Méridienne d'un soir
par le 18/03/21
532 vues
Portée par sur les ailes du vent Zéphyr puis par les vagues, la déesse née de l'écume des mers arriva sur les rives de
l'île de Chypre et fut accueillie par les gracieuses Heures, jeunes vierges, ministres du soleil qui la parèrent de couronnes
et de guirlandes de fleurs, lorsqu'elle sortit du sein des flots. Elles la conduisirent à l'Olympe en compagnie d'Éros, dieu
de l'amour et d'Himéros, déité du désir ardent. Sa beauté et sa grâce éveillèrent alors la jalousie des autres déesses qui
ne manquèrent jamais une occasion de lui nuire. Ainsi lorsqu'aux noces de Thétis et de Pélée, on omit d'inviter Éris, la
déesse de la discorde, celle-ci pour se venger, lança dans l'assemblée une pomme d'or portant l'inscription, "pour la plus
belle", le fruit fut réclamé par Héra, Athéna et Aphrodite. Pour les départager, Zeus fit appel au jugement de Pâris, fils de
Priam, roi de Troie. Embarrassé, le jeune homme donna alors la pomme à la déesse née de l'écume des mers qui lui avait
promis l'amour des plus belles mortelles. Ainsi naquit la passion fatale aux terribles conséquences entre le héros troyen
et la belle Hélène et l'image de l'amour et de la jouissance sexuelle de la plus illustre séductrice de l'Antiquité. Passion,
désir, érotisme déclinent les choses de l’amour et les chemins de la jouissance. La jouissance comme la souffrance sont
des expériences intenses qui engagent le psychique autant que le corps. Elles mettent en jeu la relation aux autres et le
regard social. Elles croisent les problématiques de la vie et de la mort dont elles sont les signes et les effets. Il y a bien
des discours sur la sexualité, l’érotisme et même la jouissance. Depuis le XXème siècle, l’examen enfiévré de la sexualité
ou de l’érotisme se fait au grand jour. Les arts, peinture, cinéma, chorégraphie reconstituent les figures et les gestes de
la jouissance. La littérature et la musique la renouvellent avec des mots et des harmonies. Sur les écrans, les limites entre
l’érotisme et la pornographie s’estompent. Malgré tous les écrits, malgré tous les passages à l’acte, malgré l’explosion
érotique des dernières décennies, l’énigme de la jouissance reste entière pour chacun et pour tous. Elle reste un secret
au cœur de l’intimité, souvent associée à une souffrance qui n’ose pas toujours dire son nom. La sexologie est devenue
une spécialité qui prétend répondre à celle-ci. Qu’est-ce cette jouissance, dont le mot même est un doux frisson, pourquoi,
quand, comment la ressent-on, chacun pour soi et avec, sans ou contre l’autre ? Elle continue toujours à interroger quand
nous nous essayons encore à lui arracher des réponses. La psychanalyse fonde sa théorie sur le sexe, la libido, éros,
prétendant qu’ils gouvernent nos psychés, que nos névroses tournent autour de leurs énigmes et de leurs interdits. La
culpabilité attachée à la jouissance, nous a ainsi expliqué Freud, est à l’origine de la civilisation comme des pathologies.
La divine déesse tenait son extraordinaire pouvoir de séduction d'une ceinture magique qui rendait irrésistible celle qui la
portait. Jouir est la grande affaire de la vie, autant que la souffrance derrière laquelle se cache la mort. Éros et Thanatos
ont été définitivement liés par Freud. Pour Bataille, l’érotisme est la face noire de l’humain en proie à la rage de l’excès,
à la poursuite de la mort, avec Sade il a cru en trouver une illustration parfaite. Non que cette version soit fausse. Elle tire
un des fils de cet écheveau complexe qui entremêle l’imaginaire, l’émotionnel, l’organique et le social. La jouissance n’est
pas un objet ni un effet que l’on pourrait isoler pour étude. Elle est une expérience et une relation d’un sujet avec lui-même
et son univers, prise dans ses nouages physiques et psychiques, dans les projections qu’il en fait sur les autres ou les
choses fictives ou réelles, en réponse à leurs pressions et répercussions. Relation complexe que l’environnement social
marque de son sceau. On se rend facilement compte qu’à vouloir évoquer la jouissance, on se heurte à la fois à l’interdit.
