traductrice de Toynbee, de Waugh, Fitzgerald et de Koestler, en1949, le Prix Denyse Clairouin vint récompenser son œuvre. Atteignant la quarantaine, sentant son amant s'éloigner d'elle, alors qu'il achevait un essai sur Sade, elle décida d’écrire "Histoire d'O" comme une lettre d'amour. Lui prouvant que les femmes étaient capables également d'écrire des romans érotiques. La femme aux trois noms aimait le courage, condition de la liberté. Regarder sa part d'obscurité avec lucidité, en l'assumant avec bienveillance, cela permet de laconserver en soi plutôt que de l'imposer aux autres. L’érotisme est l’extravagance. L'horizon, où le plus désirable est ouvert mais aussi la honte, où nous serions inhumains si, longuement, nous cessions de sentir en lui ce qui répugne.   Atteignant un âge canonique, mais le regard toujours aussi vert de sa jeunesse, la femme aux trois noms se pensait anormale et confiait qu'enfant, elle rêvait de chaînes, tous les soirs, avant de s'endormir. Cela la rassurait, elle en avait besoin. On peut lire "Histoire d'O" comme un conte de fées, un rêve ou un cauchemar, sur la condition des femmes et des hommes. On peut surtout penser que le plus admirable, c'est ce souffle aux arômes complexes que l'on ressent, celui de l'indomptable liberté humaine. Au magazine l'Express, qui lui avait consacré deux numéros, provoquant lafureur du MLF, pour lequel O incarnait le fantasme de soumission de la femme au modèle patriarcal, elle, si proche de Simone de Beauvoir, s'était expliquée: "Lorsqu'on aime, on n'est plus maître de soi. On vit, dans un réel esclavage intérieur. L'amour est une bénédiction mais aussi une malédiction." Le vocabulaire du sacré pour définir sa religion à elle, exigeante comme toute autre, avec ses mystères comme celui d'un corps abimé qui s'ouvre ou qui se déchire. Le plus souvent, l’érotisme est méprisé. C’est pourquoi nous devons parler de la lâcheté du mépris. Celui-là est lâche qui vilipende ce qui l’aurait porté, avec de la chance, à un tragique ravissement. Mais nous devons en même temps dénoncer le suprême reniement de ceux qui aperçoivent l'infinie valeur et la justification sublime de l’érotisme. Mais l’érotisme exhume lui-même les aberrations où il sombre. La honte répond si subtilement au désir de la frénésie du désir que, sans la honte dissimulée dans son objet, le désir n’atteindrait pas la frénésie. Les psychiatres le nient. Pour maintenir en eux dans sa simplicité le mouvement de la science, ils tiennent pour rien une évidence qui découle à peu près de tout le mouvement de l’érotisme. Même alors que la honte n’est pas ouvertement désirée, elle est voilée dans l’angoisse du désir. Si nous n’excédions la honte en quelque renversement, nous n’accéderions pas à l’extase qui abolit les jugements de la vie commune. En réalité, l’extase est même l’effet souverain de cette abolition.   Elle qui murmurait à l'oreille des livres, prenant femmes et hommes comme des marque-pages a, comme Anais Nin, été marquée par une fusion intellectuelle avec son père, par sa permissivité en matière de lectures, par sa sensualité et son amour des femmes. Mal mariée à un aristocrate espagnol dont elle a un fils, Anne entre dans le cercle des écrivains par le biais de Thierry Maulnier, son premier amant littéraire. On lui prête plusieurs liaisons secrètes, parfois des expériences féminines. Mais ce qui frappe, c’est l’ambiguité entre l’extrême modernité de cette femme dans un monde qui ne s’y prêtait guère, et parallèlement son apparence élégante, distinguée et rigoriste. S’il s’agit de littérature, l’attitude de l’indignation est d’autant plus sotte que l’objet même de la littérature est le paradoxe. Ceux dont la vie est régulière, et que nulle anomalie de leurs actes ne désigne, ennuient. Il est vrai, la seule objection valable opposée à l’érotisme en littérature. La peinture de l’érotisme ne peut être renouvelée. Paradoxe d'un art qui est par essence le tableau cru d'une répétition oiseuse rentrant dans la norme et dans l’ennui. Mais l’objection peut être retournée. Si la littérature érotique se répète, c’est qu’elle le peut sans lasser un lecteur ému par un scandale qui l’étonne toutes les fois à travers des suites de romans qui changent de titre, et ne changent pas de situation. Sade dénigrait l’accord qui accueille et bannit dans le même temps la vie charnelle. Sa plaidoirie exigea pour l’érotisme tous les droits, mais il n’est pas de réquisitoire qui l’accable davantage. Il plaça la liberté de l’érotisme sur le pilori de ses fureurs. Personne ne montra avec plus de soin qu’il ne fit l’infamie de l’érotisme. Sa rage redoublant dans la mesure de la cruauté des crimes qu’il imagine, c’est lui qui le premier, et le plus parfaitement, fit de la littérature érotique une expression de l’être à lui-même intolérable qu’est l’homme, de l'extravagance infinie et du paradoxe souverain des recoins de l'âme.   Doublée à très vive allure par Françoise Sagan dans son roadster, lors de la sortie en 1954 de "Bonjour tristesse", la romancière la rattrape à l'arrivée. Quarante ans après sa publication, le million d'ouvrages vendus est dépassé et l'ode à l'abandon de soi à l'imparfait du subjonctif, le livre des sévices consentis dans une langue aussi châtiée que son sujet, est un succès mondial. Le voile se lève et à quatre-vingt-sept ans, Anne Cécile Desclos parle au New Yorker. Elle est Dominique Aury. Légion d'honneur accrochée à la boutonnière par le général De Gaulle en personne. Elle explique aussi s'être avant tout inspirée de fantasmes qu'elle avait eus enfant. Le prénom Pauline est un hommage à Pauline Roland et à Pauline Borghese. Le nom "O" était pour "Odile", et est finalement restée une initiale afin d'épargner une autre Odile, amie de l'auteur. Un roman aussi admiré qu’Histoire d’O, par un côté semblable à la littérature de répétition, en diffère néanmoins dans la mesure où, magnifiant l’érotisme, il en est toutefois l’accablement. Mais il n’en est pas l’accablement si le langage en soi ne peut prévaloir sur un profond silence qui est comme la trahison de la mort, la trahison dernière que la mort est risiblement. L’érotisme d’Histoire d’O est aussi l’impossibilité de l’érotisme. L’accord donné à l’érotisme est aussi un accord donné à l’impossible. Le paradoxe d’O est celui de la visionnaire qui mourait de ne pas mourir, c’est le martyre où le bourreau est le complice de la victime. Ce livre est le dépassement de la parole qui est en lui, dans la mesure où, à lui seul, il se déchire, où il résout la fascination de l’érotisme dans la fascination plus grande de l’impossible. De l’impossible qui n’est pas seulement celui de la mort, mais plutôt celui d’une solitude qui se ferme absolument. Cette littérature, si, en un sens, elle est possible, est d’accord avec ceux qui la condamnent. L'auteur poursuivit sa carrière comme secrétaire générale de la NRF auprès de Paulhan puis d'Arland et Lambrichs, enfin avec André Gide dans la revue l'Arche. En 1994, elle reçoit le reporter John de Saint-Jorre, qui mène une enquête sur Maurice Girodias, l'éditeur de "Story of O". Un compte rendu publié dans "The New Yorker" trahit la confidence, confirmant les rumeurs selon lesquelles Dominique Aury est la mystérieuse Pauline Réage, qui avait été jusqu'alors identifiée à André Malraux, André Pieyre de Mandiargues, Henry de Montherlant ou Alain Robbe-Grillet, un écrivain qui ne pouvait être qu'un homme. Son ultime secret révélé, très affaiblie depuis une dizaine d'années par l'amnésie grandissante de la sénilité, abandonnée par son fils et par sa belle fille, elle ne quitte plus la chambre de sa maison de Boissise-la-Bertrand, salie par des dizaines de chats et chiens, et se laisse mourir de faim. Elle s'éteint le vingt-sept avril 1998, âgée de quatre-vingt-dix ans. Rare est un auteur capable d’écrire cru et beau. La liberté n’est pas suffisante pour y parvenir, pas plus que le goût de la volupté, de la transgression ou de l’écriture. Des mots dans un livre éveillent rarement le désir. Anne-Cécile, Dominique, Pauline, aucune de ces trois femmes n’a pratiqué ce qu’O a subi. Ce n’était pas nécessaire. Pour l’écrire, il suffisait d’avoir aimé. Dans les déchirements auxquels nous mènent les miracles de notre joie, la littérature est la voix qui s'offre à nous face à cette impossibilité glorieuse où nous sommes de ne pas être oubliés. Voix que nous donnons au désir de ne rien résoudre, mais heureusement, de nous donner au déchirement jusqu’à la fin. Inviabilité réelle cruelle mais pourtant merveilleuse. Alors pourquoi lui marchander le droit d’être frivole ?   Bibliographie et références:   - F. Nourissier, "Dominique Aury, la secrète" - J. Blanchette, "De Pauline Réage à Histoire d'O" - R. Desforges, "O m’a dit" - Angie David, "La vie secrète de Dominique Aury" - C. Delaunay, "Hommage à Dominique Aury" - A. Destais, "La littérature érographique féminine" - F. Bloch, "Entretien avec Dominique Aury" - P. Rapaport, "Écrivain d’O" - M. Gallus, "Anne Cécile Desclos" - H. Bianciotti, "Portrait d'une secrète"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
