Succubkat
par le 29/08/22
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Rêves d’Ackzagred
L'homme m'empoigna par le col avant de me jeter au sol.
"Tu vas voir comment on traite les tricheurs de ton espèce à la compagnie des Indes !" 
Aboya-t-il en m'assenant un puissant coup de pied qui vint me couper le souffle. Je tombais à terre et fut bientôt piétiné par les marins que j'avais tenté d'escroquer quelques minutes pluq tôt lors d'une stupide partie de cartes. Le bruit de notre bagarre avait dû attirer quelques curieux que je croyais distinguer tapis dans l'ombre des arcades de la taverne. Dans la nuit anonyme, les gredins avaient un public. L'une des brutes, un homme sec et crasseux levait les bras avec emphase et haranguait la foule pour réclamer des acclamations. Avec difficulté, j'essayai de me relever. Mes côtes me faisaient horriblement souffrir, la tête me tournait, je n'étais plus qu'une boule de douleur. Pourtant, je trouvais la force de m'agenouiller et de fixer le plus hardi de mes tortionnaires. Incrédule, l'homme cessa de fanfaronner pour s'approcher de moi. 
"Quoi ? Tu en veux encore un petit comte ? "
Et tandis qu'il s'avançait, je lui crachais à la figure. Le glaviot ensanglanté vint rouler sur sa joue balafrée sous les acclamations du petit attroupement. Furieux, l'homme jeta un rapide coup d'œil à ses deux compères qui avaient du mal à ne pas rire également. Alors, il dégaina un énorme couteau fixé à sa ceinture. Le genre de couteau qu'on utilise pour évider les gros poissons. Une lame affutée qui luisait de façon malsaine sous la lune opaline. De toute façon, je n'avais plus rien à perdre, le destin m'avait déjà tout pris. Par pure provocation, je me mis à rire, à rire comme un dément, comme un damné pour qui nul pardon ne sera jamais accordé. En un rien de temps, l'homme était passé derrière moi, il m'étranglait de sa main gauche tandis que sa lame cherchait maintenant mon cou. Les badauds et les curieux s'étaient tus. Les comparses de mon agresseur le regardaient de façon hésitante. Lui semblait gagné par ma folie. Il desserra son étreinte pour me tirer par les cheveux. La tête en arrière, je voyais maintenant son visage qui ressemblait de plus en plus à celui de la mort. Une dernière fois, je passai ma main sur mon collier et actionnai le fermoir du médaillon. Le clapet s'ouvrit sur une miniature. Malgré la nuit noire, je reconstituai mentalement l'image peinte avec minutie. Ma femme, Mina et mon fils Adam, souriaent figés pour l'éternité. Dionée, elle, ne figurait pas sur le dessin, elle était partie trop tôt. Un effluve d'alcool et de sueur aigre me ramena brutalement à la réalité.
"Je vais te faire ravaler ton sourire" 
Lança celui qui, quelques minutes plus tôt, avait perdu sa paye sur un coup de poker. Le coutelas entailla superficiellement ma gorge, un filet de sang macula ma chemise. L’homme voulait faire durer...Soudain, un mouvement de panique gagna la foule. Des voix s'élevèrent dans l'obscurité. La police débarquait. Le marin pesta avant de me porter un coup violent à la tempe. 
Je tentai un instant de lutter contre la douleur avant de sombrer dans les abysses.
Ma vie me revint par bribes incertaines. Mon père m'accompagnant enfant dans les plantations, présentant les ouvriers et les projets qu'il avait pour faire prospérer le domaine. Moi, patient, j'écoutai d'une oreille distraite ses conseils espérant retrouver rapidement mes jeux et mes lectures. Un brouillard surgit de mon esprit eyt je le retrouvai vieil homme, affaibli par la maladie. Cette scène, je l'avais vécue cent fois lors de mes insomnies, le notaire, le regard grave et mon père me confiant la plantation familiale. Puis Mina m'apparut comme un songe. Ses cheveux bruns cascadaient sur ses épaules laiteuses aux rythmes des valses que nous dansions. L'ambassade était en fête. Les plus belles filles de la région étaient venues, les plus nobles aussi mais ce jour-là, elle fut mon unique cavalière. Autour de moi, les murs de notre demeure défilaient en accéléré agaçant chacun de mes sens. Je me vis faire les cent devant la chambre de mon aimée avant d'entendre le gazouillement d'Adam. Je le revis adolescent tandis que, comme mon père, je lui enseignai, avec gravité, les connaissances que mon propre père m'avait donné quelques années plus tôt. Puis vint la naissance de Dionée, adorable petite, qui emplissait la maison de ses rires et de ses poupons. Autour de moi, la maison soudain s'obscurcit. Je revois les visages défaits de mes ouvriers agricoles lorsqu'ils me tendirent, à bout de bras, une enfant morte. Un le fléau venait de s'abattre sur notre plantation. Malgré la quarantaine que j'imposai, il ne fallut pas une dizaine de jours pour compter les morts par dizaines. Un soir, le malheur frappa Dionée. La petite n'avait rien avalé depuis vingt-quatre heure, sa fièvre refusait de tomber. Lorsque je revins fourbu du travail des champs, elle cracha sa première goutte de sang. Je serrai ce petit corps chétif et malingre contre le mien et tentai vainement de la guérir par mon amour.  L'hécatombe frappait maintenant toute la région, la mort ne faisait pas de différence entre riches et pauvres, femmes, hommes ou enfants. Des mesures d'urgence furent prises tardivement par les autorités locales. Il fallait isoler les malades, brûler les morts sans même leur donner les derniers sacrements mais l'épidémie semblait ne jamais s'arrêter. Les indigènes murmuraient que les blancs propageaient la maladie, les blancs pensaient à une malédiction jetée par les sorciers locaux. Un climat de suspicion s'installa. Lorsque mon fils et ma femme furent touchés, une émeute survint sur nos terres. Des hommes armés encerclaient notre demeure et refusaient de nous laisser sortir. Le feu devait purifier cette maison délaissée de Dieu.  Lorsque les premières torches brisèrent nos baies vitrées, je réussis, par miracle, à m'enfuir, laissant les corps de ceux que j'aimais brûler en enfer. En quelques semaines, j'avais perdu mon domaine, mes richesses et les miens. Je me croyais maudit, souillé par l'empreinte invisible du démon...Pourtant je me trompais.
