Méridienne d'un soir
par le 25/11/23
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"Malgré mon dégoût pour de telles pratiques, je n'hésiterais plus à leur appliquer la question. Ils voulaient une guerre, ils l'auraient. J'étais aussi capable qu'eux de créer l'enfer sur terre. Éclairez donc de vos lumières notre surintendant, La Reynie. Il croit toujours dans l'infinie bonté de l'homme. Je ne sais quels auteurs il a bien pu lire pour cela, ni s'il s'agit d'un défaut ou d'une qualité. Par bonheur, il me reste mes livres pour uniques compagnons, c'est aussi bien, car la fatigue de l'âge vous fait éprouver l'usage de la conversation". En 1672, les hostilités de la guerre de Hollande à peine commencées éclatait dans un Paris passablement indifférent à des opérations militaires qui se déroulent au-delà des frontières un formidable et dévastateur scandale révélateur à la fois des mœurs et de la mentalité de l’époque. Scandale il est vrai inévitable car, depuis des années, Paris regorgeait de sorcières, d’empoisonneuses, de diseuses de bonne aventure, de jeteuses de mauvais sort, de faux prêtres organisateurs de messes noires et autres de vineresses dont la clientèle se recrutait dans toutes les couches de la société, y compris les plus hautes. Philtres d’amour, poudres de toute nature, décoctions des plus variées étaient proposés pour conquérir ou reconquérir un amant ou une maîtresse, éliminer un adversaire ou un rival, jeter un sort en prenant le diable à témoin. Dès que quelqu’un d’important mourait, on pensait immédiatement poison, comme ce fut le cas par exemple au moment de la mort de Madame, de Lionne et de quelques autres. Après la condamnation de Fouquet, des pamphlets anti-Colbert circulaient sous le manteau pronostiquant que des sbires du ministre ne tarderaient pas à empoisonner le surintendant déchu dans sa prison de Pignerol. Les causes réelles de la mort de Fouquet en 1680 n’ont d’ailleurs jamais été élucidées. Le ministre Colbert lui-même, qui souffrait de violents maux d’estomac, fut très certainement victime de nombreuses tentatives d’empoisonnement.

 

"En traversant avec moi le couloir de la prison pour se rendre à la salle de la question, elle jeta un coup d'œil vers une fenêtre munie simplement de barreaux et derrière laquelle on voyait tomber quelques flocons de neige, et déclara: J'ai de la chance, aujourd'hui. Leur bûcher me réchauffera. Si l'enfer existe, il est dans les hommes". Marie-Madeleine d’Aubray est née le deux juillet 1630. Elle est la fille de Dreux d’Aubray, lieutenant civil à Paris. Elle naît dans une famille convenable, issue de la noblesse de robe, et reçoit une bonne éducation. Pourtant, sa vie a vite fait de basculer, puisqu’elle est violée à l’âge de sept ans par un domestique. Ce drame, qui a détruit son enfance et qui a sans doute considérablement joué dans la conduite de sa vie future lui a entretenu une réputation sulfureuse, n’hésitant pas à lui prêter des relations incestueuses avec ses deux frères. En 1651, Marie-Madeleine épouse Antoine Gobelin, qui deviendra bientôt marquis de Brinvilliers. Le couple dispose alors de revenus considérables, avec notamment la propriété des seigneuries de Sains, Norat et Brinvilliers. Les témoignages d’époque décrivent Marie-Madeleine comme une femme petite et très menue, avec de grands yeux bleus, des cheveux châtains et des traits de visage réguliers. Son charme est sans nul doute renforcé par son éducation, plus que correcte. En effet, l’étude de plusieurs lettres écrites par Madame de Brinvilliers montrent une écriture soignée, en plus d’une très bonne orthographe. Au XVIIème siècle, ce n’est pas négligeable pour une femme, d’autant plus que la majorité d’entre elles ne savent ni lire, ni écrire dans le milieu de la noblesse.