Un discours sur la jouissance est toujours un peu suspect car il dénature un éprouvé et le détourne au profit du supposé
maître qui en cause sans se mettre en cause. La jouissance des autres, même si elle peut être excitante, n’est jamais la
sienne, elle garde quelque chose d’intransmissible sur quoi s’épuise toute la littérature érotique. On peut se demander si
elle ne s’efface pas plus encore dans un discours savant. Le théâtre reste intérieur et le spectateur est l’acteur, celui-ci ne
travaille pas un rôle, il est en position de réception, de disponibilité totale. Paradoxes et complexité se retrouvent sans
doute dans tous les moments de la vie, toujours mêlée à la mort, mais peut-être nulle part comme dans la jouissance aux
limites de tout, ou plutôt dans l’entre-deux de la loi et de l’interdit, de l’animalité organique et de l’élévation spirituelle, de
la pulsion et de l’idéalisation, de la perversion et de la sublimation. Là où société et culture contrôlent, châtient et facilitent,
où l’obscénité se marie à la pureté, là où se confondent le stupre et l’amour. L’intrication du social, du psychique et de
l’organique n’y est peut-être pas plus visible qu’ailleurs, mais plus qu’ailleurs l’emprise de l’imaginaire sur le désir est
l’illusion d’approcher le réel. Ce pourquoi on ne peut jamais bien sûr essayer de parler de la jouissance qu’a posteriori.
La difficulté d'une telle étude réside surtout dans la tentation d'opter définitivement une narration bienveillante pour les
différentes figures érotiques ou au contraire de porter le regard savant de l'analyste. il s’agit seulement de parcourir les
alentours de la jouissance, les mots pour la dire ou l’évoquer, puis de voir comment elle s’annonce avec la fébrilité du désir
ou sous les brumes d’un certain trouble, toujours guidée par un fantasme qui cherche ainsi les objets auxquels l’accrocher.
Elle est ce moment où le désir croit se saisir de son objet. Dans l’orgasme, le sujet ne tient plus qu’à la sensation éclatante,
sans parole possible, dont il faudra provoquer le retour dans l’espérance d’une plénitude à peine effleurée. Au cœur du
plaisir règne toujours l’ambivalence. On pourrait croire que les activités pour lesquelles les hommes dépensent tant
d’énergie servent à satisfaire leurs besoins, mais la plupart n’ont que des rapports très lointains avec les besoins, ils y
sont poussés par un désir tout aussi impérieux visant à satisfaire les désirs qui les mettent sur les voies de la jouissance.
Même s’il peut y avoir du plaisir dans toute activité, la jouissance est beaucoup plus que la satisfaction des besoins ou
le plaisir de l’action, c’est un surplus que le désir seul promet. Les sources semblent cachées dans les objets auxquels le
désir s’adresse, que le fantasme pressent et reconnaît, que la société lui autorise, lui interdit ou lui substitue. Le désir
dans son urgence se passerait de mots, la société lui apprend la patience et la culture apprivoise ainsi la jouissance, la
spiritualise et la nuance, trouve les mots pour en parler dans le monde avant de s’y livrer corps et âme. La sensualité se
complaît aux sensations voluptueuses sans forcément rechercher l’orgasme. Elle concerne tous les sens, grâce à une
attitude réceptive par rapport à tous les objets qui flattent l’un d’entre eux, le toucher, le goût, l’ouïe, l’odorat, la vue.
On attribue de la sensualité aux objets ou aux êtres quand ils évoquent volontairement ou naturellement un plaisir des
sens par une certaine langueur de la forme, du mouvement. Le langage égrène la jouissance sous des formes variées.
Romantiques ou crus, les mots des amants colorent le désir comme le pinceau du maître dessine de suaves courbes.
Sous-tendue par la pulsion, la mémoire de la satisfaction provoque une tension et attise l’imaginaire, le désir presse de
retrouver l’objet, l’excitation est accrue par son approche aussi bien que par les retards ou les complications qui y sont
mises. L’appropriation réelle, mimée et ou imaginaire de l’objet reproduit l’expérience de satisfaction avec plus ou moins
d’intensité selon la puissance du désir, l’adéquation de l’objet au fantasme et la facilité offerte par le contexte matériel.
