Le chuintement de la douche se tut doucement, plongeant la pièce dans le silence, coupant court
à mes réflexions. Quelques minutes plus tard, elle sortit nue de la salle de bain, une serviette noire
enroulée sur la tête, la peau rosie par l'eau chaude. Les gouttes cascadant sur ses courbes, tombaient
silencieusement sur le parquet en bois blanc, coloré par la lumière pâle. Elle se déplaçait nue d'une
démarche féline, langoureuse, envoûtante; ses longues jambes brunes étaient terminées par des pieds
fins, aux ongles vernis de rouge.
Je me rappelle cet été quand je regardais ses sandales claquer sur ses talons nus, déjà envahie par un
désir brûlant, irrépressible; mes yeux s'étaient alors soudés aux siens, lourds d'envie; elle me souriait; ses
lèvres ourlées lui prêtaient un air sensuel et lascif. Elle lèva les bras et dénoua sa serviette en secouant la
tête. Une furie de cheveux noirs tomba sur ses épaules fines. Sous ses sourcils bien dessinés, ses grands
yeux noirs, très brillants, semblables à la surface d'un lac au crépuscule, me sondaient sans vergogne.
J'avais pressenti chez elle des promesses de sexe brutal, très primaire, mais il n'en fut rien; au contraire,
des deux, c'est moi qui me révèla la plus dépravée. Elle fut tout en tendresse et soucieuse de plaire.
Elle n'était pas à sa première expérience saphique mais elle me répèta que je surpassais de loin ses
précédentes conquêtes; je me plus à la croire, car mes expériences hétérosexuelles n'avaient jusqu'à
présent jamais été bienheureuses; avant elle, j'étais amoureuse d'aucune fille en particulier, mais seulement
des filles en tant que telles, comme on peut aimer sa propre image, trouvant toulours plus émouvantes et
plus belles les autres, que l'on se trouve soi-même, dans le plaisir à se voir abandonner sous leurs caresses.
Par dessus le drap, elle posa sa main sur ma cheville et mes seins durcissèrent aussitôt; juchée sur ses
genoux, elle écarta les jambes pour me laisser passer. Malgré la douche, son entrejambe diffusait encore
un parfum à l'arôme sensuel mêlé de ma salive et de son désir; une fois allongée sous elle et peinant à
contenir ma propre impatience, je commençai par lécher sa peau autour de ses lèvres odorantes. Il s'en
dégageait une douce chaleur; ma bouche fraya maintenant avec son aine, très près de sa vulve, et elle trembla
d'anticipation. Je glissai le bout de mon index sur le dessin plissé de son sexe moite qui s'ouvrit graduellement
sous mes yeux, la sentant se resserer autour de mes doigts, l'entendant gémir à me faire tourner la tête.
Peu à peu, rattrapée par mon impatience, je commençai à laper ses grandes lèvres, une à une, en faufilant
désormais le bout de mon index dans son ventre, avant d'oser ma langue, assez loin pour que mes dents
touchent la crête enflée. Elle se cabra, elle se tut, elle savoura le moment. Elle répandit son désir dans ma
bouche. Ses seins étaient pressés contre mes mollets; assise à califourchon sur mon visage, gémissante,
pendant que j'écartai ses fesses pour m'enivrer de sa saveur, glissant mes doigts sur ses jambes brunes.
Elle glissa sur moi, me permettant ainsi de voyager de sa vulve savoureuse au sillon de ses reins. Juste à la
crispation des muscles de ses cuisses, elle parut sur le point d'abdiquer sous le zèle de mes caresses. Elle
roula sur le coté, puis remonta vers la tête de lit. Les volets étaient tirés, la chambre presque obscure.
- Pas encore, halèta-t-elle.
Malgré son teint hâlé, je remarquai ses joues rougir par le désir. Ainsi étendue sur le dos, les bras au dessus de
la tête, elle exhibait ses seins en constante érection; je rampai vers elle pour mordiller leurs pointes, dures et foncées,
avant de lécher avidement les aréoles; elle m'enlaça, promèna ses ongles le long de mon épine dorsale. Constatant
son soudain avantage, elle me retourna sur le dos; les genoux écartés, je sentis son souffle chaud sur ma vulve. Elle
introduisit ses doigts dans mon logis profond et onctueux. Enhardi, son plaisir la guida entre mes reins, dans la vallée
chaude de mes fesses, à l'entrée de l'étroit pertuis; je me cambrai pour aller à la rencontre de sa bouche affamée.
Gémissant plus d'une heure sous ses caresses, et enfin les seins dressés, les bras rejetés en arrière, empoignant les
barreaux du lit, je commençai à crier, lorsqu'elle se mit à mordre lentement la crête de chair où se rejoignaient, entre
les cuisses, mes petites lèvres; me sentant brûlante et raidie sous sa langue, elle me fit crier sans relâche, jusqu'à ce
que je me détendis d'un seul coup, moite de plaisir; je râlais alors que je jouissais pour la seconde fois de la journée.
Nous nous endormîmes, en mêlant nos rêves et nos corps, bouleversées d'amour et de désir.
Aujourd'hui, je pense à tout ce que j'aime en toi et qui s'éclaire parfois, à ton insu, comme un beau front de mer.
Parce que tu m'as fait, un instant, cette confiance, d'être pour moi, toute claire et transparente, je serai toujours là.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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On lui rappela, mais il lui paraissait peu probable qu’elle sût, en toute connaissance de cause, à quoi elle s'était engagée;
lorsqu’elle l’aurait compris, il serait trop tard pour qu’elle échappât; après une route interminable, Juliette arrêta la voiture
devant un portail austère où un homme nous attendait; le temps de reprimer son angoisse, Charlotte se retrouva les yeux
bandés; elle portait une robe droite noire, avec une fente arrière arrivant jusqu'à mi-cuisse; en dessous, un corset rigide
rehaussait ses seins, révélant les aréoles, et la naissance des pointes, en faisant saillir le ventre, des bas fins et noirs
tenus par un porte-jarretelles; elle était chaussée de talons hauts; sa Maîtresse lui attacha les mains derrière le dos.
Le temps de réprimer son angoisse, une poigne énergique et brutale enserra ses bras frêles et la conduisit dans une pièce
qu'elle imagina minuscule, sorte d'antichambre où elle attendit un long moment; nous fûmes conduites dans un petit salon;
je me glissai derrière elle, et soulevai sa chevelure, en faisant glisser la fermeture éclair de sa robe, de la nuque, jusqu'au
bas du dos, le vêtement tombait à ses pieds, tandis que je dégraffai ses bas en les faisant glisser le long de ses jambes.
Le serre-taille rejoignit le reste de sa parure à ses chevilles, dénudant totalement Charlotte; elle conservait, fixée au centre
de ses reins par trois chaînettes d'or tendues à une ceinture de cuir autour de ses hanches, un bijou imitant un sexe dressé,
destiné à distendre le cercle de chair, et à rendre encore plus aisé l'usage de cette voie; jugée trop étroite, pour la prêter, sa
Maîtresse avait cru bon de l'élargir afin qu'elle fut doublement ouverte; ainsi forcée, elle en portait un chaque jour plus épais.
Une présence se manifesta soudain l'arrachant de sa torpeur; on la poussa pour descendre les marches d'un escalier
tortueux; l'odeur de la terre humide emplissait ses narines; au bas de l'escalier, se trouvait une cave avec son odeur
caractéristique de moisissure; une véritable cave comme une esclave doit l'aimer; on retira la ceinture de cuir et on la fit
asseoir sur une chaise en bois hérissée d'un volumineux godemichet de sorte qu'il la pénétre profondément entre ses reins.
Empalée dans la cave déserte, où les effluves d'humidité évoquaient l'odeur des anciennes prisons, on glissa sur sa
tête une cagoule emprisonnant la nuque et aveuglant ses yeux, ne laissant passer l'air que par une ouverture pratiquée
au niveau de la bouche; elle ne fut pas fouettée tout de suite; les seins et la bouche offerts, dans cette froide pénombre
où ne pénétrait aucun bruit, tremblant de froid, elle ne vit jamais les deux hommes qui entraient ni la jeune fille soumise.
Quelqu'un l'appela "Numéro 2" et s'adressa à elle en la traitant de "sac à foutre"; Charlotte apprit qu'elle était là pour
servir de réceptacle à la semence des Maîtres, qu'elle devait recevoir par tous les orifices prévus par la nature, sans
jamais protester ni même trahir une quelconque émotion; c'était une femme ravalée au rang d'objet muet et servile;
un homme s'approcha de la chaise; Charlotte devina qu'il tenait à la main deux longues et fines aiguilles.
On la porta sur une table où elle fut allongée sur le dos et solidement ligotée; elle attendit quelques minutes dans la
position infamante de l'esclave offerte et consentante; les hommes s'approchèrent d'elle et brusquement elle sentit
des dizaines de doigts la palper, la fouiller, la dilater avant que les sexes inconnus ne commencèrent à la pénétrer;
elle fut malmenée, saccagée, sodomisée; mais un Maître interrompit brutalement la séance qui lui parut trop douce.
Il s'empara d'un sein qu'il se mit à pétrir, à caresser, puis à pincer pour en faire jaillir la pointe granuleuse; lorsque le
mamelon fut bien excité, il y planta la première aiguille, puis presque aussitôt, la seconde dans le mamelon du sein
qui n'avait pas été caressé et qui réagit par conséquent de toute autre façon; d'autres aiguilles furent plantées, tout
autour des aréoles, faisant perler quelques gouttes de sang, puis il transperça la peau endolorie des grandes lèvres.
L'homme força sa bouche alors que les lèvres osaient à peine effleurer la pointe du sexe, protégé encore par sa gaine
de douce chair; Juliette admirait les mouvement de la bouche refermée et resserrée sur le membre qu'elle avait saisi,
et le long duquel elle montait et descendait, le visage défait de larmes chaque fois que le sexe gonflé la frappait jusqu'au
fond de la gorge, repoussant la langue et lui arrachant une nausée; elle le reçut avec soulagement comme une offrande.
L'homme, penché au dessus d'elle, tenait à la main une bougie; d'un geste lent, le bougeoir doré s'inclina, la cire brûlante
perla sur sa peau en cloques blanchâtres; l'idée d'être brulée vive la terrorisait; son martyre devenait malgré elle délicieux;
elle perdait la notion du temps et de la douleur; soudain des coups de fouet la cinglèrent avec une violence terrifiante; elle
compris que les cinglements étaient destinés à faire éclater les croûtes de cire qui constellaient son ventre et ses seins.
On détacha Charlotte de façon à lui permettre de pouvoir prendre du repos, mais cet intermède ne dura que le temps de
préparer l'épreuve suivante; on lui lia les chevilles avec des lanières de cuir reliées par des chaînes au murs de pierre et
on emprisonna ses poignets dans des bracelets d'argent pendus que l'on écarta en croix, comme les cuisses; elle était
ainsi offerte dans cette position humiliante, que la lumière ne parvenait pas à rendre impudique.
Les seins et le ventre offerts, et le lugubre silence; rien qui lui était d'autant de secours que le silence et les chaînes; se
lassait-elle ? Non; à force d'être outragée, il semble qu'elle aurait dû s'habituer aux outrages, sinon au fouet à force d'être
fouettée; on lui ôta la cagoule; Charlotte parut fascinée par la noblesse des lieux; c'était une cave voûtée splendide, aux
murs de pierres apparentes; des cierges ornaient chacun des angles dont les flammes tremblaient sur l'or des pierres.
Lorsqu'elle reçut le premier coup de fouet, elle comprit qu'il s'agissait d'un martinet souple utilisé de façon à lui chauffer le
corps avant d'autres cinglements plus agressifs; l'homme passa rapidement à la cravache; elle en reconnut la morsure
particulière; on la flagella avec une rigueur impitoyable, si bien que le ventre et le devant des cuisses avaient leur part
autant que les seins; l'homme voulait entendre Charlotte hurler au plus vite; il écouta ses gémissements devenir des cris.
Pendue aux bracelets qui lui sciaient les poignets, écartelée à en sentir les jointures de ses cuisses endolories, elle ne
pouvait faire un mouvement, ni tourner la tête pour voir la jeune soumise; "Numéro 2" s'approcha de Charlotte; après un
moment, on retira la cagoule qui l'aveuglait; elle aperçu la jeune fille, à peine plus âgée qu'elle; elle avait un corps parfait
et un visage délicat; un homme lui murmura à l'oreille qu'elle devait se servir d'elle comme bon lui semblerait.
Flattée, "Numéro 2" entendait amener Charlotte à merci; elle commença par lui caresser l'intérieur des cuisses; la jeune
soumise semblait sûre d'elle, faisant preuve d'une tranquille détermination; elle ne ressemblait plus en rien à une esclave
sinon sa nudité; au contraire, elle avait le port du visage fier; aux premiers coups qui la brûlèrent au ventre, Charlotte gémit.
"Numéro 2" passait de la droite à la gauche, s'arrêtait, reprenait; la suppliciée se débattait de toutes ses forces.
Charlotte crut que les liens la déchireraient; elle ne voulait pas supplier; qu'une femme fût aussi cruelle, et plus implacable
qu'un homme, elle n'en avait jamais douté, mais elle pensait que la jeune soumise cherchait moins à manifester son autorité
qu'à établir une complicité; de fait,"Numéro 2" arrêta la flagellation pour s'amuser avec son sexe, écarter les chairs, agacer
le clitoris, et la pénétrer avec le manche de la cravache; enfin, elle fit le tour du corps écartelé et détacha Charlotte épuisée.
Souillée de sperme et de sueur, Juliette décida qu'elle devait être reconduite au premier étage pour qu'elle fût douchée;
après une minutieuse toilette, elle lui ordonna d'uriner à même le sol dans une coupelle, de renifler son urine et de la boire;
bouleversée par cette épreuve, au bord des larmes, mais n'osant se rebeller, elle sentit soudain qu'elle n'y échapperait pas,
elle se mit à laper le liquide tiède et clair et à l'avaler, prenant soin de ne laisser aucune goutte, sans être comblée de honte.
Elle fut conduite dans la chambre qu'elle devait occuper, où nue et attachée, elle s'endormit.
Hommage à Charlotte.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Amazone. Ce mot n'évoque pas seulement une cavalière de la belle époque ou le costume qu'elle portait. C'est le
souvenir d'antiques peuples de femmes guerrières. Filles d'Arès et de la naîade Harmonie, selon la légende, elles
vivaient en Cappadoce, sur les rives du Thermodon, au Nord-Est de la Turquie, et conquirent de vastes étendues
jusqu'en Asie Mineure; elles avaient l'habitude de se comprimer un sein dès l'enfance, afin de faciliter le tir à l'arc.
Portant casque et armure, arcs de bronze et boucliers en demi-lune, ce furent les premières femmes à utiliser la
cavalerie. Sans foi ni loi, vivant de pillage, elles constituaient des tribus matriarcales qui se perpétuaient par de brèves
relations, une fois l'an, avec des hommes des régions voisines auxquels elles renvoyaient les enfants mâles, ne gardant
que les filles qui étaient très tôt entraînées à la chasse et à la guerre. Leur pays était gouverné par une reine.
Les récits les plus connus sur des Amazones viennent de l'antiquité grecque. Les Amazones apparaissent dans les textes
au VIII ème siècle av. J.-C. chez Homère. Cependant, il est pratiquement certain que le mythe était transmis oralement bien
avant son évocation dans l’Iliade. Cette apparition au VIIIe siècle lui donne une nouvelle impulsion et les guerrières font leur
apparition sur des boucliers et des vases. Les plus anciennes représentations mises au jour datent de 700 av. J.-C.
Elles se disaient filles de Mars, le dieu de la guerre; sous la conduite de reines énergiques: Orythie, Marpésia, Lam-pedo,
Antiope, Hippolyte, Penthesilée, elles firent de vastes conquêtes en Asie; mais des expéditions conduites par les grands
héros grecs, Hercule et Thésée défirent les Amazones sur leur territoire d'origine; Achille aurait tué Penthesilée en combat
singulier pendant la guerre de Troie. Ainsi, disent les anciens, s'éteignit la nation des Amazones du Thermodon.
Des historiens d'Alexandre le Grand relatent qu'il rencontra au Sud-Est du Caucase certaines de leurs descendantes.
Accompagnée d'une escorte de trois cents guerrières, leur reine Thalestris vint au camp d'Alexandre et lui demanda de lui
faire un enfant, afin d'allier les sangs de la plus forte des femmes et du plus puissant des hommes; selon la légende, moins
ardent que Thalestris, Alexandre partagea son lit pendant treize nuits, au bout desquelles la reine rentra chez elle.
L'historien grec Diodore de Sicile conte aussi les exploits des Amazones de Libye, des guerrières d'Afrique du Nord vivant
avec des hommes et exerçant le pouvoir. On dit aussi qu'elles édifèrent le temple d'Ephèse qui fut l'une des sept merveilles
du monde, qu'elles s'emparèrent de Troie mais que pourchassées par des tribus barbares, elles perdirent au combat leur
reine Marpésia. Leur pays, gouverné par une reine, avait pour capitale, Themiscrya. Elles fondèrent Smyrne et Paphos.
Enfin plusieurs historiens grecs et latins parlent d'Amazones qui auraient vécu en Scythie, dans le Sud de l'actuelle Ukraine
près de l'embouchure du Don. Mais, ce ne sont pas à proprement parler des Amazones, car vivant avec des hommes, elles
jouissaient d'une certaine égalité avec eux. On retrouve des Amazones en Bohème vers 730. Des voyageurs portugais du
XVI ème siècle signalent des Amazones en Ethiopie; elles vivaient avec des hommes et avaient le pouvoir sur eux.
Les Amazones sur lesquelles nous avons les informations les plus directes sont celles que rencontra et combattit en
1542, sur les rives du fleuve brésilien, portant maintenant leur nom, l'expédition de l'explorateur espagnol Orellana.
Elles faisaient payer tribut aux peuplades voisines, et ramenaient de force de leurs expéditions, des prisonniers par
qui, elles se faisaient féconder; elles gardaient leurs filles avec elles et renvoyaient les fils à leurs pères.
Les Amazones du Dahomey étaient des guerrières de grande valeur qui disparurent lors de la colonisation française.
Elles se distinguaient par leur mépris des dangers et par leur férocité. Au sommet des montagnes bordant la Guyane,
un autre peuple d'Amazones n'obéissait qu'aux reines qu'il se donnait. Peu combatives, ces Amazones vivaient en
parfait voisinage avec les autres tribus. Ainsi chaque continent connut ses propres Amazones aux mœurs différentes.
Si certains historiens contemporains ont, dans leurs études, nié leur existence réelle, il parait difficile aujourd'hui de
se rallier à leur opinion alors que tant d'écrivains et d'artistes ont fait figurer certaines d'entre elles dans leurs œuvres:
Homère, Plutarque, Polyen, Pline, Isocrate, Lysias, Ptolémée, Hippocrate et que par ailleurs des fouilles archéologiques
ont permis de mettre au jour des tombes de femmes guerrières, enterrées avec leurs armes entre 600 et 200 av. J.-C.
Dans l'Antiquité gréco-romaine, Les Amazones formaient un groupe généralement indifférencié ou le collectif primait sur
l’individuel. Dans la céramique, elles sont ainsi rarement identifiées par des inscriptions. Cependant trois Amazones se
détachent du collectif et connurent des destins singuliers, abondamment contés par les auteurs anciens. Ces guerrières
jouissant d’une place privilégiée dans la mythologie amazonienne sont Penthésilée, Hippolyté et Antiopé.
Penthésilée, fille d'Arès et d'Otrera participe avec une dizaine d’autres amazones à la guerre de Troie afin de venir en
aide à Priam, roi de Troie, suite à la mort d’Hector. Elle prouve sa valeur en tuant de nombreux Grecs et grâce à elle
les Troyens reprennent le dessus. Mais Achille apparait, défie la reine des Amazones et la tue en combat singulier.
Après sa mort, il tombe amoureux d’elle et pleure sa mort. Il recueille son corps et l'enterre avec tous les honneurs.
Hippolyté, quant à elle, est la reine des Amazones et son père, Arès, lui a transmis une ceinture en reconnaissance de
ses aptitudes guerrières. Lors de son IX ème travail, Héraclès doit récupérer cette ceinture pour la fille d’Eurysthée qui lui
a commandé les travaux. Héraclès accoste à Thémiscyra, la capitale amazonienne, et combat les Amazones pour obtenir
la ceinture. Il tue finalement la reine pour la lui soutirer. On raconte aussi qu'Hippolyté s'éprit du héros et lui offrit.
Antiopé fut vaincue et enlevée par Thésée, qu'elle épousa et auquel elle donna un fils, Hippolyte qui fut aimé de Phèdre.
son rapt amena les Amazones à marcher sur Athènes en représailles, afin de délivrer leur sœur. Siphione vint féliciter
Jason après la capture de la Toison d'Or. Lysippé brisait les membres des garçons afin de les obliger à s'occuper des
corvées domestiques pendant que les femmes gouvernaient et faisaient la guerre. Elle institua le culte d'Artémis.
Les Amazones qui survécurent au massacre attribué à Héraklès se réfugièrent dans les montagnes d'Albanie, près
de Colchis; certaines s'établirent au pied du mont Caucase, tandis que leurs voisins, les Gargarensiens, montaient
vers le Nord; tous les ans, au printemps, les deux groupes se rencontraient sur la montagne, séparant leurs territoires,
pour une cohabitation de deux mois, et s'unissaient après un sacrifice rituel; dès qu'une Amazone se trouvait enceinte,
elle rentrait dans son pays; les garçons étaient confiés aux Gargarensiens.
Les Amazones du Thermodon qui vivaient en Asie Mineure accompagnèrent leurs maris à la conquête de la Sarmatie
asiatique. Impuissantes, elles assistèrent au massacre de leurs compagnons et durent, pour survivre, se revêtir des
armes des morts et se battre. Elles vainquirent. Encouragées par ce premier succès, elles rentrèrent en traînant dans
leur sillage des prisonniers. Elles constituèrent alors le premier royaume des Amazones et instituèrent des lois.
Marpésia reçut le commandement des armées et Lampetho la direction de l'État avec le titre de reine. Les Amazones
firent le serment solennel de renoncer au mariage mais, comme une présence mâle était indispensable à la reproduction,
elles établirent la paix avec les Etats voisins. Une clause scellait cette apparente générosité. Les hommes devaient se
trouver, chaque année, à époque fixe, sur la frontière du territoire.
Les Amazones de la mer Caspienne ne doivent pas être confondues avec les Amazones libyennes vêtues de peau de
serpent, qui vivaient sur une île du lac Tritonis qui s'allièrent à Dionysos. Leur reine Myrina, à la tête d'une puissante armée,
envahit le territoire des Atlantes, s'empara de la cité de Cerné, extermina les hommes, emporta les enfants comme esclaves
et rasa les murs de la ville. Lorsque le reste des habitants se rendirent, elle construisit la nouvelle cité de Myrina.
Après la bataille, alors que les Amazones et les habitants célébraient leur victoire, leurs ennemis les surprirent désarmés
et massacrèrent les troupes de la reine. Celle-ci s'échappa, traversa la Libye, se constitua une nouvelle armée, entra en
Egypte où elle rencontra le fils d'Isis, Horus, puis envahit l'Arabie, créant des villes: Cycmé, Pitané, Priène. Elle soumit
plusieurs îles égéennes, notamment Lesbos, y bâtit la cité de Mitylène. Elle fut enfin vaincue et tuée par le roi de Thrace.
Ces femmes guerrières ne sont pas uniquement des produits de l'imagination des mythographes; certaines traditions
confirment l'existence de femmes-soldats en Asie, en Afrique et en Amérique, voire en Europe. Au VIII ème siècle, il
existait en Bohème, des femmes formant une corporation militaire sous les ordres de Vlasta; après avoir construit des
fortifications, résisté au duc Przémyslas, elles exterminèrent tous les hommes ou les réduisirent en esclavage.
Leur dureté est surtout une dureté guerrière, comparable à celle de bien des peuples belliqueux, et les preuves d'autorité
qu'elles montrent sont comparables à celles de la plupart des groupes dominants. Si certains auteurs vantent leur virginité,
d'autres les dépeignent comme des amoureuses sensuelles et actives lors de leurs contacts annuels avec les hommes.
L'hypothétique ablation des seins est une mutilation volontaire que les Amazones, se seraient imposées à elles-mêmes.
En littérature, la reine des Amazones Hippolyte apparaît dans la comédie de Shakespeare "Le Songe d'une nuit d'été",
puis au siècle suivant, Houdar de la Motte met en scène Marpésia dans "Marthésie, première reine des Amazones."
L'allégorie des Amazones continue d’être questionné par les époques postérieures jusqu’à aujourd’hui où leur mythe a
été enrichi de nombreux nouveaux symboles. Les années 1970 marquent un tournant dans cette réception en raison
du développement des luttes sociales et particulièrement des mouvements féministes. Les Amazones connaissent un
écho particulièrement fort dans ces mouvements sociaux, en quête d’une légitimité. Source d'inspiration et de courage
ou abomination et désolation ? Entre féminisme et sexisme, priorité à la réalité historique.
En général, les Amazones sont très mal desservies par le cinéma, de Wonder Woman à Supernatural en passant par Xena,
en véhiculant l'image stéréotypée de la femme guerrière, indépendante et agressive. Ce nouveau personnage féminin
sert-elle un fantasme masculin de domination, ou introduit-elle une nouvelle liberté dans la conception du genre féminin ?
En tout état de cause, ces femmes-soldats méritent pour le moins une plus grande considération.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"J’ai résisté aux prières du séducteur, son épée et ses menaces n'ont rien pu
sur mon cœur, mais mon corps a souffert violence ; et je veux par mon trépas
laver cet outrage fait à ma pudeur." Sénèque, tragédie "Phaedra."
Symbole de l’amour inavouable et de la difficulté d'aimer, Phèdre est une figure mythique qui n'a cessé d'inspirer à travers
les siècles. Fille du roi de Crète, Minos, et de sa femme Pasiphaé, sœur d'Ariane, elle épousa Thésée, père d'Hippolyte
par l'Amazone Antiope. Elle rencontra son beau-fils aux mystères d'Eleusis, conçut pour lui une folle passion et le suivit à
Trézène. Elle y érigea le temple d'Aphrodite Catascopia d'où elle pouvait apercevoir le jeune homme s'exercer au gymnase.
Phèdre, qui dépérissait à vue d'œil, finit par avouer son amour à Hippolyte qui, horrifié, l'accabla de reproches; l'amoureuse
bafouée déchira aussitôt ses vêtements et se mit à crier: "Au secours, on me viole !". Puis elle se pendit après avoir écrit
une lettre à Thésée accusant Hippolyte; ce dernier fut banni d'Athènes par son père, qui demanda à Poséidon de le punir.
À peine Hippolyte était-il sorti de la ville dans son char, qui roulait sur l'isthme, qu'il fut secoué par une gigantesque vague
sumontée d'un monstrueux chien de mer. Terrorisés, ses chevaux firent un brusque écart, son char fut projeté contre un
rocher, et son corps fut déchiqueté. Artémis le transporta, mourant à Trézène, où son père eut le temps de se réconcilier
avec lui; on dit que les dieux transportèrent son corps dans les cieux, où il est devenu la Constellation du charriot.
L’histoire d’Hippolyte et de Phèdre appartient au cycle mythologique de la fondation de la cité d’Athènes: elle est intimement
liée aux luttes livrées par les premiers rois légendaires, Érechtée, Cécrops, Pandion, Égée et Thésée pour asseoir leur
pouvoir et le transmettre à leur fils. Le grand-père d’Hippolyte, Égée, roi d’Athènes, avait eu deux femmes, dont aucune ne
lui donna d’enfants; la légende raconte que ce serait Aphrodite en colère qui pour se venger lui infligea cette peine.
Inquiet de mourir sans descendance mâle, Égée s’adresse à l’oracle de Delphes. En guise de réponse, celui-ci lui donne
une indication sur sa propre mort, à savoir qu’il risque de mourir de chagrin s’il délie le col de son outre de vin avant son
retour à Athènes. N’ayant pas réussi à déchiffrer l’oracle, Égée passe au retour par Corinthe pour rencontrer Médée, la
sorcière venue de la mer Noire. la sorcière s’arrange pour lui donner un fils en utilisant ses pouvoirs magiques.
