Méridienne d'un soir
par le 27/10/20
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En 1672, les hostilités de la guerre de Hollande à peine commencées éclatait dans un Paris passablement
indifférent à des opérations militaires qui se déroulent au-delà des frontières un formidable et dévastateur
scandale révélateur à la fois des mœurs et de la mentalité de l’époque. Scandale il est vrai inévitable car,
depuis des années, Paris regorgeait de sorcières, d’empoisonneuses, de diseuses de bonne aventure, de
jeteuses de mauvais sort, de faux prêtres organisateurs de messes noires et autres devineresses dont la
clientèle se recrutait dans toutes les couches de la société, y compris les plus hautes. Philtres d’amour,
poudres de toute nature, décoctions des plus variées étaient proposés pour conquérir ou reconquérir un
amant ou une maîtresse, éliminer un adversaire ou un rival, jeter un sort en prenant le diable à témoin.
Dès que quelqu’un d’important mourait, on pensait immédiatement poison, comme ce fut le cas par exemple
au moment de la mort de Madame, de Lionne et de quelques autres. Après la condamnation de Fouquet,
des pamphlets anti-Colbert circulaient sous le manteau pronostiquant que des sbires du ministre ne
tarderaient pas à empoisonner le surintendant déchu dans sa prison de Pignerol. Les causes réelles de la
mort de Fouquet en 1680 n’ont d’ailleurs jamais été élucidées. Le ministre Colbert lui-même, qui souffrait
de violents maux d’estomac, fut très certainement victime de nombreuses tentatives d’empoisonnement.
Marie-Madeleine d’Aubray est née en juillet 1630. Elle est la fille de Dreux d’Aubray, lieutenant civil à Paris.
Elle naît dans une famille convenable, issue de la noblesse de robe, et reçoit une bonne éducation. Pourtant,
sa vie a vite fait de basculer, puisqu’elle est violée à l’âge de sept ans par un domestique. Ce drame, qui a
détruit son enfance et qui a sans doute considérablement joué dans la conduite de sa vie future lui a entretenu
une réputation sulfureuse, n’hésitant pas à lui prêter des relations incestueuses avec ses deux frères. En 1651,
Marie-Madeleine épouse Antoine Gobelin, qui deviendra bientôt marquis de Brinvilliers. Le couple dispose alors
de revenus considérables, avec notamment la propriété des seigneuries de Sains, Norat et Brinvilliers. Les
témoignages d’époque décrivent Marie-Madeleine comme une femme petite et très menue, avec de grands
yeux bleus, des cheveux châtains et des traits de visage réguliers. Son charme est sans nul doute renforcé par
son éducation, plus que correcte. En effet, l’étude de plusieurs lettres écrites par Madame de Brinvilliers montrent
une écriture soignée, en plus d’une très bonne orthographe. Au XVII ème siècle, ce n’est pas négligeable pour
une femme, d’autant plus que la majorité d’entre elles ne savent ni lire, ni écrire dans le milieu de la noblesse.
Marie-Madeleine se lie d’amitié avec Pierre Louis Reich de Penautier, trésorier des Etats du Languedoc, puis
receveur général du clergé à partir de 1669. On peut sans nul doute imaginer qu’elle apparaît comme une jeune
femme brillante aux yeux de la bonne société. Cependant, elle ne tarde pas à faire la rencontre de Gaudin de
Sainte-Croix, officier de cavalerie et ami de son époux, et ils deviennent rapidement amants. Antoine de Brinvilliers
pour sa part, dilapide peu à peu la fortune du ménage en jouant au jeu et en entretenant ses diverses maîtresses.
Le couple a néanmoins eut sept enfants, dont quatre illégitimes. Toutefois, si la conduite de son époux ne choque
pas outre mesure, celle de Marie-Madeleine ne tarde pas à offusquer son père. Au XVII ème siècle, l'adultère
masculin est largement toléré, mais il n’en est pas de même pour les femmes, qui se doivent d’avoir une conduite
irréprochable. C’est ainsi qu’en 1663, Dreux d’Aubray fait emprisonner Gaudin de SainteCroix à la Bastille.
Là, il fait la connaissance de l’Italien Exili, expert en chimie et en poisons. Une fois sorti, Sainte-Croix suivra les
cours du chimiste Christophe Glaser au Jardin Royal des Plantes. On peut imaginer la colère de Marie-Madeleine
lorsqu’elle apprend que son amant est emprisonné sur décision de son père. Lui en a t-elle voulu au point de le
faire mourir ? On ne sait pas réellement qui prit la décision, mais c’est vraisemblablement sous l’influence de son
amant que la marquise décide d’empoisonner son père. Elle compte ainsi se libérer de la tutelle paternelle mais
vise aussi l’héritage qui lui permettrait de renflouer ses dettes. Après la mort de sa femme, Dreux d'Aubray ne
s’est pas remarié et aucun document ne mentionne comment et par qui sont élevés les enfants. Le père lui, est
de plus en plus absent et quand il apprend par l’une de ses filles, Thérèse que Marie-Madeleine et ses frères
ont des relations sexuelles, il ne reproche absolument rien à ses fils. Marie-Madeleine lui en voudra toute sa vie.
