Méridienne d'un soir
par le 11/12/20
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Les artistes sont souvent des amoureux inconditionnels, passionnés et entiers. Salvador Dalí, référence du surréalisme,
n'échappe pas à la règle. Lui qui vit avec le fantôme d'un frère qu'il a remplacé aux yeux de ses parents et l'absence
d'une mère emportée par un cancer d'un col de l'utérus alors qu'il n'a que seize ans, a toutes les armes pour devenir
un artiste maudit. À vingt-trois ans, il a croisé Picasso, quitté l'Espagne pour Paris et fréquente un cercle d'intellectuels
surréalistes. C'est lors de vacances dans la maison de ses parents où il a invité tout ce petit monde, qu'il croise le regard
d'Elena Ivánovna Diákonova, surnommée Gala. Elle n'est pourtant pas un cœur à prendre puisqu'elle est l'épouse du
poète Paul Éluard. Le coup de foudre est immédiat entre le peintre et la jeune femme de près de dix ans son aîné.
Il déclarera même que l'expérience la plus passionnante de sa vie est cette rencontre avec celle qui va devenir sa femme.
Pour Gala, cette histoire naissante est l'occasion d'échapper à un schéma classique d'épouse dans lequel elle étouffe.
Mariée à Paul Eluard, elle est aussi mère d'une petite fille. Mais elle s'ennuie dans ces rôles qui ne conviennent pas à sa
nature indépendante et passionnée. La jeune femme a d'ailleurs déjà une relation extra-conjugale avec un autre artiste,
Max Ernst. Elle quitte donc deux hommes pour Dalí. Lui est déjà fou d'elle, au sens littéral du terme. Ses "crises de folie"
inquiètent les amis qu'il a conviés dans sa maison de Cadaquès. Entre l'artiste fantasque et la belle éprise d'indépendance
et de culture, l'histoire est inévitable. Gala devient donc à la fois son amante et sa muse avant de devenir officiellement
sa femme, civilement, en 1932 et religieusement, en 1958, après la mort de Paul Éluard. D'apparence pourtant ordinaire,
Elena Ivánovna Diákonova, surnommée Gala, a déchaîné les passions tout au long de sa vie et suscite encore des
réactions partagées près de quarante ans après sa mort. On retient souvent que la jeune russe, issue d'une famille très
bourgeoise et cultivée, a rencontré le tout aussi jeune Paul Éluard lorsqu'elle avait dix-huit ans et se faisait soigner pour
une tuberculose en Suisse. Ils se marient cinq ans plus tard et ont une fille, Cécile qui sera l'unique enfant de Gala.
Les époux rencontrent quelques années après le peintre Max Ernst, qui deviendra l'amant de la jeune femme et ira même
jusqu’à vivre avec le couple dans leur maison de la région parisienne. En 1929, douze ans après leur mariage, Gala et Paul
Éluard se rendent à Cadaquès, en Catalogne, pour rendre visite au peintre Dali. Gala a trente-cinq ans, Dali vingt-cinq, et
c’est le coup de foudre réciproque. Ils ne se quitteront plus jamais. "Sans Gala, je ne serais rien, elle est mon oxygène,
disait le peintre catalan, c’est elle qui découvre et m’apporte toutes les essences que je transforme en miel dans la ruche
de mon esprit." Mais la froide Russe agace l’entourage de Dali. "Elle pouvait être froide et calculatrice" reconnait Montse
Aguer, directrice de la fondation Gala Salvador Dali. Selon son biographe Bertrand Meyer-Stabley, elle est ambitieuse,
dominatrice, cynique et aime plus que tout l’argent et le luxe. Pourtant, c’est bien elle qui inspirera de nombreuses œuvres
à ses différents maris ou amants, et fera en particulier la réussite du peintre catalan. Conseillé par Gala, Dali devient ce
peintre excentrique que l'on s'arrache dans le monde entier. Le couple s'enrichit et mène un train de vie très confortable.