"Mais qu'adviendra-t-il de tous ces carnets, me suis-je demandé hier. Si je mourais, qu'en ferait Leo ? Il hésiterait à les brûler. Il ne pourrait pas les publier. Eh bien qu'il en fasse un livre, et qu'il brûle le reste. Je crois qu'en remettant un peu d'ordre dans les notations et les ratures, il y aurait matière à un petit livre. Qui sait ? Ceci m'est dicté par la légère mélancolie qui m'étreint parfois, et me laisse à pense que je suis vieille, que je suis laide, que je rabâche. Cependant, j'ai l'impression que c'est maintenant seulement que j'arrive à écrire selon ma pensée. Nous devrions prendre la route sans idée définie de l'endroit où nous allons passer la nuit, ni de la date de notre retour, seul importe le chemin. Plus essentiel encore, quoique ce soit un bonheur des plus rares, nous devrions, avant de nous mettre en route, tenter de trouver un compagnon de voyage qui nous ressemble et à qui nous pourrons dire tout ce qui nous vient à l'esprit. Car nous ne saurions goûter notre plaisir sauf à le partager." "Pourquoi la vie n’offre-t-elle pas une chose sur quoi poser la main et pouvoir dire: c’est ça ?", se demandait en 1926 Virginia Woolf, dans les pages de son journal. Peut-être est-ce parce qu’on lui a pris beaucoup, de son vivant comme après son suicide, les poches pleines de pierres dans la rivière Ouse, en pleine seconde guerre mondiale. Son père, sa mère et son frère aîné meurent avant ses vingt-cinq ans. Son mariage prend la forme d’un pacte où chacun perd autant qu’il gagne. Figure irréductible du féminisme de la première moitié du XXème siècle, celle qui a marché aux côtés des suffragettes est aujourd’hui louée pour son apport à l’émancipation des femmes en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Sur certaines photos, elle ressemble à une madone préraphaélite. Sur d'autres, à une jeune Parque égarée dans un roman de Jane Austen. Regard d'azur, chevelure d'ébène, visage délavé par la souffrance, Virginia Woolf est, dans la constellation des lettres britanniques, l'étoile la plus incandescente, la plus vulnérable, aussi. Son écriture a l'éclat de la foudre, la douceur du satin et la légèreté évanescente d'une bulle de champagne. "Que vaut la trame de tous ces fils entrecroisés ? Je ne sais, telle est la réponse. Je remarque seulement que le grand écrivain se reconnaît à son pouvoir de briser impitoyablement ses moules. Pas un des pâles imitateurs de James n'a la force, une fois la phrase dévidée de la rompre. Il possède, lui, quelque suc inné, une présence." "Ce qui compte c'est se libérer soi-même, découvrir ses propres dimensions, refuser les entraves."   "Je mesure tout à coup maintenant que j'ai atteint un stade beaucoup plus avancé dans ma progression d'écrivain. Je perçois qu'il y a quatre dimensions, toutes quatre reproduites dans la vie humaine et que cela conduit à des proportions et des groupements beaucoup plus riches. Je veux dire: moi, le non-moi, le dehors et le dedans. Non, je suis trop fatiguée pour expliquer cela, mais je le vois, et je développerai cela dans mon livre sur Roger. Ces tâtonnements sont passionnants. De nouvelles combinaisons entre la psychologie et le corps, un peu comme la peinture." À elle seule, l'auteure de "Mrs Dalloway" a inventé une langue et une musique, un art de la fugue, mais aussi une manière de peindre la réalité comme une grande toile impressionniste où scintillent "les petits miracles du quotidien." Elle a toujours été dépeinte comme une femme ayant une extraordinaire sensibilité, un regard songeur et un air perdu. Elle a dès le plus jeune âge un attrait pour la littérature et la philosophie mais vient y poser un nouveau regard, plus original pour les codes classiques de l’époque. Elle disait souvent d’elle-même qu’elle laissait ses pensées l’emporter sur elle. Elle donnait donc plus d'importance aux émotions qu'aux codes d'écriture dans ses textes. "Ainsi, avant même de poser sa plume sur le papier, l’écrivain qui a été ému à la vue d’un crocus à peine éclos dans Kensington Gardens doit choisir, parmi une foule de candidats, le lecteur qui va lui convenir. Il est vain de dire Ignorez les tous. Ne pensez qu’à votre crocus, car écrire est un moyen de communication, et le crocus reste imparfait tant qu’il n’est pas partagé. Le premier ou le dernier homme peut écrire pour lui tout seul, mais c’est une exception, pas vraiment enviable d’ailleurs, seules les mouettes auront accès à leur œuvre si elles savent lire." Cet extrait du "crocus et le mentor" prouve qu'avec Virginia Woolf, après avoir brisé les tabous et les clichés si l’on fait l’effort de la traversée, naissent des émotions inoubliables car elle possède un art proustien et pourtant matérialiste de peindre la société où elle évolue et de parfois se mettre en scène avec un humour britannique unique. "Ce matin, nous avons discuté du suicide si Hitler débarque. Ils frappent les Juifs. À quoi bon attendre ? Mieux vaut fermer la porte du garage."    "Le mot aimer conviendrait-il à ces étranges et profondes tendresses qui commencent au temps de la jeunesse et se trouvent mêlées par la suite à tant d'évènements importants ? Je ne pouvais m'empêcher de regarder ces grands et beaux yeux bleus, si généreux, si candides, si aimants, et je me trouvais reportée en arrière, à Fritham et Hyde Park Gate". Virginia Woolf appartient à la famille des exorcistes, des médiums, des crucifiés, de tous ceux qui se sont noyés dans la création pour lutter contre la détresse. Son mal ? Il lui venait de sa fragilité psychologique, et d'être née trop libre dans un pays trop puritain. Mais, surtout, il avait sa source dans ce sentiment d'impuissance dont souffrent tous les artistes qui, brûlés par une soif d'absolu, savent qu'ils ne pourront jamais l'atteindre pleinement. Voilà ce qui ne cessa de tourmenter la fiévreuse Virginia, une femme aux vies multiples, tiraillée entre le bouillonnement londonien et le silence de son ermitage du Sussex où elle fumait des cigares "en compagnie des hiboux" , entre la folie et l'émerveillement face au réel, entre la fidélité conjugale et les aventures homosexuelles avec Katherine Mansfield ou Vita Sackville-West, entre une œuvre où "rugissent d'innombrables paroles" et le vieux monde victorien rongé par les vers du conformisme, un étouffoir contre lequel elle rêvait de "jeter des brassées de feuilles mortes en flammes". Virginia Woolf est née à Londres, le vingt-cinq janvier 1882. Sa mère meurt lorsqu'elle a treize ans. Son père, sir Leslie Stephen, est connu comme l'une des figures les plus originales de l'Angleterre victorienne. Successeur de William Makepeace Thackeray à la direction du Cornhill Magazine, il s'attelle à de nombreux travaux philosophiques et littéraires, est l'un des premiers membres du Club alpin, et l'auteur de la fameuse Histoire de la pensée anglaise au XVIIIème siècle. Ce "vieux monsieur adorable et un peu terrible" eut sur sa fille cadette une influence décisive. C'est avec lui qu'elle lut Platon, Spinoza, Michel de Montaigne et David Hume, car une santé fragile lui interdisait de suivre un cycle normal d'études. Après sa mort, en 1904, les enfants de sir Leslie prirent l'habitude de recevoir leurs amis dans leur maison de Bloomsbury, qui donna bientôt son nom au groupe. Virginia Woolf affirme qu'elle ne serait jamais devenue écrivain si son père n'était pas mort quand elle avait vingt-deux ans. La mort des proches, comme une émancipation. Le deuil, comme un privilège. Tirer plaisir, naître du deuil. Les fantômes sont ses amis proches.   "Mais tout cela, je le crains, ne constitue pas un portrait. Elle me donne l'impression d'être comme l'esquisse d'une femme de génie. Tous les dons fluides l'ont pénétrée, mais pas un qui ait de la consistance. Pourquoi la vie est-elle donc si tragique ? Si semblable à une bordure de trottoir au-dessus d'un gouffre ? Je regarde en bas, le vertige me gagne. Je me demande comment j'arriverai jamais au terme de ma route. Pourquoi cette impression ? Maintenant que je l'ai exprimée, je ne la ressens plus." Elle perd sa mère à treize ans, puis sa demi-sœur à quinze ans, puis son père, puis son frère, deux ans plus tard. On oublie moins facilement les morts que les vivants. Il lui faut vivre avec plein de monde en elle. On croit beaucoup de choses fausses à propos de Virginia Woolf. On croit qu'elle était folle. Ni folle ni frigide. Des accès dépressifs. On en connaît tous parfois. Il existe tout simplement, pour les femmes de lettres, une visibilité de l’intimité plus grande. Dès que l'on évoque Virginia Woolf, on met en avant son suicide. Mais il n’existe pas d’artiste sans fêlure. Jean Genet disait: "J’ai tellement cultivé ma sensibilité que je ne suis plus bon à rien." La création artistique procède de l’inquiétude et d’une propension à interroger l’existence. C’est une maladie professionnelle: douter, trembler, creuser le sillon. Virginia Woolf a des crises d’angoisse au point de ne plus pouvoir se lever. Mais on le sait d’autant plus qu’elle tient son Journal. Quand on lit son Journal ou celui d’André Gide, on pense: "Mais ils ne vont jamais bien !" Ils ne vont jamais bien, parce qu’on ne va jamais bien. Le Journal de Virginia Woolf l’a beaucoup exposée. Elle y livre ses fragilités, notamment lors de la sortie d’un livre, et se moque des uns et des autres. On se dit qu’elle est fragile et ragoteuse. Elle est juste normale. L’amitié est centrale dans sa vie. "Sans mes amis, je ne suis rien qu’une coquille desséchée." Virginia Woolf n’est pas, là non plus, un écrivain dans sa tour d’ivoire. Elle a besoin d’intimité et de chaleur comme tout un chacun.    "C'était un soir d'une beauté renversante et à mesure que sombrait le soleil, tous les dômes, tous les clochers, toutes les tourelles et tous les clochetons de Londres se détachaient, silhouettes noir d'encre sur le rouge du crépuscule embrasé. Ici se découpait la croix ajourée de Charing, là le dôme de Saint-Paul, plus loin la masse carrée des bâtiments de la Tour. Ailleurs, semblables à un bosquet d'arbres aux branches dénudées mais portant une loupe à leur extrémité, apparaissaient les têtes au bout des piques de la Barrière du Temple. Un instant, les fenêtres de l'Abbaye de Westminster se trouvaient éclairées et flambaient de mille feux, tel un bouclier céleste." Vanessa Stephen, sœur de Virginia, ne tarde pas à devenir Mrs. Clive Bell, tandis qu'en 1912, Virginia épouse Leonard Woolf. Le groupe se dissocie au début de la première guerre, puis se reconstitue avec de nouveaux éléments, mais l'idéal reste le même, vérité et libre parole, amour de l'art et respect de la morale, goût de la tradition et culture de l'individu. En 1917, Virginia Woolf fonde avec son mari une maison d'édition, la "Hogarth Press", qui ne comporte au début qu'une machine à main, mais grandit rapidement. L'une des toutes premières publications fut "Prélude", de Katherine Mansfield. Suivent des poèmes de T. S. Eliot, des nouvelles de Virginia Woolf, des œuvres de nombreux romanciers français et russes, de psychologues allemands. Le succès vient non du grand public, mais de cette petite aristocratie intellectuelle de "highbrows", ou intellectuels dont Virginia Woolf demeure toujours l'un des plus éminents membres. L'histoire de sa vie est alors indissociable de l'histoire de ses œuvres. Partagée entre ses occupations de directrice de maison d'édition et ses activités critiques, entre ses romans et ses amis, ses voyages et ses séjours sur la côte d'Écosse et de Cornouailles, elle publie, en vingt-six années, neuf romans, cinq essais importants et laisse trois recueils d'essais, un de nouvelles, un roman posthume et le fameux Journal, qui permet au lecteur de suivre pas à pas la genèse de cette œuvre abondante.   "L'instant d'après, tout le couchant semblait une fenêtre dorée laissant passer des légions d'anges (toujours dans l'esprit d'Orlando) qui montaient et descendaient éternellement l'escalier céleste. Et tout ce temps, ils semblaient patiner dans une atmosphère sans fond tant la glace était bleue. Si lisse et transparente qu'ils prirent de plus en plus de vitesse à mesure qu'ils se rapprochaient de la ville, environnés de mouettes qui faisaient des cercles autour d'eux et tranchaient l'air de leurs ailes avec des courbes pareilles à celles que leurs patins tranchaient dans la glace." En 1922, lors d'une soirée, Virginia Woolf rencontre Vita Sackville-West, aristocrate, auteure et poète reconnue pour ses liaisons saphiques enflammées. Les deux femmes développent un lien particulier qui oscillera entre rencontre d'esprits créateurs, histoire d'amour et liaison passionnée tout au long des années 1920. En 1925 et 1926, l'auteure abandonne progressivement la théorie du roman conventionnel doué d'une intrigue, de personnages bien individualisés, auxquels il arrive quelque chose à un moment précis. Jacob Flanders, dans "La Chambre de Jacob", qui rappelle singulièrement le plus jeune frère de Virginia, Thoby, mort accidentellement en 1906, est moins un héros qu'une suite d'impressions multiples se déroulant à un rythme plus ou moins accéléré. Et Clarissa, dans "Mrs. Dalloway", n'est pas la plus parfaite hôtesse de Londres sans qu'on lise derrière sa vitalité de facade une tristesse, une insensibilité et déjà une fascination de la mort. "La Promenade au phare", qui devait valoir à la romancière, en 1927, le prix Fémina-Vie heureuse, étudie le problème de la réalité de l'existence. Qu'est-ce que la vie ? Comment croire à une réalité extérieure, alors qu'elle est sans cessemodifiée par le flux de la vie intérieure ? C'est à ces questions qu'essaye de répondre Virginia Woolf, influencée par la notion de durée bergsonienne, et surtout par les créations littéraires originales de Marcel Proust et de James Joyce.   "Il est indéniablement vrai que les meilleurs praticiens de l'art de vivre, souvent des gens anonymes d'ailleurs, réussissent à synchroniser les soixante ou soixante-dix temps différents qui palpitent simultanément chez tout être humain normalement constitué, si bien que lorsque onze heures sonnent, tout le reste carillonne à l'unisson et, ainsi, le présent n'est pas une rupture brutale et n'est pas non plus totalement oublié au profit du passé." Le roman "Orlando" (1928) est une allégorie romanesque d'un genre tout à fait unique dans la littérature anglaise et dont la signification dépasse de loin l'apparente fantaisie. En imaginant un héros homme puis femme, mais surtout homme et femme, Virginia Woolf essaye de se libérer de l'espace et du temps, elle croit retrouver derrière la diversité des modes d'existence l'être continu, le moi total. "Qu'est-ce que la vie, qui suis-je ? Des pièces, des morceaux, des fragments qu'il est impossible de réunir. Il serait infiniment regrettable que les femmes écrivissent comme des hommes ou vécussent comme des hommes, car si deux sexes sont tout à fait insuffisants quand on songe à l’étendue et à la diversité du monde, comment nous en tirerions-nous avec un seul ?" Pas davantage de solution dans "Les Vagues" (1931), le plus important et le plus difficile de ses romans. Rien ne permet ici de différencier les six personnages dont l'histoire individuelle est à peu près semblable, ainsi que le langage dans lequel ils l'expriment. Puisque la vie n'est qu'un tissu hâtif fait de pièces rapportées, Virginia Woolf romancière ne cherche pas une structure, une logique romanesque artificielle. Elle s'emploie à donner la même impression de discontinuité, d'incohérence et de fracas que nous procure la vie de tous les jours.   "De ceux-là, nous pouvons dire sans mentir qu'ils vivent précisément les soixante-huit ou soixante-douze années qui leur sont allouées sur la pierre tombale. Des autres, nous savons que certains sont morts même s'ils déambulent parmi nous. D'aucuns ne sont pas encore nés même s'ils respectent les apparences de la vie. D'autres encore sont vieux de plusieurs siècles, même s'ils se donnent trente-six ans." En faisant du monde invisible, celui qui habite le plus profond de notre conscience mais aussi de notre inconscience, l'essence du roman, Virginia Woolf atteint à l'essence de la poésie. On trouvera dans cette appréhension "poétique" du monde les caractéristiques du roman de Virginia Woolf comme dans celle de Marcel Proust avec lequel elle a beaucoup en commun: l'intérêt pour le rythme de la trame romanesque et le souci d'une forme d'art qui puisse redessiner, recréer le monde discontinu de la vie. Deux autres romans majeurs sont publiés: "Flush" en 1933, et "Années" en 1937. Cette recherche tenace d'une forme de plus en plus souple, rompant chaque fois avec la précédente, amène Virginia Woolf, dans "Entre les actes", à faire une espèce de synthèse de toutes les techniques précédemment utilisées. Elle est à l'œuvre lorsque éclate la seconde guerre mondiale. Déjà victime de dépressions assez graves et ayant à plusieurs reprises tenté de se suicider, elle supporte avec peine l'isolement né de la guerre, les raids quotidiens, et surtout elle est hantée par l'idée que cette fois-ci elle ne se remettra pas d'une crise semblable aux précédentes. Elle a alors près de soixante ans. Deux mois après la disparition de Joyce, au même âge que lui, fidèle à cet appel de l'eau qui s'entend à travers toute son œuvre, elle met alors fin à ses jours le vingt-huit mars 1941 à Lewes par noyade dans l'Ouse, la rivière près de Monk's House. Elle écrit une lettre à Leonard, son mari. Elle lui dit qu’elle recommence à entendre des voix. "Chacun de nous a son passé renfermé en lui, comme les pages d'un vieux livre qu'il connaît par cœur, mais dont ses amis pourront seulement lire le titre car aucun de nous n'est complet en lui seul."   "La durée de vie réelle d'une personne, quoi qu'en dise le D.N.B., est ainsi toujours sujette à caution. Car c'est une tâche très ardue d'être à l'heure.  Rien ne dérègle le mécanisme comme de le mettre en contact avec un art quelconque et c'est peut-être son amour de la poésie qui est à blâmer quand on voit Orlando perdre sa liste et s'apprêter à rentrer chez elle sans sardines, ni sels de bain, ni botillons." Elle le remercie d’avoir été à ses côtés et termine ainsi sa missive: "Je ne crois pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l’avons été." Elle enfile un manteau de fourrure, marche jusqu’aux berges de l’Ouse, près de sa maison de campagne dans le Sussex, remplit ses poches de pierres et s’enfonce dans les eaux glacées en crue. Virginia Woolf a cinquante-neuf ans. Son corps ne sera retrouvé que quatre semaines plus tard. La légende commence. Sa mort devient le prototype du suicide féminin. Il eut Ophélie qui, se croyant abandonnée d’Hamlet et devenue folle à la mort de son père, se laisse emporter par les flots. L’héroïne de Shakespeare fera l’objet d’une riche iconographie au XIXème siècle. Simone de Beauvoir dira que la noyade est un mode féminin, les femmes ayant jusqu’au bout le souci de leur intégrité physique. À l’aube de ce mois de mars 1941, plus rien ne l’amuse. Elle et son petit cercle d’amis, le groupe de Bloomsbury, voulaient changer le monde, ils sont accablés par le désastre annoncé. Elle écrit dans son Journal intégral: "Le suicide me paraît parfaitement sensé. Nous sommes nés trop tôt." L’eau est non seulement un motif récurrent dans son œuvre, c’est aussi l’élément dont elle s’inspire comme romancière. Restituer le flux et le reflux.    Bibliographie et références:   - Viviane Forrester, "Virginia Woolf" - Magali Merle, "Virginia Woolf" - Josh Jones, "Virginia Woolf" - Virginie Despentes, "Virginia Woolf" - Quentin Bell, "Virginia Woolf" - Geneviève Brisac, "Le mélange des genres" - Jane Dunn, "Virginia Woolf" - John Lehmann, "Virginia Woolf and her world" - Frédéric Monneyron, "Bisexualité et littérature" - Monique Nathan, Virginia Woolf par elle-même" - Frédéric Regard, "La Force du féminin" - Julia Stephen, "The life of Virginia Woolf"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
