Méridienne d'un soir
par le 01/08/20
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Si les immeubles avaient des planchers de verre, quelles sublimes perspectives, cela dessinerait. Allongée sur le
canapé, ses écouteurs sur les oreilles, Charlotte somnolait. Si les immeubles avaient des planchers de verre, elle
pourrait, en se penchant un peu, l'observer tel qu'elle se l'imaginait en cet instant, occupé à de mystérieux travaux
ou feuilletant quelque ouvrage, assis dans un fauteuil d'osier, près de la fenêtre. Et lorsqu'elle quitterait le divan, ce
serait pour aller flâner vers le balcon, pour le plaisir de sentir son regard vissé entre ses cuisses. Car elle l'attirait,
elle en était presque sûre. Il ne lui resterait qu'un léger doute, cet ultime et délicieux doute qui rend le premier pas
si difficile à franchir et qui donne toute sa saveur au premier baiser. Elle avait su y faire. Elle avait su tendre cette
infinité de pièges minuscules auxquels, toujours, il s'était laissé prendre. Lever les yeux sur lui avec lenteur, lui
répondre d'un sourire en penchant la tête sur le côté, se tirer les cheveux en arrière rien que pour pouvoir gonfler
sa poitrine et vérifier son coup d'œil à la dérobée. Oui, elle avait su y faire. Elle l'attirait. Elle l'avait deviné dès le
premier regard, ce dimanche soir, dans l'escalier. Et ensuite, il avait si mal caché son jeu, il avait été tellement trop
souriant, tellement trop empressé à lui ouvrir les portes, bombant tellement trop le torse en l'apercevant, il avait été
homme en somme, qu'elle n'avait plus eu qu'à se laisser désirer. Quelle mal y avait-il à cela ? Elle n'irait pas au-delà
de toute façon. Mission impossible. Son mari était jaloux comme un tigre et elle craignait par-dessus tout sa férocité.
Si les immeubles de verre avaient des planchers de verre. Charlotte ôta ses écouteurs, glissa du canapé, s'aplatit
contre la moquette, chercha à capter un son de l'étage inférieur. Tu es là, mon bel inconnu. Je te sens là, si proche
de moi, levant les yeux vers moi peut-être. Si tu pouvais me voir, ainsi couchée à plat ventre à quelques centimètres
seulement au-dessus de ta tête. Tu es là, tu m'espères. C'est tellement délicieux, cette attente que tu me fais endurer.
Que fais-tu dans la vie ? Parfois, tu es absent pendant plusieurs jours et ton absence m'est insoutenable. Et puis, tu
reviens, tu ne bouges plus de chez toi pendant une, deux, trois semaines. Et tu repars à nouveau. Si les immeubles
avaient des planchers de verre. Regarde, je suis sortie de mon bain, il y a dix minutes à peine. Je l'ai pris encore trop
chaud, comme d'habitude, et la sueur me colle sur la peau. Mes cheveux humides se collent à mes joues. Je ne porte
rien que ce long peignoir d'éponge. Je dénude juste un coin d'épaule. Aperçois-tu ce sein timide dans l'échancrure ?
Veux-tu le voir mieux ? Et mieux encore ? Je dénoue la ceinture, j'écarte un pan du peignoir, puis l'autre, je m'aplatis
au-dessus de toi, à travers notre plancher de verre. Que penses-tu de mon corps dans cet écrin blanc ?
Tu veux m'atteindre. Tu lèves les mains comme on implore une déesse. Tes doigts glissent sur le plafond translucide
qui nous sépare mais je ressens quand même leur chaleur sur ma peau. Ils dessinent le contour de mes seins, de mes
hanches, de mes cuisses. Ils cherchent un passage à travers le béton transparent. Sois donc patient, mon bel ami.
Prends donc le temps de m'inspecter sous toutes mes coutures. Vois. J'ôte mon peignoir. Je me retourne. Tu me voyais
verso, me voilà rectale. Oui, c'est ça, observe bien la rondeur de mes fesses. Si seulement, tu pouvais en apprécier la
douceur satinée. Regarde comme elles sont fermes et élastiques. Regarde comme elles ondulent joliment lorsque
j'ordonne à leurs muscles de se contracter. Tu aimes ? Pour toi, je vais te présenter mon intime oeillet. Il est profond
et accueillant. Mais ne t'attarde pas à lui seul comme le font tous les hommes. Toi, tu es différent. Toi, suis le chemin
qu'emprunte en moi le désir. Si maintenant tu m'effleurais l'épaule, il grimperait jusqu'à ma nuque, il me creuserait
l'échine. Tu le vois, dis ? Tu le vois jaillir tout au long de ma colonne vertébrale jusqu'à bouillonner la cambrure de mes
reins ? Oui, tu verrais cet indicible frisson qui me secouerait tout entière, qui m'arquerait le corps, qui en accentuerait
toutes les lignes. Lignes tendues de nerfs, tendues vers mon centre, vers mon ventre, vers mon sexe.
