Méridienne d'un soir
par le 09/05/20
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Grande déesse phrygienne, Cybèle étendait son pouvoir sur la région farouche
et sauvage, le long de la mer Egée et de la mer Noire, symbolisait la puissance
de la nature, de l'énergie chthonienne (enfermée dans la terre), considérée comme la
source de toute fécondité, la Magna Mater du Proche-Orient. Toujours accompagnée
d'animaux sauvages, la légende la décrit comme une déesse androgyne issue de
la Terre. De ses orgânes mâles sortit un amandier dont les fruits donnèrent naissance
à Attis lorsque Nana, la fille du fleuve Sangarios, en eût mangé. On représentait Cybèle
assise sur un trône protégé par deux lions et tenant un fouet orné d'os. Dans la région
d'Ephèse, elle était symbolisée par une pierre noire, considérée comme un trait de
foudre, une pierre céleste. Elle épousa Gordias, roi de Phrygie, rendu célèbre par le
nœud compliqué en bois de cormier qui fixait le joug de son char dans le temple de
Zeus. Le couple engendra Midas, qui succéda à son père sur le trône. L'étourdi roi
de Phrygie fut affligé d'oreilles d'âne par Apollon qu'il avait irrité, mais auquel fut
donné par Dionysos le pouvoir de transformer en or tout ce qu'il toucherait. L'infortuné
roi regretta vite sa cupidité et supplia le dieu, qui, pour dissiper l'enchantement, lui
conseilla de se purifier dans le fleuve Pactole qui depuis, renferme des pépites d'or.
Cybèle est l'équivalent de la déesse Rhéa chez les grecs.
Cybèle conçut un amour platonique pour le beau berger phrygien Attis qu'elle nomma grand-prêtre de son culte,
en échange de sa chasteté. Mais le jeune homme s'éprit de la nymphe Sagaritis, et l'épousa, provoquant la
colère de Cybèle qui tua la nymphe et frappa de folie l'infidèle. Dans un accès de démence, Attis se mutila.
Pris de remords, la déesse ressuscita le berger sous la forme d'un pin; une autre tradition raconte qu'il fut victime
de la jalousie de Zeus qui le fit mettre en pièces par un ours.
Cybèle a conservé sa puissance, sa liberté et les autres déesses helléniques lui ont emprunté divers dons, divers
traits de caractère. Avec elle, les Grecs ont eu affaire à forte partie. Ils ne sont pas parvenus à la réduire à l'état de
vierge sage ou pure, à masquer sa sauvagerie. Cybèle, impériale, parcourt son royaume avec ses lions. On le sait,
les Grecs ont vu d'un mauvais oeil l'invasion de Cybèle, venue de Crète, ce berceau et ce tombeau de la plupart des
dieux. Lorsqu'elle est accompagnée de ses Ménades, de ses Bacchants et Bacchantes, de ses Corybants, et
qu'elle manifeste sa "splendeur divine", elle balaie tout sur son passage, les hommes raisonnables et les femmes
chastes, parce qu'elle leur fait connaître l'extase et des expériences peu communes.
Lorsque Dionysos prit le relais, les Grecs ne purent effacer le message du dieu ni celui de la Grande Déesse.
Elle porta d'autres noms: Arinna la Hittite, Hébat la Hourrite et ses lions, ou même Eileithya crétoise. Les uns tirent
vers le Soleil, d'autres vers la Lune, d'autres vers Vénus. Mais il s'agit toujours de la Grande Déesse incarnant le
principe de fertilité, associée au cycle Vie/Mort/Renaissance qui les définit sans exception. Les Grecs tenteront de la
vêtir plus décemment et de l'appeler Rhéa, Terre Nourricière. Mais pouvaient-ils mieux choisir celle qui deviendra la
mère du plus vénéré de leurs dieux ?
Comme les Grecs ne savaient trop où la faire naître, ils se référèrent à un mythe phrygien. Endormi sur le mont
Dindyme, Zeus aurait eu une pollution diurne. De sa semence tombée, surgit un être androgyne, ce qui, à n'en
pas douter, plaide pour l'ancienneté du mythe. Les dieux, alarmés comme tous les dieux confrontés à l'inégalable
puissance d'une telle créature, décidèrent de l'émasculer. Il ne resta donc que sa part féminine, qui devint Cybèle,
à jamais séparée de sa nature masculine, mais ne l'ayant sûrement pas oubliée. Des organes mâles ainsi coupés
coula du sang, comme pour la naissance de Vénus-Aphrodite. De ce sang naquit un amandier.
Sur les origines de Cybèle il existe encore une autre version, qui la rapproche sensiblement d'Artémis, à moins
qu'Artémis l'ait emprunté à Cybèle: celle-ci serait la fille du roi de Phrygie et la reine Dindyme et elle aurait été
abandonnée sur une montagne, nourrie par des fauves, surtout des léopards et des lions. Cette fréquentation des
bêtes sauvages était propre à développer ses instincts de fauve.