"Seule la mort est gratis, et encore, elle vous coûte la vie. Une des conditions fondamentales de l'amour est de se sentir valorisé parce qu'un autre vous place au premier rang de ses aspirations. Dans l'interprétation d'une œuvre musicale il y a un point où s'arrête la précision, et où commence l'imprécision de la véritable création. L'attrait essentiel de l'art réside, pour la plupart, dans la reconnaissance de quelque chose qu'ils s'imaginent comprendre". Cette femme qui nous toise, impériale et distante, a reçu le Prix Nobel en 2004 pour une œuvre d'une rare violence. Violence faite à la langue, violence imposée aux lecteurs, infligée à elle-même. De ce rôle d'imprécatrice, de cette image hautaine, elle souffre, fatiguée d'assumer sans répit la tâche de rappeler à l'Autriche sa tache originelle, son passé nazi enseveli, jamais liquidé. Elle est née le vingt octobre 1946 à Mürzzuschlag, en Styrie, dans les montagnes où se jouent son maître-livre, "Enfants des morts", et plusieurs de ses livres. Mais elle a grandi à Vienne, dans un cocon familial, terreau à schizophrénie. Une mère, bourgeoise, catholique, qui abuse de son pouvoir. Un père juif, opposant au nazisme, engagé à gauche, détruit par la guerre. Les deux sombreront dans la folie, lui très tôt, désertant la place, elle à la fin d'une longue tyrannie, à quatre-vingt-dix-sept ans. "Et c'est peut-être cette même folie que je côtoie dans mon écriture. Je parviens tout juste à me maintenir au bord, j'ai toujours un pied qui dérape dans l'abîme". Entre les deux, une petite fille destinée à être une grande musicienne, soumise à un dressage inhumain, privée d'enfance, qui se "claque" la tête contre les murs, formée "à l'école de la destruction". À dix-huit ans, une crise d'angoisse l'enferme dans sa chambre, agoraphobe, durant une année. Elle la passe à lire, la poésie américaine mais aussi des romans de gare, de la littérature trash, et à regarder des séries à la télévision "de manière presque scientifique", matériau dont elle saura tirer par la suite des effets d'écriture, particulièrement dans "Les Amantes", où l'on voit deux filles se faire engrosser pour se trouver un mari. C'est dans cette réclusion que la jeune femme commence à écrire. Des poèmes érotiques qui ont pour fonction de sublimer une libido écrasée. Dans "La Pianiste", son texte le plus autobiographique, on voit à l'œuvre les ravages d'une éducation mortifère. C'est son roman le plus connu, à cause du film de Michael Haneke (2001). Mais la poésie n'est pas sa voix. "Je ne suis pas quelqu'un de la réduction", reconnaît-elle. Il faut "que ça fuse dans tous les sens". Dans les années 1970, elle pratique alors le cut up, l'écriture aléatoire. Bouillonnante et révoltée, c'est à ce moment aussi qu'elle s'engage politiquement. "Pour bien s'y prendre avec les femmes, il faut connaître le secret. Il n'est pas absolument nécessaire d'être médecin pour éventrer les gens, mais il est préférable de l'être si l'on veut dénicher le serpent logé dans le ventre, ce vilain serpent qui nous a jadis induit en tentation". Elle s'engage en politique contre sa mère qui honnit la "racaille de gauche". Surtout par fidélité envers le père qui abdiqua toute autorité paternelle sauf pour imposer la manifestation du premier Mai. Elle entre même au Parti communiste, pour y rester jusqu'en 1991. Ce qu'aujourd'hui elle considère avec étonnement sans rien renier: "Je n'ai rien perdu de mon anticapitalisme, de ma haine de la destruction et de l'injustice sociale engendrée par un tel système". Ce qu'elle a perdu, en revanche, c'est l'illusion que l'art peut changer les choses. Pourtant, comme tant d'écrivains autrichiens, elle ne cesse de rappeler à son pays son allégeance au nazisme, la complaisance envers les anciens membres du Parti, l'amnésie générale. Le retour de Kurt Waldheim à la présidence en 1986, puis, la montée au pouvoir de Jörg Haider, l'antisémitisme renaissant poussent Elfriede Jelinek à se radicaliser.   "Erika ne sent rien et n’a jamais rien senti. Elle est aussi insensible que du carton goudronné sous la pluie"."Mais je tiens à dire que ma conscience juive n'a rien à voir avec le judaïsme ou la religion juive". Dans les années 1980, sa pièce "Burgtheater" fait scandale. En 2000, à Salzbourg, une affiche qui la représente est lacérée puis retirée. C'est alors elle-même qui se retire, interdisant que ses pièces soient jouées dans son pays, "par hygiène personnelle". "Je suis la caution de l'opposition aux nazis, aux néonazis, à la droite, au fascisme clérical, mais de ma démarche esthétique, il n'est jamais question", se plaint-elle. "Il est au fond arrivé un peu la même chose avec Thomas Bernhard", ajoute-t-elle. De cet auteur auquel on la renvoie souvent, elle perçoit avant tout "l'incroyable musicalité" alors qu'elle-même travaille les dissonances, la destruction de la musique qui a failli la détruire. Son modèle à elle, aux antipodes de son esthétique, c'est Robert Walser, "aussi bas que les fleurs", dont elle scelle toujours une phrase dans ses livres. Quant à elle, cataloguée comme politique et féministe, elle se voudrait "un auteur méditatif". D'abord effrayée par le poids du Prix Nobel, perçu comme un hommage à toutes les femmes, elle a fini par le recevoir comme une reconnaissance de son travail d'écriture. Dans son discours de Stockholm, intitulé "À l'écart", il n'est question que de la langue, cette entité qui est "la gardienne de sa prison", dont elle semble être coupée. "Je suis le père de ma langue maternelle". "L'art et l'ordre, parents ennemis. En sport la camaraderie s'arrête là où l'autre risque de vous gagner de vitesse". Cette phrase énigmatique renvoie à la défection du père mais aussi à l'impossibilité d'utiliser innocemment un langage souillé à jamais par tout ce qu'il a dû "cracher". Cet instrument, qu'elle compare aussi à "un chien en laisse qui tire celui qui le tient", elle le tord et le triture, le plie aux "assonances, variations, amalgames" jusqu'à ce que quelque chose s'écrive "qui relève aussi en partie de l'inconscient". Elfriede Jelinek se situe dans une esthétique du choc et de la lutte. Sa prose trouve, de manière exhaustive, différentes manières d’exprimer l’obsession et la névrose et vitupère à l'extrême jusqu'à l'absurde contre la phallocratie, les rapports de forces socio-politiques et leurs répercussions sur les comportements sentimentaux et sexuels. La rhétorique pornographique, exclusivement masculine, est déconstruite et dénoncée et le pacte inconscient qui consiste alors à voir le triomphe de l’homme sur la femme, analysé et fustigé. La décision de l’Académie suédoise pour l'année 2004 est inattendue. Elle provoque alors une controverse au sein des milieux littéraires. Certains dénoncent la haine redondante et le ressentiment fastidieux des textes de Jelinek ainsi que l’extrême noirceur, à la limite de la caricature, des situations dépeintes. D'autres y voient la juste reconnaissance d’un grand écrivain qui convoque la puissance incantatoire du langage littéraire pour trouver une manière neuve et dérangeante d’exprimer le délire, le ressassement et l’aliénation, conditionnés par la culture de masse et la morale régnante. La polémique atteint également les jurés du prix Nobel. En octobre 2005, Knut Ahnlund démissionne alors de l'Académie suédoise en protestation de ce choix qu’il juge "indigne de la réputation du prix". Il qualifie l’œuvre de l’auteur de "fouillis anarchique" et de "pornographie", "plaqués sur un fond de haine obsessionnelle et d’égocentrisme". Après l'attribution du prix, Elfriede Jelinek dit profiter de l'argent de la récompense afin de vivre plus confortablement et arrêter les traductions auxquelles elle est astreinte pour subvenir à ses besoins. La femme de lettres n’en est pas pour autant rentrée dans le rang. Malgré son statut de grande dame de la littérature de langue allemande, elle garde et mérite, en Autriche, sa sulfureuse réputation de "pétroleuse". Elfriede Jelinek s’insère dans la tradition des grands polémistes, misanthropes et grands satiristes viennois tels que Karl Kraus, Kurt Tucholsky ou Thomas Bernhard. La vigueur de sa pensée et l’originalité formelle de ses œuvres en font malgré tout l’auteur majeur de sa génération.   "Les applaudissements sont encore plus forts qu'avant l'entracte, car tous sont soulagés que ce soit fini. La mère dit qu'elle a sur le bout de la langue la citation latine de ce qu'elle vient de mentionner, qu'on apprend pour la vie et non pour l'école. Elle possède un réservoir de proverbes et de maximes". Elfriede Jelinek est née le vingt octobre 1946, à Mürzzuschlag dans la province de Styrie en Autriche. Après des études musicales au Conservatoire de musique de Vienne, elle étudia le théâtre et les beaux-arts à l’université de Vienne. C’est en 1968 qu’elle composa ses premiers poèmes. Son père décéda en 1969 dans une clinique psychiatrique. Le parcours de son père, chimiste, qui avait pu échapper à la déportation et fut enrôlé pour le travail forcé, a profondément marqué l’écrivain: "Mais qui suis-je ? La vengeresse ridicule de mon père accrochée au passé comme une mouche dans l’ambre jaune". Comme cela est le cas pour beaucoup d’écrivains de deuxième génération, le traitement littéraire du traumatisme n’est assurément pas un aspect mineur de son œuvre. C’est à ce titre qu’il doit être pris en compte. En 1969, engagée dans les mouvements estudiantins, elle participa aux discussions littéraires de la fameuse revue "Manuskripte". Elle était proche du groupe de Vienne, écrivains inspirés par le dadaïsme, la littérature baroque, le surréalisme, la philosophie de Wittgenstein et la littérature expérimentale. Les années 1970 furent consacrées à l’écriture de pièces radiophoniques, de traductions et de scénarios. En 1975, "Les Amantes", "Die Liebhaberinnen", son premier roman, célébrait un nouveau féminisme. Apprécié par le grand public et couronné de nombreux prix, il souleva néanmoins de vives polémiques. Son auteur, cynique et sans cœur, se désolidarisait de ses protagonistes féminines. Puis vint le premier scandale, en 1983, lors de l’avant-première de "Burgtheater". Dans cette pièce dont le titre est le nom du prestigieux théâtre national viennois, Jelinek s’attaquait à l’implication dans l’appareil de propagande nazi des artistes, comme Paula Wessly, l’une des comédiennes les plus populaires en Autriche. La presse, choquée que la vérité sur l’icône du théâtre viennois eût vu le jour, fit de Jelinek une Nestbeschmutzerin, celle qui souille son nid. Jelinek interdit alors donc la représentation de "Burgtheater" en Autriche qui n’y fut jouée que vingt ans plus tard. La femme de lettres démontra toute sa ténacité. "Il n'y comprendra rien, sera anéanti, et par la suite laissera sa fille en paix. Dans la famille de la mère, la culture est une tradition, elle n'est jamais laissée à l'initiative personnelle, étant trop précieuse pour cela. La savoir, le voilà le plus précieux des biens". Lors de la parution de "La Pianiste" en 1983, l’auteur fut alors insultée et en 1989, avec "Lust", elle s’attira la foudre de la presse. En 1995, suite à une campagne de diffamation déclenchée contre Elfriede Jelinek par le parti autrichien d’extrême droite, le FPÖ, l’écrivain refusa alors que ses pièces soient jouées dans les théâtres nationaux. En février 2000, après l’entrée dans la coalition gouvernementale de membres du FPÖ, parti autrichien d’extrême droite, Elfriede Jelinek interdit, une nouvelle fois, la représentation de ses pièces. En dépit de ses nombreux détracteurs, son œuvre fut couronnée par de nombreux prix prestigieux, dont le prix Nobel en 2004. Ce fut l’occasion d’un nouveau scandale, provoqué par Knut Ahnlund, membre de l’Académie suédoise, qui quitta définitivement son siège et fut rejoint dans un concert de critiques moralisatrices par le Vatican. Le portrait que brosse alors la presse autrichienne et étrangère de l’écrivain oscille entre pornographie et prix Nobel. Avant cette consécration, qui fut loin de faire l’unanimité, Elfriede Jelinek, qui fut pendant des décennies la tête de turc de la presse populaire en Autriche, s’est peu à peu retirée de la sphère publique. Le rapide cadre imparti ici ne suffirait pas à énumérer les scandales qui éclatèrent à propos de ses œuvres.   "Souvent la mère est prise d’inquiétude, car tout possédant doit apprendre d’abord, et il l’apprend dans la douleur, que la confiance c’est bien, mais le contrôle c’est mieux". Les œuvres de Jelinek sont lues dans différentes perspectives: littérature féminine, démythification, recherche sur la langue, études de la mise en scène de ses textes très souvent adaptés, critique de l’Autriche et du mensonge qui a permis de consolider une identité nationale très ébranlée après 1945 et après son occupation pendant dix ans par l’Union soviétique, critique de la société de consommation, réflexion sur l’oppression, sur la nature dans la littérature. Dans son entreprise de déconstruction, c’est à la langue que Elfriede Jelinek s’attaque d’abord avec la virtuosité de musicienne qui est la sienne. Jelinek, musicienne pendant toute sa jeunesse, devient compositeur quand elle prend la plume. Elle-même y fait allusion lorsqu’elle fait apparaître de façon récurrente des noms de compositeurs et des citations de leurs œuvres, par exemple: "La Belle Meunière" de Franz Schubert dans "Dans les Alpes", les trios de Haydn et une sonate d’Alban Berg dans "Les Exclus", et Clara et Robert Schuman, protagonistes de "Clara S". Elfriede Jelinek livre sans retenue ce qui la taraude, la terre allemande est de la cendre. "Ce qui vient de vous est toujours un facteur de risque, mieux vaut l'éliminer. Par ailleurs elle n'aimerait pas voir ces deux-là disparaître sans surveillance dans la chambre de jeune fille d'Anna aménagée par ses soins". Et au fil des années, la complexité des textes de Jelinek s’accentue, l’intertextualité devient presque inextricable. L’illisibilité des textes, dissonance assourdissante plus qu’harmonie musicale, semble pourtant accoucher d’un motif qui parcourt l’ensemble de son œuvre. Au cœur de celle-ci git un corps torturé. Ainsi dans le village de Rechnitz, le devenir des cadavres des déportés juifs reste mystérieux car la fosse commune, où ils sont susceptibles d’avoir été ensevelis, reste introuvable. D’une part leurs corps, portant les stigmates de la torture et de la mort, d’autre part l’impunité des bourreaux semblent vouloir obstruer l’espace de notre compréhension. L’incompréhension éprouvée face à de tels événements entraîne l’impossibilité de partager, mentalement, la motivation des bourreaux et de s’identifier au sort des victimes, donc, d’une certaine manière, de le partager. Ainsi le corps mutilé et assassiné barre la voie au partage de l’expérience. Et c’est assurément cet aspect des écrits de Jelinek qui établit un lien direct avec la mémoire de la Shoah. Ce motif du corps est déjà présent en 1975 dans son premier roman "Les Amantes" ("Die Liebhaberinnen"). En 1989, dans "Lust", la sexualité est traitée comme le lieu de la dominance masculine dans lequel le corps féminin, dont le désir est nié, n’est qu’un objet offert aux coups et la femme, "das Nichts", le rien. Plus que de sexualité, il s’agit ici de la négation de la personne, de la réification du corps et de l’usage qui en est fait, bafouant toutes les valeurs relatives au respect de l’autre. Le corps est maltraité et une voix semble commenter son propre accablement. Le corps chez Jelinek est tout entier livré à la violence qui lui est infligée. Les personnages, dénués de psychologie, s’appellent souvent homme, femme et ne sont là que pour subir les coups qui s’abattent sur leur corps sans visage.   "Aujourd'hui, un jeune homme sorti d'on ne sait où prend la place de cette mère qui a pourtant fait ses preuves et qui, froissée et délaissée, se voit reléguée à l'arrière-garde. Les courroies de transmission mère-fille se tendent, tirant Erika en arrière. Quel supplice de savoir sa mère obligée de marcher toute seule derrière". L'œuvre d'Elfriede Jelinek n’est scandaleuse que dans la mesure où le geste de la déconstruction, qui n’est ni théorie ni code ni règle, ne se soumet pas, il fait acte de résistance en opposant à l’essence, à la solidité de l’Être, la survivance du reste. En ce sens, le scandale est entier, non que l’auteur soit masochiste, sadique ou qu’elle flirte avec l’obscénité, mais parce que, dans son économie, son œuvre se fait tabou. Ce faisant, elle se réclame d’une appartenance indéfectible à l’après-Shoah, non pas d’un point de vue chronologique mais comme puissance qui surgit contre ce qui fut, advint et donc ne "cessera d’advenir". Pourtant, contre toute apparence et pour la raison énoncée précédemment, l’œuvre de Jelinek, en tant que telle, ne se réduit ni au sombre désespoir ni à la présupposée morbidité qu’elle affiche. Sa prolificité, ses débordements, sa fureur de dire sont l’expression d’une liberté que l’écrivain s’autorise. Si les textes de Jelinek sont illisibles, quand ils sont lus noir sur blanc, ils prennent vie, en revanche, quand ils sont proférés sur une scène de théâtre. Théâtre en tant que geste contre la mimesis qui n’est donc jamais la représentation de la vie. On en voudra pour preuve l’assertion d’Elfriede Jelinek: "Je ne veux pas de théâtre où les comédiens doivent dire ce que personne ne dit". Son théâtre qui est, comme la vie elle-même dans ce qu’elle a d’irreprésentable. Elfriede Jelinek a obtenu plusieurs récompenses de premier ordre dont le prix Heinrich Böll 1986, le prix Georg-Büchner 1998 et enfin le prix Heinrich Heine 2002 pour sa contribution aux lettres germanophones. Puis elle se voit attribuer, en 2004, le prix Nobel de littérature pour "le flot de voix et de contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent ainsi avec une exceptionnelle passion langagière l’absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux", selon l'explication de l'Académie suédoise. Bien qu'Elias Canetti fût distingué comme auteur autrichien en 1981, Jelinek devient cependant le premier écrivain de nationalité autrichienne à être honoré par le comité de Stockholm. Elle se demande pourquoi Peter Handke n'a pas été couronné à sa place. "Qu'elle l'ait proposé d'elle-même n'arrange rien, bien au contraire. Si M. Klemmer n'était pas en apparence indispensable, Erika pourrait marcher tranquillement à côté de sa mère. Ensemble elles pourraient ruminer ce qu'elles viennent de vivre, tout en se repaissant de quelques bonbons".   "La douleur n'est que la conséquence de la volonté de plaisir, de la volonté de détruire, d'anéantir, et dans sa forme suprême, c'est une sorte de plaisir". Elle accepte ensuite le prix comme une reconnaissance de son travail. "Je n’irai certainement pas à Stockholm. La directrice de la maison d’édition Rowohlt Theater acceptera le prix pour moi. Bien sûr, en Autriche, on tentera d’exploiter l’honneur qui m’est fait, mais il faut rejeter cette publicité. Malheureusement, je vais devoir écarter la foule d’importuns que mon prix va attirer. En ce moment, je suis incapable d’abandonner ma vie solitaire". Elle dit une nouvelle fois qu’elle refuse que cette récompense soit "une fleur à la boutonnière de l’Autriche". Pour la cérémonie de remise de prix, elle adresse alors à l’Académie suédoise et la Fondation Nobel une simple vidéo de remerciements. À l'annonce de la nouvelle, la République autrichienne se partage alors entre joie et réprobation. À l'international et notamment en France, les réactions sont contrastées. La comédienne Isabelle Huppert, lauréate de deux Prix d'interprétation à Cannes dont un pour "La Pianiste", déclare: "En général, un prix peut récompenser l'audace, mais là, le choix est plus qu'audacieux. Car la brutalité, la violence, la puissance de l'écriture de Jelinek ont souvent été mal comprises. En lisant et relisant "La Pianiste", ce qui ressort, c'est finalement beaucoup plus l'impression d'être face à un grand écrivain classique". Sensible à l'expérimentation, l'œuvre d'Elfriede Jelinek joue ainsi sur plusieurs niveaux de lecture et de construction. Proche de l'avant-garde, elle emprunte à l'expressionnisme, au dada et au surréalisme. Elle mêle diverses formes d'écriture et multiplie les citations disparates, des grands philosophes aux tragédies grecques, en passant par le polar, le cinéma, les romans à l'eau de rose et les feuilletons populaires. L'écrivain affirme se sentir proche de Stephen King pour sa noirceur, sa caractérisation des personnages et la justesse de son étude sociale. Le langage de l'auteur combine déluge verbal, délire, métaphores aiguisées, jugements universels, distance critique, forme dialectique et fort esprit d'analyse. L'écrivain n'hésite pas à utiliser la violence, l'outrance, la caricature et les formules provocantes bien qu'elle refuse de passer pour une provocatrice. Elle se situe dans une esthétique du choc et de la lutte. "Avant-goût de la chaleur et du confort douillet qui les attend dans leur salon. Dont personne n'a fait échapper la chaleur. Peut-être arriveront-elles même à temps pour le film de minuit à la télévision. Quel merveilleux final pour une journée si musicale". Sa prose trouve, de manière exhaustive, différentes manières d’exprimer l’obsession et la névrose et vitupère jusqu'à l'absurde contre la phallocratie, les rapports de forces socio-politiques, leurs répercussions sur les comportements sentimentaux et sexuels. Dans "La Pianiste" ("Die Klavierspielerin", 