Méridienne d'un soir
par le 04/02/20
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Même si le texte anticipe celui du "Troisième belvédère" d’environ dix ans, son contenu aborde le même sujet.
Ce qui change c’est la perspective. Ici, la réflexion est menée afin d’élaborer un avis positif du roman de
Pauline Réage. Ainsi, Mandiargues, utilise-t-il "éros" comme synonyme d’"érotisme" et non comme le nom d’un
personnage mythologique ou bien en faisant allusion à la pulsion freudienne. De même que dans l’essai précèdent,
Mandiargues se plaignait de la mode du mot "érotisme."
En 1958, l’écrivain était plutôt pessimiste par rapport à son avenir: " […] il va connaître un mauvais destin, le pire
dont les mots soient capables et tristement devenir passe-partout. Galvaudé bientôt, il n’aura plus d’éclat, presque
plus de sens."
L’écrivain propose sa vision car "en vérité, le seul moyen de s’entendre est d’admettre qu’il existe un éros blanc
et un éros noir." Le premier règne sur l’amour tandis que le second gouverne l’érotisme. Comme si c’étaient le paradis
et l’enfer ou le jour et la nuit, la frontière entre ces deux éléments est floue et reste perméable. Mandiargues est intéressé
par cette interzone évoquant des images "d’un chemin discret", "de ces tunnels", "de ces galeries secrètes" qui unissent les
deux mondes. L’érotisme dans sa dimension spatiale serait de couleur noire et c’est cet aspect chromatique que l’écrivain
cherchait à développer. Comme dans l’essai précédent, Mandiargues proposait une définition ambiguë.
Il laissait une grande marge d’interprétation dans sa conception de l’érotisme. Or, la symbolique du noir peut être interprétée
comme une allusion au démon, au deuil, à la mort, à la nuit, aux ténèbres, à la tristesse, etc. Il est possible d’imaginer que
cette polyvalence était un effet qui ne déplaisait pas à Mandiargues.
Comme exemple de cette conception, Mandiargues revient à sa lecture préférée sur ce sujet, l’Histoire d’O de
Pauline Réage, pour en faire l’éloge, la distinguant de la médiocrité des romans semblables qui ont recours fréquemment
aux exercices du corps. Mandiargues apprécie l’usage de cette machinerie de la destruction de la chair à condition qu’elle
entraîne le dédoublement symbolique indispensable à l’érotisme.
Les tortures et les supplices que l’héroïne doit subir se mêlent aux déclarations d’amour pour son amant. Du point de vue
du contenu, même si l’auteur a fréquemment recours aux scènes de rapports sexuels violents et de fouettements jusqu’au
sang, elles sont équilibrées par des monologues intérieurs d’O. L’héroïne veut garder à tout prix l’amour de son amant
et découvre sa capacité à subir les plus diverses épreuves. Le narrateur semble expliquer le sens de l’oeuvre:
"Sous les regards, sous les mains, sous les sexes qui l’outrageaient, sous les fouets qui la déchiraient, elle se perdait dans
une délirante absence d’elle-même qui la rendait à l’amour, et l’approchait peut-être de la mort".
Il semble que, dans le contexte de l’essai de Mandiargues, Histoire d’O de Pauline Réage fonctionne comme la preuve
d’une application de la dualité de l’éros blanc et de l’éros noir dans un texte littéraire. Il est d’autant plus fascinant qu’à
l’époque, on jugeait impossible que ce soit un roman écrit par une femme. O est traitée comme objet dans les jeux
sadiques de René, Sir Stephen et ses amis.
La perte que Mandiargues évoque dans son essai retrouve son équivalent dans le livre de Réage; O passe des mains
de René, à celles de Sir Stephen, ensuite à celles d’Anne-Marie et finalement au Comandant. Tout comme le mentionne
Mandiargues, il s’agit d’une métamorphose et d’un déguisement qu’il faut subir au moment de l’entrée dans l’espace
de l’érotisme.
Sa réflexion sur le roman de Pauline Réage était l’une des premières dans la discussion publique suscitée par sa
publication en juin 1954. Pour Mandiargues, elle constituait également une sorte de déclaration négative, un démenti
concernant l’auteur anonyme du livre. La confusion a été provoquée par la présence d’un masque de chouette qui apparaît
dans la scène finale du roman, un objet décrit par Mandiargues dans "Les Masques" de Léonor Fini publié trois ans plus tôt.
Quant à l’analyse de l’oeuvre, Mandiargues n’a pas eu le moindre doute que l’auteur était une femme.
Connaissant sa position en faveur des femmes-artistes, c’était encore un argument pour en faire une louange.
Ce qui ne semble pas être tout à fait clair, c’était sa position critique selon laquelle Histoire d’O n’était pas, à proprement
parler, un livre "érotique."
Selon Mandiargues, il s’agissait plus d’un véritable roman et même d’un roman mystique où le niveau spirituel domine
le niveau charnel. La soumission aux tortures et aux humiliations du corps n’est considérée que comme le passage à
un au-delà. La présence du vocabulaire religieux qui décrit l’état d’O témoigne de cette préoccupation à sacraliser
le corps. Il voyait dans les auteurs érotiques, comme Sade des moralistes. D’autant plus que les livres érotiques se
ressemblent tous du point de vue de la morale: "ou bien ils travaillent à bâtir une morale révolutionnaire, ou ils sont un
écho de celle de leurs temps, contre laquelle ils protestent."
Il est intéressant d’observer que Mandiargues changea d’avis de 1955 à 1975 et considèra l’Histoire d’O comme
une grande oeuvre de la littérature érotique. Ce changement le conduit même à défendre en quelque sorte Emmanuelle,
un autre livre érotique très important dans l’histoire de la littérature féminine française.
Ce roman, écrit dans l’esprit anti-bataillien, a été résumé ainsi par Mandiargues:
"Sa conception de l’érotisme est optimiste, radieuse, rayonnante, à l’image d’un édifice affirmant la gloire de l’homme
dégagé de la glèbe et de servitudes anciennes. Que je sois d’accord avec elle en tout cela, non, mais sa jeunesse
et son bel élan sont bien sympathiques, et sa culture mérite assurément qu’on la distingue parmi les auteurs réputé
de mauvaise compagnie."
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Lady Godiva
Bon début de semaine Méridienne.
J'aime 10/02/20
Ce texte m'avait échappé. Je vous y retrouve avec bonheur.
J'aime 10/02/20