Une histoire d’avortement… avec un peu de pyjama dedans
J’ai un lourd passif avec l’avortement. Une histoire de famille, un peu taboue, un peu cachée… et pourtant bien réelle.
Je suis l’aîné d’une fratrie de six enfants. À dix ans, j’avais déjà une bonne idée de ce que « grande famille » voulait dire. Mais un jour, paf : maman tombe enceinte du septième. Oui, le septième.
Notre médecin de famille, toujours prompt à faire de l’humour de salle d’attente, s’est fendu d’une blague :
« À chaque fois que votre mère lave le pyjama de votre père, elle tombe enceinte ! »
Sauf que cette fois, ça n’a pas fait rire maman.
Elle a répondu, bien sérieuse :
« Soit vous trouvez une solution, soit je divorce. »
C’est ce qu’on appelle un ultimatum propre et net.
À l’époque, je n’ai rien su. Juste que notre grand-mère est venue s’occuper de nous, et que mes parents sont partis en voyage en train. Pourquoi ? Je ne me souviens plus du prétexte donné, mais en tout cas, ils sont partis.
Quelques jours plus tard, papa est revenu. Seul.
Et là, il nous annonce qu’il doit repartir, en voiture cette fois, pour aller chercher maman. Comme il n’avait pas envie de faire le trajet seul, il m’a demandé de l’accompagner. Et c’est pendant ce voyage qu’il m’a tout expliqué.
J’avais 10 ans…
Nous voilà donc partis en Citroën Traction Avant, en plein hiver, direction Genève, pour rejoindre la clinique où ma mère était hospitalisée.
Les détails de la suite se sont un peu effacés avec le temps, mais je me souviens du jet d’eau de Genève, immense et hypnotique… Je me souviens aussi des paquets de cigarettes, bien moins chers qu’en France, et de mon père, qui fumait encore à l’époque, tout surpris en ouvrant un paquet : cinq fausses cigarettes à l’intérieur. Tromperie sur la marchandise, version helvétique.
Et puis il y avait cette clinique.
Je me souviens surtout de la porte de la chambre de ma mère. Une porte monumentale, recouverte de cuir avec des clous dorés. Elle menait à un sas, lui aussi doté d’une porte identique. Impossible d’ouvrir la seconde si la première n’est pas fermée. Un système de confinement presque solennel, entre mystère et asepsie. Ce sas, c’était comme un entre-deux mondes.
Celui de l’enfance… et celui de ce qu’on ne dit pas.
J’avais 10 ans.
Et puis, bien plus tard, il y a moins d’un an, j’ai posé une question toute simple à ma mère :
« Comment avez-vous payé tout ça ? »
Elle m’a répondu calmement, comme si elle me donnait une recette oubliée :
« C’est un grand-oncle à nous qui a donné l’argent. »
Un nom perdu dans la généalogie, mais une aide bien réelle.
Ce genre de choses qu’on tait, qu’on enterre comme les souvenirs. Mais qui finissent toujours par refaire surface.