 

"Je n'étais malheureusement pas toujours le maître des procédures que j'initiais, et j'avais parfois la faiblesse de préférer continuer de vivre plutôt que dire le fond de ma pensée et finir alors sur la roue comme hérétique". Marie-Madeleine se lie d’amitié avec Pierre Louis Reich de Penautier, trésorier des Etats du Languedoc, puis receveur général du clergé à partir de 1669. On peut sans nul doute imaginer qu’elle apparaît comme une jeune femme brillante aux yeux de la bonne société. Cependant, elle ne tarde pas à faire la rencontre de Gaudin de Sainte-Croix, officier de cavalerie et ami de son époux, et ils deviennent rapidement amants. Antoine de Brinvilliers pour sa part, dilapide peu à peu la fortune du ménage en jouant au jeu et en entretenant ses diverses maîtresses. Le couple a néanmoins eut sept enfants, dont quatre illégitimes. Toutefois, si la conduite de son époux ne choque pas outre mesure, celle de Marie-Madeleine ne tarde pas à offusquer son père. Au XVIIème siècle, l'adultère masculin est largement toléré, mais il n’en est pas de même pour les femmes, qui se doivent d’avoir une conduite irréprochable. C’est ainsi qu’en 1663, Dreux d’Aubray fait alors emprisonner Gaudin de Sainte-Croix à la Bastille. 

 

"Aussi préférai-je rester prudent sur le chapitre religieux et n'agir qu'en secret pour mes convictions, affectant devant les autorités ecclésiastiques un respect pour les choses sacrées et une pratique religieuse régulière. Ce n'était pas très glorieux, mais il me fallait admettre que je n'étais pas de la race des héros ni des désespérés". Là, il fait la connaissance de l’Italien Exili, expert en chimie et en poisons. Une fois sorti, Sainte-Croix suivra les cours du chimiste Christophe Glaser au Jardin Royal des Plantes. On peut imaginer la colère de Marie-Madeleine lorsqu’elle apprend que son amant est emprisonné sur décision de son père. Lui en a t-elle voulu au point de le faire mourir ? On ne sait pas réellement qui prit la décision, mais c’est vraisemblablement sous l’influence de son amant que la marquise décide d’empoisonner son père. Elle compte ainsi se libérer de la tutelle paternelle mais vise aussi l’héritage qui lui permettrait de renflouer ses dettes. Après la mort de sa femme, Dreux d'Aubray ne s’est pas remarié et aucun document ne mentionne comment et par qui sont élevés les enfants. Le père lui, est de plus en plus absent et quand il apprend par l’une de ses filles, Thérèse que Marie-Madeleine et ses frères ont des relations sexuelles, il ne reproche absolument rien à ses fils. Marie-Madeleine lui en voudra toute sa vie.

 

"En voilà une bien curieuse justice, qui brisait les os des gens pour leur faire dire des choses qu'elle cachait ensuite, et laissait libres les gens de qualité responsables de leurs crimes. Je n'étais pas loin d'éprouver le même sentiment qu'elle. Ces sorcières avaient plus de courage que les criminels qui venaient leur commanditer de quoi satisfaire leurs méfaits. Je restai coi, un peu effrayé de constater que je partageais les idées d'un tel monstre, même si nous n'étions pas du même avis quant aux moyens d'y remédier. Quelle tâche, devrai-je accomplir ?" Il faut savoir qu’à l’époque, le poison apparaît comme une cause de décès difficile à déterminer, car la médecine n’est pas encore assez développée. C’est pendant un séjour au château d’Offemont, en 1666, que Marie-Madeleine avec la complicité d’un valet, administre du poison à son père, et ceci à diverses reprises. Pourtant, la succession paternelle se révèle dérisoire. Peu importe, la marquise décide ensuite d’empoisonner ses deux frères, qui meurent tous deux en 1670, à six mois d’intervalle. Quelques soupçons apparaissent néanmoins. Plusieurs domestiques de madame de Brinvilliers rapporteront plus tard des situations incongrues auxquelles ils ont assisté malgré eux. C’est ainsi qu’un soir, une servante du nom de Jeanne Blanchard, alors qu’elle vient prendre les ordres de sa maîtresse, la trouve en compagnie du chevalier de Sainte-Croix.

