Méridienne d'un soir
par le 02/11/19
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"On ne vous bandera les yeux que pour vous maltraiter, pour vous fouetter. À ce propos, s’il convient que vous vous accoutumiez à recevoir le fouet, comme tant que vous serez ici vous le recevrez chaque jour, ce n’est pas tant pour notre plaisir que pour votre instruction » Histoire d'O
Un sombre voile de plaisir recouvre la flagellation depuis l'orée des temps.
Les antiques raffolaient déjà du fouet.
Lors de cérémonies rituelles, ils l'utilisaient pour invoquer les divinités afin de rendre les femmes fertiles.
Dans la Rome Antique, le culte de Junon, protectrice des femmes, leur commandait le fouet, afin de lutter contre la stérilité.
Lors de la fête des Lupercales, après le sacrifice d'un bouc par les Luperques, prêtres de Faunus, deux jeunes pages
le visage couvert du sang de l'animal, armés de lanières, fouettaient des femmes souhaitant devenir fécondes.
Le culte de Diane chasseresse donnait lieu également à de véritables concours de fouettage.
De même, la flagellation était prescrite par Hippocrate comme remède contre l'impuissance masculine.
De nombreux textes anciens relatent avec lyrisme les liens entre douleur et jouissance.
Ainsi, Hérodote décrit, non sans poésie, des scènes de flagellations érotiques au cours des fêtes d'Isis,
où tous les fidèles munis de fouet se frappaient jusqu'à l'extase.
Pas de fêtes orgiaques sans rituels du fouet, lors des Dyonisies en Grèce ou des Bacchanales à Rome.
Plus tard, de célèbres dévots éprouvèrent en se meurtrissant les effets stimulants du fouet.
Henri III , dernier Roi valoisien (1574 à 1589) , grand pénitent mais aussi voluptueux raffiné,
aimait à se "tourmenter les chairs", en compagnie de ses mignons.
Sade, étudié précédemment, en fit, dans l'intégralité de son œuvre , l'un de ses instruments de jouissance de prédilection.
Comment la flagellation a-t-elle pris place dans l'art du jouir ?
Selon Freud, le masochisme, est une perversion sexuelle suivant laquelle la satisfaction est liée à la souffrance,
ou à l'humiliation subie par le sujet soumis.
L'envie de fouetter ou d'être fouetté proviendrait de la connexion directe entre plaisir et déplaisir.
Désir de faire souffrir la (e) soumise (s) ou l'esclave sexuelle (el), ou le sentiment opposé,
recherche de la douleur par la (e) flagellée (é) .
L'envie de se faire souffrir, ou masochisme, serait la forme de perversion la plus répandue.
L'attrait pour la flagellation, selon le psychanalyste, viendrait de la fixation, au cours de l'enfance, d’une correction punitive
mêlée à une jouissance.
Le sadomasochisme représentant alors la satisfaction liée à la souffrance ou à l'humiliation subie par un sujet dépendant.
Des comportements érotiques exacerbés conduiraient à une pratique sexuelle employant la douleur
par la flagellation pour parvenir à la jouissance.
Un sadique étant toujours un masochiste, selon le neurologue autrichien, le flagellant prend plaisir à fouetter, aurait pour partenaire,
un flagellé recherchant l'extase sous le fouet.
Dans une relation D/S entre un dominant et un dominé, un Maître et un esclave, ou un masochiste et un sadique.
La représentation religieuse de la flagellation l'associe à l'expiation d'une faute commise en vue de se punir de péchés.
La mortification de la chair, dans une recherche mystique d'accaparation des douleurs du christ,
permet de se rapprochant de Dieu.
Quel qu’en soient les origines, apparaît de façon sous-jacente l'union entre le corps et l'esprit.
En punissant, on veut faire entendre raison, en meurtrissant le corps, on pousse l'esprit à s'élever en se surpassant.
Les informations cérébro-dolorosives transmises au cerveau agissent comme des détonateurs forçant l'esprit.
Celui ci transmet à son tour au corps l'ordre d'endurer et de résister.
Ce schéma synaptique neuromusculaire se produit lors d'une séance de flagellation.
Plus clairement exprimé, la flagellation permet d'explorer le côté animal en transgressant les codes d'une sexualité classique.
Elle confronte ,les partenaires, à la vulnérabilité ou à la puissance, au cours de jeux de rôles sexuels extrêmes,
comme de puissants leviers d'excitation sexuelle.
La ritualisation, en particulier, la mise à nu de la soumise exacerbe l'érotisation de la préparation à la séance de flagellation.