Je me réveillai, en sueur de ce cauchemar. je jetai un oeil à la lune rouge sang qui semblait rire de moi. Je me relevai péniblement, une douleur lancinante me vrillait le crâne et irradiait jusque dans mon dos.  Saisissant une bouteille de rhum que mes agresseurs avaient abandonné, je déambulai sur les quais avec la ferme intention de me jeter à l'eau une fois l'alcool achevé. Arrivé au bout du quai, je regardai pour la dernière fois les reflets de lune embrasser de leurs pales éclats la mer sombre et mouvante. Comme le ressac était doux à mes oreilles ! Je scrutai les profondeurs du port, les eaux noires semblaient m'appeler. La bouteille jetée à l'eau, il me suffisait d'avancer encore. Plus qu'un pas et je retrouverai les miens.
"A ta place, petit comte, je ne ferai pas cela."
Je me retournai, hébété, par l'effet de l'alcool. Une jeune femme dont la pâleur contrastait avec ses boucles rousses me regardait d'un air de défis. 
"Qui êtes-vous ? Comment me connaissez-vous ?"
Consciente de l'attraction qu'elle suscitait, la jeune femme fit quelques pas vers moi. Sa longue robe de plumes rouges et noires paraissait flotter au-dessus du sol. Elle plongea ses yeux émeraudes dans les miens. 
"Toute vie est précieuse sur terre, il serait malséant de vous donner la mort comte Stanislas d'Albiniac de Beauregard"
Je fis volteface, une femme portant redingote et haut de forme me regardait avec ironie. Je n'eus pas le temps de me demander comment elle était arrivée là car elle enchaîna
" Vous êtes le dernier héritier de votre longue lignée, le dernier sang comme on dit parfois dans vos contrées. Si vous vous décidez à nourrir les poissons, vous mettrez fin aux rêves de votre père, aux aspirations de votre famille, aux désirs que formulait Mina secrètement de vous voir heureux."
L'évocation de ma femme me troublait, je voulus répondre que sans elle, sans mes enfants, la vie ne pouvait être vécu mais la jeune femme aux cheveux de feu interrompit mes pensées.
"Sautez si vous le souhaitez. Laissez cette eau poisseuse remplir votre bouche et s'engouffrer dans vos poumons. Il vous faudra quelques minutes avant de suffoquer dans les ténèbres du port. Quelques minutes qui vous rappelleront combien la vie est précieuse. Combien chaque goutte de sang se doit d'être préservée."
J'eus alors une vision claire de mon corps gonflé et violacé échoué sur une plage. J'eus un haut le coeur que mes étranges interlocutrices firent mine de ne pas voir. 
"Tenez, lança la garçonne, vous voulez vivre n'est-ce pas ?"
La question avait le ton de l'affirmation. J'opinai, choqué par le geste que je m'apprêtai à commettre.
"Trinquez à la vie " 
Dit-elle en me tendant une coupe de facture ancienne. Je saisis le calice des deux mains et plongeai mon regard dans le vin sombre et sirupeux. Des saveurs subtiles de cannelle et d'épices lointaines emplirent mon palais mais autre chose aussi...Quelque chose de ferrique qui faisait penser au goût du sang frais. La tête me tourna. Brusquement, mes idées se brouillaient et mes jambes cessèrent de me soutenir. Les souvenirs de cette nuit restent confus encore aujourd'hui. Je me rappelle avoir été soutenu jusqu'à une calèche. Les paysages défilaient à une vitesse vertigineuse et certainement impossible à atteindre. Je fermai les yeux et priai Dieu pour que s'arrête cette sarabande maléfique. Complice, la lune semblait la seule témoin de mon infortune.