Il faut savoir qu’à l’époque, le poison apparait comme une cause de décès difficile à déterminer, car la médecine
n’est pas encore assez développée. C’est pendant un séjour au château d’Offémont, en 1666, que Marie-Madeleine
avec la complicité d’un valet, administre du poison à son père, et ceci à diverses reprises. Pourtant, la succession
paternelle se révèle dérisoire. Peu importe, la marquise décide ensuite d’empoisonner ses deux frères, qui meurent
tous deux en 1670, à six mois d’intervalle. Quelques soupçons apparaissent néanmoins. Plusieurs domestiques
de madame de Brinvilliers rapporteront plus tard des situations incongrues auxquelles ils ont assisté malgré eux.
C’est ainsi qu’un soir, une servante du nom de Jeanne Blanchard, alors qu’elle vient prendre les ordres de sa
maîtresse, la trouve en compagnie du chevalier de Sainte-Croix. La marquise fait malencontreusement tomber une
petite boîte et s’exclame alors: "Oh! Ma boîte aux successions !" Sainte-Croix lui reproche alors son manque de
discrétion. Un autre jour, suite à un dîner où elle a un peu bu, Marie-Madeleine s’entretient avec une autre de ses
servantes, Edmée Huet et lui dit la chose suivante en lui montrant une petite boîte: "Voilà de quoi se venger de
ses ennemis, elle est pleine de successions !". Mais elle se reprend peu après: "Mon Dieu! Que vous ai-je dit ? Ne
le répétez à personne." Enfin, un jour où Marie-Madeleine s’entretient avec un certain La Chaussée, le valet qui
l'aida à empoisonner ses frères, elle est obligée de le cacher suite à l’arrivée improviste de Simon Cousté, le
secrétaire de l’un de ses frères. Tout ceci bien entendu, sous les yeux des domestiques de la marquise. En outre,
elle commet l’imprudence de se confier à de multiples reprises à Jean Briancourt, le précepteur de ses enfants.
D’après des témoignages ultérieurs, Marie-Madeleine aurait ensuite tenté d’empoisonner son époux Antoine de
Brinvilliers, sa sœur Thérèse, et même sa fille aînée. Ces dernières tentatives sont cependant sujettes à caution,
puisqu’elles ne sont pas prouvées. Ce qui est certain en revanche, c’est que la relation entre Marie-Madeleine et
et Sainte-Croix devient houleuse. Ce dernier prend alors soin de fermer dans une petite cassette des fioles et des
des lettres compromettantes de la marquise. Il y joint un mot. "À n’ouvrir qu’en cas de mort antérieure à celle de la
Marquise." D'amant, il était devenu maître chanteur avisé. Enfin, c’est en 1672 que meurt Jean-Baptiste Gaudin
de Sainte-Croix, dans son lit, et non pas dans son laboratoire comme le veut la légende. Marie-Madeleine, qui est
alors dans sa maison de campagne à Picpus n’a alors qu’une obsession, récupérer cette fameuse cassette qui
pourrait l’incriminer. Pourtant, elle échoue à récupérer son bien, et après que le sergent Cluet en ait découvert le
contenu, la marquise n’a d’autre choix que de s’enfuir, d’autant plus que le roi a lancé contre elle un mandat d’arrêt.
L’un des complices, La Chaussée, a été arrêté et sous la menace de la torture, a avoué tous les crimes en détail.
Marie-Madeleine se réfugie d’abord en Angleterre, avant de gagner Liège, où elle se cache dans un couvent. Une
servante restée fidèle, Geneviève Bourgeois, l’accompagne dans son périple. Colbert, ministre de Louis XIV, est
alors chargé d’une mission délicate, rapatrier la fugitive en France. C’est l’exempt de police François Desgrez, qui
déguisé, parvient à pénétrer dans le couvent et à faire arrêter madame de Brinvilliers. Désemparée, la marquise tente
à plusieurs reprises de se suicider, et se retrouve lors du retour sur Paris, sous une étroite surveillance. Marie-Madeleine
est ensuite enfermée à la Conciergerie, au dernier étage de la tour Montgomery. Son procès est assez long, puisqu’il
se déroule d'avril à juillet 1676. Confrontée à ses juges, la marquise nie tout et refuse de passer aux aveux. Il y a
pourtant contre elle des preuves à priori accablantes, une confession écrite de sa main où elle avoue des crimes
abominables, et où elle s’accuse entre autres des empoisonnements de son père et de ses frères, de sa relation
adultère avec Sainte-Croix précisant "d’avoir donné beaucoup de bien à cet homme et qu’il m’a totalement ruinée."
