Méridienne d'un soir
par le 18/11/19
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"Je suis célibataire, catholique de naissance, païen de foi ; je n'ai pas d'opinion politique ; j'aime les femmes,
les cigarettes, la langue espagnole, les bains chauds, les peuples du Sud et les longues siestes.
Enfin, je trouve que la littérature est un art bien impuissant auprès de l'admirable musique..."
Profession de foi lapidaire faite en 1897, de la part d'un auteur qualifié trop souvent d'érudit farfelu, et de décadent.
En réalité, Pierre Louÿs (1875-1920) était une personnalité originale, aussi bien par son œuvre que par son destin même.
L'intellectuel, poète et écrivain, de la fin du second Empire, également critique et photographe,
auteur de romans, "Aphrodite" (1896) de mœurs antiques et "La Femme et le Pantin" (1898),
inspiré des mémoires de Casanova, linguiste, photographe, voua toute sa vie,
dans son œuvre érotique, au style raffiné et élégant , un culte obsessionnel pour le corps féminin.
Né à Gand en Belgique, le 10 Décembre 1870, mort à Paris, le 4 Juin 1925, la naissance de ce dandy,
helléniste distingué et licencieux compulsif, de famille proche de Napoléon III, constitue déjà une énigme.
Il fut probablement le fils de son demi-frère aîné, brillant diplomate, en poste en Égypte puis en Russie,
avec lequel il échangea, toute sa vie, une correspondance régulière et fournie.
Lors de la mort de sa mère, petite fille du chirurgien particulier de l'Empereur Napoléon Bonaparte,
le haut fonctionnaire rattaché au Quai d'Orsay se chargea avec beaucoup d'attention de son éducation.
En 1882, il devint élève à la prestigieuse mais rigoureuse, école Alsacienne, où il se lia d’amitié avec Gide.
Rédigeant ses premiers textes érotiques, il se rapprocha du mouvement poétique, le Parnasse,
fréquenté par Leconte de Lisle, Gauthier, Beaudelaire, Verlaine, Mallarmé, et José-Maria de Heredia.
Il demeura proche de Théophile Gauthier mais s'éloigna rapidement de Gide.
Leur amitié était vouée à l'échec, tant le caractère des deux hommes était différent.
Nouée sur les bancs de la classe de rhétorique de l'école parisienne, par leur passion commune,
pour la Littérature, elle ne résista pas à la volonté d'imposer chacun sa figure artistique.
Pierre Louÿs était un jeune homme précoce, érudit, féru d'Antiquité, dépensier et collectionneur d'aventures féminines.
André Gide de son coté, calme, réservé et sensible, pudique, chaste jusqu’à la découverte tardive de son homosexualité.
Le protestantisme de Gide, son puritanisme et son moralisme intransigeant irritaient considérablement Louÿs.
Le libertinage forcené de Louÿs, sa légèreté de caractère et son goût pour le persiflage et les frasques exaspéraient Gide.
Oscar Wilde, dédiant sa pièce "Salomé" dit de lui: "Il est trop beau pour n'être qu'un homme,qu'il prenne garde aux dieux."
Il entra à Janson de Sailly et obtint son baccalauréat en 1889.
En 1890, Pierre Louÿs fit la connaissance de Paul Valery à Montpellier.
Ébloui par son intelligence, il le fit connaître à André Gide.
Fondée sur un authentique respect intellectuel mutuel, l’amitié de Louÿs et Valéry fut plus profonde,
plus durable et plus gratifiante que celle de Gide et Louÿs.
Il commença à fréquenter les rencontres littéraires de Mallarmé et de José-Maria de Heredia.
En 1891, il créa "La Conque", revue littéraire : Mallarmé, Leconte de Lisle, Verlaine, Valéry, Moréas,
Gide et Louÿs y publièrent des poèmes dans le style symboliste et parnassien, inspiré de mythologie grecque.
Il y édita également ses premiers vers licencieux, avant de les réunir dans un recueil "Astarté" (1892).