La bouche pâteuse, en proie à de sévères maux de tête, je me réveillai dans des draps de satin. Confus, j’embrassai la pièce du regard. Elle était vaste et luxueuse. Des teintures indiennes suggestives m’observaient avec envie. Je détournai les yeux et me crut un moment tombé dans le repère d’Ali Baba. Des coffres marquetés s’ouvraient sur de chatoyantes soieries, plus loin, une table basse ébène accueillait une carafe de cristal finement ciselé ainsi qu’une coupe en or d’où s’échappaient des fruits ravissants et inconnus. Je chancelai dans ce décor de stuc pour me rendre jusqu’à un moucharabieh. La lune entamait son ascension vers les cieux. A l’est, les nuages s’embrasaient de pourpre et d’or couvrant la pièce d’une lueur irréelle. Me penchant à la fenêtre, je fus chassé par un essaim de chauves-souris qui, attirées par la lumière et le confort de la pièce, tentaient de s’y introduire. J’eus juste le temps de me rendre compte que le palais où je me trouvais était perché sur un promontoire qui dominait une jungle dense et hostile. Le château devait avoir perdu de son prestige car l’aile que j’observai était décrépite et plongée dans la nuit.
Remerciant la providence, je portai une coupe d’eau fraiche à mes lèvres et trinquai au du bon gout de mes hôtes. Je me souvins alors de la nuit précédente, de l’altercation avec les marins, de mon envie d’en finir avec la vie. Je me remémorai les paroles de mes hôtes ou plutôt de bienfaitrices. L’alcool et la dépression allaient me faire commettre le pire des sacrilèges et je jurai une dette éternelle à celle qui m’avaient sauvé. Un éclat vif de lumière interrompit mes méditations. Je tombai sur une coiffeuse dont les décors semblaient de nacre et d’ivoire. Endormis sous une fine couche de poussière, des flacons de parfum attendaient le retour de princesses dignes du conte des mille et une nuit. Curieux, j’en débouchai un, un parfum lourd et sucré envahit la pièce puis quelque chose que je ne puis mettre que sur le compte de mes nerfs fragiles, quelques choses, sans doute inventé par mon esprit encore affaiblit, se produisit. Les gouttes dorées du précieux nectar remontaient doucement sur les rebords du flacon puis à l’encontre de Newton et sa gravité « descendaient » vers le plafond. Je reculai, effrayé par mes singulières visions et trébuchai sur le vaste lit au centre de la pièce. Je cherchai des yeux une sonnette ou une porte pour avertir que je me sentais mal lorsqu’un évènement me fis basculer dans la folie.
Les draps de soie rouge se déformèrent à mes pieds. Je reculai dans le vaste lit et bientôt les plis du tissu laissèrent entrevoir une forme humaine. Trop apeuré pour crier, je laissai venir cette chose qui rampait maintenant sous les draps. Je devinai un corps de femme languide, des hanches profondes qui invitent aux caresses. Un murmure se fit dans ma tête, une mélopée ancienne et érotique achevait de perturber mes sens et ma raison. Je fermai les yeux pour échapper à cette folie mais rien n’y fit. Sous les draps, la forme se redressait et prenait place entre mes jambes. Je devinai ses seins lourds qu’elle me tendait à travers la fine étoffe. Ses mains frôlèrent mes cuisses, cherchèrent mon entrejambe. Son touché me glaça dans un premier temps puis mon corps s’embrasa de désir. L’inconnue fit tomber le drap, des boucles dorées me révélèrent l’une de mes hôtes. La jeune femme était d’une beauté sculpturale, entièrement nue, elle portait cependant un lourd collier d’or et de pierreries. Ma tentatrice s’avança langoureusement jusqu’à moi, les bracelets et les fines chaines d’or qu’elle portait aux mains et aux chevilles tintaient à chacun de ses mouvements. Lorsque cette douce musique cessa, elle plongea ses yeux dans les miens comme pour sonder mes désirs puis dégrafa les boutons de mon pantalon.
Emporté par le désir, je profitai de ces caresses subtiles qui toujours m’amenaient proche de la jouissance sans jamais devoir l’atteindre lorsqu’une morsure légère plus qu’un baiser vint agacer la peau tendre de mon cou. Une puis deux mains passèrent sous ma chemise pour jouer avec mes tétons puis labourèrent mon torse de griffures. Je me retournai pour admirer ma seconde bienfaitrice. Ses cheveux détachés, elle n’avait plus rien d’une garçonne mais possédait cependant une incroyable assurance et une certaine forme de virilité. Elle me regardait de haut me perdre dans les méandres du plaisir un rictus étrange marquait ses lèvres fines. Amusé de la situation, elle prit ma tête entre ses mains pour m’imposer un baiser fougueux. Soudain, une douleur vive m’étreignit. Du sang, du sang emplissait mon palais. Elle m’avait mordu.
« Quoi ? Tu n’aimes pas petit comte ? » lança-t-elle hautaine et amusée.
Ces mots, d’autres qu’elle les avait prononcés, je vis dans cette phrase autant de défis que de passion. A mon tour, je décidai de l’embrasser renonçant pour un soir à toute forme de sagesse.
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