Publication BDSM
La robe des feuilles d’érable du Kansaï
(au Japon, jusqu'au milieu du XIXe siècle, seuls les hommes de pouvoir, les membres de la noblesse et certains artistes portaient un nom de famille. J’ai volontairement décidé de ne pas respecter cette règle)
La pluie depuis six jours s’abat sans discontinuer sur les toits, perce de ses flèches l’alignement uniforme des chaumes. Le large chemin qui passe devant la maison d’Etsuko s’est transformé en un torrent de boue ; ornière infranchissable qu’aucun cago (siège en bois, bardé d’un toit, porté par deux hommes à l’épaule) ne se risquerait – dans de telles conditions – à emprunter... sous risque de verser sa cargaison humaine. Oui, le rideau qui tombe sur la région depuis des semaines ne semble pas décidé à se lever. Jamais d’aïeul on n’en avait observé de si durable, sur le domaine de Tatsuno comme dans toute la province de Bansh?. Dans les villes et bourgs avoisinants, d’Himeji, Ako, Mitsu à Taishi, les échanges – par voie de terre et d’eau – sont paralysés, les habitations noyées sous le déluge, le bétail souffreteux et à bout de force, contraint à patauger et se coucher dans un lit stagnant et bourbeux. Ils ne sont qu’un très petit nombre à risquer leur embarcation sur la mer intérieure de Seto... trop peu pour répondre à la demande. Dans certains hameaux retirés, reculés à la périphérie des han (fiefs féodaux autonomes gouvernés par les seigneurs locaux), les denrées alimentaires de base commencent à manquer. Aucun étal de marché ne s’étant levé pieds dans l’eau depuis près de deux mois, beaucoup de paysans ne doivent leur salut qu’à la manne providentielle engrangée durant l’été ; été qui, en cette année 151e de l’ère Edo, fut particulièrement généreux pour les hommes (nous sommes en l’an 1754, le règne du shogunat Tokugawa).
C’est à se demander si, à ces mois de fertilité précoce, les dieux – d’un courroux revanchard – n’ont pas voulu répondre.
Les momiji (érables japonais) du sud de l’île ne connaîtront pas, cette année, leur habituelle période de floraison ; ne laisseront à l’évidence pas, dans un peu moins d’un mois, parader la manne de leurs feuilles rougeoyantes. Cela n’est pourtant, et à cette heure, que le cadet des soucis des habitants de Tatsuno.
Etsuko observe sous le treillis relevé de sa fenêtre l’eau creuser la terre. Elle a déjà tout préparé... allumé un feu au centre de la pièce, dans le rectangle tapissé de sable découpé dans le plancher ; fait chauffer des litres d’eau, puis déposé les seaux en enfilade sur le comptoir à hauteur de l’ofuro (bain traditionnel japonais en bois de hinoki).
Près de trois mois qu’Etsuko n’a pas revu son amant. À sa dernière venue, l’été battait son plein, les invasions d’insectes aussi ; elle avait dû ce soir-là, comme les précédents, se résoudre à laisser le feu allumé – et ce malgré la chaleur – pour colporter la fumée dans la pièce et chasser les importuns. Comment oublier cette nuit... ils s’étaient donnés l’un à l’autre dans un éther enfumé, une touffeur moite, leurs corps étreints sur le shikibuton (matelas traditionnel).
Pas la plus petite aile battante d’un envahissant ce soir. Etsuko a néanmoins laissé flamber le feu suffisamment de temps pour s’assurer un lit de braises conséquent. Elle a autorisé, tout ce temps, l’air à pénétrer... un simple courant entrant par les ajours, disposés de part et d'autre du faîtage, pour chasser la fumée ; a rempli l’hibachi (dispositif de chauffage, de forme ronde, fabriqué à partir de bois de cyprès, et tapissé de glaise) avec quelques morceaux de bois ardents, et – une fois fait – porté la vasque jusqu’au tokonoma (petite alcôve au plancher surélevé, située en retrait de la salle principale) attenant à la salle d’eau. Elle a sorti deux bols en terre du gradin en bois, ainsi qu’un petit cercle en bois de mûrier, et les a posés sur le plateau en regard l’un de l’autre. Elle a attendu le murmure de la première ébullition – le frissonnement idéal pour le thé vert – avant de retirer la bouilloire de son lit de braises et la déposer sur son support. Voilà, tout était prêt...
