Méridienne d'un soir
par le 17/06/20
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Un mouvement soudain de l'épaule, qui dit tout bas sa lassitude; une tension soudaine
du visage, qui dit tout haut sa foi; une inflexion nouvelle de la voix, qui dit enfin l'être
multiple. Se peut-il que de telles choses laissent en nous traces si vives et si durables.
Qu'y-a-t-il dans tout cela, qu'il faille qu'on lui cède ? Qu'est-ce donc que tout cela, qui
nous surprend un soir comme la naissance d'un chant ? Étrange confidence, où la
faiblesse a pour nom douceur. Le soleil inonda Rome et la légèreté de notre jeunesse.
Comme c'est étrange cette douleur infligée par les corps. Parce que des doigts glissent
sur eux, parce que des visages s'en rapprochent, parce que des souffles se mêlent et
qu'une commune sueur baigne ces plaisirs, une âme au loin, un cœur, une imagination
souffrent d'incroyables tortures. Nous nous reconstruisions ensemble. Des liens subtils
et forts nous unissaient. Nous nous embrassions, sur une colline de Rome, dans la nuit
déjà close, sous un arbre né d'un puits, devant le campanile d'une vieille église. Et que
nous importe maintenant de ce qui naquit de cette nuit. Des jours, des semaines, des
mois entiers sortirent de ce baiser que nous nous donnâmes. Nul n'a connu le premier
affleurement de cette heure soyeuse, le premier attouchement de nos épaules, comme
un frôlement de cils. Étroits sont les reins, étroite alliance du corps fidèle des amantes.
La nuit, nous courrions à la promesse de nos songes dans des draps odorants. Nos
solitudes étaient notre trésor, et dans le lit où s'inscrivait la mémoire à naître de notre
amour, nos libertés le creusait. Nous nous aimions à nous taire quand nos bouches
se savaient promises. Une douceur s'amassait là où des soupirs infusaient. Nous étions
pudiques dans notre impudeur, méconnues de tous mais célèbres de nous.
Elle avait les cheveux noirs de jais, les yeux en amande, des dents éclatantes, une robe d'été et une paire
de mocassins. Elle riait. Nous nous embrassâmes devant Saint Pierre. L'amour nous grisait. Nous avions
des rêves d'enfants. Il y a des instants comme ceux-là où un sens plus pur de la vie semble se révéler
soudain, où l'on se sent plus grand que soi-même. C'était l'heure de ce soleil blême et plat qui donnait au
début des jours éclatants une allure hésitante, lasse d'avance. Nous traversions des champs, de longs
prés semés d'arbres, des rizières inondées. Une route blanche de poussière coupait les haies, sautait les
rivières. Derrière le riz à perte de vue, des montagnes naissaient de la nuit. Plus loin, c'était Bergame et les
lacs, un peu à droite, Vérone, les palais de Vicence, et puis Venise, Ravenne, Bologne et Ferrare, Parme et
Modène. Nous fermions les yeux. C'était le bonheur. Il jaillissait de ces noms sur les campagnes intérieures,
l'or de leur peintures, de leur gloire et de leurs mosaïques dans le reflet de cette douce mélancolie.
Elle avait un visage très pur. Nous savions déjà ce qui allait se passer, alors nous allongions désespérément
ces instants d'attente. Un soir d'été, j'avais embrassé Charlotte. Saint Pierre pouvait s'écrouler et le Pape se
convertir au Bouddhisme. Le pouvoir de la femme est une chose admirable qui ne connaît pas de limites; elle
choisit instinctivement des gestes insignifiants qui s'inscrivent pour l'éternité. Tout notre voyage engouffré dans
un baiser. Je me sentais libérée comme on se libère d'un péché par une confession, repartant l'âme pure, le
cœur allègre pour d'autres péchés ou un autre voyage. Charlotte, c'était de l'innocence. Moi, de la littérature.
La chaleur, nos étreintes, les vacances, le soleil nous invitaient à entrer dans un univers inconnu. C'était celui
du bonheur. Il y a ainsi, au début des amours, de ces périodes enchantées qui sont des parenthèses dans une
longue insatisfaction; on y attend tout encore et tout est déjà assuré. Nous nous étions très peu parlé; aucun
engagement ne nous liait. Nous vivions un peu au-dessus de nous-mêmes. Et le plaisir que nous prenions à
ce présent touché par la grâce ne débordait jamais ni vers le regret, ni vers l'impatience. Les amours de la
folle adolescence ne sont ni plus ni moins fortes que les autres. Mais leur douce et incomparable amertume
vient de ce qu'elles se confondent avec la saveur de la vie. Tout le spectacle du monde est alors lié à un être.
Les choses ne se passent jamais exactement comme on les attend; mais elles se passent rarement tout à
fait autrement. Nous ne fîmes pas l'amour ce soir-là. Nous le fîmes le lendemain. Quelle légèreté, lorsqu'on
aime, que cette multiplicité des corps qui parlent, se répondent les uns aux autres et font l'amour entre eux.