 

" L'homme naturellement ambitieux et orgueilleux ne trouve jamais en lui-même pourquoi un autre lui doit commander". La marquise fait malencontreusement tomber une petite boîte et s’exclame alors: "Oh! Ma boîte aux successions !"  Sainte-Croix lui reproche alors son manque de discrétion. Un autre jour, suite à un dîner où elle a un peu bu, Marie-Madeleine s’entretient avec une autre de ses servantes, Edmée Huet et lui dit la chose suivante en lui montrant une petite boîte: "Voilà de quoi se venger de ses ennemis, elle est pleine de successions !". Mais elle se reprend peu après: "Mon Dieu! Que vous ai-je dit ? Ne le répétez à personne." Enfin, un jour où Marie-Madeleine s’entretient avec un certain La Chaussée, le valet qui l'aida à empoisonner ses frères, elle est obligée de le cacher suite à l’arrivée improviste de Simon Cousté, le secrétaire de l’un de ses frères. Tout ceci bien entendu, sous les yeux des domestiques de la marquise. En outre, elle commet l’imprudence de se confier à de multiples reprises à Jean Briancourt, le précepteur de ses enfants. "Du plus loin que je me souvienne, je n'avais jamais eu de goût pour les enthousiasmes ou les abattements, encore moins pour les complicités collectives, dont je voyais pourtant mes contemporains avoir cruellement besoin pour se rassurer, se sentir simplement vivants. Le contraste était saisissant entre cette vision bucolique et les atrocités qui s'étaient déroulées dans le même décor, sans que personne semblât en avoir jamais rien su". D’après des témoignages ultérieurs, Marie-Madeleine aurait ensuite tenté d’empoisonner son époux Antoine de Brinvilliers, sa sœur Thérèse, et même sa fille aînée. Ces dernières tentatives sont cependant sujettes à caution, puisqu’elles ne sont pas prouvées. Ce qui est certain en revanche, c’est que la relation entre Marie-Madeleine et et Sainte-Croix devient houleuse. Ce dernier prend alors soin de fermer dans une petite cassette des fioles et des des lettres compromettantes de la marquise. Il y joint un mot.

 

"Je dois avouer malgré moi. À n’ouvrir qu’en cas de mort antérieure à celle de la Marquise." D'amant, il était devenu maître chanteur avisé. Enfin, c’est en 1672 que meurt Jean-Baptiste Gaudin de Sainte-Croix, dans son lit, et non pas dans son laboratoire comme le veut la légende. Marie-Madeleine, qui est alors dans sa maison de campagne à Picpus n’a alors qu’une obsession, récupérer cette fameuse cassette qui pourrait l’incriminer. Pourtant, elle échoue à récupérer son bien, et après que le sergent Cluet en ait découvert le contenu, la marquise n’a d’autre choix que de s’enfuir, d’autant plus que le roi a lancé contre elle un mandat d’arrêt. L’un des complices, La Chaussée, a été arrêté et sous la menace de la torture, a avoué tous les crimes en détail. "Comme je l'ai déjà dit, je ne me suis jamais senti l'âme d'un héros, pas davantage pour mourir que pour vivre, et mon seul regret ne sera pas tant d'être morte que de ne plus vivre. Une autre chose très importante à dire de ma jeune enfance, c'est que dès que j'ai pu me lever de mon lit, je l'ai alors passée au cimetière de Montparnasse". Marie-Madeleine se réfugie d’abord en Angleterre, avant de gagner Liège, où elle se cache dans un couvent. Une servante restée fidèle, Geneviève Bourgeois, l’accompagne dans son périple. Colbert, ministre de Louis XIV, est alors chargé d’une mission délicate, rapatrier la fugitive en France. C’est l’exempt de police François Desgrez, qui déguisé, parvient à pénétrer dans le couvent et à faire arrêter madame de Brinvilliers. Désemparée, la marquise tente à plusieurs reprises de se suicider, et se retrouve lors du retour sur Paris, sous une étroite surveillance. Marie-Madeleine est ensuite enfermée à la Conciergerie, au dernier étage de la tour Montgomery. Son procès est assez long, puisqu’il se déroule d'avril à juillet 1676. Confrontée à ses juges, la marquise nie tout et refuse de passer aux aveux. Il y a pourtant contre elle des preuves à priori accablantes, une confession écrite de sa main où elle avoue des crimes abominables, et où elle s’accuse entre autres des empoisonnements de son père et de ses frères, de sa relation adultère avec Sainte-Croix précisant "d’avoir donné beaucoup de bien à cet homme et qu’il m’a totalement ruinée."