… ne manquait que Kiyo.
La chaleur éthérée des braises s’élevant en volutes dans l’alcôve, la pensée de son amoureux tout proche, elle s’est entièrement dévêtue, déposant son kosode (ancêtre du kimono) à ses pieds, puis s’est enduite, sur les endroits de son corps, d’un peu d’huile de fleur de prunier. Les reflets de sa blancheur nue devant l’âtre dansant, elle s’est dirigée vers la fenêtre, assénant son regard sur le rideau nocturne. Non, ce jour n’est pas à marquer d’un trait sombre, malgré les larmes ininterrompues du ciel. Etsuko le sait, en son corps sourit.
…
Le battant coulissant du fusuma (porte coulissante) s’ouvre, le leste d’un pas fait protester le plancher. Etsuko sent battre son cœur ; elle ne l’a pas encore vu. Comme à chaque fois qu’il lui rend visite, elle laisse sa porte ouverte et s’enferme dans le secret de sa chambre. Son amant entre et emprunte le chemin de la salle d’eau, où chaque article sied méticuleusement ordonné. Elle l’attend au sortir, toujours dans le tokonoma, entièrement nue et parfumée, assise devant le ventre en fonte de la théière fumante... un rituel immuable, que jamais en un an elle n’a manqué. Mais pourtant... ce soir, elle se tient debout, appuyée contre le rebord de sa fenêtre.
Son pas pianotant, Shinzae Kiyomori s’approche dans son dos. Lorsqu’il se plaque, glisse ses mains sur la petite rondeur de son ventre, la courbe de son sexe s’enchâssant dans l’intervalle de ses fesses, elle ne peut retenir un souffle creux. Sa bouche se glisse juste sous son oreille.
– Suko.
Un murmure aveugle lui répond.
– Kiyo.
Il caresse ses mains sur sa peau d’huile, la presse tout contre lui pendant qu’Etsuko renferme ses paumes, l’enserre dans ses bras. Kiyomori la retourne, son corps nu empressant ses pointes contre le sien. Ses bords se posent sur ses lèvres. La langue d’Etsuko la première s’engouffre. Leur baiser se dessine devant la harde du vent sous le treillis levé. Leurs lèvres enfin se détachent...
Les premiers mots sont ceux d’Etsuko.
– Tu m’as manqué Kiyo... tout ce temps.
Le souffle de son amant consent :
– Tu m’as manqué aussi.
» Je t’ai cherchée dans le tokonoma ; tu n’y étais pas.
Elle rehausse doucement le coin de sa bouche.
– Reste-là, j’ai un petit quelque chose pour toi.
Kiyomori la regarde se diriger vers le tokonoma, se saisir d’un objet effilé, puis s’avancer vers le foyer au centre du shoin. Elle plonge un petit bout de bois dans le cœur amputé, attend quelques secondes que la verge s’enflamme. Elle revient ensuite vers la fenêtre et lui tend le kiseru (pipe longue et fine en bambou). Kiyomori s’en saisit et le porte à sa bouche, s’incline vers Etsuko qui, d’un geste cérémonieux, embrase le fourneau.
– Je l’ai préparé pour toi ; c’est du kizami (tabac taillé très finement) qui vient d’Himeji. Je l’ai eu par Araki ; il me l’a ramené cet été, à la toute fin du mois d’hachigatsu, avant que l’eau ne creuse les fossés.
Kiyomori aspire une longue bouffée et, soufflant un nuage vers le haut, entrouvre un large sourire.
– Merci Suko, c’est là un présent du ciel. Le kizami d’Himeji n’a pas son pareil. Je ne pensais pas en goûter à des lieues de la capitale ; surtout en ce moment, où il n’est quasiment aucun convoi sur les routes.
Etsuko incline d’un mouvement économe son chef. Sa petite voix se glisse.
– Profite de ce moment,
» … et de celui qui vient.
Elle s’agenouille aux pieds de Kiyomori, dos à la fenêtre, le sommet de sa tête à sa hauteur mâle. Sa main empoigne le sexe de son amant, et le séquestre dans sa bouche. Kiyomori la contemple en silence, tirant sur son kiseru couve ses liserés étreints. Les lèvres de son aimée glissent sur sa hampe, à chaque coulée cabrent son sexe. A présent mâté, son fourreau retroussé, les mains d’Etsuko capitulent sur ses cuisses ; elle relâche sa roideur neuve et dévale sa rampe jusqu’à ses deux âmes fragiles ; son regard levé vers son amant, remonte sa langue le long de son boutoir.
