Méridienne d'un soir
par le 27/10/20
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La vie et la mort de Marie-Antoinette et celle de Louis XVI ont alimenté des centaines de livres, et le
destin avorté du jeune Louis XVII, mort dans la prison du Temple sans monter sur le trône, a nourri les
imaginations les plus fertiles. De la longue existence de sa sœur, en revanche, on a souvent retenu des
anecdotes. Pourtant, celle dont l'histoire se souvient sous le nom de Madame Royale et que sa mère
surnommait "Mousseline la sérieuse", est également romanesque. Elle a quinze ans lorsque ses parents
sont guillotinés alors qu'elle ignore tout de leur sort, et cette jeune fille triste et solitaire va traverser avec
dignité tous les soubresauts politiques de la France révolutionnaire, impériale ou de la restauration. Elle
mourra en Autriche en 1851, exilée par la II ème République de ce président Louis-Napoléon Bonaparte
qui s'apprête à devenir Napoléon III. Marie-Thérèse-Charlotte de France, fille de Louis XVI, emprisonnée
au Temple depuis 1792, devient, après la mort de son frère Louis XVII le 8 juin 1795, un objet de compassion.
De nombreux articles, des brochures demandent à la Convention nationale sa libération, entraînant un
véritable mouvement de l’opinion publique en faveur de la princesse. À travers romances et articles, cette
princesse devient une héroïne romantique. Cependant, au-delà de cet aspect sentimental, la louange
de Madame Royale cache une condamnation de la Révolution. Ce mouvement en faveur de Marie-Thérèse
n’était en effet pas dû au hasard. Le personnage de Madame Royale a contribué à unir modérés et
royalistes dans la lutte qui les opposait à la Convention nationale et qui déboucha sur le 13 vendémiaire.
Marie-Thérèse Charlotte de France naît à Versailles le 19 décembre 1778. Sa naissance est très attendue
puisqu’il s’agit du premier enfant de la reine Marie-Antoinette. Déception, ce n’est qu’une fille. Louis XVI
ne s’en montre pas contrarié et la jeune mère estime qu’un fils "eût plus particulièrement appartenu à l’Etat"
et que sa première-née "ne lui en sera pas moins chère." Baptisée le jour même, la princesse reçoit les
prénoms de sa grand-mère, l’Impératrice Marie-Thérèse, et celui de son parrain, le roi Charles III d’Espagne,
ainsi que le titre de “Madame Royale”. Logée dans l’aile des Princes, la petite Marie-Thérèse compte plus
de vingt personnes à son service. La plus importante n’est autre que Victoire-Armande de Rohan-Soubise,
princesse de Guéméné, gouvernante des enfants de France. Cette charge est dans la famille depuis cinq
générations et son arrière-arrière-grand-mère, la duchesse de Ventadour, a probablement sauvé la vie
de Louis XV lorsqu’il avait deux ans, en le choyant très particulièrement et en l'éloignant de la variole.
Lorsqu’elle met au monde le dauphin le vingt-deux octobre 1781, Marie-Antoinette annonce à Mme de
Guéméné qu’elle “reprend sa fille”, ayant fait son devoir envers la France. La gouvernante sera remplacée
en 1782 par la duchesse de Polignac, amie de la reine. Ainsi, la souveraine espère pouvoir prendre en main
l’éducation de sa fille. Âgée de quatre ans, Marie-Thérèse se montre déjà réfléchie si bien que son oncle,
le comte d’Artois, la surnomme ” Mousseline la Sérieuse”. Malgré le fait que Marie-Antoinette s’intéresse
à ses enfants plus que ne l’ont fait les reines de France avant elle, Madame Royale manifeste très vite de
l’antipathie pour sa mère. En 1783 alors que la souveraine fait une grave chute de cheval qui aurait pu la
tuer, la petite princesse affirme qu’elle en aurait été contente et que, libérée de sa mère, elle aurait pu faire
tout ce qu’elle souhaitait. En grandissant, elle développe un caractère difficile, accompagné d’une fierté
que sa mère juge trop excessive. Marie-Antoinette s’implique toujours dans l’éducation de Madame
Royale. Celle-ci est douée pour la lecture, a une excellente mémoire et montre un certain goût pour
les arts en particulier pour le piano. C’est une élève appliquée au grand contentement de ses parents.
On songe très vite à de futurs projets de mariage pour elle: l’héritier du trône de Suède, futur Gustave IV
ou encore François de Bourbon-Sicile, fils aîné de la reine de Naples Marie-Caroline, sœur préférée de
Marie-Antoinette. Mais la reine de France semble privilégier pour sa fille le duc d’Angoulême,fils aîné du
futur Charles X, cousin de Madame Royale. De cette façon, Marie-Thérèse n’aurait pas à se séparer de
sa famille pour vivre dans une cour étrangère sans amis où certains pourraient lui être hostiles. En 1788,
on donne à la princesse une nouvelle compagne de jeu, la petite Marie-Philippine Lambriquet que la reine
surnomme Ernestine. Du même âge que Madame Royale, la fillette vient de perdre sa mère qui était
femme de chambre de Marie-Thérèse. La mort du dauphin, en juin 1789, peine énormément Marie-Thérèse.