Sous la forme de poèmes lyriques grecs, courtes pièces précieuses, teintées d'un léger érotisme.
Ayant atteint la majorité, il hérita de son père, le mettant à l’abri pour quelques années.
Il adopta alors des habitudes de rentier qu’il conserva toute sa vie sans toujours en posséder les moyens.
En 1893, visitant Maeterlinck en compagnie de Debussy, il obtint l'autorisation d'adapter "Pelléas et Mélisande."
Fréquentant la famille Heredia, il succomba au charme de l'une des filles, Marie, la plus douée et la plus jolie.
Malheureusement, ce fut son ami Henri de Régnier qui l’épousa, trahissant le pacte secret qui les unissait.
Aucun des deux ne devait se déclarer sans avoir prévenu l'autre.
Profitant d'une absence de son ami, Henri de Régnier demanda et obtint la main de Marie de Heredia,
persuadée que Pierre Louÿs ne s'intéressait plus à elle, mais le lendemain de ses noces,
Marie, détrompée, se donna à Louÿs, le conservant longtemps pour amant.
La fortune personnelle d'Henri de Régnier fut souvent sollicitée pour venir en aide aux Heredia,
alors même que l’écrivain impécunieux était préféré par elle.
En juin 1914 parut sous le nom de Gérard d’Houville "Le Séducteur", inspiré à Marie de Régnier,
par les origines cubaines de sa famille.
En 1918, elle fut la première femme à recevoir, pour son œuvre, le prix de Littérature de l’Académie française.
Son deuxième recueil, "Les Chansons de Bilitis" (1894) est demeuré célèbre comme supercherie littéraire.
En effet, Louÿs mystifia la critique, le prétendant traduit du grec, l'attribuant à une poétesse,
de l'âge lyrique, contemporaine de Sappho.
Du Parnasse et du symbolisme, le jeune esthète a retenu la sensualité païenne et le goût de la beauté juvénile.
Des descriptions de paysages, et des scènes érotiques, se dégage un paganisme tendrement bucolique.
Claude Debussy composa un accompagnement pour trois des chansons du recueil: "La Flûte de Pan",
"La Chevelure" et "Le tombeau des Naïades."
Le sulfureux photographe David Hamilton s'en inspira très librement pour réaliser en 1977,
le film "Bilitis", jugé "épouvantablement mauvais" par la scénariste elle même, Catherine Breillat.
Son premier roman, "Aphrodite, mœurs antiques" (1896), narra le culte de la beauté formelle.
Il séduisit par son aspect licencieux, sa peinture de la volupté, rappelant les œuvres esthétiques des parnassiens.
La justesse de l'érudition et la finesse des observations légitimèrent le succès qu'eut ce tableau en alexandrins.
Il fut adapté pour la scène lyrique en 1906.
Suivirent de nombreux voyages en Algérie, dont il ramena une très jeune maîtresse, Zorah ben Brahim,
ne voyant en elle qu'un objet de plaisir, tout en continuant à entretenir des relations amoureuses,
avec la femme de sa vie, Marie de Régnier.
Celle-ci donna naissance à un fils qu’elle appela Pierre.
Louÿs fut officiellement le parrain de cet enfant, surnommé Tigre, dont il était en réalité, le véritable père.
En 1899, le romancier finit par se résigner à épouser, en 1889, la sœur cadette de Marie, Louise.
Célébré à vingt-quatre ans pour "Les Chansons de Bilitis", facétieux amateur de mystifications littéraires,
applaudi également pour trois romans, "Aphrodite", "La Femme et le Pantin", "Les Aventures du Roi Pausole".
Sa production littéraire lui permit de voyager et de s’installer dans un hôtel particulier,
au 29 rue de Boulainvilliers, dans le 16 ème arrondissement de Paris, dans lequel il vécut jusqu'à sa mort.
