De la poésie à l'art, de l'art au produit

Suite à un débat sur l'art contemporain sur le mur général, j'avais envie d'exprimer mon point de vue plus en détail. Écrire c'est préciser sa pensée, comme lorsqu'on parle mais avec plus d’exactitude, au détriment de la spontanéité que donne l'oralité. Mais au delà de la pensée, celle qui nous sert à raisonner, il y a ce qu'on a appelé tantôt l'inconscient tantôt la conscience même, tantôt l'esprit, l'âme, etc, tout dépend de notre philosophie, de notre spiritualité même. Entre ces deux niveaux, je dirais qu'il y a la Poésie. Ou plutôt la sensibilité à la Poésie inhérente à la vie, que cette sensibilité soit émettrice (l'artiste) ou réceptrice (les autres). Entre l'émission et la réception, il y a un médium, un véhicule, c'est l'art. Sous toutes ses formes : écriture, poétique ou non, théâtre, image & plastiques, musique & chant, danse, etc. Platon définissait l'art comme une imitation de la réalité, ou une espèce de dévoiement inutile de l'artisanat. Aristote trouva au contraire à l'art une utilité (donc justification aux yeux de la société, du moins de la République). Mais à l'époque, on parlait d'art uniquement pour les arts plastiques ou graphiques (beaux arts). Les formes d'art les plus spontanées, où on ne triche pas, où on est nu face au récepteur, seraient pour moi le chant, la danse et le théâtre, car reposant sur une interprétation éphémère, unique (même si renouvelée), sans besoin d’outil ou d’artifice. Mais aujourd'hui le mot "art" englobe tant d'acceptions, tant de formes différentes d'expression que la définition en est plus compliquée. De plus, il est certain que la plupart de ces formes d'expression connaissent hélas de façon exponentielle une surenchère de galvaudage et un consumérisme spéculatif regrettables. Avant, le Beau était la référence, éventuellement associé à l’imitation du réel ou à l’onirisme, puis après les Lumières et l'industrialisation, il y eut un enchaînement de références, de tendances (principalement le surréalisme) qui ont commencé — sincèrement au début — une surenchère violente, aboutissant à des excès de facilité, provocation, décadence, imposture, commerce. Jadis, la plupart des œuvres artistiques étaient motivées par la spiritualité. Puis, avec la société de consommation moderne, l'œuvre est devenue un produit. Et chaque nouveau produit revendique le jamais vu, le sensationnel, et s'il engendre une mode, voire provoque un scandale, c'est gagné. La décadence notamment, toujours adaptée à son époque, a toujours été prestigieuse pour beaucoup et rédhibitoire pour les autres, mais a toujours compté dans les critères de modes. Consensuel, galvaudé, l'art subit cette surenchère, mais qui ne peut pas durer indéfiniment. À un moment ça implose, et on obtient du n'importe quoi. Une boîte de merde, un bout de moquette, un alignement d’objets du quotidien, peu importe, du moment qu’on y colle une “démarche“ en guise de prétexte, un prix exorbitant comme garant de valeur, et une promotion attirant à la fois les gogos et les spéculateurs. Cependant, car il y a deux revers sur la médaille, une certaine universalisation de la culture déclenche un volume croissant de créativité comme il était inenvisageable d'en voir avant les évolutions techniques (et de qualité de vie) comme l’informatique, donnant à une grande partie de la population un accès facilité à une “créativité assistée“, ce qui nous permet tout de même de découvrir, au sein de la masse d’“œuvres“ désormais réalisées par n’importe quel premier venu, quelques grands talents, même s'ils ne sont pas ceux qui ont le plus de succès (ou de moyens, ce qui hélas peut revenir au même). Et il arrive qu'un jour on pose la question "pour toi, l'art c'est quoi ?". Ce qui précède y répond en partie pour ma part, mais pour préciser, je dirais qu'un artiste authentique à mon sens, c'est la personne qui, sans rien sur une île déserte, saura m'émouvoir d'une manière ou d'une autre, avec juste son talent, sans équipement technique. Après vient la technique, mais seulement après. Bref pour moi, à la base de toute forme d'art, il y a la Poésie. Celle qu'on capte, inhérente au monde, et celle avec laquelle on restitue, on crée. Filo