Égée se rend enfin à Trézène, ville du Péloponnèse proche de Corinthe, pour saluer son ancien camarade Pitthée,
devenu roi de cette cité et partage la couche de la fille de son ami, Æthra, qui, la même nuit, s’unit également, de force,
avec Poséidon. C’est de cette union, de ces unions d’une même nuit, que naîtra Thésée, le père d’Hippolyte. Qui est le
père de l'enfant ? Tout au long de sa vie, Thésée saura tirer parti de cette double filiation paternelle, humaine et divine.
Entre-temps, Thésée aura d’autres aventures et connaîtra plusieurs amours, et ce n’est certainement pas contre lui
qu’Aphrodite risquerait de se mettre en colère, car il saura aussi bien aimer les femmes que les utiliser dans ses plans.
On se souvient qu’il a su s’attirer les grâces de la fille de Minos, Ariane, pour combattre contre le Minotaure, avant de
l’abandonner, endormie, sur l’île de Naxos.
Devenu roi, il s’oppose aux Amazones, et en sort vainqueur grâce à l’aide de leur reine, Antiopé, qui s’éprend de lui;
ils auront un enfant, qui est appelé Hippolyte, "celui qui délie les chevaux." Hippolyte grandit en futur roi de Trézène:
sa mère, l’amazone, meurt de la main de Thésée, selon certains récits; quant à son père, il cesse de penser à lui.
Car Thésée est déjà remarié, et la jeune épouse, Phèdre, n'est autre que la seconde fille du roi Minos de Crète.
Pallas, frère et prédécesseur d’Egée, avait de nombreux fils, les Pallantides. Neveux d'Egée et cousins de Thésée,
les Pallantides crurent que le pouvoir leur reviendrait puisque Egée ne semblait pas avoir de descendants. Ils furent
cruellement déçus lorsque Thésée fut reconnu par son père. A la mort d’Egée, ils revendiquèrent le trône mais les
Athéniens leur préférèrent Thésée.
Alors ils l’attaquèrent ouvertement. Thésée déjoua leur embuscade et les anéantit tous, y compris Pallas. Afin de se
purifier de leur mort sans doute politiquement justifiable, Thésée et son épouse Phèdre durent s’exiler pendant un an,
à Trézène. C’est ainsi que se déroula le drame de Phèdre: elle tombe amoureuse de son beau-fils, Hippolyte. C'est
est un bel athlète qui méprise les femmes et préfère ses compagnons de chasse.
Il refuse les faveurs de la déesse Aphrodite. Sa belle-mère Phèdre connaît une vive passion pour lui, se déclare.
Hippolyte refuse et affirme son dégoût des femmes. Il honore Artémis tandis qu'il méprise Aphrodite; cette dernière,
pour se venger, suscite chez Phèdre cette passion coupable. Elle n'osa pas révéler cette passion à son beau-fils
mais se confia à sa nourrice qui la conseilla d'envoyer une lettre à Hippolyte, dans laquelle elle lui avouait son amour.
Phèdre s'offrit à Hippolyte. Hippolyte, horrifié, repoussa les avances de Phèdre et vint l'accabler de reproches dans ses
appartements. Alors Phèdre, se voyant délaissée, accusa son beau-fils d'avoir cherché à la violer et se pendit, en prenant
soin de laisser une lettre dénonciatrice pour son époux. Par vengeance et craignant qu'Hippolyte ne révèle tout à son père,
elle accusa le jeune homme d'avoir cherché à la violenter. Furieux, Thésée appella sur son fils la malédiction de Poséidon.
Le mythe de Phèdre est une constante source d'inspiration pour les écrivains depuis l’Antiquité.
Pour Euripide, le personnage tragique de la pièce, c'est Hippolyte, mourant victime des mensonges de sa marâtre.
Phèdre se réduit chez lui à un pur moyen de vengeance utilisé par Aphrodite contre Hippolyte, qui s'est voué tout
entier au culte d'Artémis, la déesse vierge. Dès lors, chez Euripide, il n'est guère question de la faute de Phèdre:
elle n'est qu'un jouet des dieux. Elle n'a aucune indépendance, volonté propre. On ne saurait donc lui en vouloir.
Sénèque, dans "Phaedra", concentre en revanche l'action sur le personnage féminin. La pièce de Sénèque annonce
une nouvelle interprétation du mythe; ce n'est plus Hippolyte qui est au centre de la tragédie, mais bien le personnage
de Phèdre. Elle n'est guère ménagée. Elle déclare à son beau-fils sa passion: horrifié, il a la tentation de tuer Phèdre,
mais se ravise; son épée jetée au sol l'accuse lors du retour de son père; Thésée le maudit puis le jeune homme meurt.
Racine écrit sa tragédie, "Phèdre", en 1677. Sa pièce est une analyse et une dénonciation de la passion amoureuse
à travers le personnage de Phèdre. Phèdre avoue son amour "incestueux" qui la brûle et la déchire mais qui est plus
fort qu'elle. Face au rejet du jeune homme et découvrant l'amour d'Hippolyte pour Aricie, elle accuse Hippolyte à tort
devant son père, entraînant une double mort, celle de Phèdre et celle d'Hippolyte, suivie des tourments de Thésée.
Phèdre illustre la conception pessimiste de l'homme de Racine, une conception nourrie par le Jansénisme, conception
religieuse, selon laquelle seuls quelques élus choisis par Dieu seront sauvés. Chaque homme est prédestiné et aucune
bonne action ou comportement exemplaire ne saurait changer le fait initial d'avoir ou pas la grâce divine. Ainsi Phèdre met
en avant la croyance de Racine en la théorie de la prédestination, ainsi que la misère de l'homme sans la grâce divine.
Racine tend à nier la responsabilité de la faute de Phèdre. Mais il la rend coupable dans une autre partie de la pièce pour
rendre son œuvre plus intéressante sous tous les angles. Racine sous-entend que Phèdre est une personne destinée à
mourir. C’est pourquoi il dit qu'elle n’est pas coupable. Il est probable que Racine essaie d’innocenter Phèdre, mais d'une
manière péjorative. La malédiction familiale qui suit Phèdre montre comment l’homme n’a pas de choix face à son destin.
Euripide peint le personnage de Phèdre comme une personne malheureuse, affaiblie par les sentiments incontrôlés envers
le fils de son mari. La Phèdre d’Euripide lutte contre le mal qui la tue lentement car elle ne peut pas avouer qu’elle aime le
fils de son mari. C’est pourquoi elle garde un silence au fond de son cœur pour ne pas exposer ses sentiments honteux.
Même si elle n’est pas responsable de ces sentiments, elle se voit elle-même comme l’auteur de cette faute.
Chez Sénèque, Phèdre est une personne consciente de sa faute. Elle sait que l’inceste est défendu mais elle se laisse
emporter par cette passion. Elle profite de l’absence de son mari pour aborder son beau-fils et lui avouer les sentiments
qu’elle a pour lui. Le courage de Phèdre d’affronter Hippolyte pour lui faire part de ce qu’elle ressent pour lui prouve que
sa faute était préméditée. Donc, Phèdre a des remords à cause de la mort tragique de son beau-fils.
Il y a des ressemblances dans le personnage de Phèdre de Sénèque avec celui de Racine en ce qui concerne le remords.
Phèdre se qualifie elle-même de traitre et confesse à son mari toute la vérité avant de se suicider: "tes remords te suivront
comme autant de furies; tu croiras les calmer par d’autres barbaries." (Racine, Britannicus, acte V, scène VI, v .12-13).
La faute de Phèdre est plus lourde du fait qu’elle confirme indirectement les mensonges de sa nourrice envers son beau-fils.
Euripide innocente Phèdre et justifie la cause de tout ce qu’elle a fait. Mais Sénèque la culpabilise en mettant en évidence
sa volonté de commettre ses fautes. Pour Racine, le personnage de Phèdre est responsable de sa passion meutrière,
mais finalement, il l'innocente. L’homme a le libre choix d’accepter ou de refuser de faire une chose. Chaque personne
possède la capacité de poser le pour et le contre avant de commettre un acte afin d’éviter les conséquences néfastes.
Zola, dans son roman "La Curée", dans la série des Rougon-Macquard, imagine une histoire d'amour entre une jeune
femme, Renée Saccard, et son beau-fils Maxime; contrairement à Hippolyte, Maxime aime les femmes. Il épouse Louise.
Renée, issue de la noblesse, connaît la mésalliance en épousant Aristide Saccard. Elle est violentée par un homme plus
âgé, le jour même du coup d'état de Napoléon III: elle est déshonorée, symbolisant la France profanée par un usurpateur.
La mésalliance concrétise le matérialisme d'une société qui ignore la pureté des relations : l'amour entre Renée et son mari
n'existe pas, il est remplacé par l'argent. Renée connaît un destin tragique: elle est prise d'une passion frénétique pour
Maxime qui l'abandonne pour épouser la jeune fille qu'a choisie son père. Elle meurt dans la solitude alors que le roman se
termine sur le triomphe cynique de Saccard.
Le mythe de Phèdre continue à inspirer des écrivains contemporains, notamment le grand poète grec Yannis Ritsos.
La passion de Phèdre pour Hippolyte n’a peut-être jamais été chantée avec autant d’intensité que dans cette version
du mythe par le poète grec Yannis Ritsos. La Phèdre de Yannis Ritsos est une femme accomplie. Elle est touchée par
un amour soudain, sans préavis, amour qui changera sa vie de façon définitive.
Malgré la différence d’âge, malgré le lien presque filial qui les unit, cet amour pourrait être beau. La réponse est brutale.
Cette passion est coupable, impure, sale. Dans la bouche d’Hippolyte, les femmes sont en elles-mêmes coupables
d’impureté, bien avant d’avoir commis le moindre crime. Au-delà de la question de la féminité, se pose, simplement, celle
de la "pureté." Seule la mort peut résoudre la situation, mais, comme le dit Ritsos, elle survient toujours trop tard.
Phèdre serait victime de son hérédité: elle doit à sa mère Pasiphaé le dérèglement de ses sens, et sa passion "dépravée"
pour un taureau et la naissance d’un monstre, le Minotaure. Aphrodite poursuit Phèdre et sa famille de sa haine et œuvre
sans relâche à leur perte. Il y aurait sur Phèdre une malédiction divine, sous le signe des amours défendus et maudits.
La passion que Phèdre éprouve pour Hippolyte déclenche chez elle un dérèglement sensoriel.
Phèdre se sent coupable des sentiments incestueux qui l’habitent. Passionnée, c'est un personnage ambigu et complexe.
Racine disait que "Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente". La tragédie raconte la déchéance d’un être
souffrant d’un mal qui le ronge et sans lequel il ne peut vivre. Elle serait le symbole incarné du drame d’une humanité
écartelée par le combat de la chair et de l’esprit.
Peut-on faire du mythe de Phèdre un modèle d’inceste ? Chez Euripide, la réponse est négative. La "marâtre" amoureuse
pose problème et fait scandale. Le problème est celui du fonctionnement patriarcal de la société grecque. Elle perturbe la
domination paternelle sur les fils en risquant de dresser les enfants du premier lit contre le père. La femme adultère remet
en cause la domination masculine sur les femmes; l’ensemble du pouvoir patriarcal est ébranlé par la "marâtre" adultère.
Le scandale est celui de l’existence d’une femme amoureuse. Sans aller jusqu’à parler, comme Paul Valéry, à propos de la
Phèdre racinienne, de sa "rage de sexe", Euripide a choqué en mettant en scène le désir sexuel féminin. Avec Phèdre, la
femme cesse d’être un objet de plaisir pour devenir un sujet désirant. Par sa passion, Phèdre fait entrevoir au spectateur
grec un monde nouveau, où l’union du fils avec l’épouse du père renverserait l’ordre patriarcal en permettant l’alliance de
ses deux victimes, et une forme nouvelle d’amour dans lequel le don remplacerait la possession.
Phèdre incestueuse ? Non, Phèdre scandaleuse.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Charlotte fut préparée dans l'attente de la soirée: elle avait été avertie que Béatrice serait accompagnée de plusieurs couples à qui elle s'offrirait, quoi qu'on pût exiger d'elle ou lui infliger; il fut décidé qu'elle ne les verrait pas et que les mains attachées derrière le dos, on la conduirait dans une cave. On fixerait à son cou un collier et à ses poignets des bracelets. Juliette avait choisi sa tenue: une jupe courte en taffetas noire, dévoilant ses cuisses, et un chemisier clair marquant un corset en cuir resserré de façon à faire saillir ses seins; elle s'assura que son ventre ainsi que le sillon de ses reins étaient parfaitement lisses afin que ses deux orifices soient ouverts à ses besoins, ou à ceux des des inconnus à qui elle la destinait. Pendant que je lui nouai les cheveux en queue de cheval, pour lui bander les yeux, un cri indubitablement féminin retentit, elle se mit à trembler. À force d'être humiliée, il me semblait qu'elle aurait dû être habituée aux outrages, sinon au fouet, à force d'être fouettée; une affreuse satiété de la douleur et de la volupté devrait la résigner, comme le supplice d'une fille offerte comme elle, et même lorsqu'elle n'était pas livrée, de son corps toujours accessible. Un long silence suivit, troublé seulement par des chuchotements. Je reconnus Béatrice. Sa mince silhouette était entièrement vêtue de noir, du col officier de son chemisier, jusqu'à ses bottes en cuir. Elle déganta sa main droite et posa doucement son majeur et son index près de l'oreille gauche de Charlotte; la maîtresse de lieux, qui semblait particulièrement l'apprécier, l'entraîna au bout d'une laisse dans la cave, au beau milieu d'une réception où des couples contemplaient le spectacle d'une jeune femme nue se faisant prendre sauvagement par des esclaves mâles. Des hommes et des femmes en tenues de soirée, tous masqués, étaient éparpillés çà et là une coupe à la main; au centre de la salle, sur un grand lit en fer forgé noir, érigé en estrade, la femme que j’imaginais se faire torturer, était possédée par deux hommes aux corps d’athlètes qui la pénètraient frénétiquement dans la lueur des torches. Elle avait de petits seins fermes et des hanches à peine formées. L’assemblée se tourna vers nous et nous salua en s’inclinant en silence. Ses doigts glissèrent le long de ma machoire, puis de mon cou, contournèrent mon sein gauche, carressant ma taille, et s’arrêtèrent sur ma vulve, en appuyant légèrement sur la chair fragile; saisissant la dragonne de la laisse reliée aux anneaux d'or fixés sur mes lèvres intimes, elle ouvrit les deux battants du grand salon et me guida vers l'autel de mon sacrifice; au fond de la salle, éclairée par des projecteurs diffusant une lumière pâle, m'attendait la croix de saint André; j'avançai vers ma crucifixion, tenue par mes anneaux; Béatrice me tendit la main pour m'aider à gravir les deux marches qui me menait à mon calvaire; elle me plaqua le dos contre le bois, me laissant ainsi exposée de longs instants. Elle me présenta comme étant son esclave; tout me serait infligé sans pitié pour juger de l'efficacité du fouet. En elle, je devinais une volonté ferme et glacée, que le désir ne ferait pas fléchir, je devais obéir docilement; les yeux bandés, je ne pouvais apercevoir les derniers invités qui descendaient dans la cave, grossissant l'assistance silencieuse; ainsi exposée et écartelée sur cette croix, seule dans le noir et le silence, je me demandais pourquoi tant de douceur se mêlait à tant de terreur, ou pourquoi tant la terreur me paraissait aussi douce. On me détacha enfin pour m'exhiber. À peine libérée, quelqu'un me demanda de me tourner et on me délia les mains en m'ôtant le bandeau des yeux. On me fit avancer, trébuchant un peu, vers un homme qui voulait me toucher. Il m'ordonna de me déshabiller, et de me présenter, ce que je fis instantanément: debout les bras coudés derrière la tête en écartant les cuisses, comme on me l'avait signifié, afin de livrer avec le plus d'indécence possible le spectacle de mon intimité. Se présenter de telle façon oblige l'esclave à s'abandonner, quels que soient ses réticences, à mieux se donner. Par cette mise à nu, le corps livré, déshabillé, disséqué, est comme bafoué, humilié, sans concession; la soumise ainsi exhibée apprend à se surpasser dans l'épreuve, poussée parfois au paroxysme de l'épuisement et de la souffrance physique; c'est ainsi qu'elle peut s'épanouir et accepter les châtiments les plus cruels. Béatrice apparut avec un esclave à demi-nu harnaché de cuir au bout d’une laisse. L’homme à l’allure athlétique était doté d’une musculature impressionnante et d’un sexe épais dont on osait à peine imaginer la taille en érection. Elle fit allonger l'homme sur le dos, puis me tira par les cheveux et me força à m’agenouiller entre ses jambes, la croupe en l’air et le visage écrasé contre son pénis. J’entendis des ricanements dans l’assemblée. Ce n'était pas la caresse de mes lèvres le long de lui qu'il cherchait, mais le fond de ma gorge. Il me fouilla longtemps, et je sentais gonfler et durcir en moi le baillon de chair qui m'étouffait, et dont le choc lent et répété me tirait des larmes. Debout sur l'estrade, Béatrice faisait voler sa cravache sur mes reins. Elle m'ordonna de lui lècher les testicules et le pourtour de son anus; je m’exécutai, faisant glisser ma langue de la hampe jusqu'à l'entrée de sa cavité anale. L'esclave semblait apprécier et s'enfonçait dans ma bouche pendant que je le couvrais de salive; elle se plaça derrière moi et plongea ses doigts dans mon vagin déjà humide de désir. Elle explora longuement ma vulve, remonta sur mon anus, le caressa du bout des doigts, puis se redressa: “Enfile-toi un doigt dans le cul!”; sa cravache siffla dans les airs et s’abattit sur ma croupe: “Allez chienne, doigte-toi le cul!”. Les lèvres forcées par le glaive charnel, je dus me cambrer pour atteindre la raie de mes fesses. J’introduisis tant bien que mal un doigt dans la moiteur de ma voie la plus étroite pendant que Béatrice continuait de me fouetter: “Tu aimes ça, chienne, te doigter l'anus devant des inconnus"; je répondis d'un “oui” chevrotant en écho aux coups de cravache mordant maintenant l'intérieur de mes cuisses, espérant ainsi mettre fin à mon supplice. Elle laissa tomber sa cravache et s’agenouilla derrière moi: “Enfile tes autres doigts, chienne !”. Je m’exécutais docilement alors qu’elle forçait mon anus en écartant mes fesses de ses doigts pour faciliter mon intoduction. Les invités semblaient goûter à la scène, se regroupant pour regarder. La situation était des plus humiliantes; j'étais partagée entre le sentiment de honte et l’étrange plaisir d’être utilisée comme un vulgaire objet sexuel, humilié et gémissant. Mais ce ne furent que les préliminaires. Béatrice me relèva en tirant sur mon collier comme on le ferait pour rappeler un chien à l’ordre: “Ça ira comme ça, salope. Maintenant assieds-toi sur sa queue!”; encouragée par ses coups de cravache, j’enjambai maladroitement l'esclave et m’accroupis dos à lui, tout en me demandant comment accueillir un sexe aussi monstrueux. Impatiente, Béatrice maintint le sexe à la verticale et me força à descendre dessus en tirant sur mon collier. Ma croupe s’écrasa sur la pointe saillante; tous les invités se regroupèrent autour de la scène et je pus voir distinctement leurs regards lubriques et cruels briller derrière leurs masques dans la lueur des torches; alors que je m'efforçai de garder l’équilibre, l'esclave me força à m’empaler sur son sexe; je tentai de résister, mais en vain; son membre surdimensionné défonça mes reins, distendant lentement mon anus. Une bouffée de chaleur m’envahit, tout mon corps était perlé de sueur. Béatrice exultant, ordonna l'esclave mâle à me pénétrer tout en caressant ses testicules: “Allez, chien, défonce-lui son cul de salope!”; l’homme obéit sans sourciller et m’attira contre son sexe brutalement pour me faire mal; mes deux sphincters anaux se dilatèrent sous la pression et il me pénétra d'un seul coup. Je manquai de m'évanouir. L’assemblée poussa un “Oooh” d’étonnement mêlé d’admiration; Béatrice demeura un instant interdite à la vue de ce membre à moitié emprisonné. Partagé comme moi entre douleur et plaisir, l'esclave mâle relâcha son étreinte, en me maintenant dans cette position grotesque; accroupie, empalée au sommet de son sexe, Béatrice, agenouillée face à moi, me meurtrissait les seins en me pinçant les pointes tout en m’observant avec un regard pervers qui m'effraya; elle quitta mes yeux, plongea sa tête entre mes cuisses, posa délicatement sa bouche sur ma vulve rougie par ses coups de cravache puis aspira mon clitoris entre ses lèvres. La bouche de Béatrice estompa peu à peu la douleur de la colonne de chair qui saccageait mes reins. Je luttais pour ne pas jouir; les invités nous regardaient dans un silence quasi religieux; le spectacle que j'offrais, haletante, empalée sur ce sexe monstrueux agissait sur l’assemblée comme un puissant aphrodisiaque. Béatrice se dénuda alors et commença à se caresser tout en me fixant, les yeux brillants de désir. Non loin de moi, une femme s’était accroupie aux pieds de son compagnon et le gratifiait d’une fellation des plus passionnées; juste à côté, deux hommes encerclaient une ravissante brune aux cheveux courts qui s'abandonnait, basculée à la renverse, à leurs doigts qui la fouillaient. Une boule de chaleur explosa dans mon ventre et irradia tout mon corps; parcourue de spasmes, je jouis en silence tout en éjaculant au visage de Béatrice; mes jambes vacillèrent mais l'esclave me tenait toujours fermement embrochée au sommet de son sexe. Il ne s'était pas encore libéré mais mon anus qui se contractait nerveusement le mettait au supplice. L’assemblée demeurait silencieuse; on entendait juste les sons de gorge profonds de la femme accroupie, étouffée par le sexe de son son compagnon qui lui tenait la tête des deux mains et déversait son sperme en elle. Les deux hommes qui étaient masqués, s'immobilisèrent pour me regarder, délaissant pour un instant la jeune femme brune, maintenant nue à leur merci, pour mieux l'envahir; plus loin un homme qui se masturbait en m'observant n’arriva plus à se retenir et éjacula. Béatrice, s’essuya le visage du revers de la main et lècha ma cyprine sur ses doigts en m’adressant un sourire narquois. Elle se pencha à nouveau entre mes cuisses mais cette fois pour s’occuper de l'esclave. Elle commença par effleurer ses testicules du bout des doigts puis elle remonta sur sa hampe qu'elle caressa comme un objet sacré; elle semblait s'amuser de façon perverse avec ce sexe surdéveloppé pour faire souffrir l'homme. Elle glissa une main sous ses fesses musclées et stimula son anus en le masturbant de plus en plus fort; c'était excitant d'assister à son érection: il grossit et se déploya. L’effet ne se fit pas attendre; dans un ultime effort pour retarder l’inévitable, il se cambra sous moi et rompit le silence de la salle par un long râle bestial; je sentis son sexe tressaillir, me remplissant d’un flot de sperme saccadé. La sensation fut divine et l’instant si intense que je fus à nouveau sur le point de jouir. Visiblement satisfaite, Béatrice se redressa, posa ses mains sur mes épaules et se pencha sur moi pour m’embrasser. Elle goûta à mes lèvres, les aspira, les mordilla puis pénètra ma bouche de sa langue mouillée. Fermant les yeux et vaincue, je me laissai emporter par un nouvel orgasme. Alors que je m’abandonnai à son étreinte, elle appuya de tout son poids sur mes épaules et me força à m’empaler de nouveau sur le sexe redevenu raide. Le pieu de chair dégoulinant me pénétra facilement et m’envahit sans plus aucune résistance. Distendue, la sensation d’être remplie totalement dépassa tout ce que j’avais enduré auparavant. Mon orgasme redoubla d’intensité et semblait ne plus vouloir s’arrêter. Béatrice relèva mon menton du bout des doigts et me regarda jouir avec le sourire de la victoire; l'esclave mâle qui était resté passif jusque-là recommença à s'ébranler lentement dans son foutre tout en m’agrippant fermement par la taille, n'ayant rien perdu de son ardeur, bien au contraire. Béatrice m’abandonna à mon sort. Elle s’accroupit juste derrière moi et écrasa sa croupe sur le visage de l'homme. Ce dernier sembla apprécier cette douce humiliation et continua de me fouiller les reins en redoublant d'acharnement. Dans un bruissement gras et humide, rompant le silence, mon corps se balançait au rythme de ce va-et-vient féroce. Je faisais maintenant face à l’assemblée qui se pressait autour de moi pour me regarder jouir. Ne prenant même plus la peine de se cacher, plusieurs hommes se masturbaient sans retenue, juste devant moi. Du haut de son estrade, une jambe sur l’accoudoir de son fauteuil, la maîtresse des lieux se caressait tout en se délectant du spectacle de ma sodomie. Des mains glacées se posèrent alors sur ma peau et me firent tressaillir. Je m'offris avec docilité aux caresses de plus en plus insidieuses. Un long silence suivit, troublé par quelques chuchotements dont j'essayai vainement de percevoir le sens. Subitement, je me sentis soulevée de terre, mes poings et mes chevilles furent liés par force de nouveau à la croix. Dans cette position qui favorisait l'examen de mon corps, un doigt força brusquement mes reins et me pénétra avec douleur. Celui qui me violait ainsi, sans préparation, me menaçait durement. Soudain, on me cingla. Je reconnus immédiatement les coups appliqués par Juliette: elle a une méthode particulière, à la fois cruelle et raffinée se traduisant par une caresse de la cravache avant le claquement sec, imprévisible et toujours judicieusement dosé. Après le dernier coup, elle caressa furtivement mon ventre enflammé et cette simple marque de tendresse me donna le désir d'endurer encore davantage; quand le cuir s'attaqua à mes seins, je compris que je serais fouettée intégralement sauf le visage; comme une confirmation, les lanières atteignirent le bas de mon ventre, en cinglant mes lèvres intimes; je laissa échapper un cri de douleur, comme un écho au hurlement entendu dans le couloir. On m'ordonna de me mettre à quatre pattes, dans la position la plus humiliante pour l'esclave; je reconnus à la douceur des mains de femmes qui commencèrent à palper mon corps. Elles ouvrirent mon sexe. Peu après, mon ventre fut investi par un objet rond et froid que Béatrice mania longtemps avec lubricité. On décida alors de me reconduire au premier étage pour me placer dans un trou aménagé dans le mur. Alors que l'on usait de tous mes orifices, un homme exhiba son membre que je tentai de frôler avec mes lèvres puis avec ma langue, mais avec cruauté, il se dérobait à chaque fois que j'allais atteindre sa verge. Prise d'un besoin naturel, on me refusa de me rendre aux toilettes. Confuse, je vis qu'on apportait une cuvette et je reçus l'ordre de me soulager devant les invités rassemblés. L'humiliation était là: me montrer dans cette position si dégradante, alors qu'exhibée ou fouettée, prise ou sodomisée, ma vanité pouvait se satisfaire de susciter le désir. L'impatience que je lus dans le regard attentif de Juliette parut agir sur ma vessie qui se libèra instinctivement. Lorsque j'eus fini de me soulager, Béatrice m'ordonna de renifler mon urine, puis de la boire. Au bord des larmes mais n'osant pas me rebeller, je me mis à laper et à avaler le liquide clair et encore tiède. Après avoir subi les moqueries des invités, je fus amenée devant Béatrice dont je dus lécher les bottes vernies du bout de ma langue. On m'ordonna ensuite de me coucher sur le sol et de relever mes jambes afin que chacun puisse me prendre facilement. Je fus possédée par l'ensemble des invités qui se succédaient à la chaîne sur mon corps. Puis on me releva pour me placer sur un tabouret hérissé d'un volumineux olisbos. Dans cette nouvelle position, mon ventre devenait douloureux, mais ce fut pire lorsqu'on m'ordonna de m'asseoir sur le cylindre massif et de le faire pénétrer entre mes reins profondément. Je sentais mon anus s'écarteler au fur et à mesure que je m'empalais sur le cylindre de latex. Longtemps, on me força à me pénétrer l'un et l'autre de mes orifices. " - Je suis fière de toi, tu te comportes comme je l'espèrais, tu dois continuer". Juliette venait de me signifier que mon dressage n'était pas achevé. Ma peau subit aussitôt le contact de mains posées au creux de mes reins puis entre mes fesses. Une cravache noir me cingla brusquement avec une telle violence que je poussai un véritable rugissement; la rigidité du cuir enflammait mes reins et mon dos; les coups lacéraient ma chair, me procurant de lancinantes sensations de brûlure. Lorsque la tige m'atteignit exactement entre les cuisses, sur le renflement du pubis, je compris soudain que j'allais jouir; une fois la fulgurante jouissance dissipée, j'osai implorer leur pitié; je venais de rompre le charme. Ils décidèrent de me faire payer chèrement cette inqualifiable faiblesse. Je fus à nouveau placée dans le mur comportant un trou en son milieu, de façon à ce que ma tête dépasse d'un coté et mes reins de l'autre. J'allais être prise par l'arrière et contrainte par la bouche. Ce fut Béatrice qui m'installa. J'étais en position, jambes docilement écartées, la bouche déjà ouverte, la croupe exagérément offerte, prête à être investie. Ce fut l'abattage. Impatient de se satisfaire, un homme prit la place de l'autre, ma bouche servant d'écrin; au même moment, un autre utilisait mon vagin sans ménagement, avant de forcer brusquement mes reins, qui comme la totalité de mon corps étaient à sa merci. Il s'enfonça sans préliminaire pour me faire mal. Le silence soudain m'exaspéra, car je ne pouvais rien voir de ce qui se passait autour de moi. Espérant le fouet comme une délivrance, un troisième sexe plus dur encore pénétra ma croupe; mon ventre se liquéfia. J'étais prise, on ravageait mes reins meurtris; je compris enfin que le membre qui me pénétrait était un olisbos à ceinture dont Béatrice s'était ceint à la taille. Elle exigea de moi que je me cambre davantage, pour qu'elle puisse "me remplir jusqu'au fond." Je cédai à l'impétuosité d'un orgasme que j'aurais voulu pouvoir contrôler. Béatrice se détacha de Charlotte qui glissa au sol. Elle récupéra ses appuis et réussit à se tenir debout, mais on la rattacha fermement sur la croix de Saint André face à la salle plongée dans la pénombre. Elle demeura ainsi le reste de la soirée, souillée de sperme et de sueur, les chevilles et les poignets entravés. Hommage à Charlotte. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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M'ayant entraînée au fond de la cave, là où la pénombre était la plus dense, Juliette fit pivoter mon corps
contre la paroi humide. Je sentis le salpêtre se dissoudre sous mes doigts qui s'accrochaient. Pour me
racheter, j'aurais voulu être attachée, là, dans cette position, le ventre nu contre ce mur poisseux, le dos,
les reins, offerts aux hommes qui auraient eu la libre disposition de moi, sans conditions. Sentir mes mains
prises dans la pierre pour ne plus pouvoir bouger et tout endurer, pour prouver que je pouvais devenir un
jour une parfaite esclave.