– Ohhh... Suko !!
Kiyomori se souvient de cette fois où sa bouche avait réclamé la sienne. Il se trouvait debout à cet emplacement même. Elle lui avait répondu son petit sourire désolé : « une autre fois » ; et avait ajouté : « et sors de cette fenêtre Kiyo, on risque de te voir ». Etsuko se montrait, déjà à cette époque, extrêmement prudente, ne voulait que l’on perçoive le tableau d’un homme à sa fenêtre. Mais ce soir, le chemin ne compte en passants que l’armada en nombre des gouttes, et la bouche d’Etsuko répond avec une hospitalité... mmm. Kiyomori savoure son enrobée suave, fixe les lèvres de sa promise. Il porte le kiseru à sa bouche, avale une bouffée tout en vagabondant son regard. Le piétinement qui s’abat sur le chemin couvre les chahuts discrets de sa succion. Etsuko gobe son sexe, le déguise de sa bouche, sa main droite enserrant sa garde. Comme elle est belle ainsi agenouillée, ses cheveux dénoués en bataille, coiffant d’un balancier son va-et-vient. Kiyomori rejette une volute de tabac, sitôt emportée par les hélices du vent. Il étrangle un geignement sourd.
– Oh, tu vas me faire jouir si tu continues mon amour.
À ces mots, Etsuko appose ses mains sur ses deux fesses, pousse leur renflement glabre à sa rencontre. Ses yeux se lèvent, épient dans le contre-jour sa réponse. Kiyomori ne peut empêcher sa main ; celle-ci se dépose sur sa coiffure fâchée, pénètre l’enchevêtrement de ses mèches. Etsuko s’empresse ses cheveux fouettés par le vent, introduit le longeron droit et sanguin dans sa bouche. Le sexe de Kiyomori disparaît puis reparaît, captif entre ses lèvres perlées. Il épanche un soupir, suivi d’un second, inspire bruyamment. Ses doigts se plaquent sur sa tête, l’emportent contre son bas-ventre. Le kiseru vers le bas, son cou tendu vers le haut, il rengorge un râle. Son portrait contraint, Etsuko ne cille pas, engloutit son plaisir ses yeux fermés. Il la contemple sans bouger, sa main crispée sur ses cheveux, expire un souffle terminal. Ses lèvres se retirent, libèrent leur otage veiné ; deux petits cils battent une respiration.
Kiyomori la relève doucement avec les bras, sa main se posant sur sa nuque emmène son chef sur l’articulation de son épaule. Son enserrée l’entoure, se serre fort contre lui. La chaleur de leurs corps, la fraîcheur des gouttes cinglant sous les traits jurant du vent... la main de son amant descend le long de sa colonne, son doigt coureur s’immisçant dans le tracé encaissé de ses fesses. Le visage d’Etsuko se redresse, sa bouche se couche sous son oreille.
– Viens... nous avons tout le temps.
Kiyomori fait tomber les derniers résidus de kizami par la fenêtre, avant de descendre le treillis en lattes et le bloquer sur les encoches du montant. Etsuko empoigne sa main, et le devance d’un bras ; il la suit, sa paume et ses pas dans les siens. Ils enjambent l’un après l’autre le plancher surélevé du tokonoma, et s’assoient à tour de rôle sur les genoux, sur le tatami dressé au carré.
– Le thé attend depuis ta sortie du bain. Si je n’étais pas aussi attentionnée, nous aurions pu le déguster son frémissement tout juste tu. J’espère que tu ne m’en veux pas ??
– Ce petit arrêt près de ta fenêtre... une délectable audience. J’espère seulement que tes lèvres l’ont autant apprécié que les miennes. Ce kizami mmm... une merveille !!
– Ainsi donc, tu affectionnes plus ton trait de bambou que la caresse de mes lèvres. Voilà qui est triste à entendre.
Kiyomori étire un fin sourire, capture la main de son hôte entre ses doigts.
– Ai-je devoir de répondre ??
– Peut-être ai-je besoin de l’entendre.
Il s’abaisse sur la paume de son aimée, dépose un baiser sur l’oie de ses veines.
– Le cadeau n’est pas le kizami. Je serais prêt à faire mon deuil de la pipe pour un seul ajour de ta bouche.