Tu veux le voir mieux, mon bel inconnu ? As-tu remarqué comme les courbes d'un corps de femme font écho à l'arrondi
de son ventre ? Toutes te ramènent toujours vers la fleur du sexe qui t'attire et qui se cache. Tiens, regarde. Je suis à
genoux, les cuisses ouvertes, assise sur les talons, je le dévoile pour toi tout seul. La fleur est encore fermée. Elle se
cache derrière son bourgeon de chair mais attends. Toi, tu es le printemps qui l'éveille peu à peu. Observe bien comme
le calice s'entrouve. Toute la sève reflue vers elle pour la faire fleurir. Mon ventre éclôt grâce à toi. Puis, voilà les pétales
épanouis. Voilà au cœur de leur corolle, le gynécée offert, le stigmate attentif. Si seulement, tu pouvais bourdonner sur
lui. Si seulement tu pouvais combler sa fébrilité de baisers. Si seulement. Un bruit, comme un hoquet interrompit la
rêverie de Charlotte. Elle se releva d'un bond, était-ce sa mère qui entrait sans s'annoncer comme d'habitude ? Un seul
choix, rajuster son peignoir. Le bruit se répéta, semblable à une toux saccadée et cela ne s'arrêtait pas. Il ne venait pas
du hall mais de la chambre. Dans le couloir, Charlotte réalisa tout à coup que la sonnette de l'entrée crépitait, depuis
quelques minutes. Elle ouvrit la porte et se figea. C'était lui. Il se tenait en face d'elle, une main dans la poche revolver
de son jean, l'autre chassant une mèche rebelle sur son front. Il souriait, un peu ennuyé de la découvrir dans une tenue
un peu débraillée. Elle rougit, serra le col de son peignoir et passa à son tour une main embarrassée dans ses cheveux.
Il ne cessait de sourire. "- Cela dégouline de chez moi ... annonça-t-il. Vous n'auriez pas une fuite quelque part dans votre
appartement ? - J'ai ... C'est ma machine à laver qui a un problème." Quand Charlotte revint de la cuisine, il était déjà à
genoux, faisant le passe-passe entre le sol innondé et la baignoire; elle l'imita; la salle de bain était miniscule. Chaque fois
qu'ils se heurtaient, leurs corps s'écartaient précipitamment l'un de l'autre, comme des atomes en contact se repoussent
mutuellement. Cela leur prit près d'une heure pour réparer les dégats. Et ce n'est qu'au bout d'une heure que Charlotte
remarqua que les yeux de l'inconnu plongeaient discrètement mais régulièrement dans le décolleté de son peignoir. Elle
rougit. Ils se relevèrent dans le même mouvement. Une épaule se dénuda. Durant quelques secondes, ils demeurèrent
ainsi immobiles l'un en face de l'autre, si près l'un de l'autre dans cette petite salle de bains. Elle vit la main de l'homme
s'approcher de sa joue, l'effleurer et glisser le long de son cou vers l'épaule nue. Le contact de cette paume chaude lui
fit l'effet d'une brûlure. Elle tressaillit et ce frisson l'éveilla brusquement. Elle rabattit son peignoir d'un geste sec.
"- Merci de m'avoir aidée, articula-t-elle sur un ton qu'elle espérait sévère. Partez maintenant ... S'il vous plaît ...
L'homme se contenta de sourire. Il traversa à nouveau l'appartement, les mains toujours fourrées au fond des poches
arrières de son jean. À la seconde même où il disparaissait derrière la porte, elle regretta son départ. Longtemps, elle erra
dans l'appartement, évitant la salle de bain où son miroir n'avait pas perdu une miette de la scène. "- Mais quelle idiote
es-tu donc, Charlotte ? Voilà des semaines que tu attends l'instant béni où tu sentiras enfin sa main te frôler et lorsqu'il
arrive enfin ... tu le fiches dehors. À plusieurs reprises, elle porta les doigts à l'endroit de son cou qu'il avait effleuré,
cherchant en vain la trace d'un parfum, la marque que cette caresse, tel un fer rouge, avait dû abandonner. Il ne restait
rien de cette rencontre fugace. Que fallait-il faire maintenant ? Sortir ? L'appeler ? Sonner chez lui ? Elle se sentait
incapable d'un tel acte de bravoure. Les événements seuls avaient toujours décidé les choses à sa place. Il lui avait suffi
de leur obéir ... Si les immeubles avaient des planchers de verres ...
Si les immeubles avaient des planchers de verre, il pourrait la voir déambuler ainsi désemparée. Il comprendrait peut-être.
Il monterait sans doute. Il sonnerait à nouveau et elle lui ouvrirait les bras cette fois, elle en était sûre. Le désir la souleva
brusquement. Elle se redressa. Il fallait faire vite, ne pas réfléchir. Elle jeta son peignoir en boule sur le lit, enfila à la hâte
ses vêtements et ouvrit la porte. L'inconnu était derrière. Il la regardait, toujours avec ce sourire au coin des lèvres. Sans
le quitter des yeux, elle recula d'un pas, roula son tee-shirt par-dessus tête, déboucla son ceinturon et se débarrassa de
son jean. Elle aimait la façon qu'il avait de la regarder. Il n'y avait ni vainqueur, ni vaincue. Elle tendit la main vers lui.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
13 personnes aiment ça.
lulu
Bonjour Madame. Merci pour ce moment de lecture. Votre plume est toujours si belle.
J'aime 01/08/20
insolence
Toujours aussi bien écrit qui donne cette envie de lire encore et encore, bises
J'aime 02/08/20
Méridienne d'un soir
Merci mes amis insolence et lulu, bon week-end du 15 août à vous deux. 1f607.png
J'aime 15/08/20
Marc Nancy
La transparence complète : ca serait horrible : plus d intimité, de liberté, plus rien à deviner, à imaginer ou de secrets à percer. Heureusement, ca n est qu'un fantasme !
J'aime 31/08/20