À cette époque, la Révolution est en marche. Madame Royale n’a pas encore onze ans. Son adolescence
ne sera pas pour elle une période d’insouciance et elle grandira dans la tourmente révolutionnaire.
Le 20 janvier 1793, Louis XVI est condamné à mort. Les adieux à sa famille le soir même sont déchirants.
Le roi est guillotiné le lendemain à 10h20. Son petit frère devient Louis XVII mais en juillet de la même année,
les municipaux arrachent l’enfant-roi à sa famille. Le 7 octobre, Madame Royale qui est pour la République
que Thérèse Capet est confrontée à son frère qui a affirmé à son gardien que sa mère et sa tante ont commis
l’inceste avec lui. Sa sœur niera toutes les accusations portées contre Marie-Antoinette et Madame Elisabeth.
La reine est transférée à la Conciergerie le 2 août 1793. À plusieurs reprises, Marie-Thérèse demandera à
être réunie avec sa mère. Elle ignore encore que celle-ci est déjà morte. Au Temple, c’est désormais sa tante,
Madame Elisabeth, qui s’occupe d’elle. Après la mort de Robespierre en juillet 1794, la princesse reçoit la
visite de Barras et les conditions de captivité s’améliorent. On lui apporte du linge et Laurent, gardien de
Louis XVII assure également la surveillance de Madame Royale qui lui reconnaît beaucoup de gentillesse.
Après la mort de son frère, le 8 juin 1795, on songe à échanger la fille de Louis XVI contre des prisonniers
républicains retenus en Autriche. En attendant que les pourparlers aboutissent, on donne à la princesse une
jeune femme pour lui tenir compagnie, Mme de Chanterenne que Marie-Thérèse surnommera affectueusement
“Rénette”. C’est à elle que revient la lourde tâche d’annoncer à Madame Royale la mort de sa mère, de sa
tante et de son frère. Pour tous les français, Marie-Thérèse est “l’orpheline du Temple”. Le 26 décembre 1795,
elle passe en Autriche, dans la famille de Marie-Antoinette, où elle restera trois ans. Conformément aux
souhaits de sa mère, Madame Royale épouse son cousin, le duc d’Angoulême, le 10 juin 1799. S’en suit un
long exil pour les Bourbon. Marie-Thérèse ne revient en France qu’en 1814 lorsque son oncle monte sur le
trône sous le nom de Louis XVIII. Elle rappelle symboliquement à tous les horreurs de la Révolution.
Avec le retour de Napoléon durant les Cent Jours, en mars 1815, la famille royale doit de nouveau s’exiler.
Marie-Thérèse est la seule qui aurait montré un peu de résistance face à l’empereur des français qui dira de
la princesse qu’elle est “le seul homme de la famille des Bourbon”. Bien que Marie-Thérèse s’entende bien
avec son époux, elle ne parviendra pas à tomber enceinte. En 1824, Louis XVIII meurt, laissant le trône à
son frère, Charles X. La duchesse d’Angoulême devient la dernière dauphine de France. En 1820, son
beau-frère le duc de Berry est assassiné, laissant deux enfants dont Marie-Thérèse s’occupera comme une
mère après le départ de la leur. En 1830, Charles X abdique en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux.
Durant quelques minutes, entre la signature du roi et celle du duc d’Angoulême, Marie-Thérèse est reine
de France, et son époux, Louis XIX. Après la mort de Charles X en 1836, la duchesse d’Angoulême soutient
son neveu le duc de Bordeaux, Henri V pour les légitimistes espérant qu’il monte un jour sur le trône de ses
ancêtres. Veuve en 1844, Marie-Thérèse s’éteint le 19 octobre 1851 d’une pneumonie, chez son neveu,
au château de Frohsdorf en Autriche. Elle avait soixante-douze ans. Elle est inhumée dans un monastère
franciscain à Kostanjevica, aujourd’hui Nova Gorica en Slovénie, où reposent également son oncle Charles X
et son mari le dauphin. En 1883, le dernier des Bourbons de la branche aînée, Henri V, comte de Chambord,
est à son tour inhumé dans cette crypte. Sa mort en 1851 a un retentissement très important en France.