– Oh, voilà qui est beaucoup mieux... et habilement dit.
Etsuko attrape l’anse de la bouilloire et la présente au-dessus du plateau, verse l’infusion colorée dans chacun des bols, en prenant soin d’honorer en premier celui de son invité. Elle la repose sur son cercle, et incline un petit salut. Kiyomori lui répond et saisit l’arrondi de son bol, le lève à hauteur, le dépose dans sa paume avant de le tourner légèrement et le porter à sa bouche. Etsuko attend que ses lèvres aient quitté le bord avant de convier son bol, suivant le même rituel, auprès des siennes, et boire sa première gorgée. Ils se rendent un nouveau salut, puis reposent d’un geste unique les deux bols à thé sur le plateau.
Ils demeurent assis en seiza, à se regarder. Kiyomori le premier rompt le silence.
– Je le trouve même meilleur quand il a infusé un peu après son ébullition. Tu as bien fait ma fleur de faire une halte à la fenêtre.
– Les feuilles proviennent de la vallée d’Uji. On dit qu’elles livrent toute leur saveur dans le repos qui suit.
– Je n’en savais rien. Mais après tout, la ville capitale n’est pas si loin, et la région plus au sud plus proche encore. Tu sais mieux que moi la façon dont le thé de ces jardins doit être servi.
– Qui sait !! Si cette halte près de la fenêtre n’était pas pour laisser éclore la saveur de ce thé.
Kiyomori la dévisage, cherche une vérité dans le bal de ses yeux.
– Ah, si le thé, de ce rituel, doit être précédé pour s’en trouver meilleur, je veux bien sacrifier un peu de ma personne.
Le rire d’Etsuko retentit dans le tokonoma.
– Je n’en doute pas Kiyomori-Han.
» … Oh Kiyo-Pôn !! J’ai attendu ta venue. Quand j’ai vu ce matin ton mot sous la porte...
Kiyomori glissait toujours un petit mot plié, pour la prévenir de son arrivée. Elle savait dès lors qu’il passerait le lendemain le seuil de son entrée, mais pas avant la nuit tombée.
Kiyo détaille les petites mèches sauvages et anarchiques de sa coiffe, celles qu’il a libérées tout à l’heure devant la fenêtre, détache ses yeux sur le daish? (paire d'épées traditionnelles du samouraï) exhibé sur un bas présentoir contre le mur de l’alcôve. Son œil cette fois encore croise les lames.
C’est ici qu’il l’a fait.
Cette histoire, Shinzae Kiyomori la connaît...
… Naoie Suzuki.
Naoie Suzuki s’était rendu dans les terres intérieures pour éteindre les brandons de la révolte qui avait commencé à s’étendre, au plus fort de la grande famine de 1732-1733, celle que l’on nomma Ky?h?. Nombre de paysans venaient de voir leurs cultures de riz ravagées par des essaims de criquets deux années durant, un phénomène rare... le « unka no gotoku ». Une hausse de l’impôt sur le riz, consécutive à l’épuisement des réserves et levée par le shogunat Tokugawa, plongea un peu plus les habitants des campagnes dans la détresse et la nécessité ; un oratorio entraînant, dès les premiers grands froids de l’hiver 1733, une mortalité terrienne élevée chez les aînés et les plus faibles. Ces faits de famine, d’impôt et de saison, furent vécus comme une grande injustice par un groupement de villages de la province de Bansh?.
Samouraï attaché à son seigneur, Suzuki avait été envoyé pour rassurer les chefs de village et leur porter un subside prélevé sur les réserves du han. Il s’agissait bien sûr, et avant tout, de contenir la fronde avant qu’elle ne gagne l’ensemble des villages intérieurs. Mais il fut attaqué en chemin par une coterie organisée, le clan des Okami-Oni, qui avait eu vent d’un butin conséquent – des sacs de riz et sel, mais surtout un petit senry?bako pavé de koban (coffre contenant des pièces en argent) – que lui et ses hommes transportaient. Il fut dans l’affrontement sévèrement entaillé au ventre, et ne dut qu’à la garde entraînée de ses lames de déjouer la mort. Laissé pour tel et à terre, il fut trouvé et ramené par des marchands de la maison Hy?go, qui se rendaient à Akashi ; ils le trouvèrent inerte sur le bord du chemin, à un kilomètre en amont de l’embuscade. Naoie Suzuki se remit très difficilement de sa blessure. Et pour ce qui est du déshonneur d’avoir failli à sa mission... il en va de certains tissus qui ne peuvent être lavés. Il succomba peu de temps après, se donnant seppuku à l’endroit fraîchement refermé de son entaille, dans le tokonoma de sa maison. C’est là, quoi qu’on en dise, un triste destin pour un homme d’honneur ; et un plus triste encore pour celle qu’il abandonne à la douleur et au deuil. Etsuko hérita de la maison, et d’une rente à vie octroyée par le Daimy?, avec l’ordonnance de porter le nom, afin d’honorer la mémoire de son défunt guerrier et époux.
