Méridienne d'un soir
par le 18/05/20
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Phèdre, en grec ancien, ??????, Phaídra, (Brillante), est la fille du roi de Crète Minos et de Pasiphaé,
sœur d'Ariane, qui devint l'épouse du héros Thésée, père d'Hippolythe par l'Amazone Antiope. Phèdre
rencontra son beau-fils aux mystères d'Eleusis, y conçut pour lui une folle passion et le suivit à Trézène.
Elle y érigea le temple d'Aphrodite Catascopia d'où elle pouvait apercevoir le jeune homme s'exercer au
gymnase. On raconte que, frustrée et nerveuse, elle perforait les feuilles d'un myrte qui poussait par là,
et que c'est depuis qu'elles présentent les perforations qui les caractèrisent.
Le soleil, grand-père de Phèdre, a un jour voulu ridiculiser Vénus, en éclairant ses amours illégitimes
avec Mars. De ce fait, Vénus s’est vengée, en maudissant toutes les femmes qui descendraient du soleil.
Pasiphaé fut la première. Reine de Crète, elle tomba amoureuse du taureau que Minos, son mari, voulait
sacrifier à Neptune. De cet amour, naquit le minotaure, qui sera alors enfermé dans un labyrinthe.
Puis, c’est le tour de ses filles. Quand Thésée, qui est athénien, vient pour tuer le minotaure, Ariane, la
première fille de Pasiphaé, l’aide à le tuer et surtout à sortir du labyrinthe, une fois la bête tuée. Elle s’échappe
avec lui, mais il l’abandonne sur la première ile grecque qu’ils croisent: l'île de Naxos. Ariane, reste sur cette ile,
abandonnée. Le mythe s'inscrit dans la légende minoenne.
Minos est un roi de Crète, qui vivait, dit-on, trois générations avant la guerre de Troie. Le plus souvent, il passe pour
être le fils d'Europe et de Zeus, élevé par le roi de Crète Astérion, ou Astérios. Mais parfois on le donne pour un fils
d'Astérion. Il avait pour frères Sarpédon et Rhadamante. Après la mort d'Astérion, Minos régna seul sur la Crète.
L'on raconte que, lorsqu'il émit la prétention de prendre le pouvoir à lui seul, ses frères firent des difficultés. Minos
répondit que les dieux lui destinaient le royaume, et, pour le prouver, il affirma que tout ce qu'il demanderait au ciel
lui serait accordé. En offrant un sacrifice à Poséidon, il demanda au dieu de faire sortir un taureau de la mer,
promettant en retour de lui sacrifier l'animal.
Poséidon envoya le taureau, ce qui valut à Minos le pouvoir, sans conteste, mais le roi négligea de sacrifier le taureau,
car il trouvait que c'était un bel animal, et il désirait en conserver la race. Il l'envoya donc dans ses troupeaux. Mais
Poséidon se vengea, en rendant le taureau furieux, si bien que plus tard Héraclès dut le tuer, à la demande de Minos.
Ce serait le même taureau pour qui Pasiphaé, la femme de Minos, aurait plus tard conçu une passion coupable donnant
la vie au Minotaure. Minos épousa Pasiphaé, la fille du Soleil (Hélios), et de Perséis.
On prêtait à Minos un grand nombre d'aventures amoureuses et, l'invention de la pédérastie. Il existait une tradition selon
laquelle c'est Minos, et non pas Zeus, qui aurait enlevé Ganymède. De même, il aurait été l'amant de Thésée, se serait
réconcilié avec lui après l'enlèvement d'Ariane, et lui aurait donné sa seconde fille, Phèdre, en mariage. Parmi ses amours
féminines, on cite Britomartis, qui se précipita dans la mer plutôt que de lui céder ; puis Périboea, l'une des jeunes filles
du premier tribut qu'il ramena d'Athènes, après la mort d'Androgée. Ses maîtresses furent si nombreuses que Pasiphaé,
sa femme, s'en indigna; elle lui "jeta un sort", si bien que toutes les femmes qu'il possédait mouraient, dévorées par des
scorpions, des serpents qui sortaient de son corps.