Juliette commença par me caresser. Elle savait qu'en faisant cela, elle me donnait une chance de me faire
oublier ma faute. Elle s'empara d'un martinet et commença à me travailler le corps en l'échauffant lentement,
alternant les caresses des lanières avec des coups cruels et violents. Plus elle frappait fort et plus je m'offrais.
Je n'éprouvais qu'un pincement aigu au moment où mes seins furent brutalement saisis par des pinces, puis je
sentis les pointes broyées par l'étau de métal qui les tirait vers le sol en s'y suspendant. Chacun des mouvements
que je faisais alors amplifiait le balancement des pinces, provoquant une sensation effrayante d'arrachement.
Je me souviens de ce moment précis où je fus mise à quatre pattes sur le sol au milieu de la cave. Juliette dont
j'étais désormais l'esclave d'un soir fixa d'autres pinces sur les lèvres de mon sexe, en dessous de mon clitoris.
Tout mon corps se balançait de façon obscène, tenaillé entre deux douleurs, partagée entre le désir de faire cesser
mes souffrances et celui d'en augmenter l'intensité par mes balancements, pour satisfaire Juliette et mériter son
pardon. J'observais avec orgueil la rotation des poids suspendus aux pinces attachées à mes seins, de droite à
gauche et de gauche à droite. La douleur devenait intolérable, mais je devenais la spectatrice de cette douleur.
Je souffrais, mais je dominais cette souffrance: le plaisir qui naissait en moi la dépassait, la stigmatisait.
Pour marquer sa satisfaction, Juliette me désigna la croix de saint André où je fus attachée dans une position
d'extrême écartèlement. Un inconnu s'approcha de moi, comme si je devenais digne de son intérêt. Ils saisirent
chacun un long fouet et commencèrent à me flageller avec une vigueur et un rythme qui me firent écarquiller les
yeux. Pour étouffer mes hurlements, je mordis violemment mes lèvres, jusqu'à ce que le goût de mon propre sang
m'eût empli la bouche. Je me livrai au châtiment avec une joie quasi mystique, avec la foi de l'être consacré.
Juliette me dit soudainement:
- J'aimerais te fouetter jusqu'au sang.
Je lui répondis que je lui appartenais. Dans la cave déserte, où les effluves d'humidité évoquaient celles d'une tombe,
l'inconnu me contemplait silencieusement et je m'aperçus qu'il tenait à la main deux longues et fines aiguilles.
Il s'empara d'un sein qu'il se mit à pétrir, à caresser, puis à pincer pour en faire jaillir la pointe granuleuse. Lorsque la
pointe fut excitée, il y planta la première aiguille, puis presque aussitôt après, la seconde dans le mamelon du sein qui
n'avait pas été caressé. D'autres aiguilles furent plantées tout autour des aréoles, quelques gouttes de sang vinrent ternir
le métal que la lueur d'une ampoule faisait jusque-là scintiller. Mon martyre devint délicieux.
Ainsi, j'étais devenue l'objet de plaisir de cette femme et de cet homme. Juliette parut subitement échauffée:
elle s'approcha de moi et de me libéra de la croix de saint André. Avant même que je puisse savourer ce répit, on me
porta sur une table où je fus allongée et solidement attachée. Je fus alors fouillée, saccagée, malmenée, sodomisée
comme une chose muette et ouverte. L'inconnu qui violentait mes reins se retira brusquement. Juliette effleura de
ses lèvres la dure pointe de mes seins, et de sa main le creux de mon ventre.
Dans un éclair, je me sentis délivrée, anéantie mais comblée.
Hommage à Charlotte.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous feriez chérir le despotisme.
Ce n'est pas la première fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus être votre esclave; et tout monstre
que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps où vous m'honoriez de noms plus doux."
Valmont à Madame de Merteuil. (Lettre IV) Les liaisons dangereuses. Choderlos de Laclos.
Dans toute relation humaine, la séduction est une constante, mais c’est dans la relation amoureuse qu’elle se déploie
avec le plus de ruse et d’ingéniosité. Il suffit de parcourir la littérature pour constater que le séducteur et la séductrice
sont devenus des archétypes qui transcendent le temps et l’espace.
Il est difficile de cerner la séduction, probablement parce qu’elle garde toujours une aura de mystère d’autant plus
insondable qu’elle semble être une condition indispensable pour qu’elle se maintienne.
Les écrivains, les poètes, de même que certains compositeurs d’opéra de toutes les époques ont largement traité de la
séduction et ont cherché, chacun dans leur domaine, à l’illustrer par des personnages de fiction dans le but avéré ou
inconscient de répondre aux nombreuses questions que chacun se pose à son propos; pourquoi femmes et hommes
cherchent-ils à se séduire ?
Y a-t-il un secret à la réussite d’une entreprise de séduction et des causes à son échec ? Quelles qualités requiert
l’art de séduire ? Y a-t-il une différence entre séduction masculine et séduction féminine ? Les moyens qu’utilisent
hommes et femmes pour séduire un partenaire convoité sont-ils les mêmes ? Sinon en quoi diffèrent-ils ?
Autant de questions, dont les réponses sont dans l’observation des amants heureux ou des transis déçus, mais aussi
dans les descriptions littéraires que les écrivains ont brossé des séducteurs et des séductrices; les personnages qu'ils
ont créés permettent de dresser une galerie de portraits de tous les types de séducteurs et de séductrices possibles,
de même que d’explorer en profondeur les motivations qui les animent.
Les écrivains, tout au moins ceux dont le génie a traversé les siècles, sont de fins observateurs de l’âme humaine,
et ils ont surtout le don inimitable de traduire, à travers les personnages sortis de leur imagination, ce qu'ils ont souvent
vécu eux-mêmes ou observé autour d’eux avec une acuité d’artiste. La littérature apparaît donc comme une voie capable
de percer les secrets et les artifices des séducteurs et des séductrices.
la séduction opère de deux façons différentes, voire opposées; de façon active, quand une personne cherche à s’imposer
à une autre par des moyens qui vont de la manipulation violente à la persuasion douce; de façon passive; La manière active
est qualifiée de virile, la seconde de féminine. Séducteur d’un côté, séductrice de l’autre; on pourrait penser que les deux
positions sont également représentées, mais, lorsqu’on cherche des exemples de séduction dans les œuvres littéraires,
on trouve essentiellement des séducteurs masculins.
Don Juan, Casanova, Valmont, Julien Sorel, viennent tout de suite à l’esprit, alors qu’il est plus difficile de dresser une
liste comparable de séductrices ayant laissé des noms aussi connus; l'exception peut-être serait Carmen, mais Carmen
n'est pas un prototype de séduction féminine; elle diffère des autres femmes en ce qu’elle entend mener sa vie amoureuse
comme un homme; "Si tu ne m’aimes pas, je t’aime et si je t’aime, prends garde à toi", est une protestation virile, un hymne
au libre choix amoureux, sinon sexuel.
Dans la littérature, la femme est presque toujours décrite comme séduite et abandonnée; Ariane se lamentant à Naxos
de l’infidélité de Thésée, Didon mourant sur son bûcher après le départ d’Enée, Médée tuant ses enfants parce que Jason
l’a trahie; la femme séduite est aussi une femme à jamais fidèle; Pénélope résistant à la horde des prétendants, Lucrèce
se suicidant pour rester fidèle à son mari.
Ces légendes dessinent les contours de la séduction féminine; discrète, dissimulée, la femme n’avance que masquée; c'est
elle qui maîtrise l’art du maquillage et de la magie; l’homme, ayant de la peine à comprendre son attirance pour la femme,
préfère attribuer les tensions de son désir à la magie féminine plutôt qu’au mystère de sa sexualité.
Rôle pour rôle, les écrivains ont été plus tentés par le rôle actif du séducteur que par le rôle passif de la séduite, même si,
paradoxalement, c’est lui le plus important; quand on évoque la séduction masculine, on pense immédiatement à Don Juan.
Un séducteur incorrigible est un Don Juan; la recherche inlassable de la relation amoureuse est qualifiée de "donjuanisme".
Pour lui, les préliminaires sont réduits à de grossiers mensonges qui n’ont même pas l’apparence de la vraisemblance.
Dans l’opéra de Mozart, il séduit Zerline, une jeune beauté paysanne, le jour de ses noces, en menaçant le futur mari et en
lui promettant le mariage, il l’entraîne, chantant d’une voix envoûtante, à la limite de l’hypnose: "La cidarem la mano."
Comme les héros de Sade, il s’inscrit dans une contestation de toutes les formes de règles sociales ou morales, dans
l’inversion de toutes les valeurs, dans l’affirmation irréductible des droits de l’individu et la primauté absolue de son désir.
Au bout de sa contestation, il voudra enfreindre la dernière des lois, celle de la mort; c’est elle qui l'emportera.
Tout autre est la séduction de Casanova; Don Juan était un mythe littéraire, Casanova fut un personnage réel qui nous a
laissé des mémoires d’un grand intérêt littéraire; il aime la vie, entend en jouir et prétend en faire jouir les femmes qu’il
rencontre; il séduit des femmes réelles, ancrées dans leur siècle et leur culture, qui répondent avec leurs propres armes,
acceptant ou refusant d’être séduites et sont des partenaires à part entière, non des victimes vaincues d’avance.
Casanova se heurte à la réalité, à ses obstacles. Le but de sa séduction, c’est de contourner les obstacles ou de les utiliser
comme tremplins pour accroître les mérites de ses victoires; il vit ses fantasmes mais les échecs ne l’abattent pas et il est
de ses succès; Casanova ne sépare pas la séduction de l’amour; pour lui, l’amour est une fatalité, une maladie incurable
mais sans elle, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.
Lorsque Casanova entreprend de séduire une femme, il ne lui ment pas; il éprouve réellement ses sentiments, au moins
au moment où il les exprime; il en est dupe et sa force est de les dire avec conviction et talent; Casanova est un excellent
conteur; c’est son arme; ses interlocuteurs l’écoutent, ils sont séduits. Casanova est un orfèvre de la parole, les femmes
tombent sous le charme, incapables de lui résister.
Une société raffinée avait fait de la séduction amoureuse le centre des relations hommes-femmes; des poètes ont défini les
règles de la conquête amoureuse en s’inspirant de l’amour courtois des troubadours; la femme y était un être parfait, éthéré,
idéalisé, dont la beauté attestait les perfections morales; à peu près inaccessible, elle avait malgré tout des soupirants qui
désiraient tenter l’aventure; ils devaient pour cela parcourir un chemin long et périlleux dont les étapes avaient été fixées sur
une carte de géographie assez étrange: "la Carte du Tendre."
La séduction amoureuse était inscrite en termes de géographie et, dans ce jeu de société, le séducteur devait pour accéder
aux faveurs de la Dame, parcourir un itinéraire symbolique compliqué allant du village de "Tendre sur estime" à celui de
"Tendre sur passion" en passant par la "Sincérité", et la "Générosité", évitant le "Lac d’indifférence" et de la "Mer de l’oubli".
À chaque étape de cet itinéraire symbolique correspondait une récompense attribuée par la Dame: anneau, baiser, nudité;
quant au don final, il était repoussé dans un lointain brumeux.
Pour franchir ces étapes, l’apprenti-séducteur utilisait toutes les ressources de l’éloquence et de la préciosité: l’hyperbole
amoureuse, les effets de paradoxe, les métaphores alambiquées, les antithèses hardies; préciosité et maniérisme dont
Molière se moqua dans "Les précieuses ridicules."
Choderlos de Laclos, officier versé dans la science des forteresses, imagina une stratégie de la séduction destinée à
emporter la forteresse autre que militaire: celle des femmes vertueuses; Valmont écrit à la marquise de Merteuil:
"Jusque-là, ma belle amie, vous me trouverez une pureté de méthode qui vous fera plaisir; et vous verrez que je ne
me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons souvent remarqué être si semblable à l’autre."
Le roman de Laclos s’inscrit dans la tradition de l’idéologie courtoise, mais pour la subvertir. Les temps ont changé.
Le contrat n’est plus le même; ce n’est plus la dame à séduire qui fixe les règles, mais une dame d’un tout autre genre,
une perverse libertine, la marquise de Merteuil; elle se sert de Valmont, son ancien amant, pour satisfaire ses tendances
perverses; elle l’instrumentalise, et le duo élabore des stratégies destinées à faire tomber une citadelle métaphorique:
la vertu de la présidente de Tourvel, femme admirable, fidèle, prude et dévote, au-dessus de tout soupçon.
Qualité romanesque remarquable, chaque lettre nous renseigne sur celui qui raconte autant que sur ce qui est raconté.
Selon le principe qui sera plus tard porté par Proust à son sommet, chaque personnage apparaît comme langage:
précision, ironie de la Marquise de Merteuil; vivacité et clarté intellectuelle de Valmont, peu à peu dégradées par la
passion, exaltation sentimentale niaise de Danceny; naïveté brouillonne et spontanée de Cécile.
Lucidité amusée, sagesse bienveillante, politesse un peu désuète, chez Madame de Rosemonde; bien-pensance
et modestie extrême chez la Présidente de Tourvel, puis émoi, égarement, jusqu’à sa fin tragique. Mais au delà,
la véritable innovation littéraire de Laclos, consiste de faire de ces lettres, des forces agissantes; interceptions,
copies, pressions, indiscrétions, restitutions, détournements, changements de destinataire: il n’est pratiquement
pas un tournant de l’intrigue dont le jeu épistolaire ne soit l’agent.
Les personnages ne cessent donc de se croiser, de se séduire, de se débattre, peu-à-peu pris au piège par l'auteur.
Le flamboyant Vicomte de Valmont joue à séduire, sans aucune vergogne mais tout bascule lorsque les sentiments
mêlés de larmes prennent le dessus; le libertin devient amoureux et se noie dans les méandres de l'amour, il chutera.
La Marquise de Merteuil, femme raffinée à la beauté diabolique, complice de Valmont, perdra tout.
Les jeunes gens, d'une naïveté confondante, pris aux pièges des maîtres du jeu, ne s'en remettront pas non plus.
Les règles semblent simples dans ce jeu amoureux, deux cartes maîtresses: la vanité et le désir sexuel.
Capitaine d'artillerie, Choderlos de Laclos révèle alors toute la froideur de la stratégie militaire, dans cette élégante
comédie échiquéenne de l'égotisme et de la sensualité, où "conquérir" pour "prendre poste", nécessite toujours
"attaques" , "manœuvres, "déclaration de guerre" pour "prendre poste", "jusqu'à la capitulation."
Le duel par lettres échangées entre la Marquise de Merteuil et Valmont brille à chaque page.
"J'ajoute que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration
de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande n'exige ni longues ni belles phrases. Deux
mots suffisent." Réponse de la Marquise de Merteuil écrite au bas de la même lettre: "Hé bien ! La guerre"
La polyphonie permet dans un premier temps à Laclos une démonstration de force, celle de la maîtrise de
toutes les nuances les plus fines dans la psychologie et la caractérisation; c’est aussi une plongée dans les
eaux troubles de la rhétorique libertine: le lecteur se voit confronté à une langue brillante mais manipulatrice,
ciselée comme le diamant; la mécanique épistolaire étant consubstantielle au libertinage en tant que tel.
Feindre, tromper, détourner les soupçons, flatter, toutes ces manœuvres de séduction sont des
opérations de langage écrit; l’écriture est pour les libertins, une action, le verbe précédant la chair.
Valmont entend faire plier celle qu’il veut séduire aux lois qu’il édicte; il annonce, sur un mode mineur,
les dépravations paroxystiques des grands libertins du marquis de Sade.
L'immersion dans le récit plonge le lecteur attentif, dans un système d’une telle ampleur qu’il en devient
libertin lui-même: on jubile de toute cette intelligence déployée au service de l’immoralité.
Mais le génie de Laclos est de, progressivement et insidieusement, gripper la machine: puisque le lecteur est
devenu expert dans l’analyse des victimes, pourquoi ne pas faire le bourreau ? La relation entre Madame de Merteuil
et Valmont, l’amour pris dans les rets de l’orgueil et de la réputation mènent la fin du roman vers des sommets;
le brillant libertin agonise en amoureux inconsolable, la marquise perd son honneur et sa beauté.
Conformant ainsi le roman, au romantisme du XIX éme siècle, qui n'hésita pourtant pas, à le condamner
pour outrage aux bonnes mœurs, et qu'une bonne part du cinéma du siècle suivant, contrairement au théâtre,
préféra le tirer vers le drame sentimental. Sensuel et brillant, le roman est à l’image des libertins.
Il sait nous séduire par ses éclats pour nous éduquer à notre insu, et nous faire prendre le parti inverse de ceux
qu’on avait idolâtrés, soudain bouleversés par une émotion authentique, sincère et sans calcul.
Peut-on trouver meilleur moyen pour véhiculer une morale que l’excitant discours de l’immoralité ?
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"L’enchaînement et la confusion des étreintes et des coïts étaient tels que, si je distinguais les corps, ou plutôt
leurs attributs, je ne distinguais pas toujours les personnes; certains contacts étaient très éphémères et, si je
pouvais les yeux fermés reconnaître une femme à la douceur de ses lèvres, je ne la reconnaissais pas forcément
à des attouchements qui pouvaient être violents, il m’est arrivé de ne réaliser qu’après-coup que j’avais échangé
des caresses avec plusieurs femmes en même temps; j’étais livrée à une hydre."
Catherine Millet. "La vie sexuelle."
L’exploration du domaine du sexuel est revendiquée par des auteurs féminins comme un instrument d’émancipation
majeur avec, souvent, une visée sociale, voire même des effets purificateurs d’autothérapie; pour plusieurs de ces
femmes écrivains, le thème de la sexualité, constituant la matière des récits, touche l’essence même de la littérature dans
son ambition de cerner la vérité d’un réel au-delà des apparences; il s’agit d’écrire un texte destiné à établir une vérité,
la vérité d’un être singulier bien sûr.
Cette érotique féminine s’exprime évidemment dans des tonalités très singulières: intellectuelle et distancée avec Catherine
Millet; cérébrale avec Anne F. Garréta; passionnelle, mais résolument sans lyrisme avec Annie Ernaux; hyperlibérée avec
Catherine Cusset; sensuelle avec Alina Reyes; dépressive avec Catherine Breillat ; exaltée avec Christine Angot.
Qu’ont en commun, ces textes qui définissent un érotisme nouveau ? Foncièrement d’exposer, sans états d’âme et sans
fioritures, ce qui relève du plus intime de l’univers sexuel: un vif antiromantisme, un antisentimentalisme s’imposent comme
traits dominants; si, pour Bataille, l’interdit et la transgression sont la condition même de l’érotisme, la recherche du plaisir
s’affiche ici dans un univers mental et social où les limites tendent à être abolies.
Une sexualité affranchie des tabous, c’est le moins à quoi on puisse s’attendre venant d’une littérature érotique; il n’est pas
surprenant que toute la panoplie des pratiques inventées depuis la nuit des temps et soutenues par des fantasmes éternels
se trouve convoquée; avec, certes, des configurations dominantes et exposées au grand jour, compte tenu de l’évolution
structurale que connaît notre univers plus pervers que névrotique.
Mais, encore une fois, ce qui sollicite le questionnement est d’abord le traitement collectif de ces discours; la médiatisation
de l’éros, phénomène jusqu’ici jamais rencontré, s’accompagne d’une certaine désaffectivation, comme si le même sillon
que creusaient tous ces écrits consistait à faire une littérature démystifiant le sexe, en le banalisant, en le désacralisant,
en le naturalisant ou en le simplifiant.
D'autant plus que l’érotisme apparaît désormais comme un terme marchand et consumériste; la sexualité se réduit à une
simple gymnastique, alors que le cerveau demeure le principal organe érotique et orgasmique; cette évolution le prive
de sa force originelle, de son histoire culturelle, de sa capacité à rendre compte de la richesse imaginative de l’être humain,
enfin de son inventivité concernant ses désirs, ses plaisirs, son rapport au corps.
L’obsession du nombre pour Catherine Millet est en soi un indicateur de la logique propre à la société de consommation:
multiplicité des partenaires et enchaînement des étreintes; la rationalité appliquée à l’éros conduit à mettre sur le même
plan, plaisir et travail bien fait; tandis qu’A. Garréta, qui s’impose d’écrire ses souvenirs comme un exercice, par ordre
alphabétique, se définit elle-même comme un fonctionnaire du désir conceptualisé en douze "nuits."
Dans le contexte d’une relation où l’on est "palpée et retournée comme une marchandise de choix", la dénonciation
féministe de l’éternelle aliénation des femmes à être objet paraît bien déplacée, car cet érotisme neutre et rationnel ne fait
que dégager la pure logique de l’objet pulsionnel indépendante de la différence des sexes; on peut voir en filigrane dans
les variantes de l’usage mercantile du sexe et du plaisir qu’il produit.
L’intérêt de ces écrits n’est pas tant en effet de montrer comment l’érotisme triomphe de la répression sociale que
de suggérer une illustration du fonctionnement de l’être-objet pour chacun des partenaires, ce qui suppose une véritable
subversion de la conception de l’objet; Catherine Millet décrit là, l’expérience intérieure de l’érotisme selon Bataille, où la
dimension d’abjection de la jouissance est saisie sans récupération romantique, sans la moindre idéalisation.
C’est un fond déshumanisé, opaque et angoissant, où s’articulent le non-sens et le sexuel dans certains écrits féminins
contemporains dans la filiation de Sade et de Bataille; leur vérité cynique permet de dépasser tout moralisme, y compris
un certain préjugé humaniste qui voudrait maintenir une réserve de subjectivité en ce point ultime où le sexe n’est plus
qu'une matière aveuglante; c'est là le cœur de la dénonciation de la pornographie.
L’érotisme doit se distinguer de la pornographie qui recherche davantage l’excitation immédiate; l’érotisme comporte une
dimension poétique, artistique, mais aussi affective et psychologique; l’érotisme littéraire féminin devrait s’attacher à relier
le plaisir et les sentiments amoureux avec leur pouvoir aphrodisiaque.
La jouissance et l’imaginaire érotique des femmes semblent occultés; l’évocation de la sexualité féminine provoque
le scandale. "Le Deuxième sexe" de Simone de Beauvoir ouvrit une brèche, suivie par Pauline Réage; Histoire d’O narre
le parcours d’une femme consentant à la soumission et au masochisme avec torture, esclavage; O devint un modèle
repoussoir qui incarna la servitude volontaire à travers la soumission amoureuse.
Catherine Robe-Grillet, femme du célèbre écrivain, écrit également sous pseudonymes le récit de passions mortifères.
Elle valorise le sado-masochisme et l’esclavage amoureux volontaire; la dimension sentimentale semble moins mise
en avant; une littérature érotique brise également l’image angélique de la féminité, supposée douce et gentille; des récits
mettent en scène des femmes sadiques, dominatrices et cruelles.
Cet érotisme noir insiste sur la soumission amoureuse; la littérature érotique plus classique valorise également la femme
à la sexualité passive qui se contente d’attendre les initiatives de son amant; cette littérature s’oppose à l’émancipation des
femmes. Beauvoir désire au contraire l'avènement d'une femme indépendante s’émancipant de la tutelle masculine,
maîtrisant sa sexualité et ses désirs pour sa plus grande jouissance.
L’érotisme féminin s’attaque au mythe de l’amour passionnel, à celui de la femme objet; l’amour doit être délivré de
sa pesanteur tragique et de sa valeur sacré; le mythe de Grisélidis symbolise la soumission féminine au sein du mariage.
l’épanouissement érotique devient un enjeu central; c’est sous les draps que les femmes doivent s’émanciper, conquérir
leur dignité de sujet, acquérir une maîtrise de leurs désirs; un rapport de réciprocité doit s’instaurer dans la sensualité.
La littérature érotique présente progressivement des femmes qui assument leurs désirs en dehors de tout attachement
amoureux; le langage des auteures se libère contre les précautions chastes et leurs illusions; on est loin de Casanova
pour qui "le seul homme est susceptible du vrai plaisir, car doué de la faculté de raisonner, il le prévoit, il le cherche, il le
compose, et il raisonne dessus après en avoir joui."
L'érotisme se focalise maintenant vers des modalités de satisfaction prévalentes comme la sodomisation ou la fellation.
La pure pulsionnalité se trouve absolutisée dans le sens des pratiques qui visent une satisfaction de comblement sur le
mode compulsif de la drogue; elles répondraient à un érotisme rudimentaire, marqué par une dégradation de la sensualité.
On ne parle même plus de pulsion, mais d’instinct sexuel, négligeant tout ce qu’implique la sexualité de vie représentative,
imaginative, fantasmatique, ou relationnelle; Catherine Millet parvient à choquer; sa description semble froide et clinique,
sans la moindre sensualité; la réalité prime sur l’obscénité; en revanche, elle valorise la sexualité multiple et ouverte à tous
les possibles, avec le plus grand nombre de partenaires; le faire l’emporte sur le dire, le descriptif sur le narratif; le sexe
constitue le ressort de l’action, son principe et sa finalité; le récit se rapproche alors de la pornographie.
L’appel à la jouissance n’attaque pas toujours l’ordre existant; un hédonisme consumériste incite surtout à acheter
de nouvelles marchandises pour satisfaire des désirs qui ne font que renforcer la logique capitaliste; dans les magazines,
la jouissance devient même une injonction; pourtant, notre époque se caractérise surtout par une grande misère sexuelle
et affective; la pornographie réduit la sexualité à une froide mécanique sans inventivité, répétitive et bestiale.
