Méridienne d'un soir
par le 20/07/20
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Elle ne la comprenait pas très bien. Plus tard, seulement, elle avait imaginé ce qu'elle voulait dire. Ce n'était qu'un
rêve. Ce qui était solide et vrai, c'était son visage qu'elle voyait très bien à cette heure-là. Il était plein de reflets,
comme les eaux noires qui coulaient plus bas. Ce visage ne faisait qu'un avec le fleuve. Patricia sentait qu'elle
serait entraînée assez loin. Ce fleuve puissant où elle entrait aux côtés de Sarah ne la lâcherait pas. Elle voyait
sa bouche qui remuait dans la nuit, pour parler. Dans une autre nuit, elles pouvaient s'approcher et s'embrasser.
Comme un être fiévreux, elle se perdait dans ses cheveux, dans son corps. Des lèvres, des mains, tels étaient
les charmes qui servaient à la faire souffrir. Ils l'étendaient sur des plages inconnues et la recouvraient de plaisir.
Patricia sentait ce plaisir dans son sang. Elle demeurait dans un désir qui lui faisait sentir chaque centimètre de
son corps. Étendue, les jambes et les bras écartés pour tenir plus de place et mieux s'offrir à ce trouble, elle ne
voyait plus que les fantômes qui l'entouraient. À chaque battement de paupière, quelque chose lui sautait au
visage, sa propre main nue sous les rayons de lune, sa main immobile, et pourtant cette main occupait l'espace,
elle s'étendait sur son corps et le faisait trembler, elle caressait un autre corps impossible, les yeux de Patricia
voyaient tout cela. Presque tout ce qu'elle avait fait avec Sarah lui revenait avec une radieuse et atroce précision.
Quand des détails venaient à lui manquaient, elle passait des heures à des reconstitutions minutieuses. Elle
parvenait ainsi, avec des repères dérisoires qui lui renvoyaient l'un à l'autre et au prix d'efforts démesurés, à
rétablir une chronologie complète de leur relation depuis Rome. C'est dans le désespoir de ces évocations
enchantées qu'elle dormait en rêvant. La nuit entière se passa à dans cet engourdissement aigu et lourd.
Pauvre Patricia. Elle aimait sa Maîtresse. Elles avaient toutes deux d'étranges relations. Rien de compliqué
chez elle. Elle attendait. Elle était pleine d'illusions. Ce qui lui manquait n'était pas à proprement parler Sarah,
mais l'usage d'un corps de jeune fille, dont elle pût faire ce qu'elle voulût. Chaque abandon lui serait le gage d'un
autre abandon qui lui serait exigé. Il serait impossible qu'elle en fût comblée. On ne pouvait pas dire qu'elle se
défendit, ni se méfiât. Quand elle cédait aux châtiments, elle cédait brusquement, et l'on aurait dit entièrement,
devenant soudain quelqu'un d'autre, pendant une heure, pendant une nuit. Le reste du temps, elle était à la fois
provocante et fuyante, d'une incroyable habileté à l'esquive, s'arrangeant sans jamais une faute pour ne donner
prise ni à un geste, ni à un mot, ni même à un regard qui permît de faire coïncider cette triomphante avec cette
vaincue, et de faire croire qu'il était si facile de la forcer à la soumission. Sarah avait cru ou voulait croire, pour
se donner des excuses, que Patricia serait farouche. Elle fut détrompée aussitôt qu'elle voulut l'être. Patricia
n'était pas sentimentale, pourtant elle aimait sa Maîtresse et ne s'en cachait pas. Elle ressentait déjà l'orgueil
qu'éprouve celle qui est l'objet de sévices de la part de l'être aimé. Chaque coup pouvait alors s'interpréter
comme une marque d'intérêt, voire d'amour. Elle ne s'était jamais résignée au sort qu'elle avait librement choisi.
N'ayant pas la nature d'une guerrière, ne sachant opposer la violence à la cruauté, elle avait appris à dominer
celles qui usaient d'elle en rendant mystique l'offrande de sa soumission. C'est ainsi que les esclaves vivent. Elles
sont les seules à détenir les clefs des caves sombres où les fantasmes des Maîtres les hissent au rang de divinités.
Patricia déverouilla avec peine les cadenas qui la retenaient encore prisonnière des chaînes, dénoua rageusement
le bâillon et se coucha en chien de fusil, la tête enfouie sous les draps. Elle tremblait toujours, mais de froid cette fois.