Elle aurait, de bonne heure, regroupé autour d'elle des Corybantes, leur aurait enseigné des jeux, des chants, des
danses, aurait créé tambours et tambourins pour accompagner ces danses, et des cymbales éclatantes. Comme
Artémis encore, on dit qu'elle protègeait les enfants et les créatures sauvages, qu'elle avait un pouvoir de guérison.
Les Romains l'intégrèrent à leur panthéon. Ils l'appelèrent "Bona Dea." Ovide l'introduira dans l'histoire d'Énée.
Le culte de Cybèle était célébré dans des grottes ou au sommet des montagnes. Il se confondit plus tard avec celui
d'Attis, dont la mort et la résurrection périodique figuraient le cycle des saisons et le renouveau printanier, et elle
devint le symbole de la fécondité par la mort. Il comportait des rites organiques qui visaient à établir une communion
totale entre les divinités et les fidèles, comportant des orgies extatiques. Le festival d'Attis durait cinq jours.
Le premier jour était consacré aux lamentations et à la procession d'un pin entouré de linges figurant le dieu; le second
à la danse frénétique des prêtres qui se flagellaient en dansant et en chantant; le troisième, aux mutilations sexuelles
volontaires: ses adorateurs mâles, saisis de frénésie, s'émasculaient eux-mêmes afin d'atteindre à l'union avec Cybèle
et courraient à travers la ville en brandissant leurs organes coupés qu'ils échangeaient contre des vêtements féminins
pour se vouer au culte de la déesse; le quatrième jour était réservé aux réjouissances et au repas sacramentel. Le
cinquième jour, enfin était réservé au repos.
En Anatolie, ces mystères comportaient le rite du "taurobole": le néophyte se tenait dans une fosse recouverte d'une
grille au-dessus de laquelle on égorgeait un taureau expiatoire. Il sortait entièrement couvert du sang de l'animal, mais
régénéré, purifié de toute souillure, né une seconde fois. La purification était efficace pendant vingt ans. Les mystères
de Cybèle sur le mont Ida, institués par Midas, se répendirent en Italie, en Gaule, en Aquitaine, en Espagne, et en
Afrique du Nord en l'an 134 de notre ère. (57-178).
Ce culte fut introduit à Rome au moment de la guerre avec Hannibal. La Sybille décréta que l'ennemi serait chassé si
l'on instaurait le culte de la Magna Mater à Rome. Les adeptes firent venir le météorite noir symbolisant la déesse et
l'installèrent au temple de la Victoire, sur le mont Palatin, où il demeura jusqu'en 191 avant J.C (57-186). La prédiction
s'étant instituée, le peuple romain reconnaissant institua, en l'honneur de la déesse, les "Magalésiennes", fêtes qui
comprenaient un banquet sacré et des jeux, ayant lieu du 4 au 10 Avril et s'étendirent dans tout le pays.
Elles comportaient des offrandes à Cybèle dans son temple, des divertissements et des courses. La statue était alors
conduite à travers la ville sur un char attelé de lions, par les "galles" venus d'Asie Mineure, qui exécutaient les rites
propres au culte. Ces derniers, réprouvés par les autorités civiles, furent interdits aux Romains et les Magalésiennes
finirent par perdre leur attrait. Les rites phrygiens connurent un regain d'intérêt sous le règne de l'empereur Claude
(41-54) de notre ère, et les fêtes de printemps de Cybèle et d'Attis furent célébrés du 15 au 27 Mars. L'officiant
s'incisait le bras, symbolisant les mutilations sexuelles et des prêtres se flagellaient et offraient leur sang à la déesse.
Bien qu'ayant perdu leur signification profonde, les anciens rites de l'équinoxe de printemps ont survécu dans le
folklore des régions agraires du nord et du centre de l'Europe, transférés au premier Mai. Le thème mythologique y est
présenté de manière différente, mais Attis revient tous les ans sous l'aspect de l'arbre de Mai enguirlandé, en souvenir
du pin sacré. Quant à Cybèle, elle se réincarne dans la Reine de Mai, fait le tour de la place du village, portée par des
jeunes villageois triomphalement, dans un char décoré. Le drame sacré de la mort et de la résurrection du dieu n'a
pas disparu; il revit chaque année dans la fête de Pâques de la chrétienté.
Bibliographie et références:
- Aurelius Victor, "De viris illustribus"
- Filippo Coarelli, "Guide archéologique de Rome"
- Ph. Borgeaud, "La Mère des dieux. De Cybèle à la Vierge Marie"
- Claude Brixhe, "Le nom de Cybèle"
- Emmanuel Laroche, "Le problème des origines de Cybèle"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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insolence
Merciiiii, merciiiii, bises
J'aime 17/05/20