La volupté, les caresses, la sensualité permettent de réinventer le plaisir sexuel en dehors des normes sexistes,
pornographiques dominantes, une littérature érotique féminine insiste sur l’imagination et le désir pour créer un climat
sensuel, contre le plaisir immédiate; cette conception de la sexualité semble aussi plus réaliste que les scénarios
érotiques qui occultent les relations humaines, avec leurs frustrations et leurs contrariétés; dans la pornographie
traditionnelle, les individus se livrent au plaisir sexuel sans même se rencontrer et se connaître.
Que l’amour soit un chef-d’œuvre, que l’éros soit poésie, nul n’en disconviendra; non pas au prix toutefois du rejet de
la négativité, ce noyau de réel au cœur de l’expérience érotique; pourtant, cette part maudite, tous ces auteurs l’affirment
diversement est inséparable du travail littéraire dont elle est la source.
Ce n’est plus la digue de la pudeur qui est abattue, mais celle de la répulsion, voire de l’insoutenable; il semble bien loin
le temps des risques de poursuite pour "outrage aux bonnes mœurs"; daté le temps des obscurités fascinantes de l’univers
libertin clandestin aux relents de soufre, avec ses mises en scène sophistiquées marquant la proximité du plaisir, du secret
et du danger dans les orgies où corps souillés et orgasmes mystiques exigeaient pseudonymes et autres masques.
L’emploi du terme érotisme n’est-il pas inadapté, face à un tel contexte socioculturel à bien des égards inédit ? L’érotisme
a une histoire spécifique dans notre culture et dans notre littérature; des choses ont bougé dans le paysage de l’érotisme
classique, que ce soit sous l’angle du libertinage du XVIIIe siècle, ou sous celui de la créativité dans ses expressions
picturales et littéraires les plus accomplies, par exemple dans le surréalisme, et jusqu’à Histoire d’O.
La pornographie a dépouillé l’érotisme de contenu artistique, en privilégiant l’organique sur le mental, comme si le désir
et le plaisir avaient pour protagonistes des phallus et des vulves et que ces appendices n’étaient que de purs serviteurs
des fantasmes qui gouvernaient notre âme, séparant l’amour physique des autres expériences humaines.
Un voile de pudeur, sa transgression, une aura de secret, un frisson de beauté, est à la frange du dénudement sentimental,
liant amour et sexe pour accéder à l’érotisme. Eros, fils de Mars et Vénus, ou de Poros et Pénia paraît être définitivement
castré par son frère, l’obscène Priape. S’agit-il d’éros, s’il ne reste qu’une viande proche du trash ou du gore ?
Sans que nous nous en rendions compte, la fin du XX° siècle coïncide avec de grands changements dans les mentalités:
peut-on parler de la fin de l'érotisme ? Á force d'être obligatoires dans tous les récits, les écritures érotiques ont perdu leur
grâce littéraire, pour n'être plus que des répétitions anatomiques vulgaires; l'écriture féminine saura-t-elle relever le défi ?
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Aux dernières heures de la nuit, quand elle est encore noire; avant l'aube, Juliette reparut.
Rares étaient les soirées où elle n'éprouvait pas l'irrésistible plaisir de maltraiter ou d'user
de sa jeune soumise. Elle alluma la lumière de la salle de bains, en laissant la porte ouverte,
faisant un halo de lumière sur le milieu du lit, à l'endroit où le corps de Charlotte, nu et attaché,
déformait les draps de soie, recroquevillé et contrainte; comme elle était couchée sur la droite,
le visage vers la fenêtre, les genoux un peu remontés, elle offrait à son regard sa croupe pâle
sur la soie rose.
Il lui parut naturel de la préparer ainsi dans sa condition d'esclave marquée et fouettée afin qu'elle fut prête.
Juliette eut soin à plusieurs reprises de lui renverser les jambes en les lui maintenant en pleine lumière pour
qu'elle pût la voir en détail; sur son ventre lisse, le tatouage portait en toutes lettres qu'elle était sa propriété.
Charlotte gémit plus d'une heure sous les caresses de sa maîtresse; enfin les seins dressés, elle commença
à crier lorsque Juliette se mit à mordre lentement la crête de chair où se rejoignaient, entre les cuisses, les
fines et souples petites lèvres.
Elle la sentait brûlante et raidie sous ses dents, et la fit crier sans relâche, jusqu'à ce qu'elle se détendît d'un seul
coup, moite de plaisir; Juliette était aussi attirante et hautaine dans le plaisir qu'elle recevait, qu'inlassable dans ses
exigences. Ni le plaisir qu'elle avait pu prendre la nuit ni le choix qu'elle avait fait la veille n'influaient sur la décision.
Charlotte serait offerte, dans les pires conditions auxquelles elle serait confrontée.
Qu'à être offerte elle dût gagner en dignité l'étonnait; c'est pourtant de dignité qu'il s'agissait; sa bouche refermée sur
des sexes anonymes, les pointes de ses seins que des doigts constamment maltraitaient, et entre ses reins écartés
le chemin le plus étroit, sentier commun labouré à plaisir, elle en était éclairée comme par le dedans; se soumettre,
désobéir, endurer, alternances délicates auxquelles elle ne voulait plus se dérober; l'abnégation d'elle même qu'elle
conservait constamment présente.
Le lendemain, elle fut mise à l'abattage. On lui banda les yeux avant de la lier à une table, jambes et bras écartés.
Juliette expliqua seulement aux hôtes invisibles que sa bouche, ses seins et particulièrement les orifices de son corps
pouvaient être fouillés à leur gré; des hommes s'approchèrent d'elle; brusquement des dizaines de doigts commencèrent
à s'insinuer en elle, à la palper, à la dilater. Juliette interrompit la séance qui lui parut trop douce.
Elle fut détachée pour être placée sur un chevalet; dans cette position infammante, elle attendit quelques minutes avant
que des sexes inconnus ne commencèrent à la pénétrer.
Elle fut fouillée, saccagée, malmenée, sodomisée. Elle était devenue une chose muette et ouverte. Puis elle fut ramenée
dans le salon où les hommes attendaient déjà son retour. Les yeux de nouveau bandés, nue droite et fière, Juliette la
guida vers le cercle d'hommes excités et ce fut elle qui s'agenouilla pour prendre leur verge dans sa bouche, l'une après
l'autre, jusqu'à ce qu'ils soient tous parvenus à la jouissance et se soient déversés sur son visage ou sa poitrine offerte.
Souillée de sperme et de sueur, on l'envoya se laver; la salle de bain était vaste et claire. Juliette la rejoignit pour assister
à sa toilette intime; elle était accompagnée de deux hommes; avant qu'elle ait eu le temps de se doucher, ils urinèrent sur
elle en l'éclaboussant chacun d'un jet dru et tiède; elle tourna sur elle-même afin que chaque parcelle de son corps reçoive
leur ondée.
Après un minutieux nettoyage, sa maîtresse lui ordonna de s'habiller pour aller dîner; nous allâmes dans un club échangiste
pour achever la soirée; outre son harnais et une ceinture de chasteté, Charlotte portait un bustier en cuir, des bas noirs et
une veste en soie de la même couleur laissant entrevoir son intimité; un collier de chien ciselé de métal argent serti d'un
petit anneau destiné au mousqueton de la laisse donnait à sa tenue un bel effet; Juliette l'amena en laisse jusqu'au bar.
Elle la fit monter sur une table haute où lui fût administrée une violente fessée qui empourpra ses reins; un esclave mâle fut
requis pour lécher et apaiser sa croupe; on glissa sur sa tête une cagoule emprisonnant la nuque et aveuglant ses yeux, ne
laissant passer l'air que par une ouverture pratiquée au niveau de la bouche de façon à ce qu'elle soit offerte; un homme lui
baisa la bouche, sa gorge lui servant d'écrin; excité par le spectacle de la fellation, un autre décida brusquement d'utiliser
ses reins; il s'enfonça en elle sans préliminaire pour faire mal. Comment éprouver la satisfaction insane d'offrir son corps ?
Le souhait de Charlotte est d'aller toujours jusqu'au bout de ses fantasmes, au-delà des désirs de Juliette.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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La voix du maître des lieux soudain retentit: "Je vous présente Charlotte, la soumise de Juliette. Elle est ici pour
se faire dresser et devenir une esclave obéissante." On me banda les yeux de façon que je ne puisse voir les
invités qui descendaient dans la cave. Quelqu'un me demanda de me tourner et de monter mon cul, ce que je
fis avec complaisance. On m'ordonna de m'approcher d'un invité qui voulait me toucher et, en aveugle, je fis
quelque pas dans la direction qu'on m'avait indiquée. Des mains glacées se posèrent sur ma peau et me firent
tressaillir. Ce premier contact m'avait surprise mais je m'offris avec docilité aux caresses qui devinrent tès vite
agréables. On me fit savoir que plusieurs personnes étaient venues assister à mon dressage.
Chacune d'entre elles allait me donner dix coups de fouet. Je me préparai à cette épreuve en me concentrant
sur la volonté dont j'allais devoir témoigner, l'entraînement à la douleur n'est après tout qu'un entraînement
sportif comme un autre: on parvient aisément à reculer les limites et à endurer à chaque expérience un peu plus
longtemps la sensation de souffrance à laquelle on finit par s'habituer, d'autant plus lorsque comme moi, on en
tire une vive excitation et un plaisir incomparable.
Je reconnus immédiatement les coups de fouet appliqués par ma Maîtresse: elle a une méthode particulière, à la
fois cruelle et raffinée, qui se traduit par une sorte de caresse de la cravache ou du martinet avant le claquement
sec, toujours imprévisible et judicieusement dosé. Juliette sait mieux que quiconque me dresser. Après le dernier
coup, elle caressa furtivement mes fesses enflammées et cette simple marque de tendresse me donna le désir
d'endurer encore davantage pour la satisfaire.
On m'ordonna de me mettre à quatre pattes, dans la position sans doute la plus humiliante pour l'esclave, mais
aussi la plus excitante pour l'exhibitionniste que ma Maîtresse m'a appris à être, en toutes circonstances et en tous
lieux. Je reconnus à leur douceur des mains de femme qui commencèrent à palper mon corps. Avec un certain
doigté, elles ouvrirent mon sexe. Peu après, mon ventre fut investi par un objet rond et froid que Béatrice mania
longtemps et avec lubricité. Les Maîtres décidèrent alors que je devais être reconduite au premier étage.
On me débanda les yeux et je pus connaître le visage des autres invités de cette soirée mémorable. Je découvris
ainsi que Béatrice était une superbe jeune femme brune aux yeux clairs, avec un visage d'une étonnante douceur
dégageant une impression rassurante de jovialité. Je me fis la réflexion qu'elle était physiquement l'inverse d'une
dominatrice telle que je l'imaginais; je fus mise à nouveau dans le trou aménagé dans le mur, où j'avais été contrainte
la veille. Pendant que l'on usait de mes orifices ouverts, Vincent exhibait sous mes yeux son sexe congestionné que
je tentai de frôler avec mes lèvres puis avec la pointe de ma langue dardée au maximum.
Mais Vincent, avec un raffinement de cruauté qui acheva de m'exciter, se dérobait à chaque fois que j'allais atteindre
sa verge, m'obligeant à tendre le cou, la langue comme une véritable chienne. J'entendis quelques commentaires
humiliants sur mon entêtement à vouloir lécher la verge de l'inconnu; ces injures, ajoutées aux coups qui ébranlaient
mon ventre et aux doigts qui s'insinuaient partout en moi, me firent atteindre un orgasme dont la soudaineté me sidéra.
J'avais joui, comme fauchée par une rafale de plaisir que rien n'aurait pu retarder.
Ayant été prise d'un besoin pressant et ayant demandé avec humilité à ma Maîtresse l'autorisation de me rendre aux
toilettes, je me vis opposer un refus bref et sévère. Confuse, je vis qu'on apportait au milieu du salon une cuvette et
je reçus de Juliette l'ordre de satisfaire mon besoin devant les invités rassemblés. Une panique irrépressible me
submergea. Autant j'étais prête à exhiber mon corps et à l'offrir au bon plaisir de Juliette ou à apprivoiser la douleur
pour être digne d'elle, autant la perspective de me livrer à un besoin aussi intime me parut inacceptable.
La véritable humiliation était là: me montrer dans cette position dégradante, alors qu'exhibée ou fouettée, prise ou
sodomisée, ma vanité pouvait se satisfaire de susciter le désir. En urinant devant les invités rassemblés, je ne
suscitais le désir de personne. C'est à cette occasion que je pris conscience de l'orgueil réel de l'esclave, qui motive,
et par conséquent explique et excuse tout. En fait, les rites du sadomasochisme reposent sur l'orgueil: l'orgueil de la
Maîtresse de posséder une belle et docile esclave, mais aussi orgueil sans limite de l'esclave, convaincue d'éveiller
les désirs les moins avouables, et donc les plus rares à éprouver, chez ces êtres supérieures que sont les maîtres.
La légère impatience que je lus dans le regard attentif de Juliette parut agir sur ma vessie qui se libéra instinctivement.
Je réussissais à faire abstraction de tous les témoins dont les yeux étaient fixés à la jointure de mes cuisses. Lorsque
j'eus finis d'uriner, ma Maîtresse m'ordonna de renifler mon urine, puis de la boire. Bouleversée par cette nouvelle
épreuve, je me sentis au bord des larmes, mais n'osant pas me rebeller, je me mis à laper sans l'avaler le liquide encore
tiède et à ma vive surprise, j'éprouvai une indéniable délectation à ce jeu inattendu.
Après avoir subi les regards des invités, je fus amenée devant Béatrice dont je dus lécher les bottes vernies du bout de
ma langue. La jeune femme séduisante me récompensa par une caresse très douce, qui ressemblait au geste que l'on
fait pour flatter le col d'un animal soumis. Le dîner fut annoncé à mon grand soulagement.
Juliette sut gré à Vincent d'avoir trouvé Charlotte à la hauteur de ses espérances.
Hommage à Charlotte.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Le marquis de Sade, né le 2 juin 1740, meurt le 2 décembre 1814 à l’asile de Charenton où il vivait reclus depuis
depuis le 6 mars 1801. Les profondes mutations du XVIII ème siècle, par où s’accomplit l’homme moderne, offrent
une scène grandiose au désordre de son existence et au tumulte provoqué par son écriture. Errance de l’homme
à la recherche de sa vérité, accusé d’avoir exploré les voies obscènes de la souffrance et banni de la société dont
il refusait les lois.
Toutes les opinions soutenues jusqu’à aujourd’hui sur Sade, soient-elles d’admirateurs, de détracteurs ou studieux
analystes, ont été incapables de donner une explication cohérente de la vie et de l’œuvre de Sade sans omettre des
données historiques importantes, vraies et certaines, sans inclure des hypothèses basées sur la réalité, tout en
avançant même parfois des contre-vérités comme des faits admis. Admirateurs, détracteurs et universitaires zélés
partagent tous le même ensemble de préjugés: "Sade jouissait sexuellement de la torture et il écrivit la pornographie
d’horreur pour justifier la torture et le meurtre." Et cette unanimité d’opinions apparemment contraires a été prise pour
la vérité.
Comme si l’action des autres personnages ou simple ornement, comme si le reste des écrits de Sade hors des romans
érotiques n’exprimait pas sa pensée. L’œuvre d’un écrivain est un ensemble où il faut trouver ce que chaque ouvrage
concret, et chaque partie concrète du même expriment des idées et sentiments de l’auteur. Mais, avec Sade, on a préjugé
un type de personnalité, basé non pas sur des données historiques mais sur des fantaisies, et on a déduit de ce type
présupposé tout acte, parole et idée de Sade, identifiant l’écrivain aux personnages les plus pervers de ses romans.
Il n’y a pas aucun doute que l’oeuvre de Sade prouve qu’il était capable de portraiturer littérairement la cruauté, même
l’infinitude de la cruauté. Mais cette capacité, toute seule, ne dit rien sur la vie réelle de Sade. Personne ne pense jamais
à interpréter, par exemple, la vie de Sade d’après des personnages comme Justine, la vertu torturée ou Zamé, le roi plein
de bonté de Tamoë, qui sont tous deux aussi de Sade que la méchante Juliette ou que les bourreaux de "Les cent vingt
journées de Sodome". Bien sûr qu’identifier Sade aux personnages bons serait une erreur, mais l’identifier aux méchants
est aussi erroné, car dans les deux cas on mêle la réalité avec la fiction.
La supposition que le caractère et les faits de quelqu’un peuvent être jugés d’après ses écrits rencontre, au moins dans ce
cas, une grave contradiction; Sade savait aussi décrire, avec la même perfection que la méchanceté et l’obscénité, les plus
hauts dégrés de l’amour, la bonté et la vertu. Ce fait est presque inconnu parce qu’il ne s’accorde pas à l’image la plus
répandue de Sade; les oeuvres de Sade qui le démontrent plus clairement sont difficiles à trouver et inconnues, faute de le
vouloir car on ne cherche chez Sade que des écrits de pornographie et de violence.
On interprète, non pas les écrits de Sade partant des faits de sa vie, mais sa vie partant de ses oeuvres littéraires, sans
marquer les limites entre la fantaisie et la réalité. Lorsqu’il s’agit de Sade, on se permet d’omettre ou dénaturer des faits
prouvés, poser des données imaginaires ou des simples conjectures comme des réalités constatées, et de tomber dans
la caricature la plus grossière.
Ce que l'on pense être les idées de Sade a très peu de relation avec les pensées de l’homme qui a écrit toute l’oeuvre
de l'écrivain maudit. Mais on ignore aussi que la plûpart des actes qu’on attribue à Sade n’ont aucune correspondance
avec la réalité. Sade n’était pas un meurtrier, et ses écrits ne pouvaient pas être la justification d’actes qu’il ne commit pas.
L'examen de toute l’oeuvre de Sade, avec tous ses personnages, donne un résultat très différent de celui de la recherche
simple du psychopathe, soit pour l’adorer, pour l’abhorrer ou pour en déclarer l’indifférence. Mais on se nie à accepter ce
résultat parce qu’il contredit les préjugés sur Sade et ce qu’on croit toujours sur lui.
Malgré la prolixité de ses descriptions littéraires d’assassinats, Sade est un homme qui jamais n’a tué personne.
Ce n’est pas seulement qu’on n’ait pas pu prouver sa culpabilité d’un crime concret: c’est que Sade ne fut pas même
suspect d’assassinat dans aucun cas, sauf par la plainte de la prostituée intoxiquée par cantharide qui l’accusa de
tentative d’empoisonnement, et par les ossements qu’une actrice nommée "Du Plan", amie de Sade, avait utilisé pour
un décor macabre, et que le marquis fit enterrer après au jardin. D’autre part, nous savons que Sade combattit la peine
de mort pendant la Révolution et qu’il risqua sa vie pour sauver des innocents.
Un psychopathe intelligent, calculateur, sait très souvent comment obtenir l’impunité des pires horreurs. Un psychopathe
vulgaire, impulsif, de basse intelligence, ne pense pas aux conséquences de ce qu’il fait: il suit ses impulsions sans frein
jusqu’à l’assassinat. Nul de ces actes ne se trouve chez Sade, qui a été vu par quelques auteurs comme trop imbécile
pour l’impunité, à la fois que trop couard pour suivre ses impulsions jusqu’à la fin, des traits que les preuves historiques
démentent, et qu’on attribue à Sade pour forcer les données à s’ajuster à la thèse de la psychopathie, faute d’inspiration.
Les faux admirateurs de Sade l’admirent comme le génie de la liberté absolue, n’ayant comme base que la manque de
bornes au vice et au crime que montrent les personnages scélérats de quelques romans de Sade. Mais ils oublient que,
dans ces textes, se trouve aussi l’affirmation que la liberté n’existe pas, que tous nos désirs, pensées, sentiments et
volontés sont déterminés par les lois physiques qui gouvernent nos corps, nos cerveaux et l’univers entier. Si les grands
criminels ne font que suivre la nature, on ne peut pas prétendre qu’ils soient libres, et moins encore de façon absolue.
C’est la même sottise que l’affirmation contraire. Un acte de bonté qui soit physiquement possible ne peut offenser la
nature plus qu’un crime, lui étant tous les deux indifférents. Supposer une autre chose, c’est prêter à la nature les absurdes
traits personnels des dieux; croire que le bien ou le mal peut lui importer, c’est lui attribuer une volonté, ce qui est un retour
à la religion qu’on prétend combattre en suivant "les desseins de la nature." Malgré son absurdité, l’attitude de justifier les
crimes les plus horribles sous prétexte d’obéir aux lois de la nature est très répandue.
Tout ce qui est physiquement possible est naturel; mais les pires horreurs sont naturelles aussi. La torture et le meurtre sont
physiquement possibles; la nature jamais n’empêche ces actes s’ils se bornent aux lois physiques, et on peut en obtenir de
la jouissance sexuelle; la nature donne ce plaisir à ceux qui en jouissent. Sade a certes écrit tout cela, mais il ne croyait pas
que la nature fût bonne. Ceux qui prennent Sade pour le héros de la liberté sexuelle absolue,"sans limites", ignorent qu'il fut
victime de l’attitude qu’ils trouvent désirable.
Faute de connaissance des données historiques, le vide peut se remplir avec l’imagination: toute lacune dans les données
historiques de Sade peut être remplie avec des fragments de ses romans pour offrir des exemples de sa conduite dans sa
vie réelle. La majorité de ceux qui frémissent d’horreur en entendant ou lisant le nom de Sade imaginent sa conduite, et
parce qu’ils l’imaginent, ils croient la connaître, ignorant qu’ils en ont reçu une image fausse, née de personnages fictifs et
non pas de la réalité. Cette image fausse, d’une simplicité qui la rend très facile à répandre, l’adaptant à tout niveau de
compréhension, est très populaire, mais elle peut risquer de devenir majoritaire, pour prendre dès lors une apparence
faussement intellectuelle.
La plûpart des contradictions qui évaluent la conduite de Sade, ont leur origine au fait d’interpréter chaque action, parole,
et idée de Sade comme le résultat d’un égoïsme infini, qu’on lui attribue comme point de départ préalable à l’examen des
faits. On préjuge, on considère comme bien établi que la réalité ne peut pas être différente des préjugés. C’est vrai que le
contenu de quelques écrits de Sade crée cette apparence, mais c’est vrai aussi que l’égoïsme absolu comme explication
de la vie de Sade ne donne qu’une ribambelle d’absurdités, même si on se borne à la plus stricte exactitude historique.
On a voulu expliquer l’anomalie de Sade comme de la psychopathie, c’est-à-dire, un égoïsme absolu, marqué de la moindre
capacité d’empathie, qui expliquerait une extrême méchanceté sans qu’il y ait une maladie d’aliénation ni un déficit cognitif.
Il est vrai que ces traits se trouvent chez plusieurs personnages de quelques romans de Sade, mais l’analyse des données
de sa vie réelle, sans des donnés imaginaires ou des hypothèses non constatées, ne permet pas de dire que Sade fut un
psychopathe, même si cette idée est la plus répandue parmi les psychiatres les plus prestigieux, qui l’adoptèrent sans doute
pour ne pas en adopter de plus simplistes.
Il y a chez Sade toutes les qualités necéssaires pour la plus haute excellence éthique, et il est prouvé qu’il en fit usage;
mais on ne peut nier son libertinage, ni son masochisme sexuel, intronisé par le nom d'algolagnie par Schrenck-Notzing,
ni les descriptions de perversions et de crimes dans ses écrits, alllant même jusqu’à portraiturer la cruauté humaine
portée aux dernières conséquences, qui arrivent au désir du mal pour le mal, même au déla du plaisir. Cela est vrai
quoique l'écrivain ait décrit aussi tout le contraire dans d’autres écrits ou dans les mêmes. Supposant que Sade fut
moralement tout le contraire des personnages littéraires qui l’ont rendu tristement célèbre, il reste encore la raison
pour laquelle il se livrait à des pratiques sexuelles violentes, contre des femmes et contre lui-même. Un homme sain
peut-il être "sadique" ? Peut-il commettre des actes d’algolagnie ou de masochisme sexuel ?
La raison d’une grande partie de la confusion c’est que la question du masochisme sexuel n’a pas été étudiée avec la
profondeur nécessaire. La théorie héritée d’Havelock-Ellis, expliquant l’algolagnie comme le résultat d’une sensibilité
inférieure à la normale, permet d’expliquer la plupart des cas d’algolagnie, et, par conséquent, ne peut pas être rejetée.
Mais on a demontré qu’il existe des cas où l’algolagnie ne peut pas être expliquée par une sensibilité plus basse que la
normale. La théorie de la perte de la sensibilité comme explication de l’algolagnie n’est pas erronée, mais incomplète.
L’erreur consiste à la prendre pour l’explication universelle, de tous les cas de masochisme sexuel. Il ne faut pas pour
autant la supprimer mais l’inclure dans une théorie plus vaste expliquant les cas qui restent hors de sa portée.
Pourquoi, donc, chez Sade, l’algolagnie et la pornographie d’horreur ? On ne se demande presque jamais si l’horreur
décrite par Sade jusqu’à la satiété était ce qui lui plaisait le plus, ou ce qui le tourmentait, et si ce tourment n’était pas
aussi la cause de son masochisme. Mais une nouvelle analyse de la biographie de Sade revèle, au commencement
de ses scandales sexuels, des profanations de symboles religieux devant une prostituée, avec laquelle il passa toute
une nuit en lisant un livre sur l’athéïsme, sans aucun acte sexuel ni de torture commis sur la femme.
L' obsession de la description du libertinage et de la cruauté des prêtres dans l’oeuvre de Sade, ajoutée à cet épisode
réel, peut montrer l’explication du paradoxe de Sade; des abus sexuels et des tortures soufferts par l’enfant Sade par des
prêtres lors de sa scolarité. Cette blessure psychologique peut expliquer la recherche de masochisme sexuel chez Sade,
exprimée dans les personnages de ses romans, et leur comportement psychopathiques, sans être un psychopathe.
On croit que la conduite de Sade était celle de ses personnages scélérats parce qu’on y trouve, monstrueusement
augmentée par la fantaisie, l’algolagnie. Mais si cette algolagnie n’est pas le fruit du plaisir et de la liberté de Sade, mais
celui de son emprisonnement et de sa douleur, toute interprétation de sa pensée doit changer. On ne peut plus admirer
l'écrivain comme le génie de la liberté absolue, ni l’abhorrer comme une incarnation de Satan. Et, si sa conduite était tout
simplement le contraire de l’égoïsme et de la psychopathie, juste le fruit d'une pensée philosophique.
Combien y a-t-il de Sade dans chacun de ses personnages ? La thèse que l'écrivain, agresseur en toute occasion, fut
surtout, une victime, donne une réponse qui permet d’intégrer les extrêmes de la bonté et de la méchanceté dans la pensée
de Sade sans contradiction. Se borner aux personnages scélérats pour juger l'ensemble de ses écrits revient à légitimer la
logique que la vertu naît des sentiments, et que la raison sans les sentiments n’a d’autres passions que celles de l’égoïsme,
menant au vice et même aux crimes les plus affreux. Sade voulait démontrer que la vertu est malheureuse parce qu’elle va
contre le courant majoritaire de l’égoïsme, ce qui fait triompher le vice.
Une fois connue la cruelle réalité de la nature et rejeté l’absurde d’un être surnaturel, l’éthique exige de solides fondations.
Celles-ci ne doivent pas se baser sur la superstition, ni suivre la tendance générale de la nature qui entraine la destruction.
L’algolagnie ne fut pas pour Sade une fête mais un drame dont l’obscénité et la souffrance physique étaient l’expression
d’une douleur psychique immense et de la rébellion contre cette douleur. Mais c’est une révolte impuissante, désespérée
qui se plonge dans la peine comme voulant en jouir. Le “plaisir” que la torture provoque à Sade peut se comparer au rire
de celui qui devient fou à cause d’une catastrophe absurde: il ne s’agit pas de vrai plaisir, mais d’une comédie.