Elle offre à son Maître, en signe d'offrande, le spectacle de sa nudité.
Libre à lui, de se livrer à un examen approfondi des parties corporelles à travailler.
Les yeux bandés et bâillonnée, elle est attachée avec des menottes, ou des cordes, sur du mobilier,
un carcan, un cheval d'arçon, le plus souvent, une croix de Saint-André.
S'infligeant une souffrance physique, le masochiste produit des endorphines, hormones sécrétées en cas d'excitation,
et de douleur.
Les endorphines ou endomorphines étant des composés opioïdes peptidiques endogènes secrétées par l'hypophyse et l'hypothalamus, lors d'activités physiques intenses, sportives ou sexuelles, d'excitation ,de douleur, et d'orgasme.
Elles s'assimilent aux opiacés par leur capacité analgésique et procurent une sensation de bien-être.
Lors d'une séance de flagellation, la douleur se transforme peu à peu en plaisir.
Elle procure un plaisir à la fois corporel et mental, pour la (e) sadique ou dominatrice (eur),comme pour la (e) masochiste,
ou soumise (e).
Les sensations de morsures, brûlures, et de douleurs précèdent toujours plaisir et jouissance.
La flagellée, par soumission et par volonté de se surpasser, atteint progressivement un état relatif de confort.
Son corps mobilisé secrétant des analgésiques ou euphorisants, elle supporte alors mieux la douleur quand approche l'orgasme.
Le secret de l'alchimie résidant dans l'expérience du Maître, dans sa technicité et sa maîtrise de l'art du fouet.
La caresse de la zone à fouetter, ou à pincer, au cours de la période d'échauffement, précède toujours la flagellation.
Le dépassement de soi, en continuant à subir ou à frapper, plus longtemps et plus fort, s'acquiert avec le temps.
À la douleur, s'associe le fantasme de la domination.
Véritable raffinement érotique, la flagellation, pratique fétiche, source de sensations corporelles voluptueuses,
est véritablement au cœur de la littérature érotique:
Plus de sept cents livres lui ont été consacrés entre 1890 et 1940.
Gustave Le Rouge, Louis Malteste, Hector France ou Pierre Mac Orlan la vénèrent en déifiant sa ritualisation.
Citons "La Voluptueuse Souffrance" de Max des Vignons (1930), "Coups de fouet" de Lord Birchisgood,
"Le magnétisme du fouet" de Jean de Villiot (1902),ou encore "Monsieur dresse sa bonne" (1996) de Georges Pailler,
dit Esparbec.
La flagellation, pratique autonome, est devenue aujourd'hui un symbole érotique incontournable de la domination.
Rappelons, avec force, que toute stimulation du corps par la flagellation, doit être librement consentie par des partenaires
majeurs et de préférence expérimentés lors d'une séance de soumission avec toujours le recours possible d'un safeword .
"Je porte les stigmates de la réalité de mon amour. J'aime contempler dans un miroir les traces que m'ont laissées
les épreuves endurées lors des séances de soumission à l'être aimé. Je détaille les éraflures,
et les stries qui zèbrent ma peau nacrée, et je revis les intenses moments d'abnégation. "Le lien" Vanessa Duriès.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
23 personnes aiment ça.
masque_gris
Magnifique développement intellectuel, sensuel et charnel de cette enivrante pratique. On y perçoit l'expérience du (des) vécu(s)...? Un régal de vulgarisation pour expliquer cette subtile ivresse. Merci.
J'aime 02/11/19
Katell
Un grand merci à vous pour cette vulgarisation qui me permet de découvrir ce type de torture que j'espère pratiquer un jour devant et derrière le manche... De plus les références livresque me promettent des lectures très intéressantes.
J'aime 02/11/19
Merci pour ce magnifique travail de recherche à la fois complet et synthétique. Vous faites bien de rappeler que le maniement du fouet est un art à maîtriser absolument avant de pratiquer; la caresse peut très vite devenir morsure. Dommage que ce soit le second volet (et donc pas de suivant). Au plaisir de vous lire sur un autre thème.
J'aime 02/11/19
Quatuor
Excellent article, documenté et clair. Merci. Je vois les choses légèrement différemment, avec sans doute une plus large part accordée à l'aspect moral, à l'importance de la punition, de l'expiation. Pas de désir sans Loi, pas de plaisir sans pêché, n'est-ce pas ?