Phèdre qui dépérissait à vue d'œil, finit par avouer son amour à Hippolyte, qui horrifié, l'accabla de reproches. Aussitôt,
l'amoureuse bafouée déchira ses vêtements et cria: " Au secours, on me viole !". Puis, elle se pendit après avoir écrit une
lettre à Thésée accusant Hippolyte. Ce dernier fut maudit et banni d'Athènes par son père, qui demanda à Poséidon de
punir le coupable. À peine Hippolyte était-il sorti de la ville dans son char, qu'il fut secoué par une vague surmontée
d'un énorme chien de mer. Terrorisés, ses chevaux firent un brusque écart, son char fut projeté contre un rocher et son
corps fut déchiqueté. Artémis le transporta, mourant à Trézène, où son père eut le temps de se réconcilier avec lui.
L’histoire d’Hippolyte et de Phèdre appartient au cycle mythologique de la fondation de la cité d’Athènes: elle est intimement
liée aux luttes livrées par les premiers rois légendaires, Érechtée, Cécrops, Pandion, Égée et Thésée pour asseoir leur
pouvoir et le transmettre à leur fils. Le grand-père d’Hippolyte, Égée, roi d’Athènes, avait eu deux femmes, dont aucune ne
lui donna d’enfants; la légende raconte que ce serait Aphrodite en colère qui pour se venger lui infligea cette peine.
Le mythe de Phèdre, tel qu’il est formalisé au V ème siècle avant notre ère par les Tragiques, présente une belle-mère qui
persécute son beau-fils dont elle est amoureuse. Cet aspect de l’histoire n’est, en ce qui concerne la seule pièce que nous
puissions juger, celle d’Euripide, qu’un élément secondaire qui n’épuise nullement la signification du récit. Hippolyte est
d’abord, comme beaucoup de tragédies attiques, un thème sur l’éphébie. Toutefois, puisque, dès l’époque romaine, le
personnage de Phèdre a pris une importance plus grande que celui de l’éphèbe, au point de donner au mythe, par la suite,
sa signification principale et son nom, il est essentiel de démontrer la dimension du logos euripidéen dans une série de
récits plus large et dans une autre logique que celle de l’inceste.
Plusieurs légendes grecques présentent en effet un homme, presque toujours investi d’un pouvoir royal, qui punit ou tente
de punir un fils issu d’un premier mariage, soupçonné, le plus souvent à tort, d’avoir entrepris de séduire une deuxième
femme de son père. La plus anciennement attestée est celle d’Amyntor maudissant son fils, Phénix, qui, à la demande
insistante de sa mère, avait séduit, sans trouver beaucoup de résistance, selon Eustathe, la concubine de son père. Mais
ici les conséquences de la malédiction ne sont pas mortelles. À la différence d’Hippolyte, Phénix n’est victime que d’un exil
ou d’une blessure selon les versions. Parfois la vengeance paternelle aboutit effectivement à la mort du fils.
Cassandre, emporté comme dans un tourbillon par la jalousie, se précipita avec rage dans la forêt le fer à la main, à la
poursuite de son fils, pour avoir attenté aux noces paternelles. Le fils, poursuivi de tous côtés, se jeta dans le fleuve
Rhombos qui fut appelé d’après son nom Hébros, ainsi que le raconte Timothée dans le livre XI de son "Péri potamôn."
S’agit-il pour autant d’inceste ? Plusieurs éléments incitent à répondre par la négative à cette question.
Tout d'abord, loin d’être proscrite, l’union avec la belle-mère semble admise en Grèce. La Télégonie, poème cyclique qui
passe pour avoir été écrit dans le premier tiers du VI ème siècle avant JC, montre ainsi les deux fils d’Ulysse épouser
chacun leur belle-mère, et Héraclès, dans Les "Trachiniennes" de Sophocle, donne lui-même en mariage son épouse à
son fils. Ensuite, si la plupart des récits présentent des marâtres qui cherchent, et parfois parviennent à obtenir de leur
époux la mort de son fils, ces légendes s’inscrivent dans une série plus large, comprenant notamment des variantes des
précédentes, dans lesquelles la victime n’est plus un fils. Il peut s’agir d’un neveu, comme dans une des versions données
par Hygin du mythe d’Athamas.