 

"N'allez surtout pas croire que je dis cela pour vous apitoyer sur mon sort. Je n'ai jamais rien vu de plus beau qu'un cimetière, et celui de Montparnasse, le Père-Lachaise excepté, c'est ce qu'on fait de mieux à Paris. Le plus varié, le plus riche, avec les plus belles tombes, les plus beaux caveaux. J'aime l'atmosphère mystérieuse de la Toussaint". C’est Denis de Palluau, conseiller de la chambre du parlement de Paris qui est chargé de l’interroger et il commence à le faire à Mézières avant de monter sur Paris. Le vingt-neuf avril 1676 commence son procès qui ne comportera pas moins de vingt-deux audiences jusqu’au seize juillet. Des témoignages de servantes, de domestiques sont venus étayés le procès à charge mené contre la marquise. À charge car elle n’a pas eu le droit d’être assistée par son avocat, Maître Louis Nivelle, pendant les audiences. Pour lui, Marie-Madeleine a été entraîné malgré elle, par amour pour son amant, par le chevalier Godin de Sainte Croix qui a profité de sa faiblesse pour lui ponctionner petit à petit toute sa fortune. Briancourt, l’ancien précepteur des enfants et ancien amant de la marquise devenu avocat est arrêté afin de parler. Le douze juillet, il raconte toutes les confidences que lui a faites la marquise. Elle, silencieuse, nie toujours les faits. Et le matin du 16 juillet 1676, le verdict tombe. Condamnée à la peine capitale, elle devra avant d’être exécutée place de Grève faire amende honorable devant la porte principale de Notre dame de Paris. Les juges lui épargnent d’avoir le poing coupé, torture réservée au parricide. Condamnée à subir la question puis à être exécutée, mais de rang noble, Marie-Madeleine se voit attribuer un confesseur, l’Abbé Edmond Pirot. Edmond Pirot, théologien, fut désigné par le président de Lamoignon pour assister la Brinvilliers afin d'obtenir les renseignements que la justice n'avait pu obtenir.

 

"Quand le brouillard s'épaissit en fin de journée et qu'on pourrait se perdre dans les allées comme dans un labyrinthe. J'aime aussi le printemps, avec tous ces promeneurs qui surgissent le dimanche, comme une fête, et cette explosion de feuillages et de fleurs. Chaque saison a son charme, on y trouve tout, comme dans la vie, du début jusqu'à la fin". Dans ses derniers jours à vivre, elle va alors faire preuve d’une grande piété et va manifester son repentir. On peut le juger sincère, lorsqu’on relit le témoignage que Pirot écrivit par la suite. Bien sûr, la peur de la mort et de la justice de Dieu ont certainement influencé la marquise. Elle accepte alors les aveux auprès de ses juges, demande aux gens de la Conciergerie de prier pour elle. Elle écrit même une lettre à destination de son époux Antoine, lui demandant de veiller sur leurs enfants qu’elle ne pourra pas revoir. Le jour de l’exécution est fixé le dix-sept juillet 1676. Marie-Madeleine fait d’abord amende honorable devant le parvis de Notre-Dame, où elle avoue publiquement ses crimes. La foule est très nombreuse, et la marquise craint de défaillir à chaque instant. Arrivée sur l’échafaud, elle demande à l’abbé Pirot, très ému par le courage de la prisonnière, de rester à ses côtés jusqu’au dernier moment. Compte tenu de son rang, Marie-Madeleine a d’abord la tête tranchée avant que son corps ne soit jeté au bûcher. Une grande émotion parcourt la foule, si bien que dès le lendemain, les badauds n’hésitent pas à récupérer les cendres de la marquise, la considérant comme une sainte. Le portrait que dressera l’abbé Edmond Pirot par la suite de la Marquise ira également en ce sens. "Vous savez comment sont les hommes, dès qu'il s'agit de vanter leurs exploits au lit.

