Méridienne d'un soir
par le 07/07/20
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Il arrive, de nos jours, que lassés de la vie des villes surencombrées, polluées et devenues inhumaines, des citadins
accomplissent un retour à la terre, à la vie campagnarde. Dans la plupart des cas, ces disciples de Rousseau, ces
Robinsons agrestes ne parviennent pas à s'adapter et regagnent au plus vite leurs cités inhabitables mais, finalement,
si commodes à habiter. Il en allait de même pour Patricia, dans le domaine intime qui était le sien. Elle avait découvert
les charmes de la nature, les délices des longs après-midi sous bois, dans la brise murmurante et le soleil qui perce au
travers des feuillages. Que d'heures exquises avec Sarah, sur l'herbe des clairières ou à l'ombre des grands rochers
moussus. Que de caresses, de baisers échangés dans des nids de fougères, sur des matelas de feuilles mortes. Mais
ces amours buissonnières ne permettaient que des effleurements, grisants mais décevants, avec la crainte, toujours
d'être découvertes, l'impossibilité de se mettre totalement nues, en accord avec la nature environnante. Alors parfois,
Patricia, après un court plaisir, allongée contre Sarah sous la voûte des pins ou des châtaigniers, avait une lancinante
nostalgie de grands lits aux draps frais dans la pénombre d'une chambre aux rideaux clos. Étreindre le corps enfin
dénudé de son amie, se pelotonner dans sa tièdeur, mêler ses cheveux aux siens sur la douceur fraîche d'un oreiller.
Révélée maintenant à sa plus profonde sensualité, libérée de ses angoisses, elle s'abandonnait au plaisir de tout son
corps qu'elle ouvrait à son amante. Plus intense encore, dans des rencontres furtives; le danger, la peur d'être surprise
les rendaient plus enivrantes encore. Et Sarah se prenait à cette passion fruste, à ces amours rapides, prise dans une
hâte fièvreuse dans le soir tombant, quand le vent semble chasser dans les feuillages, que la nuit s'amasse avec ses
dangers, ses ombres et ses présages. Heureusement que les bois étaient vastes et solitaires autour des amoureuses.
Il y avait bien une solution pour Sarah, à laquelle elle pensait depuis quelque temps déjà, mais qu'elle hésitait à adopter.
C'était tout de même délicat. Il fallait faire confiance, et ce n'était pas toujours facile. Anne, oui. Il lui faudra parler à Anne.
C'était une femme étonnante, la patronne de "La Licorne Royale", une femme libre, qui comprenait les choses. Elle finit
par se décider un après-midi où seule avec Anne, tranquilles sous la vigne-vierge de la terrasse, elles buvaient une
orangeade, l'arrangement fut trouvé. Il y avait une chambre au premier étage qu'elle ne louait jamais. Elle la lui prêterait
en toute discrétion. Et Anne prit la main de Sarah, la garda dans la sienne et la serra gentiment. Un sourire amical mais
presque tendre flottait sur ses lèvres. Anne aimait Sarah, sa blondeur, sa fragilité et ses airs délurés. Elle avait le goût de
protéger les amours singulières, de les faciliter, de vivre un peu dans l'intimitié des passions, des "amitiés particulières."
L'inauguration de "sa chambre" de l'hôtel de Lyons-la-Forêt devait être une solennité: bougies, fleurs, champagne. Elle
aurait voulu un déshabillé extraordinaire pour Patricia, mais les boutiques de lingerie n'offraient hélas, sans doute que
des chemises de nuit pour dames d'œuvres, tant pis. Elle passerait nue cette fabuleuse nuit d'épousailles, au terme de
ces longues fiançailles champêtres qu'elles avaient vécues. Ce fut la nuit des sortilèges, des envoûtements, la joie des
corps, les embrasements des cœurs, dans la lueur cérémonieuse des cierges que les grands candélabres tendaient à
bout de bras. Elles s'étaient glissées comme des ombres jusqu'à la petite porte discrète qui ouvrait sur l'escalier privé.
Des fleurs des champs par brassées, semblaient avoir, par magie, quitté les prés pour venir joncher la chambre d'amour.
Le champagne glaçait dans un seau. Il n'y avait que la nuit alentour, et les murmures de la forêt. C'était la chambre des
enchantements, une crypte ardente, illuminée par la flamme dansante des bougies. Les fumées du champagne aidant,
Sarah vivait une espèce de rêve éveillé, une fête silencieuse, hypnotique et sensuelle. Elle n'avait connu jusqu'alors
que la fougue maladroite d'étreintes masculines, qui n'arrivaient que très rarement à l'émouvoir, un peu par accident.
Nue devant Patricia agenouillée qui la priait de demeurer immobile, droite et figée comme une idole pour qu'elle pût
mieux l'admirer avant de l'éveiller par ses caresses, comme elle aurait aimé une statue, des caresses dévotieuses et
d'abord tremblantes, Sarah régnait. Et puis, sur le lit où elle la coucha, elle lui révéla son corps. Jamais encore aucune
bouche féminine ne s'était posée au cœur de son intimité. Et un gémissement s'éleva en elle, roula dans sa gorge à
mesure que le plaisir la gagnait, montait, la saisissait dans les reins et dans le ventre, un gémissement qui devint un cri
rauque lorsque l'orgasme la secoua, la tordit, comme une folle qui se cambrait, s'offrait, croyait mourir foudroyée. Et
elle sut alors que le plaisir, c'était beaucoup plus que le plaisir. Les bougies blafardes finissaient d'agoniser au-dessus
des stalactites de cire en larmes d'amour. L'aube d'été trouva les amantes furtives enlacées dans un sommeil heureux.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Excellent. Bonne journée.
J'aime 08/07/20