C’est enfin, la volonté d’enfanter qui, pousse à de telles unions. Peut-on faire du mythe de Phèdre un paradigme d’inceste ?
Pour Euripide du moins, la réponse est négative. Le problème est celui du fonctionnement patriarcal de la société grecque.
La belle-mère perturbe la domination paternelle sur les fils en risquant de dresser les enfants du premier lit contre le père.
La femme adultère remet en cause la domination masculine sur le corps des femmes. C’est donc l’ensemble du pouvoir
patriarcal qui est ébranlé par la marâtre adultère.
Le mythe de Phèdre est une source d'inspiration pour les écrivains depuis l’Antiquité. Pour Euripide, le personnage
tragique de la pièce, c'est Hippolyte, mourant victime des mensonges de sa marâtr (belle-mère). Phèdre se réduit chez
lui à un pur moyen de vengeance utilisé par Aphrodite contre Hippolyte, qui s'est voué tout entier au culte d'Artémis,
la déesse vierge. Dès lors, chez Euripide, il n'est guère question de la faute de Phèdre: elle n'est qu'un jouet des dieux.
Sénèque, dans "Phaedra", concentre en revanche l'action sur le personnage féminin. La pièce de Sénèque annonce
une nouvelle interprétation du mythe; ce n'est plus Hippolyte qui est au centre de la tragédie, mais bien le personnage
de Phèdre. Elle n'est guère ménagée. Elle déclare à son beau-fils sa passion: horrifié, il a la tentation de tuer Phèdre,
mais se ravise; son épée jetée au sol l'accuse lors du retour de son père; Thésée le maudit puis le jeune homme meurt.
Racine écrit sa tragédie, "Phèdre", en 1677. Sa pièce est une analyse et une dénonciation de la passion amoureuse
à travers le personnage de Phèdre. Phèdre avoue son amour "incestueux" qui la brûle et la déchire mais qui est plus
fort qu'elle. Face au rejet du jeune homme et découvrant l'amour d'Hippolyte pour Aricie, elle accuse Hippolyte à tort
devant son père, entraînant une double mort, celle de Phèdre et celle d'Hippolyte, suivie des tourments de Thésée.
Phèdre illustre la conception pessimiste de l'homme de Racine, une conception nourrie par le Jansénisme, conception
religieuse, selon laquelle seuls quelques élus choisis par Dieu seront sauvés. Chaque homme est prédestiné et aucune
bonne action ou comportement exemplaire ne saurait changer le fait initial d'avoir ou pas la grâce divine. Ainsi Phèdre met
en avant la croyance de Racine en la théorie de la prédestination, ainsi que la misère de l'homme sans la grâce divine.
Racine tend à nier la responsabilité de la faute de Phèdre. Mais il la rend coupable dans une autre partie de la pièce pour
rendre son œuvre plus intéressante sous tous les angles. Racine sous-entend que Phèdre est une personne destinée à
mourir. C’est pourquoi il dit qu'elle n’est pas coupable. Il est probable que Racine essaie d’innocenter Phèdre, mais d'une
manière péjorative. La malédiction familiale qui suit Phèdre montre comment l’homme n’a pas de choix face à son destin.
Il y a des ressemblances dans le personnage de Phèdre de Sénèque avec celui de Racine en ce qui concerne le remords.
Phèdre se qualifie elle-même de traitre et confesse à son mari toute la vérité avant de se suicider: "tes remords te suivront
comme autant de furies; tu croiras les calmer par d’autres barbaries." (Racine, Britannicus, acte V, scène VI, v .12-13).
La faute de Phèdre est plus lourde du fait qu’elle confirme indirectement les mensonges de sa nourrice envers son beau-fils.
Zola, dans son roman "La Curée", dans la série des Rougon-Macquard, imagine une histoire d'amour entre une jeune
femme, Renée Saccard, et son beau-fils Maxime; contrairement à Hippolyte, Maxime aime les femmes. Il épouse Louise.