 

"Et pour cet art de connaïtre les hommes, qui vous sera si important. Je vous dirai qu'il se peut apprendre, mais qu'il ne se peut enseigner". C'est à qui se prétendra le mieux pourvu. Mais il dispose d'un membre assez peu vaillant, alors très vite las à la besogne, comme la plupart d'entre eux". L’arrestation, puis l’exécution de la marquise mettent à jour l’une des affaires criminelles les plus retentissantes du règne de Louis XIV, la fameuse Affaire des poisons. Terminons d’abord par le cas de Marie-Madeleine d’Aubray. Sa culpabilité ne fait aucun doute. Cependant, en retraçant son existence qui ne fut pas toujours heureuse, on peut penser que son viol alors qu’elle était enfant a laissé chez elle des séquelles psychologiques très importantes. Le rôle de Sainte-Croix n’est pas non plus négligeable. Il mourut de sa belle mort en 1672 et ne répondit jamais de ses actes. Sa longue confession que trouvèrent les autorités fut brûlée, par respect pour la religion. Pourtant, ce personnage peu glorieux a certainement influencé sa maîtresse, en plus de mener un commerce actif des poisons. Car l’enquête qui suivra la mort de la marquise de Brinvilliers mettra à jour un vaste réseau où les devineresses, apothicaires, alchimistes de tous genres, rentabilisant leurs affaires en vendant leurs "poudres de succession." Cette affaire des poisons a compromis de hauts personnages, la duchesse de Soissons, le financier Pierre-Louis de Penautier, ami de Madame de Brinvilliers et protégé de Colbert, et même la marquise de Montespan, maîtresse officielle de Louis XIV, qui aurait eu recours aux services d’une dénommée Catherine Deshayes, dite "La Voisin" pour des philtres d’amour et des messes noires. Toutefois, certains points de l’enquête furent volontairement laissés de côté afin d’éviter un trop grand scandale. Beaucoup de gens de la noblesse compromis furent exilés, d’autres ne furent même pas inquiétés. Quant à la Voisin, elle fut finalement brûlée vive en place de Grève.

 

"Vous trouvez donc normal que la Brinvilliers, par exemple, ait tué son père, ses frères, son époux ? Normal n'est pas le mot qui me viendrait à l'esprit. Mais est-il plus anormal que leur comportement à son égard, eux qui l'on tous l'un après l'autre violée depuis son enfance, rouée de coups, battue et humiliée du matin au soir ? Hélas, la cruelle vérité". En quelques mois, la façade majestueuse du règne du Grand Roi donna l’impression de se craqueler, révélant l’envers sinistre du décor. Des siècles de christianisme n’avaient pas entamé le vieux fond de paganisme et de superstition issu des temps les plus reculés, dans lequel se mêlaient les croyances les plus incongrues. Le lieutenant général de police, Gabriel Nicolas de La Reynie s’aperçut avec effroi que la société française était largement infestée de ces sortes de crime alors que la moralisatrice et prude Madame de Maintenon, surnommée "Madame de Maintenant" par les pamphlétaires, avait remplacé la sulfureuse Madame de Montespan. Il en avait averti le roi. Afin de traiter ces procès sans publicité excessive, celui-ci se garda de confier l’affaire au parlement de Paris, comme il l’avait fait maladroitement pour Madame de Brinvilliers. Le sept avril 1679, il créa une juridiction extraordinaire, la chambre de l’Arsenal, présidée par un intègre magistrat,