« À l’époque féodale, nous croyions que la sincérité résidait dans nos entrailles. »
L’ordonnance d’un Daimy? est indéfectible. Et même si la valse des saisons charrie les années et que le Daimy? rend son souffle dernier, les ordonnances en cours sont remises, sur des feuillets de washi, au nouveau seigneur. Par une volonté double, de son époux et du Daimy?, Naoie Etsuko était vouée à embrasser la vie de veuve. Les années se succédèrent – d’un réconfort solitaire – où elle respecta son ordonnance, ne leva pas même un regard sur le pas d’un homme. Jusqu’à ce jour...
… où elle rencontra Kiyomori.
Mais laissons aux vents de la mer intérieure ce temps de malheur et déshonneur, et revenons au soir pluvieux de ce récit.
Kiyo repose son bol à thé sur le plateau, à côté de celui de Suko. Son regard se détourne vers le sac de chanvre, posé dans un coin du tokonoma.
– Que caches-tu à l’intérieur ??
– Oh... quelques cordes, rien de plus.
Son sourire s’étire, petit trait cintré entre ses pommettes qu’Etsuko lui connaît si bien.
– Des cordes... et que veux-tu en faire ??
– J’ai rencontré un homme, Shikuza Eitar?, qui les utilise d’une façon...
– Dis-moi plutôt ce que tu as en tête.
– Il connaît un agent de la force publique, qui lui a montré les différentes façons d’attacher un prisonnier. Le fonctionnaire fait partie de l’école Agawi. Ses disciples, à ce qu’on dit, sont passés maîtres dans l’art du Zainin Shibari.
– Et pourquoi me dire tout ça Kiyomori-Han... tu veux m’attacher ??
» … et que feras-tu après ?? Tu me mèneras par la corde devant le seigneur. Ce n’est pas très malin, Baka !! Tu seras flagellé aussi... Mutchiuchi, même si tu travailles pour le bras du Daimy?.
– Eitar? s’est approprié certaines techniques de l’école, leur façon de nouer les nawa (corde). Il exerce son talent sur les femmes qu’il rencontre. La contrainte devient alors le centre de leurs jeux.
– Leurs jeux ??
– Tu as très bien compris mon amour.
– Oui, tu veux m’attacher... comme une vulgaire prisonnière.
– Non, comme une aimée, qui me serait offerte.
Etsuko dévisage son amant. Elle sait qu’elle se donnera ce soir à lui, en son for... sait qu’elle sera sienne, attachée ou pas.
Kiyomori sans un mot se lève et se dirige dans le coin du tokonoma, saisit le cou du sac et se pose sur ses articulations derrière Etsuko, assied la balle à côté de sa jambe pliée. Une petite voix agenouillée le questionne :
– Je ne t’ai même pas demandé comment tu as fait pour venir ?? Aucun convoi n’emprunte les chemins.
– À croire qu’il reste quelques hardis... j’arrive d’Ak?. J’ai profité du chargement d’un marchand d’étoffes pour faire le voyage. La route était, sous son berceau, praticable ; un chemin défendu de pierres plates, qui ne boit que très peu l’eau. Les bœufs se sont bien enlisés deux ou trois fois à découvert, mais s’en sont sortis sous les harangues du marchand ; une chance.
Kiyo défait le nœud ficelé du sac et ouvre son col.
– Ohh, et tu es venu pour moi Kiyomori-Chan ??
» … si tu dis non, c’est moi qui vais t’attacher avec tes cordes et te jeter ficelé devant ma porte.
Sans rendre un mot, son visiteur du soir extirpe trois cordes et les enroule en serpents sur le sol.