Sade eût des traits dignes de la plus haute admiration qui sont niés ou méprisés, non seulement par ses détracteurs,
mais aussi par ses faux admirateurs et par des studieux impartiaux; ce qu’on admire de lui n’est que le produit fatal de
son énorme souffrance, non pas de son plaisir, comme veulent le faire croire ceux qui détournent son œuvre.
Sade aura donc subi une enfance chaotique et carencée, une adolescence violente, fréquenté les geôles de tous
les régimes, connu la mort sociale et l’anonymat, le rejet de son milieu d’origine, la méfiance des révolutionnaires,
la solitude, la ruine, l’assassinat crapuleux de son fils aîné. Cette accumulation dévoile une incontestable tendance
personnelle et familiale à provoquer la punition par l’ultime représentant parental qu’est le destin.
Écrivain libertin talentueux, ou fieffé scélérat débauché, Sade brille, dans sa tentative désespérée, de mettre à bas,
en tant qu'esprit libre et vagabond, un ordre social et religieux, en déclin à la fin du XVIII ème siècle. Son œuvre,
inspirée d'une conscience matérialiste de l'infini, déshumanisant les corps, explore les abîmes sombres de l'âme.
Il demeure un grand auteur, capable de nouveauté et d’audace, plaçant la littérature à la hauteur de son exigence.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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" Il est très doux de scandaliser: il existe là un petit triomphe pour l'orgueil qui n'est nullement à dédaigner;
car tout est bon quand il est excessif." La Philosophie dans le boudoir (1795)
Apollinaire le considérait comme "l’esprit le plus libre qui ait encore existé" ; Bataille voyait en lui "un homme
en un mot monstrueux", qu'une passion de liberté impossible possédait. Deux siècles après sa mort, le marquis
de Sade continue d’exercer une véritable fascination, une attirance mêlée d’effroi. Longtemps censuré puis au
XX ème siècle réhabilité, il est aujourd’hui considéré comme un écrivain essentiel de notre histoire littéraire.
Sade est sans nul doute un auteur reconnu, mais il n’en reste pas moins méconnu. De fait, subsiste aujourd’hui
une vision par trop simpliste et tronquée du libertinage, du sadisme et de la portée philosophique de son œuvre.
En dehors de sa réputation sulfureuse, que sait-on du Marquis de Sade ?
Qu'il est né à Paris, le 2 Juin 1740, en l'hôtel de Condé, dans une vieille famille aristocratique de souche provençale,
de grande noblesse. Qu'il fut écrivain, philosophe, et homme politique, longtemps voué à l'anathème, en raison de la part
accordée dans ses écrits, à l'érotisme, associé à des actes de violence et de cruauté, qu'il passa pour cela, près d'une
trentaine d'années en prison avant de s'éteindre le 2 Décembre 1814, dans l'asile d'aliénés de Charenton.
Errance d'un homme à la recherche de sa vérité, accusé d’avoir exploré les voies obscènes de la souffrance et banni
d'une société dont il refusait les lois. Tragédie immémoriale de la quête des origines qui noue le savoir au fouet de la
souffrance pour filer le destin malheureux du génie créateur. Saisi par la mélancolie quelques années avant sa mort,
le marquis de Sade rédigea ses dernières volontés:
"La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que par la suite le terrain de ladite fosse se trouvant
regarni, et le taillis se retrouvant fourré comme il l’était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la
surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes."
Son ultime résolution ne sera pas respectée. Ni par ses exécuteurs testamentaires, ni par la postérité. La pulsion de vie
l’emportera sur la pulsion de mort. Formidable énergie d’Eros contre le désir mortifère de n’être plus rien, qui fait du marquis
un auteur toujours vivant et contesté au-delà de sa mort et de son siècle.
Donatien de Sade vécut une enfance atypique. Ses parents, Jean-Baptiste et Marie-Eléonore, étaient des familiers des
Condé, vivant dans leur hôtel situé à l’époque à la place actuelle du théâtre de l’Odéon. Son père, amant d’une princesse
de Condé, avait épousé la fille de sa dame d’honneur. Il était libertin, avait des maîtresses, était bisexuel et cherchait des
des aventures homosexuelles au jardin des Tuileries. La mère se replia bientôt dans un couvent, aigrie et acariâtre.
Mais le petit garçon semblait agité, il se disputa rapidement avec Louis-Joseph de Condé, de quelques années son aîné.
Quand il eut quatre ans, on l’expédia auprès de son oncle, au château de Saumane, près de Fontaine-de-Vaucluse.
Cet oncle, abbé, érudit, poète, en correspondance avec madame du Châtelet, libertin, plutôt jovial, vivait avec deux
maîtresses, la mère et la fille. On imagine une ambiance à la fois débonnaire et libérée, et des soirées érotiques.
Néanmoins, l'enfant se fit là quelques amis, sa cousine Pauline de Villeneuve et Gaspard Gaufridy, le fils d’un notaire,
auxquels il demeura fidèle toute sa vie. Il aima Saumane, le château, le village, la lumière, les paysages. De retour à
Paris, il fut un élève appliqué du collège Louis-le-Grand, et c’est là qu'il subit, de la part des maîtres jésuites, agressions
et provocations de nature sexuelle.
Âgé de quatorze ans, et doté d'un titre de noblesse, il entra à l'école préparatoire de cavalerie, en vue d’intégrer le
prestigieux régiment des "chevau-légers de la garde." Il participa courageusement à la guerre de sept ans, avec le
grade de capitaine, tout en commençant à fréquenter à Paris des femmes légères et des actrices. En vue d'un
mariage flatteur, en réalité pour effacer de lourdes dettes, sa famille le força à épouser en 1763, une demoiselle
de petite noblesse, mais dont la famille avait de puissantes relations à la cour de Louis XV. Elle s'appelait , Renée
Pélagie de Montreuil. Son père était Président de la Cour des Aides. Marié, le jeune marquis continua néanmoins,
à s'adonner aux plaisirs du libertinage.
Louis XV pardonnait la débauche mais non pas les atteintes à la religion.
Surveillé dès 1764 pour sa présence régulière dans les maisons de débauche, le marquis accumule dettes, délits,
outrages aux bonnes mœurs, faux repentirs et promesses sans lendemain. L’inspecteur Marais prévient dans une note
écrite du 16 octobre 1767: "On ne tardera pas à entendre parler encore des horreurs du comte de Sade."
Son goût pour la transgression et ses dérèglements répétés lui gagneront la réputation définitive d’un libertin érotomane
à qui ses écarts et ses ouvrages vaudront un long emprisonnement, vingt-huit ans au total et deux condamnations à mort.
À Arcueil en 1768, il approche une veuve de trente six ans réduite à la mendicité, lui promet un emploi de gouvernante,
la séquestre, la menace et la fouette jusqu’au sang, obtient l’orgasme par le seul fait des coups redoublés puis la confesse.
Il sera emprisonné sept mois.
À Marseille en 1772, le scénario se déroule en cinq actes d’une même journée. Chacun comporte trois personnages:
une prostituée, le marquis, qui se fait appeler Lafleur et son valet Latour nommé pour la circonstance Monsieur le Marquis.
Une prostituée est chargée de regarder une séquence sur les cinq et la dernière séquence voit le valet congédié. Les actes
se répètent. Le marquis fouette, se fait fouetter et compte méticuleusement les coups reçus. Il sodomise une prostituée, en
viole une autre, masturbe son valet, se fait sodomiser par lui, en proposant des dragées de cantharide à trois filles.
Les prostituées présentent des signes d’intoxication et portent plainte. Le marquis de Sade, en fuite avec la sœur de son
épouse, qui promet de lui appartenir à tout jamais, est condamné à la peine de mort pour empoisonnement et sodomie.
Finalement, incarcéré en 1772, il s’évade en 1773.
En 1775, toujours recherché, il revient en Provence au château de La Coste dont il est le seigneur. En présence de sa
femme, il recrute six adolescents, dont un jeune secrétaire et des adolescentes d’une quinzaine d’années, à qui se
rajoute un personnel jeune et disposé à satisfaire les caprices sexuels du maître. Ceux-ci sont interrompus par une
plainte des parents pour enlèvement de mineurs à leur insu et par séduction. Les jeunes filles portent la trace des coups
de verges reçues et des incisions pratiquées sur leurs bras et leur corps. Le secrétaire est infecté par la vérole. Nouvelle
fuite en Italie pour tenter d'échapper à la saisie de corps et nouveau retour au château de La Coste.
Le marquis qui n’a pas encore trente sept ans vit avec l’été 1776 ses derniers moments de liberté avant longtemps.
L’épilogue de la première partie de sa vie est connu. Fuyard, il quitte le château de La Coste et choisit contre toute
raison de se réfugier à Paris. Prémonition probablement dictée par une forte culpabilité inconsciente car il y apprend,
trois semaines après son arrivée, la mort de sa mère et se fait arrêter le 13 février 1777 pour être incarcéré au donjon
de Vincennes.
La disparition de sa mère et la rigueur de l’enfermement contribuèrent sans aucun doute à la naissance de l’écrivain.
Après "L’inconstant", une petite comédie rédigée en 1781, l’œuvre s’annonce par la déclaration d’un athéisme militant
reproduisant les arguments du matérialisme en vogue au XVIII ème siècle. L’auteur encore débutant produit un travail
intense. Il débute la rédaction des " Cent vingt journées de Sodome", dont il recopie le manuscrit en 1785 à La Bastille,
met en chantier "Aline et Valcour" en 1786 et l’achève en 1788 de même qu’"Eugénie de Franval". " Les Infortunes de
la vertu" sont rédigées en seize jours de l’année 1787.
Il ne sera rendu à la liberté que le 2 avril 1790 avec l’abolition des lettres de cachet. Mais, après la disparition de l’ancien
régime, sa lutte pour la déchristianisation est cataloguée de séditieuse par Robespierre et au terme d’une incarcération de
quelques mois entre 1793 et 1794, Fouquier-Tinville le condamne à mort pour intelligences et correspondances avec les
ennemis de la République. Il en réchappe avec la chute de Robespierre mais les publications de "Justine ou Les Malheurs
de la vertu" en 1791, de "La Philosophie dans le boudoir" en 1795, de "La Nouvelle Justine" ou "Les Malheurs de la vertu"
suivie de L’Histoire de Juliette seront interdites.
En 1801, Sade est de nouveau enfermé à la prison de Sainte-Pélagie puis transféré à Bicêtre, la "Bastille de la canaille."
Il en sort en 1803 pour rejoindre l’asile de Charenton. Le manuscrit des "Journées de Florbelle ou la Nature dévoilée",
rédigé en 1804 fait l’objet d’une saisie par la police en 1807. Le marquis est une fois de plus surveillé, fouillé, privé de
son écritoire et de ses plumes. Le préfet Dubois note: "Cet homme est dans un état perpétuel de démence libertine."
Lors de cette dernière détention, le marquis de Sade, toujours présent à l’appel des idées nouvelles, signale une fois
encore sa perspicacité avec le "théâtre aux aliénés". Sa vocation pour l’art théâtral et son ambition d’y réussir remontent
au début de son mariage en 1763. Il écrit déjà des pièces, les monte, les joue et les fait jouer par ses amis au château
de La Coste où il a édifié une scène. L’œuvre théâtrale travaillée sans relâche atteint son apogée avec la période
révolutionnaire en même temps qu’elle devient un moyen de subsistance pour le marquis ruiné.
Sa rencontre avec Monsieur de Coulmier s’avèra décisive. Le directeur de l’asile de Charenton, convaincu des vertus
thérapeutiques offertes par la scène, fit construire un amphithéâtre avec des gradins réservés aux malades. Les pièces
furent montées et jouées par des aliénés en même temps que des comédiens professionnels, ou par Sade lui même.
La réputation fâcheuse de son écriture de combat, cherchant à soumettre l’adversaire, à démontrer l’inutilité de Dieu,
l’aberration de la morale et de la loi, ne se démentira pas. La pensée profonde de l’écrivain, singulière, ramifiée dans
un système inachevé et peu cohérent, restera détournée par des interprétations, qui en dénaturent le contenu en
s’attachant à tel point particulier pris pour l’ensemble.
Le nom de Sade entre dans le language commun avec le néologisme "sadisme" ne résumant ni l'écrivain, ni son œuvre.
Le vocable apparaît dès 1834 dans le Dictionnaire universel de Boiste comme une "aberration épouvantable de la
débauche: système monstrueux et antisocial qui révolte la nature." La confusion entre la vie de Sade et de son œuvre
alimentera le malentendu à travers le temps. En 1957 encore, Jean-Jacques Pauvert, éditeur, sera condamné à la
destruction des ouvrages saisis.
Le statut scientifique du concept émerge quant à lui à la fin du XIX ème siècle avec Krafft-Ebing, qui érige le sadisme
et son antonyme le masochisme en symptômes combinés d’une perversion sexuelle dont la satisfaction est obtenue par
la douleur et l’humiliation infligées à autrui ou reçues par lui.
Mais, la science ne resta pas propriétaire du phénomène.Le poète Apollinaire, partisan d’une analyse psychologique
plus objective de l'écrivain et prophète d'un XX ème siècle dominé par le savoir, le courage et l’indomptable liberté du
marquis de Sade, entraîna les surréalistes à sa suite. Breton, Desnos et Eluard cherchèrent à réhabiliter l’œuvre et
l’acteur de la révolution française pour en faire un enjeu esthétique, politique et social. Ils insistèrent sur la place du
marquis dans la découverte d’une psychologie, faisant de la sexualité un fondement de la vie sensible et intellectuelle.
De "Sade est un sadique", on est passé à "Sade est un sadique parmi d’autres" et enfin à "l’œuvre de Sade met en
scène certaines expériences sadiques"; à partir de là, le domaine littéraire a pris le relais du domaine médical. On a
pu redonner à Sade sa singularité en mettant en avant la complexité de son entreprise, la richesse de son œuvre,
et son irréductibilité justement à toute catégorie générique comme le sadisme. Ce n’est qu’une fois le sadisme est
devenu véritablement un nom commun, une fois que Sade en fut véritablement "libéré", que l’on a pu alors aborder
l’œuvre de Sade pour elle-même.
C’est donc sous le mode du refus, de l’exclusion qu’il est entré, presque de force, dans nos mémoires: estimant l’homme
dangereux, on l’a enfermé de son vivant; ne l’estimant toujours pas inoffensif une fois mort, on a interdit et censuré ses
écrits, favorisant leur diffusion sous le mode de la glorification souterraine. Sade, figure de l'excès est devenu le modèle
littéraire de tous ceux qui cherchaient à exalter une création novatrice dont l'œuvre ne saurait être réduite au sadisme.
Si la présence du marquis de Sade au sein des lettres françaises n'est plus contestée, assurément, son œuvre
demeure une énigme, irrévérente mais novatrice, offrant à la lecture, le champ infini des expériences possibles.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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" C'est une chose très différente que d'aimer ou que de jouir; la preuve en est qu'on aime tous les jours
sans jouir et qu'on jouit encore plus souvent sans aimer, la luxure étant une suite de ces penchants,
il s’agit bien moins d’éteindre cette passion dans nous que de régler les moyens d’y satisfaire en paix."
Marquis de Sade (La Philosophie dans le Boudoir)
En prison, agonise un homme, naît un écrivain. Il s'agit du marquis de Sade, à qui nous devons l'empreinte
du sadisme dans nos dictionnaires et celui du trouble psychiatrique décrit par Freud dans ses "Trois essais sur
la théorie sexuelle", lequel a établi définitivement le terme de "sadisme" dans sa conception de la pulsion. Car
si de son patronyme, fut issu au XIX ème siècle le néologisme, considéré en psychiatrie, comme une perversion,
gardons en mémoire toutefois que l'homme de lettres libertin en ignorait l'existence même.
Il n’a jamais connu ce mot, mais a théorisé avec talent, sur les passions, les goûts cruels, les plaisirs de la torture,
se contentant d'employer, dans ses récits, le mot "pervers".
C'est le psychiatre allemand, Richard von Krafft-Ebing qui, dans une approche clinicienne, l'inventa, conduisant à
entretenir, depuis des controverses passionnelles interminables, incarnant un Sade nouveau, véhiculant tous les
fantasmes et légendes, et bien souvent engendrant, un personnage, totalement différent de l'original.
Le sadisme suggère initialement la cruauté, qui consiste en la souffrance d’une victime. Il y ajoute surtout
le plaisir de voir ou de faire souffrir, souvent avec une connotation sexuelle. Sur une victime non consentante,
le sadisme est en soi la circonstance aggravante d’un crime : il pénalise le "sadique" en lui ôtant une part
d’humanité, et de fait l’indulgence des tierces personnes.
Mais le mot "victime" est ici à interpréter au sens large: dans le domaine sexuel, un sadique va généralement de
pair avec un masochiste qui consent à l’impuissance physique, comme le fait d’être attaché, et à la souffrance.
Justine, personnage principal, de "La Nouvelle Justine" ou les "Malheurs de la vertu", est une victime dans tous les
sens du terme, bernée, abusée, manipulée, humiliée, etc. Tout le contraire de Juliette, libertine à qui tout réussi.
Le Marquis de Sade, fort des récits du domaine sexuel, met en scène des victimes devant subir des souffrances
parfois extrêmes, pouvant conduire à la mort, dans des situations les condamnant à une impuissance totale.
À tel point que, dans "La Nouvelle Justine", l’idée même de fuite n’est jamais envisagée par une victime autre que
l’héroïne. Car, chez Sade en particulier, la peur ne fait pas fuir, elle paralyse.
Le sadisme "sadien" , celui que mettent en scène ses ouvrages libertins, est plus profond que le sadisme théorisé
par les psychiatres et psychanalystes, qu’il soit mis en parallèle avec le masochisme ou avec l’innocence: c'est un
jeu complexe entre les personnages, mais surtout entre Sade et le lecteur par le biais de la mise en scène de ses
personnages. Nous pouvons parler de mise en scène, car les textes de Sade sont relativement théâtraux dans une
emphase entre discours et actes sexuels. Sade établit un réseau de personnages dans un monde d’un matérialisme
radical, allant jusqu’à réinventer une mécanique sexuelle dans laquelle les femmes "bandent" comme les hommes.
Sade s’amuse à mettre en scène et à explorer une alternative répulsive et intégralement pervertie de notre monde.
Car ce monde, s’il est réel, est peuplé d’allégories et de concepts qui dépassent notre appréhension des choses:
le mal est partout, et les honnêtes gens sont aveugles et en constituent les seules victimes. Pour Sade, la meilleure
façon de prouver matériellement la toute-puissance du mal est de prouver l’absence du bien, qui n'est qu'une erreur
et une faiblesse humaines dues à la société. La toute-puissance du mal existe mais le mal n'existe pas car le bien
n’existe pas, donc la toute-puissance du mal est une toute-puissance tout court; tel est le discours de Sade.
Il ne s’agit donc pas de valoriser le mal, mais de le légitimer dans un monde compatible avec un tel raisonnement
pour en faire la seule règle de vie possible. Ce monde ne connaît pas les limites du discours, et sert l’idéologie
"sadienne" prônant l’absence de limites dans les actes. Tout le discours de Sade est une mise en scène construite,
physiquement et moralement, autour du sadisme, avec des récits parfois enchâssés dans d'autres pour une
perpétuelle mise en abyme entre les récits et le monde réel.
L’opposition entre Justine et entre Juliette, sa sœur et antithèse, est l’allégorie du destin conçu par Sade.
La liberté absolue dont il se revendique en opposition totale à toute morale est le socle du mode de vie
rendant le libertin supérieur aux autres: c'est le libertinage propre à la seconde moitié du XVIII ème siècle.
Entrevoyant la société comme n’étant qu’une assemblée de conventions et d’attentes, régie par des règles
précises qu’ils maîtrisent parfaitement, ces libertins la manipulent pour leur propre plaisir, par goût, par défi;
le roman clé de cette littérature est "Les Liaisons dangereuses" de Laclos, où un libertin entreprend de
séduire une jeune fille ingénue pour le défi de l’intrigue.
Cyniques et amoraux, ces libertins ont une relation évidente avec les protagonistes de Sade. Mais l’extrémisme de
celui-ci établit une différence avec les libertins cérébraux qui peuplent la littérature risquée du XVIIIème siècle.
Les libertins de Sade rendent la place d’honneur au plaisir physique; ils abandonnent donc la séduction. Le viol est
parfaitement acceptable pour eux, alors que pour les libertins conventionnels, l’utilisation de la force gâterait le plaisir
de faire céder par le charme et la corruption de mœurs.
Les libertins "sadiens" ont certainement intérêt à corrompre, et s’y emploient à grand renfort de discours philosophiques;
mais à défaut d’être convaincants, ils ne se privent pas simplement de prendre. Leur désir physique existe. Le plaisir
n'est pas un jeu pour Sade; la copulation n’est pas simplement le point final d’un jeu de masques. Même s'ils théorisent
tout avec de remarquables longueurs, ces libertins n’ont pas l’hypocrisie de prétendre que le coté physique de l'affaire
est en soi sans intérêt pour eux. Il prend en fait la prime place. Sade reconnaît aussi que jouer le même jeu jour après
jour peut mener à l’ennui.
C’est ainsi que, devant toujours rajouter du piquant à leurs plaisirs, les libertins de Sade en viennent au crime.
S’affranchissant entièrement de la morale commune, ils cèdent à tous leurs caprice et à toute nouveauté, s’adonnant à la
sodomie, au viol, à la flagellation, la torture, le meurtre ; les extrêmes dont est capable l’imagination de Sade, à tel point
qu'il ce peut qu’il se soit dégoûté lui-même, se retrouvent dans "Justine ou les Malheurs de la vertu."
Dès l'origine, le libertinage philosophique est résolument matérialiste, même athée, reposant sur le rejet des dogmes,
alors que le libertinage romanesque met en vedette des libres-penseurs dépravés. Sade poursuit ce chemin, arrivant à
un matérialisme absolutiste justifiant ses propres goûts physiques. Il franchit un dernier palier que n’atteignaient pas les
libertins le précédant. L’amoralisme de ceux-ci devient chez Sade plutôt un antimoralisme, où loin de ne pas se soucier
de la morale commune on s’évertue à l’invertir. Le libertin de Sade rejette tant les dogmes qu’il agit systématiquement
de manière contraire. Sade est dogmatique dans sa libre-pensée.
Justine, personnage fictif, a accompagné Sade tout au long de sa vie d’écrivain. Elle est d’abord l’héroïne d’un conte
écrit à la prison de la Bastille pendant l’été 1787, puis héroïne d’un roman, " Justine ou les Malheurs de la vertu" publié
en 1791. Elle réapparait en 1797 dans un second roman entièrement réécrit et considérablement augmenté,
"La Nouvelle Justine".
Justine, élevée dans une abbaye de Paris, en est chassée à la mort de son père, faute de pouvoir honorer la pension.
Tandis que sa sœur, Juliette, choisit de se faire courtisane pour mener grand train, Justine, farouchement vertueuse et
indéniablement ingénue, subit les revers de la fortune de plein fouet. Elle les raconte par le menu à Madame de Lorsange,
qui se révèlera être sa sœur: servante, souillon, emprisonnée, violée à seize ans, marquée au fer rouge, captive de moines
lubriques, exploitée par une bande de faux-monnayeurs, Justine ne perd jamais foi en la vertu et poursuit inlassablement
sa route. À travers le récit de ses malheurs et sévices, Sade met en scène la lutte acharnée entre le Vice et la Vertu.
Là où Justine prétend subir comme un supplice la violence libidinale des libertins qui s’emparent d’elle, Juliette vole aux
devants de toutes les corruptions qu’elle rencontre, consciente que la valeur de son corps sur le marché du désir augmente
suivant la courbe de dégradation morale des mœurs auxquelles elle souscrit. Entrée dans la vie sociale par la porte de la
prostitution, elle cherche sans cesse à imaginer de nouvelles voies d’excès.
Aux scènes d’orgies, où les corps morcelés et encastrés saturent l’espace, succèdent des discussions vives, opposant
Justine à des libertins. Elles reflètent les préoccupations de la société de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la question
du matérialisme et de l’athéisme, celles de la primauté des intérêts particuliers, de la relativité du crime selon le milieu
d’appartenance. Au plaisir se mêle la réflexion philosophique, obligeant le lecteur à un effort des sens et de l’intellect.
Une curieuse ambiguïté persiste pourtant, engageant moins l’existence avérée d’un libertinage "sadien" que la frontière
entre masculin et féminin qui s’y dessine: alors qu’aucun protagoniste n’échappe à sa pratique ni à la fascination qu’il
exerce, les héroïnes se caractérisent au contraire par la diversité de leurs conduites et de leurs rôles. Victimes,
spectatrices, esclaves ou maquerelles, l’éventail actanciel féminin contraste avec la trajectoire uniforme des hommes.
Car si l’homme, chez Sade, est libertin, la femme ne naît pas libertine, elle le devient. Elle choisit, plus précisément,
ce qui constitue moins pour elle une essence qu’un possible.
Cette spécificité détermine à la fois une structure romanesque, le célèbre diptyque qui fictionnalise, au miroir des deux
sœurs, la cœxistence des "infortunes de la vertu" et des "prospérités du vice", ouvrant ainsi une double carrière aux
jeunes filles, et une identité qui associe singulièrement, sous la plume de Sade, le féminin à la liberté. Affranchi de toute
détermination, il incarnerait la promesse d’une existence plurielle, qui permette au sujet de se construire sans que
l'autorité des sens ni celle de la machine aliènent sa volonté.
Une telle interrogation engage, par-delà le caractère contrasté des héroïnes, la relation entre féminité et libertinage.
Dès lors qu'il ne constitue plus un destin mais un devenir, voire une option que les héroïnes peuvent refuser, la précarité
de leurs trajectoires, où rien ne fige l’association du féminin et du libertin, ne dénonce plus une fatalité ni une faiblesse.
Aucune incompatibilité de nature, fût-elle d’organes ou d’imagination, n’exclut a priori l’héroïne d’un système de pensée
et de jouissance dont elle décide seule d’épouser ou de transgresser la loi.
L’itinérance de Justine, dans cette perspective, traduit moins le labyrinthe infini de l’âme incapable d’apprentissage que
la puissance d’abdication de celle qui résiste jusqu’au bout au discours du mal. L'inaccessibilité physique de l’héroïne,
à la fois invulnérable et impossible à posséder, problématise la nature du libertinage dont son récit se veut la fresque
pathétique: connaît-elle la sexualité ? loin de l’ingénuité passive qui en fait la victime désignée des libertins, Sade lui
offre une situation paradoxale, entre présence et absence à l’événement, qui la met en position d’analyser les ressorts
du libertinage.
Fragmentaire, condamnée à se multiplier sans éprouver dans sa propre chair les tourments qu’elle inflige et dont elle
théorise pourtant la supériorité, la jouissance libertine a besoin d’une victime qui lui donne sens et lui ouvre les vertiges
de la réversibilité. Absente à la jouissance, Justine en assourdit donc les assauts pour convertir l’énergie érotique en
faculté de savoir. Elle a de l’esprit; les libertins le remarquent et, s’ils ne s’en agacent pas, ils perçoivent en elle un
certain potentiel:
"Écoute, Justine, écoute-moi avec un peu d'attention; tu as de esprit, je voudrais enfin te convaincre."
Mais ils ne peuvent lui enlever son libre arbitre, sa résistance à la liberté, du fait d’une oppression consentie.
La force morale de Justine peut la conduire à une force intellectuelle supérieure à celle des libertins, tentant
de l’influencer sans réellement la comprendre.
Ce génie de la sublimation interroge moins les fantasmes sexuels du prisonnier qu’elle n’identifie l’illégitime
détention de l'écrivain qui n’avait d’autre alternative, dans la solitude, que de troquer la toute-puissance pour
l’étrangeté à soi-même; au miroir du féminin, le libertinage de Sade révèle son grand talent de traverser le réel.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Nous autres libertins, nous prenons des femmes pour être nos esclaves; leurs qualités d'épouse les rend
plus soumises que les maîtresses, et vous savez de quel prix est le despotisme dans les plaisirs que nous
goûtons; heureuses et respectables créatures, que l'opinion flétrit, mais que la volupté couronne, et qui,
bien plus nécessaires à la société que les prudes, ont le courage de sacrifier, pour la servir, la considération
que cette société ose leur enlever injustement. Vive celles que ce titre honore à leurs yeux; voilà les femmes
vraiment aimables, les seules véritablement philosophes."