 

"Quiconque pardonne trop souvent punit inutilement le reste du temps". Louis XIV décida et ce fut la chambre ardente. Louis Boucherat, comte de Compans, et composée de magistrats dévoués et triés sur le volet. Cette chambre fut surnommée la "Chambre ardente", en souvenir de ces juridictions médiévales qui délibéraient dans une salle tendue de noir, éclairée de torches et de flambeaux. Le magistrat instructeur désigné fut ainsi le lieutenant général de police en personne, La Reynie. "Seules la froideur et l'indifférence peuvent éviter à l'homme de devenir une bête sauvage. On ne fait que tuer, au nom de la vérité, et probablement encore plus lorsqu'on la dit sacrée. La voix populaire a souvent fait condamner des innocents sous l'effet de la colère ou de l'envie. La calomnie est un art très répandu, car chacun cherche à se faire une place au détriment de ceux ou celles qui sont installés. Au fond, je ne fais qu'essayer de réparer les injustices". Au cours des interrogatoires, les plus grands noms de la noblesse française furent cités. Olympe Mancini, comtesse de Soissons, la princesse de Tingry, les duchesses d’Angoulême, de Bouillon, de Vitry, de Vivonne, le maréchal-duc de Luxembourg, les ducs de Vendôme et de Brissac, la marquise d’Alluye, les marquis de Cessac, de Feuquières, la comtesse du Roure, la vicomtesse de Polignac. Certains furent arrêtés, soumis à de rigoureux interrogatoires, comme le maréchal de Luxembourg, la princesse de Tingry ou Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon. Il fut même question un moment d’incarcérer le poète Jean Racine, soupçonné d’avoir supprimé sa maîtresse, la comédienne Mademoiselle Du Parc. Durant les trois années de son existence, la Chambre ardente tint deux-cent-dix séances, prononça trois-cent-dix-neuf décrets de prise de corps, obtint l’incarcération de cent-quatre-vingt-quatorze personnes, rendit cent-quatre jugements, dont trente-six condamnations à mort, quatre condamnations aux galères, trente-quatre bannissements ou amendes, et trente acquittements. Tous les prisonniers ne furent pas jugés car, devant l’ampleur des révélations concernant la favorite, Madame de Montespan, Louis XIV dut suspendre le déroulement des instances. En 1709, à la mort de La Reynie, le roi fit brûler les dossiers contenant les faits particuliers concernant sa maîtresse. Heureusement, le lieutenant général de police les avait résumés au préalable. Conservés à la Bibliothèque nationale de France, ceux-ci permettent aujourd’hui de voir plus clair dans ce procès de grande envergure, devenu non seulement une affaire d’État, mais aussi le secret d'un roi.

 

Bibliographie et références:

 

- Frantz Funck-Brentano, "Le drame des poisons"

- Philippe Madral, "Une sorcière à la cour de Louis XIV"

- Robert Marchesseau, "Affaire des poisons"

- Michel Vergé-Franceschi, "Colbert, la politique du bon sens"

- Alexandre Dumas, "La Marquise de Brinvilliers"

- Jean Imbert, "Quelques procès criminels des XVIIe et XVIIIème siècle"

- Paul Olivier, "Le Calepin d'Amour de la Brinvilliers"

- Armand Praviel, "Le Secret de la Brinvilliers"

- Irène Stecyk, "Une petite femme aux yeux bleus"

- Catherine Hermary-Vieille, "La Marquise des ombres"

- Nadine Monfils, "Les Fleurs brûlées"

- Jeanine Huas, "Madame de Brinvilliers"

- Jean-Christian Petitfils, "La marquise aux poisons"

- Agnès Walch, "La Marquise de Brinvilliers"

- Guillaume Lenoir, "La Marquise aux poisons"

 

Bonne lecture à toutes et à tous.

Méridienne d'un soir.

Thèmes: littérature
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