1983), récit quasi-autobiographique, Jelinek dépeint, sous des angles multiples, l'intimité d’une femme sexuellement frustrée, victime de sa position culturelle dominante et d'une mère possessive et étouffante, ressemblant à la sienne. Elle revendique une filiation avec la culture critique de la littérature et la philosophie autrichiennes, de Karl Kraus à Ludwig Wittgenstein, en passant par Fritz Mauthner, qui réfléchit le langage et le met à distance. Elle dit également avoir été influencée par Labiche et Feydeau pour leur humour abrasif et leur étude très subversive de la bourgeoisie du XIXème siècle. Lorsque l'Académie suédoise décerne le prix Nobel à l'allemand Günter Grass en 1999, elle déclare avoir été largement marquée par sa lecture du "Tambour" dont le style a nourri son inspiration littéraire: "Le Tambour a été pour nous, les auteurs qui nous réclamions d'une activité expérimentale, quelque chose d'incontournable. Le début du "Tambour" est l'une des plus grandes ouvertures de roman dans toute l'histoire de la littérature. Peut-être qu'on a voulu honorer avec le Nobel l'auteur politique, mais l'œuvre aurait mérité de l'être depuis déjà longtemps". En réalité, Elfriede Jelinek a élaboré une écriture nourrie de négativité. Nul ne sera surpris, dès lors, de ne pas retrouver chez Jelinek d’éloge de la vieillesse. Quand Jelinek écrit la sénescence, elle ne se plie guère à la réalité ni ne fait d’elle un objet contre lequel il serait bon de se blottir. L’image des cheveux et des jupes est parlante, puisqu’Erika va à un certain moment scalper sa mère tandis que cette dernière ne peut s’empêcher de déchirer les robes de sa fille. Il s’agit d’indices nous révélant à nous, lecteurs, que la réalité passe entre la mère et la fille. La vie à l’écart que mènent Erika Kohut et sa mère permet à Elfriede Jelinek de s’attaquer à la vieillesse comme construction sociale historiquement et culturellement marquée. Par-delà leurs deux figures, c’est une culture entière dont elle dynamite les bases. La vigueur de sa pensée et l’originalité de ses œuvres en font l’auteur majeur de sa génération.     Bibliographie et références:   - Nicole Bary, "Elfriede Jelinek, la déconstruction des mythes" - Vanessa Besand, "L’œuvre romanesque d’Elfriede Jelinek" - Thierry Clermont, "Elfriede Jelinek, l'insaisissable" - Yasmin Hoffmann, "Elfriede Jelinek, une biographie" - Magali Jourdan, "Qui a peur d’Elfriede Jelinek ?" - Roland Koberg, "Elfriede Jelinek, un portrait" - Christine Lecerf, "Elfriede Jelinek, l’entretien" - Gitta Honegger, "Un Nobel imprévu, Elfriede Jelinek" - Claire Devarrieux, "Jelinek, la subversion primée à Stockholm" - Christian Fillitz, "L'Autriche partagée entre joie et réprobation" - Liza Steiner, "Elfriede Jelinek, anatomie de la pornocratie" - Gérard Thiériot, "Elfriede Jelinek et le devenir du drame" - Béatrice Gonzalés-Vangell, "Elfriede Jelinek" - Klaus Zeyringer, "Dossier Elfriede Jelinek"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 22 heure(s)
"Qui sourit n'est pas toujours heureux. Il y a des larmes dans le cœur qui n'atteignent pas les yeux. À ceux qui ne changent jamais d'opinion, il incombe particulièrement de bien juger du premier coup. Je lui aurais bien volontiers pardonné son orgueil s'il n'avait tant mortifié le mien". Contemporaine de Walter Scott, le père du roman historique britannique, Jane Austen (1775-1817) fut l'autre grande plume de son temps. Formidable peintre des mœurs de son époque, elle décrivit avec un esprit d'une remarquable indépendance, les amours, les déboires, les ambitions de la gentry. "Quoi de plus naturel pour elle, qui savait si bien en pénétrer la profondeur, d'avoir choisi d'écrire sur les banalités de la vie quotidienne, sur des réceptions, des pique-niques et des bals provinciaux ?", disait Virginia Woolf qui admirait profondément l'auteur de "Pride and Prejudice" (Orgueil et Préjugés, 1813) et de "Sense and Sensibility" (Raison et Sentiments, 1811). Loin des tourments révolutionnaires qui déchirent alors le continent, du romantisme qui balaie le paysage littéraire, le monde de Jane Austen forme une sorte de parenthèse dans laquelle s'épanouit une société paisible, dépeuplée de drames, dominée par une affabilité qui pourrait faire sourire si elle ne possédait un charme certain. Romancière anglaise, elle est née le seize décembre 1775 à Steventon Rectory, dans le comté du Hampshire, sur la côte sud du Royaume-Uni, avant-dernière-née et deuxième fille d'une famille de nuit enfants. Son père, George Austen, était clergyman. Sa mère, née Cassandra Leigh, comptait parmi ses ancêtres sir Thomas Leigh, qui fut lord-maire de Londres au temps de la reine Elizabeth. Son grand-père maternel était également clergyman, son grand-père paternel était en revanche chirurgien. Les revenus de la famille Austen étaient modestes mais confortables. Leur maison de deux étages, le Rectory, agréable comme savait déjà l'être une maison de pasteur dans le Hampshire à la fin du XVIIIème siècle. Des arbres, de l'herbe, un chemin pour les voitures, une grange même. On sait que la jeune Jane, comme Catherine Morland, l'héroïne de "Nortbanger Abbey", aimait à rouler dans l'herbe de haut en bas de la pelouse en pente avec son frère préféré, Henry ou sa sœur Cassandra. Durant toute sa vie, Jane Austen fut entourée de gens sérieux. Son père, comme deux de ses frères, était pasteur de l’Église d’Angleterre. Ses deux autres frères, officiers de la marine nationale pendant les guerres napoléoniennes, devinrent amiraux. Son frère aîné, Edward, était l'écuyer d’un des plus importants domaines de Kent. Entourée de tant de grandeur, elle avait ses raisons de faire peu de cas de sa propre activité littéraire. Ayant achevé le magistral "Mansfield Park", elle écrivit une lettre à Edward qui comparait cette œuvre au "petit morceau d’ivoire sur lequel elle travaillait avec un pinceau si fin que même beaucoup d’effort faisait peu d’effet". En 1782, Cassandra et Jane, alors âgée de sept ans seulement, furent envoyées à l'école, d'abord à Oxford, dans un établissement dirigé par la veuve du principal de Brasenose College, puis à Southampton, enfin à l'Abbey School de Reading, sous la surveillance de la respectable Mme Latoumelle. Les études n'étaient pas épuisantes, car les sœurs étaient laissées libres de leur temps après une ou deux heures de travail chaque matin.   "Depuis le commencement, je pourrais dire dès le premier instant où je vous ai vu, j’ai été frappée par votre fierté, votre orgueil et votre mépris égoïste de sentiments d’autrui. Il n’y avait pas un mois que je vous connaissais et déjà je sentais que vous étiez le dernier homme du monde que je consentirais à épouser". De retour au Rectory, les deux sœurs complétèrent leur éducation grâce aux conversations familiales alors que les frères furent successivement étudiants à Oxford, et surtout à l'aide de la bibliothèque paternelle qui était remarquablement fournie, et à laquelle elles semblent avoir eu accès sans aucune restriction. Jane lut beaucoup: Henry Fielding et Samuel Richardson, Tobias Smollett et Laurence Sterne, les poèmes élégiaques de William Cowper et le livre alors célèbre de William Gilpin sur le "pittoresque". La passion des jardins et paysages est une des sources fondamentales du roman anglais. Quelques classiques, un peu d'histoire, des romans surtout. La famille Austen était grande dévoreuse de romans sentimentaux ou gothiques. Ce sont en effet bientôt les années triomphales de Mrs. Ann Radcliffe. Les romans paraissaient par centaines, et on pouvait ainsi se les procurer aisément pour pas cher grâce aux bibliothèques circulantes de prêt qui venaient d'être inventées. On lisait souvent à haute voix après le dîner. Jane, bien entendu, apprit le français, indispensable à l'époque pour se cultiver, un peu d'italien, chantait, sans enthousiasme, cousait, brodait, dessinait, bien moins bien que sa sœur Cassandra, jouait du piano et bien sûr dansait. Toutes occupations indispensables alors à son sexe et à son rang et destinées à la préparer à son avenir, le mariage. De toutes ces activités, Jane semble avoir préféré la danse, dans sa jeunesse, et la lecture, toute sa vie. Les enfants Austen, avec l'aide de quelques cousins et voisins, avaient également une grande passion pour le théâtre et des représentations fréquentes étaient données dans la grange en été ou dans le salon, en hiver. Le soutien sans faille de sa famille est essentiel pour son évolution en tant qu'écrivaine professionnelle. L'apprentissage artistique de Jane Austen s'étend du début de son adolescence jusqu'à sa vingt-cinquième année. Durant cette période, elle s'essaie à différentes formes littéraires, y compris le roman épistolaire qu'elle expérimente avant de l'abandonner, et écrit et retravaille profondément trois romans majeurs, tout en en commençant un quatrième. Tout le monde, ou presque, écrivait dans la famille Austen. Le père, bien entendu, ses sermons. Mme Austen des vers élégiaques. Les frères des essais pour les journaux étudiants d'Oxford, sans oublier les pièces de théâtre où tous mettaient la main.   "Je n'aime véritablement que peu de gens et en estime moins encore. Plus je connais le monde et moins j'en suis satisfaite. Chaque jour appuie ma conviction de l'inconséquence de tous les hommes et du peu de confiance qu'on peut accorder aux apparences du mérite et du bon sens". Jane Austen a commencé très tôt à écrire, encouragée sans doute par les nombreux exemples familiaux dont les productions étaient constamment et vivement discutées pendant les longues soirées d'hiver. Elle s'est très tôt orientée vers le récit, tout particulièrement vers des parodies des romans sentimentaux alors à la mode et qui constituaient le fonds des bibliothèques de prêt donc des lectures romanesques familiales. Les "œuvres de jeunesse" qui ont été conservées, soigneusement copiées de sa main en trois cahiers intitulés Volume I, II et III, contiennent des réussites assez étonnantes, surtout si on pense qu'elles ont été composées entre la douzième et la dix-septième année de l'auteur. Ainsi le roman par lettres "Love and friendship" ("Amour et amitié") dont la liberté de ton aurait peut-être offusqué la reine Victoria. De 1811 à 1816, avec la parution de "Sense and Sensibility", publié de façon anonyme en 1811, "Pride and Prejudice" (1813), "Mansfield Park" (1814) et "Emma" (1816), elle connaît enfin le succès. Deux autres romans, "Northanger Abbey", achevé en fait dès 1803, et "Persuasion", font tous deux l'objet d'une publication posthume en 1818. En janvier 1817, elle commence son dernier roman, finalement intitulé "Sanditon", qu'elle ne peut alors achever avant sa mort. Son œuvre est, entre autres, une critique des romans sentimentaux de la seconde moitié du XVIIIème siècle et appartient à la transition qui conduit alors au réalisme littéraire du XIXème. Les intrigues de Jane Austen, bien qu'essentiellement de nature comique, avec un dénouement heureux, mettent en lumière la dépendance des femmes à l'égard du mariage pour obtenir statut social et sécurité économique. Comme Samuel Johnson, l'une de ses influences majeures, elle s'intéresse particulièrement aux questions morales. La romancière semble avoir soupçonné son œuvre de frivolité. Cependant, lorsqu’on parle du frivole chez Austen, le sujet tourne vite au paradoxal. Si, d’une part, elle soupçonnait son œuvre de frivolité, c’est précisément contre une telle accusation qu’elle s’est défendue, défense qui prend ainsi la forme de condamner la frivolité de ses propres personnages romanesques. Ces récits ne font pas pour autant l’économie pure et simple du frivole, parce que, sur le plan du style et de l’invention, il existe une certaine tolérance inavouée du frivole comme garant de la liberté romanesque.   "Mon caractère, je ne saurais m'en porter garant. Je crois qu'il manque de souplesse. Il est sans doute trop rigide, en tout cas au goût des gens que je fréquente. Je ne parviens pas à oublier les folies et les vices d'autrui aussi vite qu'il le faudrait, ni les torts qu'ils m'ont fait subir. On ne réussit pas à m'influencer chaque fois que l'on me flatte. Je suis d'une humeur qu'on pourrait qualifier de rancunière. Quand je retire mon estime, c'est pour toujours". Parler du frivole chez Jane Austen, c’est désigner ce qu’elle entend par là. Parmi les nombreuses occurrences de ce mot dans son œuvre, deux instances tirées d’"Orgueil et préjugé", son plus célèbre roman. Pour ceux, peut-être rares même dans le monde occidental, qui n’auront ni lu le roman ni vu une des nombreuses versions cinématographiques et télévisées tournées à partir de 1940, en voici un résumé en cent cinquante mots. Les cinq sœurs Bennet, d’une famille de la petite gentry provinciale, sont sans fortune. Néanmoins les deux aînées, Jane et Elizabeth, suscitent l’intérêt de deux jeunes hommes riches et respectables, Bingley et Darcy. En dépit de cet intérêt, de nombreux obstacles à leurs unions respectives surgissent, notamment sous la forme d’une série de malentendus où l’orgueil et les préjugés jouent un rôle prédominant. Tout espoir de surmonter ces obstacles semble perdu au moment où la plus jeune sœur, Lydia, fait une fugue scandaleuse avec Wickham, un aventurier. Heureusement, Darcy, ayant conquis son orgueil, fait usage de son compte bancaire pour inciter Wickham à se marier avec Lydia, sauvant ainsi l’honneur de la famille de la femme que Darcy aime, Elizabeth. Cette épreuve de son amour ouvre la voie aux deux mariages Jane-Bingley et Elizabeth-Darcy, et donc aux promesses de félicité domestique et de bonheur durable qui font la conclusion de tout roman de Jane Austen. L’héroïne se détourne du frivole afin de poursuivre la voie de son destin, le destin étant précisément ce qui s’oppose au frivole, en ce qu’il désigne un dispositif téléologique. Chez Austen, ce dispositif ne se limite pas à la simple forme du récit. Il est également le signe d’une posture morale qui se range résolument du côté du principe de la conséquence, au sens moral ainsi que temporel. On assume les conséquences de ses choix. La vie, même celle d’une héroïne romanesque, peut être une affaire de conséquences, et tout cela n’est pas frivole. Aux plaisirs du théâtre, de la lecture, de l'écriture, aux promenades et aux conversations s'ajoutèrent bientôt ceux de la danse, lors de ces bals qui étaient une part importante de la vie sociale de Steventon et des villages proches. C'était d'ailleurs l'occasion à peu près unique qu'avaient les jeunes gens de cette classe de la société de se rencontrer, et par conséquent le lieu par excellence des jeunes espérances matrimoniales féminines.   "Vous êtes trop généreuse pour vous jouer de moi. Si vos sentiments sont encore ce qu’ils étaient au mois d’avril dernier, dites-le-moi franchement. Mes désirs, mes affections n’ont point changé, mais un mot de vous les forcera pour jamais au silence". On n'a pas conservé de portrait de Jane Austen à cette époque, pas plus qu'à une autre, puisqu'on n'a qu'un dessin d'elle, dû à Cassandra et les descriptions sont plutôt rares. Il faut ainsi pratiquement se contenter d'une seule phrase, d'un ami de la famille, sir Egerton Brydges: "Elle était assez belle, petite et élégante, avec des joues peut-être un peu trop pleines". C'est peu. La source la plus importante de renseignements sur elle est le recueil des lettres écrites par elle à sa sœur Cassandra, qui fut sans aucun doute la personne la plus proche d'elle pendant toute sa vie. Bien entendu, elles ne nous renseignent que sur les périodes où les deux sœurs se trouvaient séparées, ce qui ne se produisit pas si souvent ni très longtemps. En outre, au grand désespoir des biographes, Cassandra, qui lui survécut, a soigneusement et sans hésitation expurgé les lettres qu'elle n'a pas détruites de tout ce qui pourrait nous éclairer sur la vie privée et sentimentale de sa sœur. La perte est grande, pour notre curiosité, mais la réticence est trop évidemment en accord avec la philosophie générale de l'existence de la romancière pour que nous puissions sans mauvaise foi en faire reproche à miss Cassandra Austen. Les lettres conservées sont une mine d'observations vives, drôles et méchantes sur le monde et les gens qui l'entourent. Et leur acidité n'y est pas, comme dans la prose narrative, adoucie par la généralisation. Un exemple: "Mrs. Hall, de Sherboume, a mis au monde hier prématurément un enfant mort-né, à la suite, dit-on, d'une grande frayeur. Je suppose qu'elle a dû, sans le faire exprès, regarder brusquement son mari". Goût du secret et respect des gens. Du fait de l'anonymat qu'elle cherche à préserver, sa réputation est modeste de son vivant, avec quelques critiques favorables. Au XIXème siècle, ses romans ne sont alors admirés que par l'élite littéraire. Cependant, la parution en 1869 de "A Memoir of Jane Austen", écrit par son neveu, la fait connaître alors d'un public plus large. On découvre alors une personnalité très attirante, et, l'intérêt populaire pour ses œuvres prend alors son essor.   "Sentant tout ce qu’avait de pénible et d’embarrassant la position de Darcy, elle sut vaincre son émotion, et aussitôt, quoique avec hésitation, elle lui donna à entendre que depuis l’époque qu’il désignait, ses sentiments avaient éprouvé un changement suffisant, pour lui faire recevoir, avec reconnaissance et avec plaisir, les vœux qu’il lui adressait". Depuis les années 1940, Jane Austen est largement reconnue sur le plan académique comme "grand écrivain anglais". Durant la seconde moitié du XXème siècle, se multiplient les recherches sur ses romans, qui sont analysés sous divers aspects, par exemple artistique, idéologique ou historique. Peu à peu, la culture populaire s'empare de Jane Austen, les adaptations cinématographiques ou télévisuelles qui sont réalisées sur sa vie ou ses romans connaissent un réel succès. Il est généralement admis que l'œuvre de Jane Austen appartient non seulement au patrimoine littéraire de la Grande-Bretagne et des pays anglophones, mais aussi à la littérature mondiale. Elle fait aujourd'hui, comme les Brontë, l'objet d'un réel culte, mais de nature différente. Jane Austen jouit en effet d'une popularité quasi universelle. En 1795, Jane Austen commence un roman par lettres intitulé "Élinor et Marianne", première version de ce qui allait plus tard devenir "Sense and sensibility", (Raison et sentiments). Aussitôt terminé et lu à haute voix devant le cercle familial, il est suivi d'un second, dont le titre est alors "First impressions" (Premières impressions), qui deviendra, lui, "Pride and prejudice" (Orgueil et préjugés). Enfin, en 1798, elle écrit "Susan" qui sera "Northanger Abbey". Ces trois romans, sous leur forme initiale, ont donc été écrits entre sa vingtième et sa vingt-cinquième année. Cette première grande période créatrice, brusquement interrompue en 1800, donne, malgré les révisions importantes que les trois romans subiront ultérieurement, tout son éclat d'enthousiasme de jeunesse et peut-être de bonheur à la prose telle que nous pouvons la lire aujourd'hui. Ces premiers essais très sérieux ne semblent pas être sortis du cercle familial, mais on sait qu'en 1797 George Austen tenta sans succès d'intéresser un éditeur au manuscrit de "First impressions".   "Réponse qui le combla d’une joie telle, que sans doute il n’en avait jamais éprouvé de pareille. Aussi l’exprima-t-il avec une chaleur, une sensibilité qui ne sauraient être bien comprises que par celui-là seul qui a sincèrement aimé". En 1800, Mr. Austen, qui a alors presque soixante-dix ans, décide brusquement de se retirer et d'abandonner alors Steventon pour la vie urbaine et élégante de Bath. Cette trahison soudaine du pastoral Hampshire n'eut guère la faveur de Jane et la légende veut qu'en apprenant la nouvelle, le trente novembre 1800, au retour d'une promenade matinale, elle se soit évanouie, et, comme l'héroïne de "Persuasion", Anne Elliott, elle "persista avec détermination, quoique silencieusement, dans son aversion pour Bath". Aujourd'hui, pour l'amateur fanatique des romans de Jane Austen, pour celui qui appartient à la famille des "janeites" inconditionnels, un pèlerinage à Bath, qui joue un rôle si important dans tant de pages de ses récits, est une visite aussi heureuse qu'obligée. Mais il ne doit pas perdre de vue que son héroïne n'aima jamais vraiment y vivre. En 1803, probablement sur l'intervention d'Henry, le manuscrit de Susan, le futur "Northanger Abbey", fut vendu pour la somme de dix livres sterling à un éditeur du nom de Crosby qui d'ailleurs s'empressa de l'oublier. C'est peut-être sous l'impulsion de cette espérance momentanée que Jane entreprit un nouveau roman, "The Watsons", son seul effort sans doute des années de Bath, mais abandonné hélas en 1805, après quelques chapitres. Le vingt-et-un janvier 1805, la mort de Mr. Austen vint plonger brusquement les femmes de la famille dans une situation matérielle qui, sans être jamais véritablement difficile, se révéla alors néanmoins à peine suffisante pour leur permettre de maintenir leur mode de vie "décent" habituel. Mme Austen, Jane et Cassandra se trouvèrent en outre en partie sous la dépendance financière des frères Austen, c'est-à-dire à la fois de leur générosité variable et de leur fortune fluctuante; situation qui, pour n'être pas rare à l'époque, n'en est pas moins inconfortable. Toute idée de mariage abandonnée par les deux sœurs, en même temps que les distractions frivoles mais délicieuses de leur jeunesse, elles se résignèrent à la vie plutôt terne des demoiselles célibataires, avec les obligations de visites, de charité, et de piété, les distractions de la lecture, s'occupant tour à tour des innombrables enfants Austen, neveux et nièces, les éduquant, les distrayant, les conseillant ou alors les réprimandant selon les âges, les humeurs ou les circonstances. De cette époque que date l'image, pieusement conservée dans la mémoire familiale de "dear aunt Jane", la "chère tante Jeanne" de la légende "austennienne".   "Si Élisabeth avait pu lever ses regards sur les siens, elle aurait vu combien cette douce expression de bonheur, répandue dans tous ses traits, en tempérait agréablement la dignité. Mais si elle ne put le regarder, du moins elle savait l’écouter, et il l’entretenait de sentiments, qui, en prouvant combien elle lui était chère, rendaient à chaque instant son attachement plus précieux". En 1809, Jane Austen tente vainement de ressusciter l'intérêt de l'éditeur Crosby pour le manuscrit autrefois acheté par lui de Susan. Crosby se borne à en proposer le rachat. Ce qui est fait, la transaction se déroule par un intermédiaire discret, car Jane tient à conserver l'anonymat. Cependant en 1811, "Sense and sensibility", forme définitive de l'"Elinor and Marianne" de 1795, est accepté par un éditeur londonien, Thomas Egerton. Elle corrige les épreuves en avril à Londres, Sloane Street, lors d'une visite dans la famille de son frère préféré Henry. Le livre paraît en novembre et est vendu quinze shillings. Ce fut un succès d'estime. La première édition, un peu moins de mille exemplaires, fut épuisée en vingt mois et Jane reçut 140 livres, somme inespérée et bienvenue pour quelqu'un qui devait se contenter d'un budget très modeste et n'avait pratiquement aucun argent à elle pour son habillement et ses dépenses personnelles. Sense and sensibility parut anonymement et, dans la famille même, seule Cassandra paraît avoir été au courant. Jane entreprit alors la révision de "First impressions" transformé en "Pride and prejudice", et, simultanément, la composition d'un nouveau roman, le premier alors de sa maturité, "Mansfield Park". "Pride and prejudice", vendu cent-dix livres à Egerton en novembre 1812, parut, en juin 1813, à dix-huit shillings. Le premier tirage était de mille cinq cents exemplaires environ. Sur la couverture on lisait: "Pride and prejudice". A novel. In three volumes. By tbe author of "Sense and sensibility". Le succès cette fois fut nettement plus grand. La première édition fut épuisée en juillet, une deuxième sortit en novembre en même temps qu'une deuxième édition de "Sense and sensibility". Miss Annabella Milbanke, la future Mme lord Byron, écrivait pendant l'été à sa mère, en lui recommandant la lecture de "Pride and prejudice" que "ce n'était pas un livre à vous arracher des larmes, mais l'intérêt en est cependant très vif, particulièrement à cause de Mr. Darcy". Un an plus tard c'est "Mansfield Park" et de nouveau, le succès, mille cinq cents exemplaires vendus en moins de six mois.   "Il se hâta tout d’abord de s’enquérir de sa santé, expliquant sa visite par le désir qu’il avait d’apprendre qu’elle se sentait mieux. Elle lui répondit avec une politesse pleine de froideur. Il s’assit quelques instants, puis, se relevant, se mit à arpenter la pièce". Pour son cinquième roman, le deuxième entièrement écrit à Chawton, "Emma", premier tirage de deux mille exemplaires, respectueusement dédié au prince régent, Jane, sans doute désireuse d'améliorer encore les revenus inespérés que lui procurait maintenant la littérature et peut-être aussi dans l'espoir de venir en aide de manière plus efficace à son frère Henry dont les affaires n'étaient guère brillantes, changea alors d'éditeur et s'adressa à un Mr. Murray ("c'est un bandit mais si poli", écrit-elle). Mais comme c'est Henry qui se chargea des négociations, il ne semble pas qu'elle y ait gagné beaucoup. Pour Emma, qui reçut encore une fois du public un excellent accueil, Jane Austen eut sa première critique un peu sérieuse. Elle devait attendre bien longtemps une étude critique digne d'elle, due rien moins qu'à la plume auguste de Sir Walter Scott, qui restera jusqu'à sa mort son admirateur fervent. Elle en fut extrêmement flattée, regrettant seulement que dans son rapide examen de ses premiers romans il n'ait pas mentionné "Mansfield Park". Cependant l'anonymat de Jane n'avait pas résisté au succès de "Pride and prejudice" ni à l'innocente vanité fraternelle d'Henry. Mais Jane, qui détestait les rapports mondains, eut vite fait de décourager les curiosités des snobs et ne modifia en rien son mode de vie antérieur. Le prince régent fut très content de la dédicace de cet auteur brusquement si favorablement commenté dans les salons et, par l'intermédiaire de son chapelain privé, le révérend Clarke fit sonder l'auteur d'Emma sur la possibilité de la voir entreprendre la composition d'un roman historique, exaltant l'auguste maison de Coburg, dont le dernier héritier, le prince Léopold, était fiancé à la princesse Charlotte, fille du régent. La réplique de Jane est célèbre: "Je n'envisage pas plus d'écrire un roman historique qu'un poème épique. Je ne saurais sérieusement réaliser une telle tâche, sauf peut-être au péril de ma vie. Et si par hasard je pouvais m'y résoudre sans me moquer de moi-même et du monde, je mériterais d'être pendue avant la fin du premier chapitre". Ironie de la part d'Austen.   "La vanité et l'orgueil sont deux choses bien distinctes, bien que les mots soient souvent utilisés l'un pour l'autre. On peut être orgueilleux sans être vain. L'orgueil a trait davantage à l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes, la vanité à ce que nous voudrions que les autres pussent penser de nous". Le dernier roman de Jane, "Persuasion", fut commencé le huit août 1815, parallèlement à la révision de "Susan", qui devint "Northanger Abbey". Elle ne devait pas les voir publiés de son vivant. Avant même l'achèvement de "Persuasion", elle était déjà sérieusement malade, probablement, si l'on se fie au diagnostic de Zachary Cope dans le "British medical journal" du vingt juillet 1964, de la maladie d'Addison, alors non identifiée. Jane Austen a continué à travailler pratiquement jusqu'à sa fin. Insatisfaite du dénouement de "The Elliots", elle réécrit les deux chapitres de conclusion, qu'elle termine le six août 1816. En janvier 1817, elle commence un nouveau roman, qu'elle intitule "The Brothers" (Les Frères), titre qui devient "Sanditon" lors de sa première parution en 1925. Elle en achève alors douze chapitres avant d'arrêter la rédaction à la mi-mars 1817, vraisemblablement parce que la maladie l'empêche de poursuivre sa tâche. Jane évoque son état de manière désinvolte auprès de son entourage, parlant de "bile" et de "rhumatisme", mais elle éprouve de plus en plus de difficultés à marcher et peine à se consacrer à ses autres activités. À la mi-avril, elle ne quitte plus son lit. En mai, Henry accompagne Jane et Cassandra à Winchester pour un traitement médical. Jane Austen meurt le dix-huit juillet 1817, à l'âge de quarante-et-un ans. Grâce à ses relations ecclésiastiques, Henry fait en sorte que sa sœur soit enterrée dans l'aile nord de la nef de la cathédrale de Winchester. L'épitaphe composée par James loue ses qualités, exprime l'espoir de son salut et mentionne les "dons exceptionnels de son esprit" ("the extraordinary endowments of her mind"), sans faire explicitement état de ses réalisations d'écrivaine. On a fréquemment souligné la finesse de sa technique narrative qui, sans asséner aucune vérité, permet ainsi au lecteur de tirer les conclusions qui s'imposent sur chacun des personnages, tels qu'ils se perçoivent les uns les autres. Le snobisme et l'égoïsme sont condamnés de manière implicite mais claire. L'ironie de la narratrice vient souligner la vanité de certitudes s'écroulant lorsque les personnages ouvrent les yeux sur leurs propres illusions. Cette finesse lui valut l'admiration de quelques romanciers victoriens, mais il fallut attendre le XXème siècle pour qu'elle soit reconnue comme l'un des piliers de la littérature anglaise. Reconnaissance tardive mais bien méritée.     Bibliographie et références: - Irene Collins, "Jane Austen and the clergy" - Claire Tomalin, "Jane Austen, a life" - Kate Rague, "Jane Austen" - Isabelle Ballester, "Nombreux mondes de Jane Austen" - David Cecil, "Un portrait de Jane Austen" - John Halperin, "Jane Austen" - Deirdre Le Faye, "Jane Austen's letters" - Paul Poplawski, "A Jane Austen encyclopedia" - Catherine Rihoit, "Jane Austen, un cœur rebelle" - Lucile Trunel, "Jane Austen" - Marie-Laure Massei-Chamayou, "Le language de Jane Austen"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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