Tous ses muscles, raidis par la tension des menottes métalliques, lui faisaient mal. Elle aurait voulu remuer, se lever,
s'habiller. Tout effort lui semblait insurmontable. Malgré elle, des ondes de plaisir la parcouraient encore, comme un
orage qui ne s'éloigne que peu à peu, abandonnant ça et là d'ultimes grondements. Libérée de ses chaînes, elle se
sentait plus impuissante que lorsqu'elles l'entravaient. Les larmes lui montèrent aux yeux comme un torrent. Elle se
mit à pleurer fénétiquement, sans bruit mais les épaules secouées de spasmes, et cela dura assez longtemps. Elle
dut dormir un peu. Lorsqu'elle s'éveilla, le silence dans la cave était total. Ne pas ouvrir les yeux. Ne pas s'éveiller
tout à fait encore. Profiter du demi-sommeil pour continuer à croire que tout cela n'était qu'un rêve, un fantasme trop
fort, trop présent, qui raisonnait encore en bas de son ventre. Pourquoi m'avait-elle contrainte à une telle séance ?
Avait-elle voulu me faire souffrir ? Rien dans son attitude n'avait pourtant trahi un quelconque plaisir à m'imposer un
tel jeu. Cela ressemblait plutôt à un passage obligé, une sorte de rituel auquel elle-même n'aurait pu échapper. Elle
tendit l'oreille, à l'affût d'un signe de Sarah. Patricia secoua la tête. Elle était folle de remuer de telles pensées.
Elle ne devait pas avoir peur. Et si sa Maîtresse avait encore eu l'envie de l'offrir à une amie ? Patricia avait beau
tenter de rejeter de toutes ses forces cette idée, celle-ci la taraudait et ne la lâchait plus. Sarah voulait l'offrir à une
amie. Elle lui a donné l'adresse. Elle lui avait dit qu'elle trouverait là une jeune femme qui n'atteint le plaisir qu'en
donnant vie à ses fantasmes. Elle mime la résistance mais c'est pour mieux en profiter. N'a-t-elle pas elle-même avoué
qu'elle affectionnait particulièrement les fantasmes de viol ? Des pas dans le couloir. Les voilà qui approchent. Elle
cessa de respirer. Elle les entendit s'arrêter devant la porte de la cave. Une clé tourna dans la serrure. Bientôt la porte
s'entrouvit. Patricia distingua dans l'embrasure une silhouette. La lumière l'aveugla. C'était Sarah mais elle n'était
pas seule. Celle qui l'accompagnait la considérait d'un œil narquois. Elle se coucha en travers du lit, les mains derrière
la nuque. Tout en elle dégageait une étrange impression de sauvage énergie mais mêlée d'une extrême élégance.
Patricia la vit poser les mains bien tendues de part et d'autre de sa vulve avec une douceur innatendue. Elle sollicita
les grandes lèvres pour les écarter peu à peu, du bout des doigts. Leur contact, même s'il demeurait ferme, n'avait plus
du tout la violence d'auparavant. Elle ouvrit son sexe comme on ouvre une orange, avec soin, en faisant attention de ne
pas en perdre le nectar. Patricia ferma les yeux. Elle cherchait à se concentrer sur le plaisir que la fille exigeait d'elle.
Il devait venir. Elle devait réussir à jouir pour la satisfaire et pour qu'elle lui fiche la paix. Peut-être que, comme avec sa
Maîtresse, si elle parvenait à se mettre en situation de spectatrice, parviendrait-elle à exciter ses sens. L'inconnue passa
plusieurs fois sa langue sur le sexe de Patricia, de l'entrée du vagin jusqu'au clitoris, aspirant la chair tendre des petites
lèvres, les frôlant parfois des dents, puis les abandonnant pour recommencer ailleurs, un peu plus haut, un peu plus bas.
À l'instant même où l'inconnue mordilla son clitoris, Patricia se convulsa longuement dans ses chaînes et tremblait
encore lorsque la jeune femme, s'étant tout à fait rhabillée, lui détacha les mains et lui donna des consignes pour leur
prochaine rencontre. Ce soir-là, le sommeil ne vint pas. Bien sûr, elle avait eu peur, bien sûr elle avait eu honte. Mais
aussi longtemps qu'on usait d'elle, elle n'était que pensée et désir pour Sarah. Elle l'aimait et c'est ce qu'elle voulait.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Le don de soi pour et par un ou une autre est une des plus belles preuves d'amour.
J'aime 21/07/20