C’est Denis de Palluau, conseiller de la chambre du parlement de Paris qui est chargé de l’interroger et il commence
à le faire à Mézières avant de monter sur Paris. Le vingt-neuf avril 1676 commence son procès qui ne comportera pas
moins de vingt-deux audiences jusqu’au seize juillet. Des témoignages de servantes, de domestiques sont venus étayés
le procès à charge mené contre la marquise. À charge car elle n’a pas eu le droit d’être assistée par son avocat, Maître
Louis Nivelle, pendant les audiences. Pour lui, Marie-Madeleine a été entraîné malgré elle, par amour pour son amant,
par le chevalier Godin de Sainte Croix qui a profité de sa faiblesse pour lui ponctionner petit à petit toute sa fortune.
Briancourt, l’ancien précepteur des enfants et ancien amant de la marquise devenu avocat est arrêté afin de parler.
Le douze juillet, il raconte toutes les confidences que lui a faites la marquise. Elle, silencieuse, nie toujours les faits.
Et le matin du 16 juillet 1676, le verdict tombe. Condamnée à la peine capitale, elle devra avant d’être exécutée place
de Grève faire amende honorable devant la porte principale de Notre dame de Paris. Les juges lui épargnent d’avoir
le poing coupé, torture réservée au parricide. Condamnée à subir la question puis à être exécutée, mais de rang noble,
Marie-Madeleine se voit attribuer un confesseur, l’Abbé Edmond Pirot. Edmond Pirot, théologien, fut désigné par le
président de Lamoignon pour assister la Brinvilliers afin d'obtenir les renseignements que la justice n'avait pu obtenir.
Dans ses derniers jours à vivre, elle va alors faire preuve d’une grande piété et va manifester son repentir. On peut le
juger sincère, lorsqu’on relit le témoignage que Pirot écrivit par la suite. Bien sûr, la peur de la mort et de la justice de
Dieu ont certainement influencé la marquise. Elle accepte alors les aveux auprès de ses juges, demande aux gens de
la Conciergerie de prier pour elle. Elle écrit même une lettre à destination de son époux Antoine, lui demandant de veiller
sur leurs enfants qu’elle ne pourra pas revoir. Le jour de l’exécution est fixé le 17 juillet 1676. Marie-Madeleine fait
d’abord amende honorable devant le parvis de Notre-Dame, où elle avoue publiquement ses crimes. La foule est très
nombreuse, et la marquise craint de défaillir à chaque instant. Arrivée sur l’échafaud, elle demande à l’abbé Pirot, très
ému par le courage de la prisonnière, de rester à ses côtés jusqu’au dernier moment. Compte tenu de son rang,
Marie-Madeleine a d’abord la tête tranchée avant que son corps ne soit jeté au bûcher. Une grande émotion parcourt la
foule, si bien que dès le lendemain, les badauds n’hésitent pas à récupérer les cendres de la marquise, la considérant
comme une sainte. Le portrait que dressera l’abbé Edmond Pirot par la suite de la Marquise ira également en ce sens.
L’arrestation, puis l’exécution de la marquise mettent à jour l’une des affaires criminelles les plus retentissantes du règne
de Louis XIV, la fameuse Affaire des poisons. Terminons d’abord par le cas de Marie-Madeleine d’Aubray. Sa culpabilité
ne fait aucun doute. Cependant, en retraçant son existence qui ne fut pas toujours heureuse, on peut penser que son viol
alors qu’elle était enfant a laissé chez elle des séquelles psychologiques très importantes. Le rôle de Sainte-Croix n’est
pas non plus négligeable. Il mourut de sa belle mort en 1672 et ne répondit jamais de ses actes. Sa longue confession
que trouvèrent les autorités fut brûlée, par respect pour la religion. Pourtant, ce personnage peu glorieux a certainement
influencé sa maîtresse, en plus de mener un commerce actif des poisons. Car l’enquête qui suivra la mort de la marquise
de Brinvilliers mettra à jour un vaste réseau où les devineresses, apothicaires, alchimistes de tous genres, rentabilisant
leurs affaires en vendant leurs "poudres de succession." Cette affaire des poisons a compromis de hauts personnages,
la duchesse de Soissons, le financier Pierre-Louis de Penautier, ami de Madame de Brinvilliers et protégé de Colbert,
et même la marquise de Montespan, maîtresse officielle de Louis XIV, qui aurait eu recours aux services d’une dénommée
Catherine Deshayes, dite "La Voisin" pour des philtres d’amour et des messes noires. Toutefois, certains points de l’enquête
furent volontairement laissés de côté afin d’éviter un trop grand scandale. Beaucoup de gens de la noblesse compromis
furent exilés, d’autres ne furent même pas inquiétés. Quant à la Voisin, elle fut finalement brûlée vive en place de Grève.