"La Femme et le Pantin" fut adapté pas moins de cinq fois, au cinéma, par Reginald Barker en 1920,
par Jacques de Baroncelli en 1929, par Josef Von Sternberg avec Marlène Dietrich en 1935, par Eddine Sameh
en 1946, par Julien Duvivier avec Brigitte Bardot en 1959, enfin par Luis Buñuel,
en 1977, dans le film "Cet obscur objet du désir" avec Carole Bouquet et Fernando Rey.
Dans "Trois filles de leur mère", il céda avec cruauté et sadisme, à la narration effroyable de la vie d'une prostituée,
vendant les charmes de ses filles âgées de 20, 14 et 12 ans.
En 1902, Pierre Louÿs fit la connaissance de Natalie Clifford Barney, femme de Lettres américaine,
ouvertement homosexuelle, fascinée par Sappho, tenant rue Jacob à Paris, l'un des derniers salons littéraires.
En 1903, Pierre Louÿs, âgé seulement de trente trois ans, ayant dilapidé sa fortune, vit sa situation financière se dégrader.
Bibliophile reconnu, il s’enferma alors dans un travail de recherches littéraires, continuant sa fréquentation assidue,
de prostituées de tous âges et de toutes conditions.
Quelques adaptations de ses œuvres au théâtre, de sporadiques parutions de poèmes émaillèrent son activité littéraire.
En 1910, lors d’un séjour à Tamaris, il se montra incapable de régler la note de l’hôtel.
Divorçant de Louise de Heredia en 1913, il entretint des liaisons avec de jeunes actrices, Jane Moriane,
Claudine Roland, ou la beauté fatale, Musidora, muse des surréalistes.
En 1916, exhumant des notes rédigées lors de sa liaison avec Marie, il écrivit un poème, chef d’œuvre lyrique,
le Pervigilium Mortis, publié vingt ans plus tard.
A partir de 1917, accablé de difficultés financières, il perdit son demi-frère, sans doute son véritable père.
Il du se résigner à vendre sa bibliothèque riche de plus de 20 000 volumes.
Pierre Louÿs, paralysé, à moitié aveugle, victime de ses excès (opium et cocaïne) sombra dans la solitude.
Ses plus fidèles amis resteront jusqu’à la fin, les écrivains Lebey et Farrère, auteur de "Fumées d’opium",
prix Goncourt 1905, élu à l’Académie française en 1935.
Il mourut le 4 juin 1925 d’une crise d’emphysème.
Pierre Louÿs fut un écrivain érudit et talentueux, moderne et libertin, complexe et fragile, non sans failles et faiblesses.
Il repose au cimetière du Montparnasse à Paris.
" Plus tard, ô ma beauté, quand des nuits étrangères
Auront passé sur vous qui ne m’attendrez plus,
Quand d’autres, s’il se peut, amie aux mains légères,
Jaloux de mon prénom, toucheront vos pieds nus, .."
Bonne lecture à toutes et à tous,
Méridienne d'un soir
16 personnes aiment ça.
très bonnes explications bien documentées, reste à (re)lire son oeuvre pour en éprouver encore de la jouissance!
J'aime 18/11/19
legenoudeclaire
Merci Méridienne d'un soir ... sans oublier la formidable adaptation cinématographique de Bunuel .... "cet obscure object du désir"
J'aime 19/11/19
d'après son portrait, il ressemble quasi trait pour trait - physiquement- à Marcel Proust, qu en pensez-vous?
J'aime 19/11/19
Condor
Bonjour Méridienne! Merci beaucoup pour cette article ! Toujours très bien ouvrir le thème
J'aime 20/11/19
Cori Celesti
Merci pour cet article, comme toujours bien documenté. On ne se lasse pas d'enrichir notre culture grâce à vous ma chère. Je me suis absentée quelques temps, et c'est un vrai plaisir d'avoir tant de lecture à rattraper, surtout de cette qualité 1f642.png
J'aime 20/11/19
insolence
Merci Méri pour cet article toujours plaisant à lire, bises
J'aime 15/01/20