J'aime 02/11/19
Cori Celesti
Un article très complet, et aussi plaisant à lire qu'instructif... Un grand merci ma chère, j'apprécie grandement vos écrits 1f642.png
J'aime 03/11/19
lulu
Merci pour cet article, Madame. Très complet et surtout plein de pointeurs pour de futures lectures.
J'aime 04/11/19
Quatuor
Chère Méridienne, Je me souviens de cet excellent film d'Eustache, "Une sale histoire", où le personnage principal se plaignait des jeunes femmes modernes en disant au sujet de leur sexualité : "Il faut leur rappeler que c'est un péché pour pouvoir jouir encore un peu".
J'aime 04/11/19
swanny33
Quatuor, pas de plaisir sans pêché ? A voir ! Personnellement mon plaisir est en grande partie dans la flagellation. Pas besoin pour ça de raison autre que celle du plaisir, à la condition quand même, que le Dominant, une fois la confiance installée, sache faire, ait du matériel de qualité et surtout, y prenne plaisir. Merci Méridienne d'un soir , vos articles sont toujours instructifs et neutres. J'attends la suite avec intérêt .
J'aime 04/11/19
swanny33
Merci Méridienne d'un soir . Vaste sujet en effet que la flagellation . Dommage que si peu de Dominants s'y intéressent dans une pratique purement maso qui fait pourtant partie intégrante du BDSM.
J'aime 04/11/19
Quatuor
swanny, ce n'est pas exactement ça...
J'aime 04/11/19
swanny33
Quatuor, pouvez vous m'expliquer votre point de vue SVP
J'aime 05/11/19
Quatuor
Swanny, je n'avais pas été lire ce forum depuis, donc Méridienne m'a signalé à juste titre que je ne vous répondais pas. Ce que je voulais dire, c'est que nous sommes des êtres moraux. Donc que la morale nous constitue et que la flagellation, par ce qu'elle représente (et Méridienne en a fait un historique assez limpide) ne peut pas ne pas être symboliquement liée à l'idée de faute et de punition. L'imaginer hors de ce champ, par exemple dans le cadre d'une liberté absolue des sens, me paraît étrange. D'abord parce que je ne crois pas qu'il y ait de liberté des sens ou, si vous voulez, de plaisir "per se". Dans son historique, Méridienne montre bien que la flagellation a été à la fois punition et méthode érotique. C'est le ET qui est important à mon sens. Mais ce n'est bien évidemment que mon humble avis 1f609.png
J'aime 07/11/19
swanny33
Merci pour votre réponse Quatuor, même si tardive ! Sourire. Nous ne vivons pas, fort heureusement scotchés au clavier. Je vous précise que la notion de plaisir liée à la flagellation m'est toute personnelle. Je n'ai pas besoin de l'idée de punition ou de rédemption, mais je suis peut être un OVNI et sort du cadre habituel j'en conviens. Il me manque cependant la bonne personne avec laquelle lier un lien particulier pour évoluer à deux. Par contre je vous rejoints en ce qui concerne l'origine symbolique. Dans le cadre du BDSM je pense que les choses ont évoluées et que l'on peut pratiquer le SM par plaisir sans vouloir être dans la D/S . Je vous confirme que les écrits de Méridienne d'un soir sont clairs, documentés et fort bien écrits. J'apprécie beaucoup. Bonne nuit
J'aime 09/11/19
Quatuor
Merci pour votre réponse, cher OVNI. Nous sommes tous un peu des OVNI, au sens où vous l'utilisez... et heureusement ! Je vais être un peu absent des jours-ci. Bon week-end !
J'aime 09/11/19
amister
Très intéressant, merci pour la lecture
J'aime 09/11/19
swanny33
Merci Quatuor, bonne fin de semaine à vous également.
J'aime 09/11/19
swanny33
Je vous en souhaite de même chère Méridienne d'un soir. Je sais , il est bien entamé mais l'intention est sincère.
J'aime 09/11/19
jeuxpiquants
Merci pour ce, comme toujours, superbe texte. Dans les usages flagellatoires non sexuels, j'ajouterai la pratique russe de se flageller en sortant du sauna : de branches, ou parfois de knout.
J'aime 10/11/19
jeuxpiquants
Par ailleurs, au delà du contact du cuir sur la peau, de l'ivresse des endorphines, je trouve qu'il y a une dimension symbolique à s'offrir au fouet qui n'est pas négligeable. Le lien furtif qui unit dominant et dominé dans la transmission d'une impulsion, coup de poignet qui va devenir rayonnement dans le corps qui subit, est une image forte et souvent une étape significative dans les relations BDSM.
J'aime 10/11/19
insolence
merci, bises
J'aime 15/01/20