– Bah, j’ai de tout temps adoré voyager sous des trombes d’eau, ballotté sous une bâche humide, l’odeur musquée et trempée d’un wagyu (bœuf japonais) repoussant mes narines. Tu devrais le savoir.
La tenaille d’un pincement fait sursauter Kiyo, et chasse d’un mouvement sa cuisse sur le côté.
– Ce n’est pas ce que je veux entendre Baka !!
Suko se radoucit et file une main en arrière, sur la cuisse de son amant, à l’endroit où ses ongles se sont refermés.
– Tu restes quelques jours ??
– Je repars avec le marchand dès que la pluie le voudra, il va jusqu’à Takasago. Il nous faut encore attendre car la route, aux dires des uns, n’est pas praticable à partir d’Himeji. Je dois m’y rendre pour m’entretenir avec M?ri Toshimichi. Je profiterai pour une bourse de mon (pièce en cuivre frappée d’un trou carré en son centre) de son transport.
Les mains de Kiyo, studieuses, étirent une longueur de corde.
» Je veux lui présenter Eitar?.
– Ah, ton maître des cordes !! Humff, et il est où en ce moment ??
– Nous le prendrons quand nous nous arrêterons à Himeji. Le marchand est d’accord, j’ai dû rallonger quelques mon.
– Hum, je vois que tu as tout prévu. C’est à se demander si c’est vraiment pour moi que tu es là.
Kiyomori ne relève pas le commentaire, et calmement distend les tresses dédoublées de la corde, fait passer celle-ci entre ses doigts jusqu’à sa boucle.
– Eitar? lui fera une démonstration, nous demanderons la participation d’une de ses servantes. Crois-moi, je l’ai vu à l’œuvre, et ce qu’il fait avec ses cordes devrait beaucoup intéresser M?ri Toshimichi.
– Le bras sera content, et ensuite ?? Tu auras droit à quelques compliments, tout au plus.
– Eitar? lui jouera le grand jeu. Après ça, s’il n’est pas conduit devant le seigneur...
» Tout le monde sait que le Daimy? aime à s’entourer de compagnie, et qu’il affiche en privé certains penchants. Quand il verra ce dont est capable Eitar?, ses concubines entravées dans des positions dont il déliera le secret... Si la représentation plaît au Daimy?, M?ri Toshimichi nous récompensera tous les deux.
» Il y a trop longtemps que je n’ai présenté quelqu’un Suko ; s’il prenait au bras de perdre patience. Eitar? est une providence.
– Tout ce petit monde... et moi dans tout ça ?? Ne suis-je là que pour compter le temps ?? En attendant que la pluie cesse et que tu files au train des bœufs.
La main d’Etsuko empoigne le sexe de Kiyo, le fait coulisser entre ses doigts.
– Ouuuhh, non ma douce.
» Quand je me suis retrouvé coincé à Ak?, sachant Tatsuno à portée de roue, j’ai tout fait pour trouver chand prêt à prendre la route. Il n’en était pas un pour vouloir courir le risque. J’ai dû attendre des jours avant de rencontrer ce marchand. Il connaissait un chemin, s’enfonçant sous un couvert, pouvant tenir l’empan d’un chariot pas trop large, qui selon lui ne serait pas noyé sous la boue. Et comme il avait une commande importante à livrer à Takasago, et que je lui offrais un joli faix de mon... il a décidé de s’avancer un peu.
» C’est à toi que je pensais Suko... j’ai payé rondement ce marchand.
– Oh Kiyo-Pôn !! Et à défaut de mon, te voilà avec un chapelet de cordes.
Le sourire mutin d’Etsuko se tourne, se ravise à la vue des torons tendus. Son amant, sans un mot, glisse ses mains sous ses aisselles et tire deux raies par-dessus ses seins. Suko sent le haut de sa poitrine se serrer quand Kiyo ferre et réarme ses bras en avant. Il repasse dans la boucle, prend son encoche et trace un trait double, marqué d’un suivant, sous le rebond de ses seins. La corde serpente dans les anses, se bande sous ses gorges blanches. Elle ne le voit pas, observe le ballet de ses mains, éprouve l’attouchement constricteur du taima. Le nœud conclu dans son dos, la corde chevauche son omoplate, dévale et pique entre ses seins, ramasse le quatuor lacé sous sa poitrine avant de remonter sur son épaule opposée et disparaître derrière. Kiyomori conduit la corde dans les lacets avant de lever une boucle sous la croisée et s’insinuer à l’intérieur. Il tire un coup sec et fort, puis enroule le cordage autour des bretelles se rejoignant. À chacun des tours, celles-ci se resserrent, scellant un peu plus le corset de chanvre. Il finit par un nœud simple, laissant deux queues de corde penduler.