En quelques mois, la façade majestueuse du règne du Grand Roi donna l’impression de se craqueler, révélant l’envers
sinistre du décor. Des siècles de christianisme n’avaient pas entamé le vieux fond de paganisme et de superstition issu des
temps les plus reculés, dans lequel se mêlaient les croyances les plus incongrues. Le lieutenant général de police, Gabriel
Nicolas de La Reynie s’aperçut avec effroi que la société française était largement infestée de ces sortes de crime alors
que la moralisatrice et prude Madame de Maintenon, surnommée "Madame de Maintenant" par les pamphlétaires, avait
remplacé la sulfureuse Madame de Montespan. Il en avait averti le roi. Afin de traiter ces procès sans publicité excessive,
celui-ci se garda de confier l’affaire au parlement de Paris, comme il l’avait fait maladroitement pour Madame de Brinvilliers.
Le sept avril 1679, il créa une juridiction extraordinaire, la chambre de l’Arsenal, présidée par un intègre magistrat, Louis
Boucherat, comte de Compans, et composée de magistrats dévoués et triés sur le volet. Cette chambre fut surnommée la
"Chambre ardente", en souvenir de ces juridictions médiévales qui délibéraient dans une salle tendue de noir, éclairée de
torches et de flambeaux. Le magistrat instructeur désigné fut le lieutenant général de police en personne, La Reynie.
Au cours des interrogatoires, les plus grands noms de la noblesse française furent cités. Olympe Mancini, comtesse de
Soissons, la princesse de Tingry, les duchesses d’Angoulême, de Bouillon, de Vitry, de Vivonne, le maréchal-duc de
Luxembourg, les ducs de Vendôme et de Brissac, la marquise d’Alluye, les marquis de Cessac, de Feuquières, la comtesse
du Roure, la vicomtesse de Polignac. Certains furent arrêtés, soumis à de rigoureux interrogatoires, comme le maréchal
de Luxembourg, la princesse de Tingry ou Marie-Anne Mancini, duchesse de Bouillon. Il fut même question un moment
d’incarcérer le poète Jean Racine, soupçonné d’avoir supprimé sa maîtresse, la comédienne Mademoiselle Du Parc.
Durant les trois années de son existence, la Chambre ardente tint deux-cent-dix séances, prononça trois-cent-dix-neuf
décrets de prise de corps, obtint l’incarcération de cent-quatre-vingt-quatorze personnes, rendit cent-quatre jugements,
dont trente-six condamnations à mort, quatre condamnations aux galères, trente-quatre bannissements ou amendes, et
trente acquittements. Tous les prisonniers ne furent pas jugés car, devant l’ampleur des révélations concernant la favorite,
Madame de Montespan, Louis XIV dut suspendre le déroulement des instances. En 1709, à la mort de La Reynie, le roi fit
brûler les dossiers contenant les faits particuliers concernant sa maîtresse. Heureusement, le lieutenant général de police
les avait résumés au préalable. Conservés à la Bibliothèque nationale de France, ceux-ci permettent aujourd’hui de voir
plus clair dans ce procès de grande envergure, devenu non seulement une affaire d’État, mais aussi le secret d'un roi.
Bibliographie et références:
- Alexandre Dumas, "La Marquise de Brinvilliers"
- Jean Imbert, "Quelques procès criminels des XVIIe et XVIII ème siècle"
- Paul Olivier, "Le Calepin d'Amour de la Brinvilliers"
- Madame de Sévigné, "Lettre du 17 juillet 1676"
- Armand Praviel, "Le Secret de la Brinvilliers"
- Irène Stecyk, "Une petite femme aux yeux bleus"
- Catherine Hermary-Vieille, "La Marquise des ombres"
- Nadine Monfils, "Les Fleurs brûlées"
- Jeanine Huas, "Madame de Brinvilliers"
- Jean-Christian Petitfils, "La marquise aux poisons"
- Agnès Walch, "La Marquise de Brinvilliers"
- Guillaume Lenoir, "La Marquise aux poisons"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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Méridienne d'un soir
Bonsoir mon ami MINETGRIS, l'affaire des poisons sous Louis XIV est passionnante. Bonne soirée à vous.
J'aime 27/10/20