La philosophie dans le boudoir (1795)
Depuis longtemps, Sade a une réputation sulfureuse; cette réputation a précédé l’écriture de l’œuvre. Qui n’a pas
entendu parler du jeune marquis fouettant des prostituées à Marseille, distribuant des bonbons à la cantharide ou
blasphémant, découpant des boutonnières dans la chair de Rose Keller à Paris ? Qui n’a pas entendu parler de
Sade enfermé treize ans à Vincennes puis à la Bastille par lettre de cachet délivrée à la demande de sa belle-mère
et libéré en 1790 quand la Révolution a supprimé les lettres de cachet ? Bourreau ? Victime ? Cette réputation
enflamme l’imagination. On accuse Sade, on défend Sade mais qui lit Sade ? En réalité, peu de monde.
S’il est un dénominateur commun à tous les esprits libres n’ayant eu pour seule exigence que celle de dire la vérité,
quitte à heurter conventions, mœurs et opinions dominantes, c’est sans doute celui d’avoir subi les épreuves
de l’ostracisme, de l’anathème, voire de la peine capitale. Le cas de Socrate, condamné à boire le poison mortel
de la ciguë, aussi bien que ceux de Galilée, Diderot, Voltaire, ou plus récemment encore, Antonio Gramsci, tous ayant
souffert du supplice de séjourner derrière les barreaux, viennent témoigner de la constance historique de cette règle.
Inscrire le marquis de Sade qui a passé vingt-sept ans de sa vie entre prison et asile d’aliénés dans cette lignée d’auteurs
prestigieux risque d’offusquer bien des esprits. Sade: il est vrai que rien que le nom suffit à évoquer un imaginaire sulfureux:
viol, fouettement, esclavage sexuel, inceste, etc. D’où une certaine aversion diffuse à son égard, qu’on retrouve peut-être
davantage dans la population féminine très exposée dans ses récits.
Le dossier Sade fut instruit durant deux siècles et enflamma les esprits. Est-il clos ? Durant tout le 19ème siècle et la
majeure partie du vingtième, le nom de Sade fut associé à la cruauté et à la perversion avec la création du mot "sadisme"
et ses ouvrages furent interdits. Depuis Apollinaire, sa pensée irrigue la vie intellectuelle et universitaire, jusqu’à sa
reconnaissance littéraire et la canonisation par la publication de ses œuvres complètes dans la collection "La Pléiade".
Alors que les manuscrits de Sade étaient encore interdits de réédition, Guillaume Apollinaire, dès 1912, fut le premier
à renverser le mythe misogyne autour de Sade: "Ce n’est pas au hasard que le marquis a choisi des héroïnes et non
pas des héros. Justine, c’est l’ancienne femme, asservie, misérable et moins qu’humaine; Juliette, au contraire,
représente la femme nouvelle qu’il entrevoyait, un être dont on n’a pas encore l’idée, qui se dégage de l’humanité,
qui aura des ailes et qui renouvellera l’univers", défendait le poète.
Quelques décennies plus tard, c’est Simone de Beauvoir, qu’on ne peut soupçonner d'être idolâtre, dans son célèbre
texte "Faut-il brûler Sade?", qui admet que "le souvenir de Sade a été défiguré par des légendes imbéciles." Pourquoi le
XX ème siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? le divin marquis fut au carrefour des réflexions féministes de l’après-guerre
dont l'auteure de "L'invitée" et des "Mandarins" reste l’une des figures précurseuses. Sade aimait-il les femmes ?
Car voilà une œuvre qui donne à voir, sur des milliers de pages, des femmes humiliées, violées, battues, torturées, tuées
dans d’atroces souffrances, et leurs bourreaux expliquer doctement qu’elles sont faites pour être leurs proies et qu’ils ne
savent jouir que par leurs cris de douleur et d’épouvante. Est-il nécessaire d’aller chercher plus loin ? Sade fut-il un militant
fanatique, paroxysmique de la misogynie, des violences faites aux femmes et donc, puisque telle est la question traitée,
est-il un auteur à rejeter ?
Ces dernières années, cette opinion a été soutenue, de manière particulièrement tranchée, par Michel Onfray, qui a
consacré à Sade un chapitre de sa "Contre-histoire de la philosophie", une partie de son ouvrage sur "l’érotisme solaire"
puis un essai développant son propos. Pour lui, Sade prôna une "misogynie radicale" et une "perpétuelle haine de la
femme"; il fut tout à la fois un "philosophe féodal, monarchiste, misogyne, phallocrate, délinquant sexuel multirécidiviste."
Le réquisitoire est implacable et Michel Onfray le prononce en tapant à coups de masse sur tout ce qui, dans les multiples
monographies consacrées à Sade, pourrait le nuancer. De fait, la galerie de portraits de ceux qui se seraient déshonorés
parce qu’ils ont tenu Sade pour un grand écrivain est impressionnante: Apollinaire, Breton, Aragon, Char, Desnos, Bataille,
Barthes, Lacan, Foucault, Sollers, tous frappés par le "déshonneur des penseurs."
Certes, l’œuvre de Sade regorge d’horreurs ciblant particulièrement des femmes. Le nier serait une contre-vérité.
Mais l'auteur de "La philosophie dans le boudoir" nourrissait-il une haine des femmes ? Sade était-il misogyne ?
La question est posée avec tant de force et de constance par ses procureurs, que l'on se trouve pour ainsi dire
contraint de s’y arrêter.
Sade n’aimait pas sa mère, qui ne l’éleva pas, et détestait sa belle-mère, qui le lui rendait bien. Il en tira une exécration
de la maternité toujours renouvelée dans son œuvre. Comme la plupart des aristocrates libertins de l’Ancien Régime,
il était bisexuel; comme certains d’entre eux, amateur de pratiques mêlant plaisir et douleur, infligée ou éprouvée,
rarement consentie.
Avec sa femme, qu’il épousa contraint et forcé, il fut un mari tyrannique, infidèle, jaloux et goujat, mais, malgré tout,
éprouva pour elle, à sa manière, une réelle affection liée à leur bonne entente sexuelle. Sa vie de "débauché outré",
selon les termes motivant sa toute première arrestation, s’interrompit brusquement à l’âge de trente-huit ans par une
lettre de cachet qui le condamna à une incarcération pour une durée indéterminée. Il passa douze années emprisonné
à Vincennes et à La Bastille. Il fut libre durant douze ans et eut alors pour compagne, jusqu’à sa mort, une actrice
qu’il surnomma Sensible qui partagea sa vie. Elle fut sa muse, constatant lui-même qu'il avait changé:
"Tout cela me dégoute à présent, autant que cela m'embrasait autrefois. Dieu merci, penser à autre chose et je m'en
trouve quatre fois plus heureux."
Sade se comporta donc mal, voire très mal, avec certaines femmes, notamment dans la première partie de sa vie avec
ses partenaires d’orgies, au demeurant parfois des hommes, considérées par lui comme des "accessoires", des
"objets luxurieux des deux sexes" comme il l’écrivit dans "Les Cent Vingt Journées." Lorsque son existence prit un tour
plus ordinaire, il se coula dans l’ordre des choses, n’imagina pas que le rôle des femmes qu’il fréquentait, mères, épouses,
domestiques, maîtresses, prostituées pût changer et ne s’en trouva pas mal. De là, à dénoncer sa "haine des femmes."
Sade adopta le genre le plus répandu à son époque, celui du roman ou du conte philosophique; beaucoup d’écrivains
reconnus y allèrent de leur roman libertin, soit "gazés" comme "Les Bijoux indiscrets" de Diderot, Le "Sopha" de Crébillon,
"Les Liaisons dangereuses" de Laclos, "Le Palais-Royal" de Restif de La Bretonne, soit crus comme "Le Rideau levé", ou
"L’Éducation de Laure" de Mirabeau. La misogynie de l’œuvre de Sade, si elle avérée, doit donc être débusquée dans ce
cadre où art et philosophie sont intriqués.
Pour ce qui est de l’art, on s’épargnera de longs développements pour affirmer qu’aucune frontière ne doit couper le chemin
qu’il choisit d’emprunter, quand bien même celui-ci serait escarpé ou scabreux. Sauf à prôner un ordre moral d'un autre âge.
Féminisme ne rime pas avec ligue de la vertu, inutile d’argumenter sur ce point. L’œuvre d’art peut enchanter, elle peut
aussi choquer, perturber, indigner, révolter, elle est faite pour ça. Exploratrice de l’âme, elle peut errer dans ses recoins,
fouailler dans la cruauté, l’abjection, la perversion, explorer le vaste continent du Mal et ses "fleurs maladives".
En matière philosophique, Sade forgea ses convictions au travers du libertinage, qui mêlait licence des mœurs et
libre-pensée, la seconde légitimant la première. Critiques des dogmes et des normes et par conséquent de la religion,
principal verrou bloquant la liberté de conscience, les libertins annoncent et accompagnent les Lumières. Il s’agit de
la grande question du mal et de la Providence: comment entendre que sur terre les méchants réussissent, quand les
hommes vertueux sont accablés par le malheur ? Sade s’accorda avec Rousseau sur le fait que l’homme à l’état de
nature se suffit à lui-même.
Mais Rousseau préconise dans le Contrat social la "religion naturelle" et la limitation de la liberté individuelle au nom de
la loi issue de la volonté générale. Il affirme qu’au sortir de la nature, tout est bien; il définit la vertu comme un effort pour
respecter cet ordre naturel, pour soi et pour les autres. Le plaisir concorde ainsi avec la morale; la tempérance est plus
satisfaisante que l’abandon de soi dans la volupté. Sade s’attacha méthodiquement à réfuter ces idées, et cela en partant
comme Rousseau de la question première: la relation de l’homme à la nature, qu’il traita en adoptant la philosophie
matérialiste et biologique nourrie des découvertes scientifiques de l’époque.
"Usons des droits puissants qu’elle exerce sur nous, en nous livrant sans cesse aux plus monstrueux goûts."
On peut ici, réellement, parler de pensée scandaleuse puisqu’il s’agit d’affirmer que le désir de détruire, de faire souffrir,
de tuer n’est pas l’exception, n’est pas propre à quelques monstres dont la perversité dépasse notre entendement,
mais est au contraire la chose au monde la mieux partagée. Sade nous conduit ainsi "au-delà de notre inhumanité,
de l’inhumanité que nous recelons au fond de nous-mêmes et dont la découverte nous pétrifie."
En fait, Sade ne trouvait qu’avantage à respecter le modèle patriarcal dans sa vie d’époux, d’amant et de père, ne pouvait
en tant qu’auteur que défendre les idées sur les femmes de l’école philosophique à laquelle il s’était rattaché. Ainsi, il ne
soutint jamais, contrairement aux préjugés de son époque, que les femmes n'étaient pas faites pour les choses de l’esprit.
Surtout, dans son domaine de prédilection, celui de la passion, il balaya la conception de la femme passive dans l’acte
sexuel, qu’il ne représenta ainsi que dans le cadre du mariage, institution abhorrée. Pour Sade, la femme est active et
désireuse. Lors des orgies décrites dans ses romans se déversent des flots de "foutre", masculin et féminin mêlés;
les femmes ont des orgasmes à répétition. Les femmes, affirme Sade, ont davantage de désir sexuel que les hommes;
elles sont donc fondées à revendiquer, contre les hommes s’il le faut, le droit au plaisir.
" De quel droit les hommes exigent-ils de vous tant de retenue ? Ne voyez-vous pas bien que ce sont eux qui ont fait
les lois et que leur orgueil ou leur intempérance présidaient à la rédaction ? Ô mes compagnes, foutez, vous êtes nées
pour foutre ! Laissez crier les sots et les hypocrites."
Tout cela n’est pas vraiment misogyne. Pour comprendre les relations complexes entre l'homme de lettres et les femmes,
il est nécessaire de "dépathologiser Sade et sa pensée pour substituer à la légende du monstre phallique l’image, bien plus
troublante, du penseur, voire du démystificateur de la toute-puissance phallique" selon Stéphanie Genand, biographe.
De là, à considérer Sade comme un auteur féministe, la réponse est nuancée, mais l’hypothèse pas sans intérêt.
Le marquis de Sade avait sur la femme des idées particulières et la voulait aussi libre que l’homme. Ces idées, que l’on
dégagera un jour, ont donné naissance à un double roman : Justine et Juliette. Ce n’est pas au hasard que le marquis
a choisi des héroïnes et non pas des héros. Justine, c’est l’ancienne femme, asservie, misérable et moins qu’humaine.
Juliette, au contraire, représente la femme nouvelle.
De fait, Justine et Juliette, les deux sœurs d’une égale beauté aux destins opposés, sont devenues des archétypes:
la première de la vertu, la seconde du vice; ou, plus justement, pour reprendre les sous-titres des deux ouvrages,
des malheurs qu’entraîne la vertu et de la prospérité attachée au vice.
La froide Juliette, jeune et voluptueuse, a supprimé le mot amour de son vocabulaire et nage dans les eaux glacés
du calcul égoïste. Incontestablement, elle tranche avec l’image misogyne traditionnelle de la femme: faible, effarouchée,
ravissante idiote sentimentale. Juliette est forte, elle est dure, elle maîtrise son corps et sait en jouir, elle a l’esprit vif
et précis que permet l’usage de la froide raison débarrassée des élans du cœur.
Sade théorise en effet la soumission dont les femmes sont l’objet. Concrètement, cette position d’analyste de
l’asservissement féminin se traduit, chez lui, par le choix original de donner la parole à des personnages féminins:
Justine, Juliette, Léonore dans Aline et Valcour, Adélaïde de Senanges ou Isabelle de Bavière dans ses romans
historiques tardifs, sont toutes des femmes.
Cette omniprésence des héroïnes leur confère une tribune et une voix neutres, capables de s’affranchir de leurs
malheurs: raconter son histoire, si malheureuse ou funeste soit-elle, c’est toujours y retrouver une dignité ou en
reprendre le contrôle. L’énonciation féminine suffirait, en soi, à contredire le mythe d’un Sade misogyne.
L'homme de lettres a constamment appelé à une émancipation des femmes, notamment par le dépassement
des dogmes religieux. Les dialogues des personnages de La philosophie dans le boudoir foisonnent d’appels à la
révolte contre la soumission aux préceptes religieux inculqués aux femmes dès le plus jeune âge:
" Eh non, Eugénie, non, ce n’est point pour cette fin que nous sommes nées; ces lois absurdes sont l’ouvrage des
hommes, et nous ne devons pas nous y soumettre." On retrouve également des appels à la libre disposition de son
corps, comme dans ce passage où Sade met dans la bouche d’un des personnages les conseils suivants:
"Mon cher ange, ton corps est à toi, à toi seule, il n’y a que toi seule au monde qui aies le droit d’en jouir et d’en faire
jouir qui bon te semble."
Tout en lui reconnaissant une certaine considération des femmes, n'oublions pas que l’univers de Sade, enraciné dans
l’Ancien Régime, est foncièrement inégalitaire; la société française est alors structurée par la domination, aussi bien
sur le plan politique que sur le plan social: des élites minoritaires concentrent les richesses et le pouvoir, si bien qu’il est
naturel d’y exploiter l’autre et de le nier dans ses prérogatives.
Les femmes constituaient, à ce titre, une population singulièrement misérable: mineures juridiques, puisqu’elles ne
bénéficiaient d’aucun droit, elles étaient aussi sexuellement exploitées puisqu’elles n’avaient le plus souvent d’autre
ressource que le commerce de leurs corps, ne bénéficiant d’aucune éducation, hormis quelques privilégiées.
Une fois qu’on a souligné tous ces aspects, il faut avoir l’honnêteté d’avouer que les romans de Sade regorgent
de scènes bestiales où les femmes subissent les humiliations, sexuelles ou autres, les plus atroces de la part
de leurs partenaires masculins.
Faut-il en déduire pour autant que Sade incite à imiter ces comportements ? Érige-t-il les personnages qui en sont les
auteurs en modèle à suivre ? À bien des égards, la réponse semble être évidemment négative.
C’est Sade lui-même qui nous alerte contre ces interprétations erronées quand il estime que le romancier doit peindre
"toutes les espèces de vices imaginables pour les faire détester aux hommes."
D’où l’importance d’avoir connaissance de l’hygiène romanesque qu’était celle de Sade:
"À quoi servent les romans ? À quoi ils servent, hommes hypocrites et pervers ? Car vous seuls faites cette ridicule
question; ils servent à vous peindre tels que vous êtes, orgueilleux individus qui voulez vous soustraire au pinceau
parce que vous en redoutez les effets", écrivait-t-il dans son essai intitulé Idée sur les romans.
C’est donc l'être humain, dégarni des conventions sociales et dévoré par ses désirs, que Sade s’est proposé
de dépeindre sans concession.
"Ce qui fait la suprême valeur du témoignage de Sade, c’est qu’il nous inquiète. Il nous oblige à remettre en question
le problème essentiel qui hante ce temps : le problème de l’homme à l’homme." Simone de Beauvoir
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Livrez-vous, Eugénie; abandonnez tous vos sens au plaisir; qu'il soit le seul dieu de votre existence;
c'est à lui seul qu'une jeune fille doit tout sacrifier, et rien à ses yeux ne doit être aussi sacré que le plaisir."
La philosophie dans le boudoir. (1795)
Entre érotisme et perversion, les récits du Marquis de Sade font toujours l'objet de polémiques, tant pour leur violence
que pour leur outrance. Mais alors, que peut nous apporter la lecture de ses écrits aujourd'hui ?
La vie et les œuvres de Sade ont fait l'objet de mille appropriations, par des écrivains aussi divers que Georges Bataille,
les surréalistes, Roland Barthes, Maurice Blanchot, Jean-Jacques Pauvert, Annie Le Brun et bien d'autres.
Dans une nouvelle série d'articles, après ceux publiés en Octobre dernier, il nous est apparu intéressant, en dehors de
tout jugement moral, de jeter un regard littéraire sur son univers, afin de mesurer la richesse et la portée de son œuvre.
Divin Marquis ou affreux pornographe ? L'insupportable et l'intérêt de son écriture résident précisément en ceci que les
deux sont indissociables. Sade est irréductible à quelque case que ce soit. Être dans l'enfer, c'est être livré aux gémonies,
à l'excès, et à l'irrationalité. Étudier l'écrivain n'est pas le canoniser ni l'institutionnaliser mais interdit d'écrire, à tout le moins,
n'importe quoi à son sujet. Il est à la fois un maître de la liberté et son texte est insupportable, si on le tient pour un texte
réaliste. On a l'impression au contraire de quelqu'un qui établit un rapport critique à la langue, aux stéréotypes moraux.
En réalité, aborder Sade exige une double lecture, tout en séparant l'homme de sa création littéraire.
Quand on voit l'attention avec laquelle il se corrige, quand on regarde le glissement du point de vue dans les différentes
versions de "Justine"; dans "les Infortunes de la vertu", elle parle à la première personne, ensuite on parle pour elle,
elle est aliénée, on ne peut s'empêcher de penser que Sade est un grand écrivain; ce sont des choses très simples,
comme le choix de ses titres: "l'infortune" entraîne des malheurs indus; les "malheurs", eux, peuvent être mérités.
Il serait injuste de le considérer comme un malade couchant ses fantasmes sur du papier. Il semble qu'il ait écrit avant la
prison mais c'est la prison qui transforme le libertin en un homme qui n'a plus que la lecture et l'écriture dans sa vie.
Son écriture présente un côté obsessionnel de la reprise incessante des mêmes thèmes qui investissent toute son oeuvre.
Sade tient en parallèle une écriture pour le public, tant il rêve d'être reconnu comme un homme de lettres; mais il va
jusqu'au bout de ses obsessions dans des oeuvres impubliables. Son style est à la fois décalé et ironique.
Il possède le talent de raconter des histoires de vertu malheureuse dans la langue policée du XVIII ème siècle, tout en
mêlant des termes bruts et crus; c'est pourquoi, Il faut dépasser des réticences ou des dégoûts, ce déplaisir subtil que
peuvent aussi provoquer ses œuvres, pour prendre toute la place qui leur échoit dans la fiction elle?même. Les tonalités
aussi se mélangent, le rire, l'ironie coupante succédant à des exposés philosophiques ou politiques.
Il a besoin d'écrire comme Rousseau, qu'on lui interdit de lire à la Bastille quand on lui autorise Voltaire, pour écrire comme
personne. Il est aussi un homme de son époque qui pratique l'écriture sensible. Lui-même joue à ce type de littérature.
Son style le plus violent se joue comme une parodie. Après tout, la littérature sensible prétend faire couler des larmes,
la littérature érotique, du "foutre". C'est également une littérature pathétique, cherchant un effet. Sade était également un
homme de théatre.
Son écriture est aussi un rapport à la vérité. Il semble être un homme de pensée ancienne dans la manière qu'il a de
blasphémer, qui paraît l'installer dans un monde manichéen. Et son écriture est moderne, en ce qu'elle témoigne de la
conscience qu'elle est le deuil du savoir, de la vérité. On a l'impression d'un homme qui ne croit à la Révolution que par
comparaison à celle des astres, comme un cycle perpétuel de progrès et de décadence.
Proust fut aussi un homme qui traversa toute sa vie en écriture. Sade fut confronté à une série de situations limites:
un libertinage de son temps mais aux limites de la légalité et la prison où il passa plus de la moitié de sa vie. Enfermé,
il est livré à lui-même; une partie de sa création littéraire, dont "les Cent Vingt Journées de Sodome", ne put être publiée.
C'est une limite évidente à l'expression de son talent.
Son obsession est celle de l'écrivain qui rabâche. Elle s'oppose à l'ouverture de son écriture. En se répétant, il montre
que le travail d'écriture est essentiel même si, en apparence, c'est la même histoire. Quand il est arrêté en 1801, il prépare
encore une nouvelle "Nouvelle Justine". En découvrant les trois premières versions, on pense qu'il ne peut aller plus loin.
Au contraire, l'écrivain provoque le fantasme du lecteur qui imagine une écriture capable de repousser toujours plus loin.
On n'est pas obligé d'être complice mais on s'engage dans une surenchère fantasmatique. Or c'est justement dans ces
litanies d'horreurs, de tortures et de sévices, dans cet étourdissant effet d'énumérations, que réside une grande part de la
modernité de la langue de Sade.
Sade n'invente pas le thème de la vertu malheureuse. Rappelons que Diderot a déjà écrit les "Épreuves de la vertu."
Il y a toute une littérature complaisante dans la représentation de la vertu malheureuse. Sade reprend ce thème de la pure
jeune fille mais avec le goût sacrilège de bafouer cette vertu et encore s'agit-il d'une vertu qui résiste et d'une jeune fille
cicatrisant très vite; il a besoin d'inventer des "doubles" de Justine qui meurent pour qu'à chaque fois Justine résiste
sauf à la foudre fatale.
Plus il avance, plus la figure centrale est le couple Justine-Juliette, couple de personnages concret, conflictuel,
contradictoire, qui correspond à la manière dont il se présente comme une victime de l'Ancien Régime.
Justine est sans cesse enfermée; celle dont il se revendique en libertin athée, qui va faire bien pire, sur le papier,
que dans la réalité, c'est le versant Juliette.
Son œuvre apparait à première lecture scandaleuse, mais porte en elle, en réalité un discours philosophique.
La transgression n’est pas principalement l’écart de conduite, bien que, Sade en ait commis beaucoup, ni non
plus seulement la déviance à l’égard des pratiques sexuelles "licites." Il est d’abord ce qui prend ses distances
avec le respect, la vénération accordés à ce qui ne mérite que railleries. Sade fut insolent avec constance, et
cette irrévérence lui coûta. Son œuvre est truffée de caricatures, de raisonnements spécieux, d’exagérations;
l’outrance conduit au grotesque et les énormités qui parsèment les descriptions d’horreurs de ses ouvrages
constituent autant de moments de respiration permettant au lecteur de sortir du gouffre où le récit le plonge.
La figure de Justine est formellement, littérairement idéale: elle est le prétexte à une addition sans fin d'épisodes.
Une jeune fille qui pratique les vertus, déclenchant une série de catastrophes: la trame offre une perspective ouverte,
car elle semble ne rien vouloir comprendre. Juliette est cruelle dès le départ mais son histoire est celle d'un devenir.
L'une est dans le temps immobile, l'autre dans l'espace. Juliette est un tourbillon d'air sulfureux.
Lire Sade est un excellent exercice de critique de toute dialectique moralisante. Les pires libertins chez Sade tiennent en
effet un double discours. Ce n'est pas là un simple plaisir anticlérical mais dénoncer ce qu'il y a de plus pervers dans les
institutions prétendant à la vérité et imposer un mode de vie aux individus. L'homme de lettres parvient dans son oeuvre
à brasser tous les discours théoriques de son siècle et chacun de ces discours va renvoyer peu à peu à la même pratique
de domination. Il y a dans cette fiction une dérision générale du discours théorique.
Écrivain libertin talentueux, ou fieffé scélérat débauché, Sade brille, dans sa tentative désespérée, de mettre à bas,
en tant qu'esprit libre et vagabond, un ordre social et religieux, en déclin à la fin du XVIII ème siècle. Son œuvre,
inspirée d'une conscience matérialiste de l'infini, déshumanisant les corps, explore les abîmes sombres de l'âme.
Il demeure un grand auteur, capable de nouveauté et d’audace, plaçant la littérature à la hauteur de son exigence.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Comment le châtiment de la flagellation a pris sa place dans l'alchimie érotique de la partition des plaisirs ?
De la naissance de la littérature "flagellante", à la multiplicité des études réalisées, en s'intéressant à la
psychiatrie des perversions, le goût du fouet s'est imposé comme objet spécifique, autonome de la sexualité
dans l'univers du sadomasochisme. La ritualisation attachée à ce châtiment, célébrant la pureté des sensations
extrêmes, la recherche de la cruauté et de la douleur, fait de lui, lors d'une séance S/M, dans cet art subtil et
cérébral,une étape incontournable vers la jouissance sublimée.
Défini comme un acte consistant à cingler le corps humain avec un fouet,des lanières, ou une tige souple,
le terme revêt une multiplicité de significations, religieuse, érotique,et disciplinaire, s'inscrivant dans un champ
sémantique, où sa compréhension sexuelle est pourvue de symboles,dans l'évocation imaginaire, de la verge
au flagelle.
Elle fut tout d'abord dans la religion une incarnation, utilisée comme un moyen de faire pénitence,
telle une expiation de ses propres péchés, parfois même ceux des autres, et se pratique encore, aujourd'hui
couramment dans certains ordres religieux ultra-catholiques.
Dans l'histoire,la flagellation précédant la crucifixion était un préliminaire à la condamnation.
Le nombre de coups portés très élevé pouvait alors conduire ni plus,ni moins, à la mort du supplicié.
Elle fut utilisée par nombre de civilisations,encore employée aujourd'hui dans certains pays, comme ceux
appliquant entre autres,la loi islamique, la charia.
Les Romains l'employaient comme châtiment corporel; la fustigation était une peine appliquée aux citoyens
ou aux affranchis jugée moins infamante,que la la flagellation appliquée avec un fouet,le flagellum, réservée aux
esclaves, dépourvus de citoyenneté, ayant commis des actes criminels,précédant dans la majorité des cas, la
la peine de mort. Dans l'Antiquité, elle était également le prélude à des jeux sexuels. L’histoire ancienne et les
mythologies abondent en illustrations.
Lors d'orgies, le premier des devoirs était de se martyriser en honneur de la Déesse.
Jetés dans une sorte d’extase par le recours à des danses frénétiques et autres stimulants,
les fidèles s’emparaient de son glaive pour s'automutiler, au plus fort de leur délire.
Les mêmes coutumes se retrouvent aux fêtes d’Isis, dont Hérode nous a laissé une peinture frappante.