Charlotte entendait sans doute me voir rester fidèle, non à la passion ni à la tendresse, mais au plaisir et au
jeu. Ma passion, c'était l'indépendance. Et sans doute, je connaissais ces flambées paradoxales de désirs
ou d'ardeurs. Mais je reniais ces faiblesses. Je les reniais surtout parce que j'en avais peur, peur de rester
prise dans les pièges de la mélancolie. Je ne faisais donc de ces excès que les ingrédients savoureux et
amers de mon indifférence souveraine. Pourquoi les voyages sont-ils toujours aussi mêlés à l'amour ? Car
ils rompent sans doute avec cet environnement quotidien d'où naît si vite l'habitude qui est ennemie de la
passion. Le bonheur envahit si visiblement Charlotte que j'en fus presque bouleversée. Nous avions les yeux
pleins d'églises et de collines brûlées par le soleil. En arrivant au bas de la ville, là où l'amour devait prendre
ici l'odeur de miel des vieilles pierres des hautes maisons, nous rentrâmes à l'hôtel. Je craignis le flottement
qui risquait de se produire, mais elle me dit seulement, " Reste avec moi." Je l'embrassai sur le pas de la
porte de l'hôtel. La lune éclairait son visage pur. Je me demandais si nous allions nous étreindre, mais le
plaisir et l'amour sont comme des pentes neigeuses sur lesquelles on s'arrête difficilement. Obscurément,
j'hésitai. Je lui demanda si elle avait déjà fait l'amour avec une femme. Elle secoua la tête et me dit: "Oui,
mais pas avec toi." Les rites sublimes se succédèrent très vite. Bientôt, nous nous étendîmes sur le lit.
Je la caressais, elle fermait les yeux. Elle avait un visage figé comme illuminé du dedans. J'essayais un peu
maladroitement de lui ôter sa robe. Elle ouvrit les yeux, se releva. "Attends, dit-elle en souriant, ça va aller
plus vite." Elle était revenue vers moi. Je pris son visage entre mes mains. Je fus comme roulée par une
vague d'attendrissement. Elle était nue sous moi, les yeux de nouveau fermés. Je la regardai longtemps,
appuyée sur mes coudes. Nous restâmes immobiles assez longtemps et puis nous fîmes l'amour.
Le chuintement de la douche se tut doucement, plongeant la chambre dans le silence, coupant court à mes
à mes réflexions. Quelques minutes plus tard, elle sortit nue de la salle de bain, une serviette noire enroulée
sur la tête, la peau rosie par l'eau chaude. Les gouttes cascadant sur ses courbes, tombaient silencieusement
sur le parquet en bois, coloré par la lumière pâle. Elle se déplaçait nue d'une démarche féline, langoureuse,
envoûtante; ses longues jambes brunes étaient terminées par des pieds fins, aux ongles vernis de rouge.
Je me rappelle cet été quand je regardais ses sandales claquer sur ses talons nus, déjà envahie par un
désir brûlant, irrépressible; mes yeux s'étaient alors soudés aux siens, lourds d'envie; elle me souriait; ses
lèvres ourlées lui prêtaient un air sensuel et lascif. Elle leva les bras et dénoua sa serviette en secouant la
tête. Une furie de cheveux noirs tomba sur ses épaules fines. Sous ses sourcils bien dessinés, ses grands
yeux noirs, très brillants, semblables à la surface d'un lac au crépuscule, me sondaient sans vergogne.
J'avais pressenti chez elle des promesses de sexe brutal, très primaire, mais il n'en fut rien; au contraire,
des deux, c'est moi qui me révéla la plus dépravée. Elle fut tout en tendresse et soucieuse de plaire.
Elle n'était pas à sa première expérience saphique mais elle me répéta que je surpassais de loin ses
précédentes conquêtes; je me plus à la croire, car mes expériences hétérosexuelles n'avaient jusqu'à
présent jamais été bienheureuses; avant elle, j'étais amoureuse d'aucune fille en particulier, mais seulement
des filles en tant que telles, comme on peut aimer sa propre image, trouvant toujours plus émouvantes et
plus belles les autres, que l'on se trouve soi-même, dans le plaisir à se voir abandonner sous leurs caresses.
Par dessus le drap, elle posa sa main sur ma cheville et mes seins durcirent aussitôt; juchée sur ses
genoux, elle écarta les jambes pour me laisser passer. Malgré la douche, son entrejambe diffusait encore
un parfum à l'arôme sensuel mêlé de ma salive et de son désir; une fois allongée sous elle et peinant à
contenir ma propre impatience, je commençai par lécher sa peau autour de ses lèvres odorantes. Il s'en
dégageait une douce chaleur; ma bouche fraya maintenant avec son aine, très près de sa vulve, et elle trembla
d'anticipation. Je glissai le bout de mon index sur le dessin plissé de son sexe moite qui s'ouvrit graduellement
sous mes yeux, la sentant se resserrer autour de mes doigts, l'entendant gémir à me faire tourner la tête.