Suko essaye de gonfler son buste, mais les cordes passées autour et entre ses seins l’en empêchent. Kiyomori fouille dans le fond du sac et en retire une fiole d’une teinte vert foncé. Il ouvre le bouchon et verse un petit ru opaque dans le creux de sa main. Il laisse filer la corde entre ses doigts, fait aller et venir sa main sur une courte longueur. Il arrête un nœud sur le toron du haut et descend la corde entre les fesses assises de sa promise. Etsuko sent un frisson grimper le long de son échine. Oui... Kiyomori n’en a pas encore fini.
Il immisce la corde entre ses cuisses, la loge dans la faille brunie de ses fesses et plaque les tresses entre les plis de ses petites lèvres. Suko rend un souffle intérieur en sentant les torsades se presser contre sa vulve. Elle ne cille pas, cambre timidement son derrière. Kiyomori se place face à elle et tire les deux raies vers le haut. Il se croche sous sa poitrine et tend sèchement la corde vers le bas, avant de croiser les deux longes sur la jonction du harnais et conclure par un nœud très serré. Il toise Suko en redressant le tronc, admire le chemin des cordes, son tableau geôlier, les fibres bandées sur sa peau.
– Ça serre Kiyomori-Han !!
– C’est voulu ma douce ; la contrainte fait partie de ce jeu.
» Maintenant, tu vas te mettre à quatre pattes, ta tête tournée sur le sol.
« Voilà qui est très vilain Kiyo, je suis toute attachée. »
Etsuko se place sur ses mains et genoux, abdique sa tête et couche son visage sur les lattes, son corps à cheval sur le tatami. Kiyomori renchérit :
– Tends tes deux mains derrière.
Elle joint ses bras en arrière, sur la pente de son dos. Kiyomori attrape une corde raccourcie et, rapprochant ses poignets, les enserre dans une tête d’alouette, enroule deux tours et forme une boucle par-dessous. Il engage la corde à l’intérieur et tire un grand coup, resserre les deux parties... examine, une fois fait, ses menottes attachées. Naoie Etsuko s’infléchit silencieuse, dans une profession soumise.
Kiyomori rompt à genoux derrière ses cuisses, ses mains s’avancent et caressent ses rondeurs. Comme il aime sentir entre ses doigts leur chair adipeuse, l’arc bombé de ses fesses, leur tissu qui s’enfonce et s’ouvre. Il les écarte, découvre les signets de chanvre jumelés. Il empoigne la corde et la tire vers le haut, la fait lentement coulisser entre ses fesses. Suko réagit aussitôt, la corde frottant sur sa muqueuse, évince un soupir. Oui, la fiole... l’huile enduite sur les brins pour agrémenter son passage. Ses perles naissantes se mêlent invisibles à l’huile de graines de chanvre ointe sur les torons. Kiyomori resserre son œuvre ; la voix de son aimée s’élève. Il s’approche au-dessus de sa geste et argue son sexe, l’abdique sur ses doigts réunis. Suko referme ses mains sur son membre chaud, caresse sa veine. La corde tendue s’ébat sur sa variation lubrifiée. Ses pommettes exhaussent deux petites aréoles, elle regorge un soupir, le théâtre de son plaisir sévissant dans son val. Kiyomori goûte une dernière fois à l’attouchement de ses doigts, puis repose la corde dans le sillon de sa raie. Il saisit chacune des cordes et écarte, avec ses mains, les deux torons, les éconduit – en prenant soin de ne pas blesser ses lèvres – de chaque côté de sa fente. Son regard se lève sur son Shibari-Sensei... Suko sent la raideur d’un sexe entrer dans son aven étroit.