Renée, issue de la noblesse, connaît la mésalliance en épousant Aristide Saccard. Elle est violentée par un homme plus
âgé, le jour même du coup d'état de Napoléon III: elle est déshonorée, symbolisant la France profanée par un usurpateur.
La mésalliance concrétise le matérialisme d'une société qui ignore la pureté des relations : l'amour entre Renée et son mari
n'existe pas, il est remplacé par l'argent. Renée connaît un destin tragique: elle est prise d'une passion frénétique pour
Maxime qui l'abandonne pour épouser la jeune fille qu'a choisie son père. Elle meurt dans la solitude alors que le roman se
termine sur le triomphe cynique de Saccard.
Le mythe de Phèdre continue à inspirer des écrivains contemporains, notamment le grand poète grec Yannis Ritsos.
La passion de Phèdre pour Hippolyte n’a peut-être jamais été chantée avec autant d’intensité que dans cette version
du mythe par le poète grec Yannis Ritsos. La Phèdre de Yannis Ritsos est une femme accomplie. Elle est touchée par
un amour soudain, sans préavis, amour qui changera sa vie de façon définitive.
Phèdre serait victime de son hérédité: elle doit à sa mère Pasiphaé le dérèglement de ses sens, et sa passion "dépravée"
pour un taureau et la naissance d’un monstre, le Minotaure. Aphrodite poursuit Phèdre et sa famille de sa haine et œuvre
sans relâche à leur perte. Il y aurait sur Phèdre une malédiction divine, sous le signe des amours défendus et maudits.
La passion que Phèdre éprouve pour Hippolyte déclenche chez elle un dérèglement sensoriel.
Phèdre se sent coupable des sentiments incestueux qui l’habitent. Passionnée, c'est un personnage ambigu et complexe.
Racine disait que "Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente". La tragédie raconte la déchéance d’un être
souffrant d’un mal qui le ronge et sans lequel il ne peut vivre. Elle serait le symbole incarné du drame d’une humanité
écartelée par le combat de la chair et de l’esprit.
Le scandale est celui de l’existence d’une femme amoureuse. Sans aller jusqu’à parler, comme Paul Valéry, à propos de la
Phèdre racinienne, de sa "rage de sexe", Euripide a choqué en mettant en scène le désir sexuel féminin. Avec Phèdre, la
femme cesse d’être un objet de plaisir pour devenir un sujet désirant. Par sa passion, Phèdre fait entrevoir au spectateur
grec un monde nouveau, où l’union du fils avec l’épouse du père renverserait l’ordre patriarcal en permettant l’alliance de
ses deux victimes, et une forme nouvelle d’amour dans lequel le don remplacerait la possession.
Phèdre, la "Brillante", princesse incestueuse ? Non, Phèdre scandaleuse.
Le mythe de Phèdre inspira au cinéma, Jules Dassin dans "Phaedra" (1962) avec Melina Mercouri et Anthony Perkins.
Bibliographie et références:
- Apollodore, "Bibliothèque"
- Apollonios de Rhodes, "Argonautiques"
- Diodore de Sicile, "Bibliothèque historique"
- Euripide, "Hippolyte"
- Hésiode, "Théogonie"
- Homère, "Iliade"
- Hygin, "Fables"
- Ovide, "Métamorphoses"
- Pausanias, "Description de la Grèce"
- Platon, "Phèdre"
- Racine, "Phèdre"
- Virgile, "Énéide"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Quatuor
Phèdre est la continuation de Médée, non ?
J'aime 19/05/20
Quatuor
Il y a la Phèdre de Sénèque, sous le titre d'Hippolyte. mais ce sur quoi, je souhaitais attirer votre attention est la sorte de filiation entre ces deux femmes... je me trompe sans doute.
J'aime 20/05/20
jeuxpiquants
Toujours passionnant
J'aime 23/05/20
insolence
Merci de ton partage de culture, bises à toi... sourire
J'aime 24/05/20