À Rome, les fêtes des Lupercales semblables aux Bacchanales et aux Saturnales étaient l’occasion
d'épouvantables orgies. Les prêtres, brandissant leurs fouets, hurlant et criant de joie, parcouraient les
rues de la ville. Les femmes se précipitaient nues à leur rencontre, présentant leurs reins, les invitant
par leurs cris, à les flageller jusqu'au sang.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, la bastonnade réalisée avec une corde goudronnée, était une punition fréquemment pratiquée
dans les bagnes avant l'abolition de l'esclavage. En France, la flagellation dans le système pénal fut prohibée en 1830,
lors de l'avènement du Roi Louis Philippe. La dernière flagellation publique, fut administrée, sous Louis XVI, en 1786
à l'encontre de la Comtesse de La Motte, pour sa participation, dans l'affaire du collier de la Reine Marie-Antoinette.
De nos jours,la flagellation demeure une sanction pénale encore appliquée en Arabie Saoudite et en Iran.
En Littérature,l'œuvre du Marquis de Sade, dans "Justine ou les Malheurs de la vertu" (1791) décrit,
comme nous l'avons évoqué, au cours d'un précédent article, de nombreuses scènes de flagellation.
"Thérèse philosophe", ouvrage moins réputé, attribué à Jean-Baptiste Boyer d'Argens (1748) y fait largement écho.
Sous l'Empire, l'actrice Émilie Contat, très courtisée à l'époque, vendait ses charmes en fouettant ses amants
masochistes. Le sombre et intrigant,Ministre de la Police de Napoléon,Joseph Fouché, fut le plus célèbre de ses
clients, en fréquentant assidûment son boudoir.
Dans la littérature érotique, ce sont les œuvres de Von Sacher-Masoch, et les études de Von Krafft-Ebing,
fondateurs respectivement des concepts du "sadisme" et du "sadomasochisme" qui marquèrent les esprits.
"La Vénus à la fourrure" de Leopold von Sacher-Masoch, parue en 1870 fait figure de roman novateur.
les personnages Wanda et Séverin puisant dans la flagellation, leur source quotidienne de leurs jeux sexuels.
La flagellation chez Pierre Mac Orlan (1882-1970), auteur prolixe d'ouvrages érotiques, est largement présente.
Dans "La Comtesse au fouet, belle et terrible", "Les Aventures amoureuses de Mademoiselle de Sommerange",
ou "Mademoiselle de Mustelle et ses amies.",enfin dans "Roman pervers d'une fillette élégante et vicieuse",
récit de l'apprentissage cruel dans l'asservissement sexuel d'une très jeune fille.
De même, on retrouve des scènes de flagellation, chez Apollinaire dans "Les Onzes Mille Verges" (1907)
chez Pierre Louys en 1926, dans "Trois filles de leurs mère."
Le roman "Histoire d'O" (1954), étudié précédemment, comporte de nombreuses scènes de flagellation.
Plus proche de nous, la romancière, Eva Delambre, dans "Devenir Sienne" (2013), fait du fouet l'instrument de
prédilection de Maître Hantz. Il en est de même dans "Turbulences" (2019), son dernier ouvrage.
Diversifiée dans sa ritualisation, sa gestuelle et son symbolisme, très présente dans l'univers du BDSM,
la flagellation se définit aujourd'hui, comme une pratique autonome, de la recherche de la jouissance.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Histoire d'O de Pauline Réage est certainement l'un des romans les plus controversés du XX ème siècle.
L'ouvrage porte en effet, tel un stigmate, l'étiquette, dans son cas assez problématique, d'érotique, voire
même de pornographique, ce qui a eu, et ce qui a hélas encore pour conséquence d'attirer un certain lectorat
amateur de sensations émoustillantes souvent déçu par "l'inconcevable décence" du texte, et de repousser un
autre lectorat, académique qui se permet alors d'en critiquer la moralité en négligeant injustement la forme.
Toutefois, dans des zones médiates, un autre lectorat pourrait produire une nouvelle lecture peut-être moins teintée
de mépris ou d'excitation, et certains articles écrits sur "Histoire d'O" sont en ce sens tout à fait remarquables et
académiquement très riches, comme par exemple ceux de Léo Bersani ou de Brigitte Purkhardt, et en particulier
celui de Gaétan Brulotte qui met au jour les stratégies étonnantes d'une œuvre qui "apparaît comme un texte rusé,
détourné."
De la ruse à l'intelligence, il n'y a qu'un pas que franchira le lecteur averti dans une prospection poussée de la narration
subtile, réfléchie, maîtrisée et incontestablement, intelligente que nous a offerte Pauline Réage.
Mais qui sera le lecteur averti ? Il, ou elle, devra être capable de dépasser l'attirance ou la répulsion, ou simplement
la curiosité, provoquées par l'étiquette sulfureuse préalablement plaquée sur l'œuvre. Le lecteur averti ne pourrait,
par exemple, se permettre d'aborder et surtout d'analyser ce texte à travers certains filtres de subjectivité, de préjugé,
et d'opinion personnelle sur le faux problème de la moralité, douteuse dit-on, d'une histoire qui a dérangé et qui dérange
encore.
C'est d'une écriture de la plus haute qualité qu'il s'agit dans Histoire d'O, un récit qui nous montre finalement qu'il y a un
esclavage du texte et s'applique à en dévoiler les secrets, à en mettre au jour les limites, à en sonder les possibilités
transgressives.
En étudiant la structure narrative de ce récit, il est admirable de découvrir que la forme même de la narration prouve
qu'Histoire d'O possède une chair littéraire plus délicate que ne le perçoit en général l'opinion publique ou académique
Le roman a été écrit pour plaire et non pour provoquer ou repousser. Le récit utilise ainsi un nombre de ruses rhétoriques
qu'un texte pornographique courant ne le fait. Il est triste de constater une telle hostilité, pour ne pas dire une véritable
haine, envers une œuvre qui, au contraire, marque un tournant important de la littérature féminine, de sa libération.
Histoire d'O n'est pas un livre qui énonce des arguments faciles, mais au contraire qui pose des questions
complexes sur les relations entre hommes et femmes, d'une part, et sur l'écriture, en particulier féminine, d'autre part;
leurs réponses ne sauraient se limiter à un simple rapport de sadomasochisme. C'est peut-être l'un des plus beaux
romans écrits par une femme.
Sir Stephen est bien un meilleur maître que René qui n'apparaît jamais, et on le voit clairement quand on relit le livre,
comme un maître cruel, pas même comme un maître tout court. Il est au contraire assez insignifiant, à la limite de la
sensiblerie adolescente. Il refuse de fouetter O.
Le pouvoir qu'O gagne en devenant l'esclave de Sir Stephen, c'est celui de provoquer le désir, et même de se faire aimer,
d'un homme puissant en apparence qui valide en quelque sorte sa "désirabilité", en d'autres termes, qui la valorise.
Ce serait une erreur de penser qu'O est un être faible allant inexorablement vers la destruction, vers l'annihilation, car
au contraire d'aller vers le néant, le rien, elle va vers le tout.
Sa servitude apporte à O une force tranquille, un équilibre qui, au contraire de l'aliéner, la rend à elle-même, au respect
d'elle-même. Elle se sert donc de ces hommes, ceux de Roissy, René, Sir Stephen, pour s'élever, et sans aucun doute
s'élever au-dessus d'eux. Il faut être sensible au fait que ce sont les hommes, et les hommes seuls, qui n'ont pas droit à
la parole dans le roman, ce qui semble avoir été souvent manqué par la critique.
Si l'on accepte la domination d'O dans la narration, on ne peut plus la considérer comme le néant que représente son nom.
Elle ne peut être ce zéro, ou plutôt elle ne peut être uniquement cela. Beaucoup ont fait l'onomastique d'Histoire d'O et
certains ont trouvé des choses intéressantes. Pour certains auteurs, O est Ouverte, Obéissante, Objet, et Orifice.
O, c'est aussi le cercle, l'anneau trop petit que porte O à son annulaire, les anneaux des colliers et des bracelets,
eux-mêmes anneaux de cuir, puis de fer, mais aussi et surtout "l'anneau de chair", "l'anneau des reins", c'est-à-dire l'anneau
anal. Le cercle génère ainsi de multiples signifiants pour rejoindre irrémédiablement l'encerclement de la narration par le
narrateur qui commence et termine le récit en laissant la parole à O au milieu. O, à l'instar de la chouette dont elle porte le
masque à la fin du roman, est tout autant proie et prédatrice avec Jacqueline, et il serait faux de la réduire à un archétype
triste et sordide du sado-masochisme, qui n'est pas un terme satisfaisant pour exprimer l'œuvre de Pauline Réage.
O, objet, ou orifice, appartient à un autre monde, un monde mêlant inspiration ésotérique et talent littéraire.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"- Elle est à vous ? Oui, répondit René. Jacques a raison, reprit l'autre, elle est trop étroite,
il faut l'élargir. Pas trop tout de même, dit Jacques. A votre gré, dit René en se levant, vous
êtes meilleur juge que moi."
Désormais, huit jours durant, entre la tombée du jour où finissait son service dans la
biblothèque et l'heure de la nuit, huit ou dix heures généralement, où on l'y ramenait, quand
on l'y ramenait, enchaînée et nue sous une cape rouge, O porta fixée au centre de ses reins
par trois chaînettes tendues à une ceinture de cuir autour de ses hanches, de façon que le
mouvement intérieur de ses muscles ne la pût repousser, une tige d'ébonite faite à l'imitation
d'un sexe dressé. Une chaînette suivait le sillon des reins, les deux autres le pli des cuisses
de part et d'autre du triangle du ventre, afin de ne pas empêcher qu'on y pénétrât au besoin.
Au repas du soir, que les filles prenaient ensemble dans le même réfectoire, mais après leur
bain, nues et fardées, O la portaint encore, et du fait des chaînettes et de la ceinture, tout le
monde pouvait voir qu'elle la portait. Elle ne lui était enlevée, et par lui, qu'au moment où le
valet Pierre venait l'enchaîner, soit au mur pour la nuit si personne ne la réclamait, soit les
mains au dos s'il devait la reconduire à la bibliothèque. Rares furent les nuits où il ne se
trouva pas quelqu'un pour faire usage de cette voie ainsi rapidement rendue plus aisée, bien
que toujours plus étroite que l'autre. Au bout de huit jours aucun appareil ne fut plus necessaire
et son amant dit à O qu'il était heureux qu'elle fut doublement ouverte, et qu'il veillerait qu'elle le
demeurât.
Se lasserait-elle ? Non. À force d'être outragée, il semble qu'elle aurait dû s'habituer aux outrages,
à force d'être caressée, aux caresses, sinon au fouet à force d'être fouettée. Une affreuse satiété
de la douleur et de la volupté dût la rejeter peu à peu des berges insensibles, proches du sommeil
ou du somnambulisme. Mais au contraire, le corset qui la tenait droite, les chaînes qui la gardaient
soumise, le silence son refuge y étaient pour quelque chose, comme aussi le spectacle des filles
livrées comme elle, et même lorsqu'elles n'étaient pas livrées, de leur corps constamment accessible.
Chaque jour et pour ainsi dit rituellement salie de salive et de sperme, de sueur mêlée à sa propre
sueur, elle se sentait à la lettre le réceptacle d'impureté".
Hommage à Pauline Réage. (Histoire d'O)
Le mot ???? est un nom propre d’origine hellénique. Aujourd’hui, il existe sous la même forme dans la
plupart des langues européennes. Dans l'univers de l’Antiquité grecque, se dégagent clairement trois
origines; afin d'en étudier la genèse, un portrait chronologique facilite la compréhension de l'évolution
étymologique contribuant à nuancer l'orthographie selon la tabulation. La première source historique
est la cosmogonie de l'Éros de Protogène, peintre grec du IV ème siècle av. J.-C.
Selon la Théogonie d’Hésiode, le monde a été créé à partir de quatre principes, Khaos (la déchirure),
Gaia (La Terre), Tartaros (Les Ténèbres) et, enfin, Éros. Seul ce dernier est suivi d’une courte description
"[…] Erôs, le plus beau d’entre les Dieux Immortels, qui rompt les forces, et qui, de tous les Dieux et de
tous les hommes, dompte l’intelligence et la sagesse dans leur poitrine." Eros est décrit par ses épithètes:
le plus beau Kallistô, parmi les dieux immortels pouvant relâcher les membres et dominer la pensée et la
volonté de toutes les divinités et de tous les hommes.
Éros cosmogonique est beau, universel et tout-puissant (il contrôle le corps, la pensée et la volonté).
Il apparaît comme un intermédiaire entre la déchirure et la création, en agissant sur les divinités et les
êtres humains. Il s’agit d’une force primaire, d’une source d’harmonie dynamique, ce qui ne détermine pas
pour autant son caractère amoureux et son désir, qu’il soit positif ou négatif. Ce qui est souligné est son
caractère à la fois dynamique et esthétique. Il n’est pas personnifié et n’a pas de filiation. Sa deuxième
apparition, dans le même texte, se produit au moment de la naissance d’Aphrodite, une jeune fille née des
parties génitales d’Ouranos, jetées dans la mer. Cela peut être interprété comme une autre fonction d’Éros.
Accueillant Aphrodite, née de l'écume des mers, Éros et Himéros (on souligne sa beauté) prennent sens
concret et, eux-aussi, président aux entretiens, aux sourires, aux séductions, au charme, à la tendresse,
aux caresses. Le double caractère d’Éros et l’introduction de l’élément féminin seront repris dans plusieurs
interprétations dont la représentation picturale la plus fameuse est la scène, peinte par Botticelli vers la fin
du XVe siècle, où les deux jumeaux inséparables Éros et Himéros apparaissent.
La seconde origine peut être apportée par la philosophie. C’est la première interprétation de la cosmogonie,
et une éloge à une certaine conception d’Éros, perçue alors comme une source de connaissance. Éros est plutôt
traité comme une métaphore des différentes conceptions de l’Erôs (????), traduit "amour" en français.
Les exemples les plus connus sont le discours de Pausanias et celui de Socrate, dans Le Banquet de Platon,
où l’on présente une vision dialectique d’erôs, selon laquelle il existe deux types d’Erôs,comme il y a deux types
d’Aphrodite. L’Érôs céleste, qui symbolise l’amour entre les hommes et cherche un absolu, est pris comme modèle
tandis que l’Érôs vulgaire, qui ne fait pas de distinction entre les sexes, est condamné. Socrate, à son tour,
propose une échelle de types d’Érôs: charnel, spirituel, esthétique et divin. L’ouvrage de Platon a influencé la
postériorité occidentale.
Le troisième Éros est le nom d’un personnage mythologique. Il est présenté comme le fils d’Aphrodite,
de Polymnie ou de différents couples: Porus et Penia (Socrate), Hermès et Artémis, Hermès et Aphrodite,
Arès et Aphrodite, Zéphyr et Iris ou Aphrodite et Zeus. C’est le mythe d’Éros, fils d’Arès et d’Aphrodite,
qui a eu le plus de succès. Aussi, Éros devient-il anthropomorphe. L’image de son corps (jeune homme nu, ailé),
ses attributs (arc et flèches) et même son caractère "glykypikros eros", Éros aigre-doux selon Sapho commencent
à se préciser. Les poètes et les artistes de l’époque hellénistique ont contribué à une multiplication et à une
spécialisation des divinités appelées "Érotes". Dans la plupart des cas, ils étaient représentés en duo
(Éros et Himéros) ou en trio (Éros, Himéros, Pothos).
Éros pouvait devenir malin, selon les flèches dont il disposait. Quelle que soit sa parenté, Éros est présenté
comme un jeune homme ailé, tenant parfois une cithare. Après Alexandre le Grand, il est de plus en plus représenté,
dans les épigrammes, comme un garçon ailé, muni d’arc et de flèches, avec parfois les yeux bandés.
La même reproduction d’Érotes s’est maintenue, dans la civilisation romaine, sous le nom de Cupidon (ou Amoretti)
puis reprise dans la tradition occidentale.
Ainsi dans la mythologie grecque, Éros et erôs ont été utilisés, dès le début, par diverses disciplines de la pensée
humaine. Le sens du premier Éros, était polymorphe à l'origine mais comportait déjà les notions de force et d’esthétique.
C’est par analogie avec Aphrodite que sa fonction et son image ont été déterminées. De divinité primordiale il est
devenu "Érotes". Son sens s’est limité au domaine de l’amour et il est devenu aphrodisiaque.
En résumé, il y a trois domaines pour Éros: la cosmogonie, la philosophie et enfin les arts et la littérature. Étant donné,
la graphie changeante, la version avec omega étant la plus répandue dans les textes que nous connaissons aujourd’hui,
il serait difficile d’imaginer une distinction nette dans le lexique entre Éros, nom propre d’une divinité et erôs,
nom commun désignant les relations entre les êtres humains, traduites en français par "amour." C’est un cas
d’intraduisibilité entre la langue grecque et la langue latine. Cela a eu des conséquences dans toutes les langues
européennes qui ont cherché à le retranscrire pour l'adopter.
Quand le nom est devenu générique, son usage s’est adjectivé à partir de la seconde forme, ????.
C’est pourquoi dans la langue française, on écrit "erôs" avec l’accent circonflexe pour marquer l’oméga
d’origine grecque. L’adjectif signifie, d’une manière générale, "de l’erôs" ou "qui est provoqué par l’erôs."
On parle d’un hasard/rencontre (suntuxia), d’une chanson (melos), d’un discours (logos), d’une force (dynamis)
érotique. Même si l’adjectif était déjà utilisé par Platon et par Aristote, l’un des premiers ouvrages à utiliser cette
forme dans le titre est le "????????" (erotikos) de Plutarque, comprendre "De l’amour".
Chez Plutarque, erôs est présenté comme l’amour mental et Aphrodite comme l’amour physique.
Après la civilisation grecque, c’est la civilisation romaine qui adapte l’adjectif grec ???????? (erotikos), ce qui donne
en bas latin eroticus/erotica/eroticum. Cependant un autre mot est un apport étymologique romain: le mot sexe.
Il est utilisé pour la première fois par Cicéron dans son "De inventione". Sexus vient de sectus, sectare qui signifie
"séparé, coupé." Le mot a, dans les siècles suivants, un succès énorme et ce, jusqu’à nos jours. En même temps,
un autre terme latin a permis de décrire les relations d’amour, amor ainsi que ses dérivés, les adjectifs amatorius
amatoria, utilisé par Ovide dans son "Ars Amatoria."
Dans la langue française, le mot "érotique" apparaît vers le milieu du XVIe siècle. Son premier emploi ne faisait
allusion ni à la sensualité ni à la sexualité. D’une manière globale, il concernait l'univers littéraire traitant de l’amour,
dans la poésie, les odes ou les hymnes érotiques. Par extension, le même terme pouvait être utilisé pour parler des
arts, des artistes ou des genres.
O, objet, ou orifice, appartient à un autre monde, un monde mêlant inspiration ésotérique et talent littéraire.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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L'inconnu, qu'elle n'osait toujours pas regarder, demanda alors, après avoir passé la main sur
ses seins et le long de ses reins, qu'elle écartât les jambes. Juliette la poussa en avant, pour
pour qu'elle fût mieux à portée. Cette caresse, qu'elle n'acceptait jamais sans se débattre et
sans être comblée de honte, et à laquelle elle se dérobait aussi vite qu'elle pouvait, si vite
qu'elle avait à peine le temps d'en être atteinte, et qu'il lui semblait sacrilège que son amante
fût à ses genoux, alors qu'elle devait être aux siens, elle sentit soudain qu'elle n'y échapperait
pas, et se vit perdue.
Car elle gémit quand les lèvres étrangères, qui appuyaient sur le renflement de chair d'où part
la corolle intérieure, l'enflammèrent brusquement, le quittèrent pour laisser la pointe chaude
l'enflammer davantage; elle gémit plus fort quand les lèvres la reprirent; elle sentit durcir et se
dresser le membre qui l'étouffait, qu'entre les dents et les lèvres, une onde aspirait, sous
laquelle elle haletait. L'inconnu la quitta d'un brusque arrachement et lui aussi cria. Dans un
éclair, Charlotte se vit délivrée, anéantie, maudite. Elle avait accomplit la fellation avec un
recueillement mystique. Le silence soudain l'exaspéra. Elle était prise.
Elle comprit enfin que le membre qui la pénétrait était un olisbos dont Juliette s'était ceint la
taille. Avec un vocabulaire outrageusement vicieux, elle exigea d'elle qu'elle se cambre
davantage, qu'elle s'offre totalement pour qu'elle puisse être remplie à fond. Elle céda à
l'impétuosité d'un orgasme qu'elle aurait voulu pourvoir contrôler; c'était la première fois
qu'une femme la possédait par la seule voie qui soit commune avec un homme. Juliette
parut subitement échauffée; elle s'approcha d'elle, la coucha sur un lit, écarta ses jambes
jusqu'au dessus de son visage et exigea qu'elle la lèche. Ses cuisses musclées s'écartèrent
sous la pression de sa langue. Elle s'ouvrit davantage et se libéra violemment dans sa
bouche. Charlotte ne sentait plus que le collier, les bracelets et la chaîne, son corps partait à
la dérive. Elle s'endormit dans la chambre tapissée de toile de Jouy.
Hommage à Charlotte.
Poète, essayiste et romancier, André Pieyre de Mandiargues entreprit dès 1934 l’écriture de ses
premiers textes poétiques qui ne furent publiés en recueil qu’en 1961 sous le titre "L’Âge de craie".
Né à Paris le 14 Mars 1909 et mort le 13 Décembre 1991; après la Seconde Guerre mondiale, au cours
de laquelle il publia son premier livre, dans les années sordides (1943), il se lia avec André Breton et fréquenta
les surréalistes, mais son imaginaire, empreint d’onirisme et d’érotisme, son écriture, à la fois précieuse et
singulière, échappèrent néanmoins à leur influence.
Également proche du milieu de la NRF de Jean Paulhan et Marcel Arland, André Pieyre de Mandiargues
entretint des correspondances très suivies avec nombre d’écrivains. Dans ses nouvelles ou romans parmi
lesquels "Soleil des loups" (1951), "La Motocyclette" (1963) ou "La Marge" (1967, prix Goncourt), l’auteur
déploie un univers insolite, envahi de fantasmes où se mêlent des obsessions liées au désir et à la mort.
Il écrivit également quelques pièces de théâtre, mais surtout de nombreuses études sur des peintres,
Léonor Fini, De Pisis ou Chirico dont la plupart, à travers des essais sur la littérature ou d’autres
"choses vues", rassemblées dans trois oeuvres, les "Belvédère" (1958, 1962, 1971).
Grand amateur d'érotisme, il a préfacé la plupart des œuvres de Pierre Louÿs et possédait une impressionnante
collection d'objets, jouets et photographies pornographiques anciens. L'une de ses nouvelles fut également adaptée
comme "sketch" avec Fabrice Luchini, dans le film érotique "Contes immoraux" de Walerian Borowczyk en 1974.
Les deux seuls romans d’André Pieyre de Mandiargues, "La Motocyclette"? et "La Marge" traduisent une expérience
fantasmatique du corps singulière. Les héros des deux romans partent: leur voyage a un but érotique mais au cours
d’une fantastique ambulation, ils trouvent la mort. Les personnages principaux, respectivement, Rébecca Nul et
Sigismond Pons se rencontrent tous deux alités, lors d’une sieste ou à l’aube, dans un état de conscience transitoire,
une situation de veille et de rêve indistincts. Ils sont enfermés dans la solitude de leur corps et, dès l’abord, celui-ci
paraît un monde.
L’espace crée l’illusion référentielle (de nombreux détails décrivent, dénotent le réel voyage de l’auteur à la frontière
espagnole ou à Lauterbourg) et les thématiques de l’adultère et du voyage caractéristiques des deux romans laissent
présager péripéties et rebondissements hautement romanesques. Pourtant, dans les chambres d’hôtels,
dans le labyrinthe citadin barcelonais, sur les autoroutes alsaciennes, les personnages font des pauses, sortes
d’arrangements avec le temps romanesque, et posent tels des gisants. Et si Mandiargues présente le temps comme
l’élément définitoire essentiel de ses romans, c’est que le rendre imaginaire et sans orientation précise est fondamental
à la structure spatio-temporelle onirique qui fonde l’originalité de son écriture romanesque.
Pour construire un temps imaginaire, le poète détruit le temps de la division et de la succession, un paradoxe pour
un roman, qui plus est un roman qui décrit un voyage érotique au profit d’un espace de la fréquence, de la superposition,
de l’accumulation d’images identiques. Le temps imaginaire n’admet pas d’être marqué, il tourne en rond, se répète,
se superpose; finalement il est annihilé et le temps de la décharge, de l’orgasme n’arrive jamais ou ne compte pas,
et se conte peu.
Cette expérience fantasmatique de la spirale, d’une constante identification des choses du monde extérieur et du corps
propre, sous-tend de nouvelles perceptions, une hyperesthésie dans un rapport d’infusion et d’effusion, d’aspiration et
d’expiration. La femme est feuille quand elle entend son bruissement, fleur quand elle sent son parfum. Cette tentative
de donner corps au symbole dans les romans n’est pas éloignée d’un imaginaire et d’un érotisme féminins faits de
rêves excessifs de diffusion et de morcellements.
Le roman est une étoffe tissée par l’auteur pour protéger, renforcer un corps aux frontières incertaines, aux surfaces
éclatées. Grâce au pouvoir de la métaphore et au rythme romanesque, l’angoisse de la mort marquée dans les textes
par la crainte que l’animé ne devienne inanimé est dépassée.
Surréaliste des marges, André Pieyre de Mandiargues laisse une œuvre dont on a exploré jusqu’ici essentiellement
l’aspect fantastique, le caractère théâtral ou encore l’écriture visuelle et picturale.Il fut également un grand voyageur.
L'Italie conserve un rôle fondamental dans la constitution de son œuvre et de ses traits les plus marquants.
C’est incontestablement dans les relations avec les arts visuels italiens que l’œuvre et l’écriture mandiarguiennes
puisent leurs racines les plus profondes. Sans cesser sa quête du fantastique, Mandiargues suit quelques pistes
essentielles depuis la Renaissance jusqu’aux artistes les plus contemporains.
Les récits mandiarguiens, composés comme des tableaux, organisés chromatiquement de manière très consciente,
dominés par le rêve et l’érotisme, recréent activement le musée italien de l’auteur, et dans le même temps désignent
les modèles et les mécanismes de cette recréation, suivant en cela l’une des grandes caractéristiques du maniérisme.
L’art baroque est une autre des fortes suggestions de l’art italien au cœur de l’œuvre. Privilégiant un baroque tardif,
excentré, luxuriant, comme celui des Pouilles ou de Venise, Mandiargues en retient surtout la beauté convulsive
chère aux surréalistes, la métamorphose, ou le spasme en action et pourtant figé dans la statue.
Les intenses relations nouées avec des artistes contemporains viennent confirmer les pistes suivies depuis le passé
dans l’art italien: avec Léonor Fini, qui a été un autre de ses guides majeurs, Mandiargues a longuement partagé
des goûts et des pratiques esthétiques.
L’érotisme paraît le moteur de l’écriture de Pieyre de Mandiargues, comme le sens de la fin: une pulsion/expulsion
rassemblant des surfaces ouvertes et éclatées. Il rédigea une très élogieuse préface du roman "Emmanuelle".
La divagation pour sa mémoire n’est-elle pas, par excellence, un sujet de roman ?
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Même si le texte anticipe celui du "Troisième belvédère" d’environ dix ans, son contenu aborde le même sujet.
Ce qui change c’est la perspective. Ici, la réflexion est menée afin d’élaborer un avis positif du roman de
Pauline Réage. Ainsi, Mandiargues, utilise-t-il "éros" comme synonyme d’"érotisme" et non comme le nom d’un
personnage mythologique ou bien en faisant allusion à la pulsion freudienne. De même que dans l’essai précèdent,
Mandiargues se plaignait de la mode du mot "érotisme."
En 1958, l’écrivain était plutôt pessimiste par rapport à son avenir: " […] il va connaître un mauvais destin, le pire
dont les mots soient capables et tristement devenir passe-partout. Galvaudé bientôt, il n’aura plus d’éclat, presque
plus de sens."