Sa bouche s’entrouvre, sa respiration s’épaissit, elle ressent sa présence. Son souffle cabane sur le tatami, elle clame un plaisir transgressé, le doux supplice d’être prise, pénétrée sans le secours d’un mouvement, dans son plus fermé et farouche orifice. Kiyo écarte ses fesses et approfondit son exploration, investit ses entrailles. Il referme ses doigts, tire sur le nœud surhaussé. Le visage de Suko obéit à son injonction, se soulève de la natte, encouragé par les cordes. Kiyomori assujettit son anus, son corridor gardé. Sa captive s’appesantit sur ses genoux ; elle anhèle, sa station culbutée par des assauts arrière. Elle consent, son tréfonds assiégé, son plaisir soumis à terre. Il la possède sur la natte en jonc tressée, force ses ruades en tirant sur la croisée des cordes. Ses coups véhéments claquent contre sa peau. La bouche de Suko se desserre, ravale un doux déchirement, une investiture dans son noir abîme.
« Ouiiiiiii Kiyo !!!! Ohhhhmmmmmmmmnnnnnnnn. »
La queue de son amant la pourfend, lève le siège d'Osaka, nourrit la rébellion de Shimabara. Sa paroi enténébrée s’écarte contrainte, appelante, enhardit ses doléances. Elle regorge chaque enfoncée d’un petit cri souffrant, étrangle un souffle... avant que le corps de Kiyomori ne rompe. Il s’immobilise sur son corset de chanvre, son lustre transpiré, prend appui sur ses bras pour se redresser. Il caresse la peau cuivrée de ses fesses, mordorée sous l’éclairage (un andon, et son cadre en bambou drapé de papier ; un ariake-andon, posé dans un coin du tokonoma, et ses formes découpées figurant les trois phases de la lune), laisse aller et venir son bâton... ralentit enfin. Un contingent de sueur défile sur son torse, la position pénitente, obéie d’Etsuko s’offre à sa vue... devant les oni et le kappa.
Elle relâche son souffle, sa respiration ; Kiyo se retire. Il exerce deux foulées, se penche et ouvre un petit coffret en bois et son couvercle coulissant, attrape à l’intérieur le kaiken de Suko. Il sait bien sûr qu’elle le range là... revient sur ses pas et tranche d’un coup de lame le doublet de cordes comprimant les plis de son entrejambe. Il se déporte sur son côté, commence à défaire le nombre des nœuds. Sa muse ne bouge pas, expire une aria vaincue ; son visage couché défie le sexe pendant de Kiyo. Tandis qu’il dénoue patiemment les cordes, elle ouvre sa bouche et agace avec sa pointe le renflé de cette verge aventureuse. Un passement de chanvre entre ses doigts, Kiyo la regarde, laisse serpenter la corde sur le sol, puis cale sa paume sous son sein et l’aide à trouver une pose agenouillée. Ses gestes l’entourent, libèrent les matons de sa poitrine, délivrent ses épaules. Quand le dernier toron tombe sur le tatami, il appose ses mains sous les bras d’Etsuko et l’invite à se lever. Détendant ses muscles fourmillants, elle se relève, son sang circulant se blottit sans un mot contre le torse suintant de son amant, verse sa tête contre sa poitrine. Il conduit sa main dans sa herse défaite ; sa voix souffle dans le centon de ses cheveux.
– Je vais installer le lit si tu veux.
Kiyomori descend son visage, Etsuko monte son blanc minois, s’apprête à répondre quand...
– Tu entends ??
– Quoi ??
Elle s’immobilise, prête une oreille fugitive.
– Je reviens.
Kiyomori descend la petite hauteur du tokonoma et se dirige vers l’oshiire, ouvre la porte coulissante et emporte sous un bras le tatami, sous son autre le shikibuton, tous deux pliés dans le placard. Il déroule la natte à terre, en regard du feu, puis la recouvre avec le matelas. Il s’approche de la flambée domestique, ramasse un fagot serré d’hinoki et le dépose dans la nourrisse du feu, sur le lit pâlissant des braises. Les flammes sitôt se réveillent et crépitent, se repaissent de cette nourriture fraîche. Kiyomori s’allonge sur la couche, couvre le bas de ses jambes avec le drap de coton, observe Etsuko devant le cadre de la fenêtre. Son envers nocturne, ses petits reflets lutins, le tableau mouvant renvoyé par les ondulations du feu. Elle relaxe le treillis en bambou et marche son pas nu vers le lit agencé sur le sol, s’allonge aux côtés de Kiyo et se pelotonne dans ses bras. Suko verse un œil assombri, se serre fort contre lui. Son visage Antigone, ses lèvres trahissent : « il ne pleut plus ».
Une flamme rebelle s’emporte d’un coup...
Soyez la première personne à aimer.