La jouissance sexuelle est évidemment le parangon de ce processus. Elle associe le corps, (système nerveux, hormonal,
organes sexuels, zones érogènes), le psychisme (fantasmes, imaginaire, affects…), la relation à l’objet (partenaire, ses
représentants ou ses substituts) et le social (culture de la sexualité et de l’érotisme, ses normes, ses tolérances, ses
interdits). La meilleure définition de la jouissance serait l’accomplissement du désir, qui est lié à l’orgasme, jouissance
singulière découlant du franchissement des limites du corps, à ce moment où le désir rejoint enfin l’objet du désir, où
s’inaugure la fusion avec l’être convoité, le moment de la pénétration, de cette incroyable intrusion dans ce qui est le
plus gardé, défendu, intrusion tout à coup possible, imposée ou souhaitée pour qui en est l’objet. Dans son élan, le désir
s’est adressé à un objet concret dans lequel le fantasme a cru se reconnaître. Tantôt, la jouissance de l’avoir atteint est
apparue passagère ou décevante et la quête se poursuit parmi les objets évocateurs du fantôme, chéri sans même le
savoir. Tantôt, l’espoir de prolonger l’union inespérée avec un objet qui semble combler, de s’en assurer la possession,
transforme désir, fantasme et jouissance en un rêve d’amour, y ajoute cet élan de l’âme qui les transcende et pense les
éterniser. Cet élan lui-même peut passer de la douceur à la rage, c'est la métamorphose du désir et de la jouissance.
Délicieux moments emportés par la sensualité de deux corps se courbant dans l'attente de la jouissance. Les chairs
se languissent en se pétrifiant, ointes par leurs sources de vie. Les liaisons du somatique et du psychique suivent
alors un processus de transformations qui peuvent être d’abord instantanées puis ralenties au fur et à mesure que la
subjectivité s’en mêle. Ces transformations vont de la perception brute à l’émotion qui engage le retentissement de la
sensation. La véritable cible du désir, c’est l’autre, mais celui-ci ne cesse de se dérober, sa différence attise le désir,
l’absorbe et le dérange jusqu’à la crainte qui fait préférer l’humilier et le haïr. La curiosité du sexe de l’autre porte sur sa
jouissance propre, comme s’il détenait les clefs de cette jouissance. Selon Bataille, l’acte sexuel serait "une dissolution
des formes constituées", une recherche de fusion totale, et la jouissance, ce moment éphémère où les êtres discontinus
croient toucher à la continuité de l’être. C’est un nouveau paradoxe que la dilution toute provisoire du moi semble abolir
la différence tout en ouvrant à l’altérité. La passion veut en entretenir à toute force l’illusion fusionnelle, le mystique a le
plus de chance de la prolonger parce qu’il a choisi Dieu, fantasme sacré, réunissant l’imaginaire et le symbolique auquel
aucune réalité ne viendra apporter de démenti. Si Dieu est réalité, celle-ci ne se réduit en aucun lieu ni aucun temps,
l’amour du mystique peut espérer s’unir à l’infini. C’est ce que l’érotisme tente à son tour dans les mises en scène qui
s’appliquent à détruire l’ego. L’un est pour l’autre une énigme qui suscite effroi, envie, désir. C’est l’autre qui offre les
éventualités de la jouissance, mais sa jouissance demeure une inconnue qui peut aussi bien découvrir un paradis qu’un
gouffre incertain. La différence des sexes sépare autant qu’elle attire. La visibilité du désir de l’homme laisse croire à la
clarté de sa jouissance tandis que le corps de la femme semble enclore le mystère. C'est toute la beauté de l'érotisme.
Multiple est le sexe dans l'altérité. Le désir efface parfois le genre, enrichissant la passion. Selon Pausanias, la déesse
Aphrodite eut de nombreuses maîtresses, divines ou mortelles. Quelle différence, autre que le fantasme et la légende,
recouvrent celle des sexes ? Qu’est-ce que ces sexes demandent l’un à l’autre ? Au-delà de la jouissance, que veulent-ils
qu’ils puissent s’accorder ou se refuser ? Freud demandait: "Que veut la femme ?" "Ce qu’elle n’a pas", aurait-il répondu.
Mais que veulent-ils l’un et l’autre, homme et femme ? Tout être désigne son manque à l’autre et chacun sert de figure
du manque à l’autre. Que veut l’homme ? Être contenu, vieux rêve fœtal, posséder le monde, puissance phallique. Que
veut la femme ? Contenir son amant, le pénis, l’enfant, le monde, et être contenue, c'est-à-dire, aimée, entourée, abritée.