L’écrivain propose sa vision car "en vérité, le seul moyen de s’entendre est d’admettre qu’il existe un éros blanc
et un éros noir." Le premier règne sur l’amour tandis que le second gouverne l’érotisme. Comme si c’étaient le paradis
et l’enfer ou le jour et la nuit, la frontière entre ces deux éléments est floue et reste perméable. Mandiargues est intéressé
par cette interzone évoquant des images "d’un chemin discret", "de ces tunnels", "de ces galeries secrètes" qui unissent les
deux mondes. L’érotisme dans sa dimension spatiale serait de couleur noire et c’est cet aspect chromatique que l’écrivain
cherchait à développer. Comme dans l’essai précédent, Mandiargues proposait une définition ambiguë.
Il laissait une grande marge d’interprétation dans sa conception de l’érotisme. Or, la symbolique du noir peut être interprétée
comme une allusion au démon, au deuil, à la mort, à la nuit, aux ténèbres, à la tristesse, etc. Il est possible d’imaginer que
cette polyvalence était un effet qui ne déplaisait pas à Mandiargues.
Comme exemple de cette conception, Mandiargues revient à sa lecture préférée sur ce sujet, l’Histoire d’O de
Pauline Réage, pour en faire l’éloge, la distinguant de la médiocrité des romans semblables qui ont recours fréquemment
aux exercices du corps. Mandiargues apprécie l’usage de cette machinerie de la destruction de la chair à condition qu’elle
entraîne le dédoublement symbolique indispensable à l’érotisme.
Les tortures et les supplices que l’héroïne doit subir se mêlent aux déclarations d’amour pour son amant. Du point de vue
du contenu, même si l’auteur a fréquemment recours aux scènes de rapports sexuels violents et de fouettements jusqu’au
sang, elles sont équilibrées par des monologues intérieurs d’O. L’héroïne veut garder à tout prix l’amour de son amant
et découvre sa capacité à subir les plus diverses épreuves. Le narrateur semble expliquer le sens de l’oeuvre:
"Sous les regards, sous les mains, sous les sexes qui l’outrageaient, sous les fouets qui la déchiraient, elle se perdait dans
une délirante absence d’elle-même qui la rendait à l’amour, et l’approchait peut-être de la mort".
Il semble que, dans le contexte de l’essai de Mandiargues, Histoire d’O de Pauline Réage fonctionne comme la preuve
d’une application de la dualité de l’éros blanc et de l’éros noir dans un texte littéraire. Il est d’autant plus fascinant qu’à
l’époque, on jugeait impossible que ce soit un roman écrit par une femme. O est traitée comme objet dans les jeux
sadiques de René, Sir Stephen et ses amis.
La perte que Mandiargues évoque dans son essai retrouve son équivalent dans le livre de Réage; O passe des mains
de René, à celles de Sir Stephen, ensuite à celles d’Anne-Marie et finalement au Comandant. Tout comme le mentionne
Mandiargues, il s’agit d’une métamorphose et d’un déguisement qu’il faut subir au moment de l’entrée dans l’espace
de l’érotisme.
Sa réflexion sur le roman de Pauline Réage était l’une des premières dans la discussion publique suscitée par sa
publication en juin 1954. Pour Mandiargues, elle constituait également une sorte de déclaration négative, un démenti
concernant l’auteur anonyme du livre. La confusion a été provoquée par la présence d’un masque de chouette qui apparaît
dans la scène finale du roman, un objet décrit par Mandiargues dans "Les Masques" de Léonor Fini publié trois ans plus tôt.
Quant à l’analyse de l’oeuvre, Mandiargues n’a pas eu le moindre doute que l’auteur était une femme.
Connaissant sa position en faveur des femmes-artistes, c’était encore un argument pour en faire une louange.
Ce qui ne semble pas être tout à fait clair, c’était sa position critique selon laquelle Histoire d’O n’était pas, à proprement
parler, un livre "érotique."
Selon Mandiargues, il s’agissait plus d’un véritable roman et même d’un roman mystique où le niveau spirituel domine
le niveau charnel. La soumission aux tortures et aux humiliations du corps n’est considérée que comme le passage à
un au-delà. La présence du vocabulaire religieux qui décrit l’état d’O témoigne de cette préoccupation à sacraliser
le corps. Il voyait dans les auteurs érotiques, comme Sade des moralistes. D’autant plus que les livres érotiques se
ressemblent tous du point de vue de la morale: "ou bien ils travaillent à bâtir une morale révolutionnaire, ou ils sont un
écho de celle de leurs temps, contre laquelle ils protestent."
Il est intéressant d’observer que Mandiargues changea d’avis de 1955 à 1975 et considèra l’Histoire d’O comme
une grande oeuvre de la littérature érotique. Ce changement le conduit même à défendre en quelque sorte Emmanuelle,
un autre livre érotique très important dans l’histoire de la littérature féminine française.
Ce roman, écrit dans l’esprit anti-bataillien, a été résumé ainsi par Mandiargues:
"Sa conception de l’érotisme est optimiste, radieuse, rayonnante, à l’image d’un édifice affirmant la gloire de l’homme
dégagé de la glèbe et de servitudes anciennes. Que je sois d’accord avec elle en tout cela, non, mais sa jeunesse
et son bel élan sont bien sympathiques, et sa culture mérite assurément qu’on la distingue parmi les auteurs réputé
de mauvaise compagnie."
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Tout en reconnaissant la place très importante que l’érotisme a dans son oeuvre, Mandiargues remarquait
qu’il fallait chercher l’origine de sa présence dans son passé. Par "époque antérieure", il comprenait son enfance,
son adolescence, sa jeunesse et les goûts en matière de lecture, d’art et d’autres domaines qui se cristallisaient en
lui pendant cette période. Quant à la narration, Mandiargues avouait que c’est très volontiers qu’il s’égarait sur le plan
érotique. Il préferait parler de sexe.
Ce qui rendait Mandiargues perplexe, c’était le contraste entre la mode, chose périssable, dont jouissait l’érotisme
à la fin des années 1960 et une vitalité si grande qui devrait s’affirmer dans le temps à venir, étant donnée sa liaison
avec les organes les plus essentiels de l’être humain. Cette contradiction lui faisait venir à l’esprit une définition tragique
de Georges Bataille. D’après lui, ce spécialiste sans lequel, à l’époque, il était impossible d’envisager la théorie de
l’érotisme, "voulait voir dans l’érotisme l’approbation de la vie jusque dans la mort." Il suffit de s’arrêter sur le verbe
"voir" remplacé par "voulait voir", pour pressentir que son avis n'était pas tout à fait le même que celui de Bataille.
Ainsi, une formule fréquente est à l’origine de la création (née de l’inconscient comme dans le surréalisme) qui allait au-delà
de la poésie et de la narration. C’est pourquoi Mandiargues définissait l’érotisme comme "un moteur puissant", comme s’il
s’agissait d’un mécanisme qui aurait besoin d’un ressort dynamique. À partir de l’idée du thème transformée ensuite en
source d’inspiration, l’écrivain allait jusqu’à le définir comme un état d’âme.
Mandiargues estimait que cette application superficielle du contenu érotique fut le défaut des Français pendant longtemps.
Il ne voulait préserver que les oeuvres exceptionnelles, comme le roman de Guillaume Apollinaire "Les Onze mille verges."
Bien qu’il puisait dans le sadisme, le sadomasochisme et d’autres pratiques perverses, ce type inédit d’exploit littéraire ne
s’éloignait pas de la poésie. Ce dont, d’après Mandiargues, est exempte l’oeuvre de Sade, qu’il citait comme contre-exemple.
Bien que le divin marquis demeurait à ses yeux un grand héros de la littérature française, il prenait des distances avec la
totalité de sa production. Comme il le soulignait:
"Sade est très loin de l’amour. Sade appartient à un monde qui s’éloigne de nous."
L’érotisme de Mandiargues était donc élitaire, esthétique, culturel, avec une composante lyrique sous-jacente.
D’après Pieyre de Mandiargues, la proposition de Bataille restait valable pour la plupart des écrivains érotiques
modernes. Il reste à savoir si l’auteur de "La Marge" se sentait partie intégrante de ce groupe. Étant donné le contexte
de l’époque (1969) et l’intérêt croissant pour la sexualité, Mandiargues reprenait à la manière de Bataille un trait très
important de l’érotisme, à savoir, celui de contribuer à la renaissance des catégories littéraires "un peu éculées
et ternies."
À cet endroit, Mandiargues évoquait son maître Gustave Flaubert qui lisait les romans de Sade pour leur contenu érotique.
De cette manière, il expliquait que parfois la lecture des livres érotiques inspire les artistes à travailler l’originalité du texte.
Ce n’est pas parce que le texte franchit ou abat les barrières de la pudeur ou de la morale sexuelle qu’il devient transgressif.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Dans les films pornographiques, le SM sert de support à l'expression des fantasmes de puissance.
Sa mise en scène frise souvent le grand guignol. Pourtant, loin d'être une pratique fantaisiste, il traduit dans
la sexualité une tendance du psychisme à osciller entre domination et soumission. Qu'actualise-t-il ?
Quel en est le désir sous-jacent ?
Douleur et plaisir sont des sensations. Elles s'incarnent et permettent très tôt dans l'enfance de donner un espace
au corps. Celui-ci se construit comme espace sensible traversé de perceptions tantôt déplaisantes, tantôt plaisantes.
Le corps que nous sommes est initialement délimité par ces expériences. Le plaisir est tiré de la satisfaction des
besoins tandis que le déplaisir provient de leur frustration. Au départ, le plaisir est lié à la survie tandis que le déplaisir
indique une situation de danger vital. Il précède une possible disparition du sujet. Il se rattache donc à la mort.
Plaisir et déplaisir sont donc respectivement articulés aux pulsions de vie et pulsions de mort.
Le plaisir lorsqu'il survient recouvre la sensation désagréable précédente. C'est l'expérience d'une tension déplaisante
qui indique quel est le besoin à satisfaire : la faim, la soif, … Leur résolution procure du plaisir. L'expérience désagréable
est donc nécessaire à l'avènement du plaisir. Il est donc possible d'érotiser la douleur en prévision du plaisir qui viendra
lors de son apaisement.
De plus, le sentiment d'indignité à l'œuvre dans le masochisme rend possible l'émergence d'un partenaire qui viendra
le contredire. Le masochiste appelle donc un objet qui, en l'avalisant dans cette position, lui permet de prendre du plaisir.
C'est le masochiste qui crée le sadique, attirant sur lui ses foudres, le masochiste est en situation d'être porté et secouru.
Ce secours peut prendre la forme d'une punition. L'autre, même s'il punit, s'occupe du masochiste, il répond à une tension.
Cette structuration est explicite dans le troublant film de Michael Hanecke: " La Pianiste."
Lors des pratiques SM, nous percevons un passage à l'acte sexuel des tendances psychiques. La sexualité confronte
à des représentations du corps qui touchent aux couples propre/sale, bien/mal. Certaines parties du corps sont ainsi
honteuses et attirantes (sexe, anus)Toutes pratiques sexuelles oscillent alors entre attirance et dégoût, douleur et plaisir.
Dans le SM, cette alternance devient l'objet visé par la pulsion. La mise en œuvre sexuelle du masochisme réalise
le fonctionnement psychique inconscient. Cette tendance est universelle. Nous faisons tous l'expérience de certaines
douleurs ambigües jusqu'au plaisir: la petite plaie muqueuse sur laquelle on passe inlassablement la langue,
la petite peau avec laquelle nous jouons. Ces expériences révèlent notre attrait pour la douleur et la manière dont
nous nous en rendons maître. Posséder la douleur c'est s'autoriser à la transformer, à la renverser en jouissance.
Le sadisme a, lui, une connotation négative dans nos sociétés. Il réfère à un acte délictueux, là où le masochisme
correspond à une position de victime. Hors des situations pénalement condamnables, le couple sado-masochiste
est pourtant indissociable. Le sadique est convoqué par le masochiste qui détient le pouvoir. Il est maître de l'acte.
C'est lui ou elle qui fixe le début et la fin des hostilités. Le sadique n'est alors qu'un artifice, un outil du masochiste.
Il se plie à son besoin de soumission et le rend possible.
Les rapports fondés sur la force et le pouvoir voire la violence sont courants dans la vie quotidienne.
Nous les retrouvons dans de nombreux systèmes hiérarchisés (entreprise, milieu scolaire, famille, …)
Certains individus y sont dominés tandis que d'autres y sont dominants. La position adoptée dépend de la structure
névrotique des êtres. Celle-ci est toujours liée au pouvoir, c'est-à-dire au rapport au phallus, le détenir, l'envier,
le vouloir, le perdre.
Le SM n'est donc pas une perversion mais plus l'expression dans la vie sexuelle de mouvements inconscients
ordinaires. Dans une certaine mesure en mettant en jeu les désirs les plus profonds, ces pratiques pimentent
la sexualité et ne posent généralement aucun souci puisqu'elles sont fondées sur un profond respect et une écoute
soutenue de l'autre. En effet, le SM actualise et réalise une part des désirs inconscients informulés des partenaires.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir
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Sacher Masoch est loin d’être l’initiateur de la théorie dont il s’est fait le défenseur, à laquelle il a donné son nom
et qui proclame que rien n’est si enviable que d’être frappé par l’être aimé: cette théorie de la jouissance dans la douleur,
par la flagellation ou l'algolagnie, comme l’appellent les Allemands, a de tout temps existé, de tout temps elle a eu des
adeptes et des défenseurs.
Parfois la douleur infligée ou subie et purement morale, c’est l’abnégation de soi-même envers l’être aimé;
mais le plus souvent cette abnégation va jusqu’à solliciter l’infliction de souffrances physiques pouvant aller jusqu’à la mort.
Cette forme d’érotisme n’est pas purement passive, elle et aussi active, car celui qui inflige la souffrance prétend souvent
éprouver autant de jouissance que celui qui la subit.
L’histoire ancienne et les mythologies abondent en exemples semblables: Bacchus et les Ménades, Hercule et Omphale,
Circé et les compagnons d’Ulysse, Attis et Cybèle, les sacrifices à Moloch et à Baal, Thomyris la reine des Massagètes,
Sémiramis fouettant les princes captifs devenus ses amants, Samson et Dalila, Salomon lui-même et ses nombreuses
femmes, qui en étaient réduites à le piquer pour exciter sa virilité; Phéroras, le frère d’Hérode, se faisait attacher et frapper
par ses esclaves femelles, si nous en croyons Josèphe.
À Rome, les fêtes des Lupercales, semblables aux Bacchanales et aux infâmes Saturnales, étaient l’occasion
d’orgies épouvantables: les prêtres, brandissant leurs fouets, hurlant et criant de joie, parcouraient les rues de la ville;
les femmes se précipitaient hors des maisons à leur rencontre, présentant leurs épaules et leur gorge et les invitant par
leurs cris à les frapper. Par la pratique de ces superstitions, les femmes croyaient augmenter leur fécondité et être ainsi
plus agréables à leurs maris; elles étaient tellement pénétrées de cette croyance que l’usage de ces flagellations
solennelles persista pendant tout l’empire romain et même jusque sous les papes.
Le christianisme, lui aussi, pour établir son influence, dut avoir recours à l’antique usage du fouet, non plus pour éveiller
des désirs érotiques, mais au contraire pour maintenir l’homme dans la voie du devoir.
Les cloîtres et les prisons employèrent le fouet, pour mater les novices se révoltant contre les règles de leur ordre,
ou terrifier les malfaiteurs s’insurgeant contre la société.
Chacun a entendu parler de la reine Margot, qui, après s’être divertie la nuit avec de jeunes galants, les faisait torturer
et précipiter en Seine du haut de la tour de Nesles.
Brantôme, Boccace, Pogge, l’Arétin, Restif de la Bretonne, citent fréquemment des cas de flagellation.
Quant au trop fameux marquis de Sade, son nom est, chez nous, le synonyme même de ce genre d’érotisme.
La belle princesse Lubomirski faisait mettre à mort ses amants, après leur avoir fait subir les plus cruels tourments,
lorsque ces malheureux, accablés de jouissances, ne pouvaient plus répondre à ses séductions de sirène.
À Paris, on a de tout temps pratiqué le "jeu de l’esclave." Beaucoup de gens de la société s’y adonnaient.
Ce jeu consistait à se faire fouetter tout nu par une dégraffée, et il arrivait fréquemment que le naïf patient se donne
inconsciemment en spectacle à la galerie.
On pourrait à l’infini citer des exemples semblables de pré-masochisme, et bien que dans la Vénus à la fourrure,
Léopold de Sacher Masoch ait, en quelque sorte, tracé une partie de son autobiographie, les personnages de Séverine
et de Wanda ont eu, de tout temps, de nombreux précurseurs.
Désormais, la flagellation n'a plus l'air qu'elle avait alors. La pratique flagellatoire, diversifiée dans ses gestes, les désirs
et les symboles qui s'attachent aujourd'hui à elle, ne suffit plus à définir une modalité particulière du jouir. Elle ne cesse
pas de rejouer ce moment, lointain à présent qui l'a vue naître comme sexualité spécifique; produit des jeux amoureux
organisant les formes du plaisir. Elle est devenue une jouissance autonome qui se joue des jouissances instituées.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Monte, dit-il. Elle monte." Toute la dialectique d’Histoire d’O de Pauline Réage, classique de la littérature érotique
est contenue dans cette simple première injonction. Un ordre, sans explication, une soumission, sans interrogation,
ni inquiétude, O embarque avec son amant. Elle le suit confiante, s’en remet entièrement à lui, quelque soit la destination,
quelque soit l’issue.
Histoire d’O, c’est cela au fond, l’histoire d’une femme qui accepte de se donner, de se livrer entièrement au nom
de et pour l’amour. C’est même pour elle la définition même de l’amour: ce don intégral, cet abandon total, absolu tant
physique que psychique, à l’être aimé, ce "maître", ce "Dieu."
C’est ainsi qu’elle éprouve la satisfaction de se sentir désirée et possédée, Pauline Réage, (pseudo de Dominique Aury,
née Anne Desclos) invente et propose ici une vision inédite des rapports amoureux, à total contre-courant des discours
en vigueur (en particulier féministes) et de nos idéaux culturels romantiques. Une entreprise audacieuse et risquée
dans un contexte d’après-guerre où dominent encore une morale puritaine et une vision traditionaliste de la femme.
Histoire d’O aurait été écrit comme une lettre d’amour par l’auteur pour son amant Jean Paulhan (directeur de la NRF),
qui la délaissait. L’ouvrage d’abord passé inaperçu en 1954 (paru en même temps que "Bonjour tristesse" de Sagan
qui l'éclipse, mais aussi du "Thérèse et Isabelle", autre roman érotique de Violette Leduc qui l’éclipse, à laquelle l’auteur
voue d’ailleurs une grande admiration) a ensuite émergé à la faveur du prix des Deux magots en 1955.
Il sera vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde et traduit dans une vingtaine de langues.
Succès qui ne manque bien sûr pas de déclencher la polémique, accusé d’être le roman de la soumission féminine
ou encore surnommé de livre intolérable par Mauriac.
On pourrait résumer très facilement le célèbre Histoire d’O. Quelques lignes suffisent, Une jeune parisienne, dont on ne
sait rien et dont on apprendra bien peu au fil des pages, est conduite, par son amant (René), un beau jour par surprise dans
un mystérieux château à Roissy (lieu choisi par hasard par l’auteur).
Elle y subira tous les sévices et outrages avant de devenir officiellement "l’esclave" de son amant qui la "donnera" ensuite
à son meilleur ami, l’inquiétant et fascinant Sir Stephen, qui finira également par l’abandonner.
Voici pour le fond, mais c’est bien sûr la forme qui est primordiale dans ce court récit composé de quatre
parties et d’une fin alternative. Cette forme et ce style lui donnent toute son intensité et recèlent de plusieurs niveaux
de lecture passionnants.
Pauline Réage ne s’embarrasse pas de préambule ou d’introduction à ses personnages et à l’intrigue,
elle entre immédiatement dans le vif (dans tous les sens du terme !) du sujet. O, dont on ne connaît même pas le prénom,
est conduite au château par son amant. Ce début direct ne manque pas d’interpeller le lecteur en entretenant le mystère.
Il faudra attendre la 2e partie pour avoir quelques indices sur la vie et l’identité de l’héroïne.
Cette construction et en particulier la première partie rappelle celle d’un rêve, d’un fantasme éveillé,
ce qui était d’ailleurs l’intention de l’auteur. Paulhan le compare lui à un conte de fée en postulant que les contes de fée
sont les romans érotiques des enfants. Au lieu de s’épuiser après la première partie particulièrement forte et marquante,
l’auteure parvient à poursuivre son intrigue avec cohérence en orchestrant un crescendo dans "l’apprentissage" d’O
allant jusqu’à sa déchéance, ou "son élévation" selon le point de vue que l’on adopte.
C'est ensuite l’art de la mise en scène de Réage qui captive. Avec un goût du détail et une richesse sensorielle,
elle nous plonge dans l’ambiance de ce château d’un genre particulier, ses rites, ses règles (l’interdiction de croiser
les jambes ou de fermer tout à fait les lèvres en signe d’offrande perpétuelle, ne pas regarder les hommes du château
au visage…), ses costumes (les femmes sont notamment vêtues comme des servantes du XVIIIe siècle avec de longues
jupes bouffantes et des corselets serrés) et les matières (la soie craquante, le linon, les bas de nylon noir, la jupe en faille
noire, la robe de satin vert d’eau, les mules vernies à hauts talons qui claquent sur le carrelage,…) ou encore son mobilier
de boudoir très étudié (la grande cheminée, les fauteuils club en cuir, la porte en fer forgé, le dallage noir…).
Elle s’attarde également à la description des rituels de préparation d’O qui renforcent l’action qui va suivre: le bain,
le maquillage érotique, la pointe et l’aréole des seins sont rosies, "le bord des lèvres du ventre rougi", le parfum longuement
passé sur la "fourrure des aisselles et du pubis", Bref, c’est un récit très théâtral.
Elle accorde aussi une grande importance à la description technique et précise des instruments de sévice,
"un fouet de cordes assez fines, qui se terminaient par plusieurs nœuds et étaient toutes raides comme si on les avait
trempées dans l’eau", "un fouet de cuir fait de six lanières terminées par un nœud", ainsi qu’aux postures d’attachement
aux poteaux, aux crochets des murs à l’aide d’anneaux, de chaînettes.
Ils deviennent presque des parures ce qui fait dire à O par exemple que son amie "serait plus belle avec un collier et des
bracelets de cuir." ou encore "que les coups et les fers allaient bien à Yvonne."
Ce sont enfin les marques de violence qui s’impriment sur les corps qu’elle restitue avec acuité: les sensations des cordes
sur la peau tendre à l’intérieur des cuisses, les balafres, boursouflures de la peau, les "marques fraîches" de cravache sur
les reins, "de belles zébrures longues et profondes." Ces marques sont autant de preuves d’amour tangibles à ses yeux.
Une belle imagination pour dire sans dire, même si cela peut aussi agacer ou frustrer certains lecteurs qui aimeraient plus
de direct. Une écriture tactile qui rappelle celle de Colette parfois. Elle nous fait ressentir toutes les sensations charnelles:
"la banquette en moleskine glissante et froide qu’elle sent se coller sous ses cuisses", "sur un tabouret elle sent le cuir
froid sous sa peau et le rebord gainé de métal au creux même de ses cuisses."
C’est encore la description très sensible de la beauté féminine (O est bisexuelle) à travers notamment le portrait
de Jacqueline, un mannequin dans le studio photo où elle travaille: "Tout en elle sentait la neige: le reflet bleuté de
sa veste de phoque gris, c’était la neige à l’ombre, le reflet givré de ses cheveux et de ses cils: la neige au soleil.
Elle avait aux lèvres un rouge qui tirait au capucine, et quand elle sourit, et leva les yeux sur O, O se dit que
personne ne pourrait résister à l’envie de boire à cette eau verte et mouvante sous les cils de givre."
Etre enchaînée, fouettée puis marquée aux fers ne sont finalement que des métaphores, des actes symboliques
pour exprimer ce désir d’appartenance (appartenir à l’être aimé), synonyme d’amour, tapi, consciemment ou non,
en chaque femme. Il est intéressant de suivre le cheminement psychologique ambivalent d’O pour le réaliser.
D’abord interloquée, troublée, elle tente de comprendre "l’enchevêtrement contradictoire et constant de ses
sentiments" et son goût inattendu pour le supplice, "la douceur de l’avilissement."
Ce n’est pas la douleur qu’aime O mais c’est ce qu’elle représente et plus particulièrement ce que les gestes
de son Amant représentent. "Elle ne souhaita pas mourir mais si le supplice était le prix à payer pour que son
amant continuât à l’aimer."
Tout est donc avant tout le fruit d’une interprétation intellectuelle: "O sentait que sa bouche était belle, puisque
son amant daignait s’y enfoncer… " ou encore "Oserait-elle jamais lui dire qu’aucun plaisir, aucune joie, aucune
imagination n’approchait le bonheur qu’elle ressentait à la liberté avec laquelle il usait d’elle, à l’idée qu’il savait
qu’il n’avait avec elle aucun ménagement à garder, aucune limite à la façon, dont sur son corps, il pouvait
chercher son plaisir."
La sanction est plus floue quant au deuxième récit, qui se présente comme une suite, et dont O. reste l’héroïne,
"Retour à Roissy" précédé d’un texte qui éclaire les "circonstances" des deux romans, une partie de la biographie
amoureuse de l’auteur. "Suite" en réalité ne convient pas. Dans sa très belle postface, Pieyre de Mandiargues
pose la question, faisant remarquer que "Retour à Roissy" est peut-être un chapitre, initialement retiré, d’Histoire d’O,
ou encore que l’auteure a proposé, juste avant la table des matières, une autre fin au livre, dans laquelle O. se donne
la mort, interdisant ainsi toute suite.
Quoi qu’il en soit, d’un récit à l’autre, nous passons de l’équateur à l’Arctique, et le lecteur qui attendrait de trouver dans
le second les mêmes descriptions érotiques que dans le premier serait déçu, "Retour à Roissy" ne décrit plus dans le détail
les scènes sexuelles, mais dit le fait, jusqu’à réduire O. à une fiche anthropométrique.
Cette mutation théorique signe le changement de position subjective d’O. (et probablement de l’auteure).
Dans Histoire d’O, René, son amant, cède O. à sir Stephen, O. change alors d’objet d’amour, et elle se dévoue corps
et âme à la perversion de sir Stephen parce qu’elle l’aime. Elle se prête, plutôt qu’elle ne se donne, aux fantasmes de son
nouvel amant, elle les anticipe même, ou les complète.
Dans "Retour à Roissy", le tableau change, parce que l’amour d’O. se trouve miné
par une question qu’elle ne peut éliminer. Maintenant qu’elle est à Roissy, dans un bordel de luxe dont sir Stephen est
manifestement un des actionnaires, sinon le propriétaire, O. n’est plus sûre que, quand elle est livrée à d’autres hommes,
ce soit pour le "plaisir" de son amant.
O. sait désormais qu’elle est une marchandise, et que les flagellations qu’elle a subies étaient non pas pour satisfaire
la libido de son amant, mais des moyens pour ajouter de la valeur au produit qu’elle était devenue, objet sexuel silencieux.
"Retour à Roissy" est ainsi le récit d’un questionnement en cours qui cependant n’aboutit à aucune décision, même après
l’assassinat probablement commis par sir Stephen pour des motifs mafieux d’un homme, Carl, auquel il l’avait livrée.
Le livre s’achève sur un non-lieu: O. est libre de quitter Roissy, mais le fera-t-elle ?
"Les pages que voici, écrit-elle en exergue, sont une suite d’Histoire d’O, Elles en proposent délibérément la dégradation,
et ne pourront jamais y être intégrées." Ces mots tirent, pour l’auteure, la conséquence qu’O. n’a pas tirée: vanité,
pour une femme, de se consacrer à la satisfaction du fantasme imputé à l’homme qu’elle aime, parce que cet homme,
quel qu’il soit et même si son amour pour cette femme reste intact, est irréductible à la dite satisfaction.
Pauline Réage ouvre l’espace pour elle-même d’une jouissance qui ne se laisse pas chausser par la castration.
Sa soumission peut devenir passivité sans qu’il soit besoin d’un maître pour en garantir la qualité.
Jouissance de l’Autre à jamais Autre, et non pas de l’Autre réduit à l’Un.
Ainsi se nouent, une fois encore grâce aux lettres, l’impossible du fantasme et l’immortalité de la libido.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir
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