Peu à peu, rattrapée par mon impatience, je commençai à laper ses grandes lèvres, une à une, en faufilant
désormais le bout de mon index dans son ventre, avant d'oser ma langue, assez loin pour que mes dents
touchent la crête enflée. Elle se cabra, elle se tut, elle savoura le moment. Elle répandit son désir dans ma
bouche. Ses seins étaient pressés contre mes mollets; assise à califourchon sur mon visage, gémissante,
pendant que j'écartai ses fesses pour m'enivrer de sa saveur, glissant mes doigts sur ses jambes brunes.
Elle glissa sur moi, me permettant ainsi de voyager de sa vulve savoureuse au sillon de ses reins. Juste à la
crispation des muscles de ses cuisses, elle parut sur le point d'abdiquer sous le zèle de mes caresses. Elle
roula sur le coté, puis remonta vers la tête de lit. Les volets étaient tirés, la chambre presque obscure.
Malgré son teint hâlé, je remarquai ses joues rougir par le désir. Ainsi étendue sur le dos, les bras au dessus de
la tête, elle exhibait ses seins en constante érection; je rampai vers elle pour mordiller leurs pointes, dures et foncées,
avant de lécher avidement les aréoles; elle m'enlaça, promena ses ongles le long de mon épine dorsale. Constatant
son soudain avantage, elle me retourna sur le dos; les genoux écartés, je sentis son souffle chaud sur ma vulve. Elle
introduisit ses doigts dans mon logis profond et onctueux. Enhardi, son plaisir la guida entre mes reins, dans la vallée
chaude de mes reins, près de l'entrée de l'étroit pertuis; je me cambrai pour aller à la rencontre de sa bouche affamée.
Gémissant plus d'une heure sous ses caresses, et enfin les seins dressés, les bras rejetés en arrière, empoignant les
barreaux du lit, je commençai à crier, lorsqu'elle se mit à mordre lentement la crête de chair où se rejoignaient, entre
les cuisses, mes petites lèvres; me sentant brûlante et raidie sous sa langue, elle me fit crier sans relâche, jusqu'à ce
que je me détendis d'un seul coup, moite de plaisir; je râlais alors que je jouissais pour la seconde fois de la journée.
Nous nous endormîmes, en mêlant nos rêves et nos corps, bouleversées d'amour et de désir. Aujourd'hui, je pense
à tout ce que j'aime en toi et qui s'éclaire parfois, à ton insu, comme un beau front de mer. Parce que tu m'as fait,
un instant, cette confiance, d'être pour moi, toute claire et transparente, je serai toujours là.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
18 personnes aiment ça.
bel13
Les mots s'accordent à merveille dans cet environnement toscan ou tout murmure la sensualité... Ca me remet en mémoire un merveilleux film entre deux femmes à Rome ; un huis clos dans une chambre d'hôtel. "Room in Rome"... A voir et à revoir... La musique y est aussi tout bonnement exceptionnelle.
J'aime 17/06/20
Ma chère Méridienne, vous étiez déjà une des meilleurs plumes de ce site, qui en manque d'ailleurs cruellement. Avec ce texte, vous devenez sans nul doute la meilleure. L'érotisme est la plus difficile des formes d'expression. Vous parvenez à la maîtriser grâce à d'impudiques pudeurs ou des pudeurs impudiques. Je vous laisse le choix. J'y ai perçu autant le bruissement de la campagne toscane que les parfums des vallées humides de vos corps. De quoi donner hâte de voir cet amour vous possédant migrer vers l'amour du don et de la possession. Un livre ?
J'aime 18/06/20
Si la richesse de soi donne l'imagination nécessaire à la suavité de la crudité, vive l'imagination. Et la richesse de soi n'est pas donnée, elle se gagne.
J'aime 18/06/20
Un petit progrès à faire : éviter les incohérences. Charlotte dit n'avoir jamais eu de relation saphique, puis parles de celles-ci plus loin. A moins que je n'ai mal lu.
J'aime 18/06/20
J'ai laissé passer une faute d'orthographe. Grrr !
J'aime 18/06/20
C'est bien ca qui ma semblait. J'avais mal lu. Excuses.
J'aime 18/06/20
lulu
Bonjour Madame. Merci pour votre très beau texte.
J'aime 18/06/20
Condor
J’adore vos articles Méridienne ! Très magnifique histoire !! J’a beaucoup ! Très belle journée à vous, biss
J'aime 18/06/20
Très poétique.
J'aime 18/06/20
Ca, s'est bien vrai. J'ai aussi plaisir à lire scander.
J'aime 18/06/20
Géraldine 75
Amour, passion des corps,, torride , absolu, paroxysme de LA rencontre, ennivrant et Rome , ville on ne peut plus ouverte.... Tout y est Méridienne de votre belle écriture, merci!
J'aime 19/06/20
Géraldine 75
Bonne journée aussi à vous Méridienne
J'aime 19/06/20
MVoltaire
Une très belle plume
J'aime 19/06/20
FemmeFemelleEsclave
Impudique pudeur, pour reprendre les termes d’Helier, des amours adolescentes et de la découverte à deux de l’étendue des possibles. Merci
J'aime 20/06/20
insolence
Toujous aussi bien écrit, merci Méri, bises
J'aime 21/06/20
Marc Nancy
Belle histoire d amour à l italienne
J'aime 22/06/20