Être comblés, retrouver une totalité pleine, s’y enfouir exclusivement pour les hommes, en être envahies pour les femmes,
sont comparables. Seuls les instruments et les moyens diffèrent. Se poser alors la question de ce que veulent les femmes
sans le faire pour les hommes et en laissant la question sans réponse dit bien assez qu’il va falloir disposer pour elles,
à moins que leur corps, par nature, ne les assigne à leurs fonctions sans qu’il soit besoin de philosopher. Toutefois, les
analystes ne pouvaient éluder une question qui engageait, moins le corps que la psyché et la dynamique inconsciente.
En fait ils ont pris le relais d’un imaginaire qui depuis des siècles et dans presque toutes les sociétés donnait le pas à
la reproduction sur la jouissance, non qu’ils aient dénié celle-ci aux femmes, mais en firent un décalque négatif de celle
de l’homme, comme son ombre dépitée, rappelant le fameux "continent noir" freudien, pour signifier ainsi sa perplexité.
Chez le garçon, le complexe œdipien se prolonge dans le complexe de castration alors que chez la fille, il peut provoquer
une fixation à la mère avec l'impossibilité de s'identifier à elle en tant qu'épouse, la peur de l'homme, ou au contraire, une
attirance exagérée vers le père, accompagnée d'un sentiment de culpabilité rendant impossible tout rapport amoureux
avec d'autres hommes. La fille ne pouvait que suivre les mêmes chemins, en inverser les termes et y rester enferrée.
Désirant d’abord sa mère, comme le garçon, elle en est déçue, la hait de ne pas lui avoir donné le pénis et se retourne
vers son père pour se faire objet de désir, attendant de lui ce pénis qu’elle n’a pas eu de sa mère, sous les espèces de
l’enfant qu’il pourrait lui faire. Pour aussi intime que soit l’expérience de la jouissance, elle ne laisse pas d’être tenue en
lisière par la société. L’institution du mariage la sanctionne, en fait un droit et un devoir, un contrat qui engage la vie de
ceux qu’elle unit et prétend réserver la jouissance au cadre de cette union. Les possibilités d’accès, les moments, le choix
des partenaires sont contrôlés et peuvent tomber sous les coups de la loi. La société organise et surveille la pratique
commerciale de la jouissance, sous couvert d’hygiène, d’ordre et de morale publics. Autrement dit, elle légifère, organise,
autorise, tolère, interdit ou punit la jouissance en ses manifestations selon ce qui lui paraît pertinent dans un contexte et
selon des références multiples. La sexualité et les occasions de la jouissance ne se sont jamais départies du regard
de la société qui en tolérait ou en dictait les formes. Toutes les instances de connaissance et de surveillance imposent
des normes, des règles et des limites à ne pas franchir. Les modes de la jouissance y sont soumis comme les autres
activités humaines. Mais l’interdit ne fait paradoxalement qu’anticiper un désir qu’il excite, en prétendant l’étouffer.
Souvent, les plus grands artistes se situent hors des normes sociales dans leur expression créatrice. La transgression
suppose une ligne symbolique ou concrète, parfois imaginaire, qu’il est interdit de franchir. Cette limite à son tour suppose
un autre côté, objet d’interrogation, de curiosité, puis de désir, elle est, en soi, provocation à la franchir. La transgression
commence par la tentation, la limite devient un jeu, innocent ou dangereux, à la mesure de l’ampleur du franchissement
et à la mesure de la force de l’interdit et de la sanction encourue. La jouissance s’attache à ce jeu qui offre l’occasion de
s’éprouver soi-même, de jouir autant de soi que de l’inconnu exploré et que de la règle elle-même dont on fait son jouet.
Et dans la transgression, on se demande si le jeu avec la règle ou l’interdit, n’est pas le plus succulent de la jouissance.
La jouissance n’est-elle pas en elle-même transgression, un dépassement des limites ? La transgression cousine avec
la jouissance. En termes de risque accepté, recherché passivement ou activement. Elle est associée à une consumation,
une perte de soi, cet instant où Éros et Thanatos s’épousent et s’exténuent. Les libertins bravaient la censure et les lois,
passant à l’acte et à l’écrit en son nom. Ils semblent exemplaires de l’alliance de la jouissance et de la transgression.