Les Cent-Jours marquent à la fois l’apogée de l’image de la duchesse d’Angoulême et l’échec du projet
de Louis XVIII qui voulait rassembler les Français autour de sa nièce. L’annonce du retour de Napoléon
surprend Madame et son mari à Bordeaux, où ils célébraient l’anniversaire du passage de la ville aux
Bourbons. Tandis que le duc d’Angoulême doit partir pour Toulouse, sa femme est chargée par le roi de
défendre Bordeaux, ville qui lui est tout acquise, à l’exception notable de la garnison. À l'approche du général
Clauzel, aux ordres de l’empereur, et malgré le courage de la princesse qui vient haranguer seule les soldats,
ces derniers trahissent la cause des Bourbons et passent à l’ennemi. La duchesse d’Angoulême est alors
obligée de partir pour l’Angleterre où elle négocie l’achat d’armes pour la Vendée et s’efforce d’organiser
les royalistes de l’ouest de la France. Cette action lui vaut un sursaut d’adoration de la part des royalistes.
Mais, de manière parallèle, ce regain de popularité chez les royalistes entraîne une grande animosité chez
les bonapartistes. Elle est traitée en furie, rendue responsable de tous les excès de la Restauration. Sa
dévotion est particulièrement brocardée et transformée en fanatisme. Mais ce qu’on lui reproche avant tout,
c’est son rôle contre nature de chef de guerre. Ce n’est pas la place d’une femme. Des devoirs incombent
à cette reine sans le titre. Le premier est de perpétuer la dynastie. C’est un échec puisqu’elle demeure stérile,
échec d’autant plus grand qu’elle est la dernière détentrice du sang de Louis XVI. Ensuite elle doit tenir sa cour,
qui se doit d’être brillante. Le succès est mitigé. La cour est prestigieuse, mais la brusquerie de la duchesse
en décourage plus d’un. Dans les deux cas, l’arrivée de la duchesse de Berry, féconde et plus sociable, crée
des tensions au sein de la famille royale. Pourtant, la place et la responsabilité de la duchesse restent à part.
Tout d’abord, elle apparaît sans cesse, dans les moments de crise dynastique, comme un recours possible
pour porter la couronne. Ensuite, dans le discours officiel, dans les journaux ultras en particulier, Madame est
incontestablement la reine, une reine de France du XIX ème siècle dont l’image est comparable à ses ancêtres du
du XVII ème siècle. Reine charitable et très-chrétienne, elle est à la terre ce que la Vierge est au ciel, intermédiaire
entre le roi et ses sujets, entre Dieu et les hommes. À travers la duchesse d’Angoulême, c’est la monarchie de
la Restauration que l’on cherche à resacraliser. Après 1816, l’image de Madame s’estompe dans la propagande
royaliste. D’autres membres de la famille royale, la duchesse de Berry et ses enfants en particulier, prennent
le relais. L’arrivée de Charles X au pouvoir ne semble pas désarmer les critiques à l’égard de la Dauphine. Elle
se trouve souvent associée à son oncle dans la réprobation qui se manifeste essentiellement de manière
souterraine. La révolution de 1830 permet à ces critiques de se faire jour d’une manière souvent virulente. Les
reproches n’ont pas changé. La princesse sème la discorde et la guerre civile par son fanatisme religieux.
Après un séjour en Ecosse jusqu’en 1832, la famille royale s’installe dans les Etats de la maison d’Autriche, à
Prague, puis à Gorizia et à Frohsdorff. La petite cour continue à vivre au rythme des disputes familiales qui
opposent les partisans de la duchesse de Berry au reste de la famille royale. À la suite de l’échec de son
expédition en France et de son remariage, la duchesse de Berry se voit exclue de la famille royale. C’est
alors à la duchesse d’Angoulême, qui règne sans partage sur la cour en exil, qu’incombe l’éducation des
enfants de France. C’est là son dernier rôle politique, le reste de sa vie se passant en prières et en charités.
Sa mort en 1851 a un retentissement important en France, y compris dans les milieux non royalistes. Une fois
les passions politiques à son sujet assoupies, demeurait le souvenir pathétique de l’Orpheline du Temple.
Bibliographie et références:
- Alfred Nettement, "Vie de Marie-Thérèse de France"
- Sylvie Yvert, "Mousseline la Sérieuse"
- François de Barghon Fort-Rion, "Mémoires de la duchesse d'Angoulême"
- Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand, "La duchesse d'Angoulême"
- G. Lenotre, "La Fille de Louis XVI,Marie-Thérèse-Charlotte de France"
- Joseph Turquan, "Madame Royale, duchesse d'Angoulême"
- Paul Sainte-Claire Deville, "L'Orpheline de la prison du Temple"
- André Castelot, "Le secret de Madame Royale"
- Frédéric de Saxe-Altenbourg, "L'énigme de Madame Royale"
- Roger Langeron, "Madame Royale"
- Alexandra de Broca, "La princesse effacée"
- Anne Muratori-Philip, "Madame Royale"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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