Choderlos de Laclos et Sade se ressemblent dans la démarche mais diffèrent dans l'expression et avouons-le, dans la
qualité littéraire. Sade n’est plus un libertin aimable ou frondeur, il inaugure l’érotisme radical d’un révolté. Pour lui, le but
suprême de chaque homme doit être la jouissance arrachée à la souffrance de ses victimes et jetée à la face d’un dieu
mensonger. La jouissance poussée à ses excès mortels sert à l’argumentation du philosophe athée. En fracassant les
tabous les plus sacrés, elle défie l’hypocrisie d’une morale qui dénie la nature: "Tant pis pour les victimes, il en faut. Ce
n’est que par les forfaits que la nature se maintient, nous lui obéissons en nous livrant au mal." Aux excès de l’arbitraire,
Sade oppose ceux de la jouissance conjuguée au crime. Il en sera de son vivant considéré comme l’apologue damné
de la perversion. Si Éros reste enlacé à Thanatos, si toute jouissance se cueille au bord de la souffrance et porte en elle
les germes de la perversion, il est impossible de passer sans s’arrêter devant une œuvre qui par un imaginaire débordant
et une écriture frémissante tente de s’en expliquer. Son œuvre, considérée tantôt comme celle d’un génie tantôt comme
celle d’un fou pervers, est un ferment corrosif qui brûle ses lecteurs, ce pour quoi elle fut enfermée dans l’enfer de la
bibliothèque de la nation, comme son auteur le fut dans les bastilles de l’ordre monarchique et religieux. Les écrits de
Sade ont servi d’illustration à la perversion et son nom a qualifié pour toujours les excès de la jouissance, associant le
mépris et la souffrance de l’autre au plaisir sexuel. Sacher-Masoch complétera le tableau en attachant le plaisir à la
souffrance subie, mais pas aux mêmes extrêmes, car Sade inclut la mort des victimes dans les actes de jouissance.
Par définition, le dissolu ne connaît pas de frontière morale, c'est toute sa richesse ou tout son danger, selon le côté où
l'on se place. En effet, il ne s’embarrasse pas des limites, la transgression est inhérente à ses actes. Sa jouissance ne
peut être qu’absolue, celle d’un sujet-maître, qui se démontre tel par le saccage des interdits, qu’ils soient de Dieu, de la
morale ou de la société. Sa pulsion est reine, elle conjugue l’appétit de jouissance avec la destruction de ses objets. La
souffrance de ses victimes et, plus encore, l’impuissance des détenteurs de la loi devant ses forfaits accumulés, font la
preuve de sa puissance. Le pervers jouit en provoquant la loi à travers les victimes qu’elle est censée protéger. L’histoire
a connu de grands pervers, certains démasqués et châtiés comme Gilles de Rais devenu légendaire, d’autres restés
inconnus et impunis. Mais il ne faut pas croire que la perversion ne se manifeste que chez les grands criminels. Cette
volonté maligne de faire servir l’autre à son plaisir, tout en tournant à son profit les règles apparemment respectées de
la morale ou de l’usage, se retrouvent au sein de relations où les victimes sont humiliées sans pouvoir se déprendre du
piège qui les enserre. La jouissance plonge ses racines au plus profond du psychisme, de l’histoire du sujet en train de
se constituer. Les premiers émois créent les ébauches de fantasmes qui se déploient pour servir de toile de fond au
désir et guident les choix d’objets. Les expériences, les influences reçues les modifient. Ensemble ils pétrissent le désir
lié à l’énergie vitale, étroitement attaché à la biochimie du cerveau, en particulier à la dopamine qui régule ainsi les flux
d’hormones, l’ocytocine au moment de l’orgasme, dans l’organisme avec des effets massifs sur les organes génitaux.
Pour Antonio Di Ciaccia, "la jouissance est ce déplaisir qu'accompagne tout être parlant mais dont il ne peut se passer."
Bibliographie et références:
- Vinciane Pirenne-Delforge, "L’Aphrodite grecque"
- Louis Séchan, "Les grandes divinités de la Grèce"
- Barbara Breitenberger, "Aphrodite"
- Élisabeth Roudinesco, "La jouissance de la femme"
- Jacques Lacan, "Kant avec Sade"
- Sigmund Freud, "Trois essais sur la théorie sexuelle"
- Sigmund Freud, "La vie sexuelle"
- Henri Ey, "Études psychiatriques"
- Robert Stoller, "La perversion, forme érotique de la haine"
- Élisa Brune, "La révolution du plaisir féminin"
- Georges Lanteri Laura, "Lecture des perversions"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
14 personnes aiment ça.