Mais Gala était-elle vraiment cette femme fatale sans cœur décrite par certains ? Adorée par ses maris et amants, Gala
était aussi l’amie de nombreux artistes et figures intellectuelles de l’époque, notamment les poètes René Char et René
Crevel ou le peintre Man Ray. Cultivée et créative, elle produisait elle-même objets surréalistes et écrits en prose, et
participait souvent au processus créatif des œuvres de Dali, qui signait certaines d’elles par Gala Salvador Dali. C’était
une femme en avance sur son temps, qui va bien plus loin qu’un rôle de simple muse. Gala était surtout une femme libre,
et c’est un exemple pour les femmes, elle luttait pour ce en quoi elle croyait, l’art et la littérature. Elena Ivánovna Diákonova,
connue par tous comme Gala, est née le dix-huit août 1894 à Kazan, l’Empire russe à l’époque. Quelques années plus tard,
son père mourut, et sa mère se remaria au bout d’un certain temps. La famille s’installa alors à Moscou. Elena avait de très
bons rapports avec son beau-père, au point qu’elle a adopté le nom patronymique de celui-ci. Comme un papillon qui sort
de sa chrysalide, la future muse de Dali a porté différents noms, Elena Ivanova, Elena Dmítrievna, Elena Diákonova, Elena
Diákonova-Éluard, pour être finalement Gala, Gala Dali. À Moscou, Elena fait ses études dans une école pour jeunes filles.
Elle rencontre Marina Tsvetaeva, une poétesse qui deviendra célèbre dans le monde entier. L’écrivaine la décrivait ainsi:
"Dans la salle de classe à moitié vide, sur un pupitre, est assise une petite fille aux jambes longues et minces, vêtue d’une
robe courte. C’est Elena Diákonova. Un visage allongé, une tresse blonde avec une boucle au bout. Des yeux inhabituels,
marrons, petits, on dirait des yeux de chinois. Des cils foncés et épais d’une telle longueur que, comme mes amis l’ont
prétendu, deux allumettes pouvaient être placées ensemble. Son visage reflétait l’obstination et ce degré de timidité
d’une personne maladroite”. En 1912, Elena, âgée de dix-sept ans, fut atteinte de tuberculose, et sa famille l’envoya au
sanatorium Clavadel en Suisse. C’est là qu’elle rencontre le poète inconnu Eugène Grindel. Il est devenu plus tard son
premier mari. Elena elle-même était destinée à devenir une muse et à inspirer celui que le monde connaîtra plus tard
sous le nom de Paul Éluard, qui écrira les poèmes d’amour les plus fervents. C’est ainsi qu’Elena découvre en elle son
talent, peut-être le plus important, car elle est brillante, être une muse dans l'ambiance littéraire que cultivait sa mère.
Le couple se marie en 1917. Un an après, elle a une fille. En 1921, Elena et Paul voyagent à Cologne, en Allemagne
pour rendre visite à leur ami Max Ernst. C'est le début d’un triangle amoureux. C’était une relation ouverte. Ils habitaient,
sans se cacher, sous le même toit. En 1929, le poète et sa femme se rendent à la ville espagnole de Cadaqué pour
rendre visite à un peintre espagnol appelé Salvador Dali. "J’ai réalisé tout de suite que c’était un génie", avoua-t-elle
plus tard. La relation avec Éluard prit donc fin. Paul Éluard quitte la maison de Cadaqués sans sa femme, emportant
à titre de désagrément son portrait, fait par Dali. "J’avais l’impression que l’on m’avait confié le devoir de capturer le
visage du poète, car je lui ai ôté la meilleure muse de l’Olympe", aurait dit plus tard le peintre. Gala devient sa muse.
Alors, Gala et Salvador deviennent inséparables et, en 1932, lorsque le divorce avec Éluard est formalisé, le couple
se marie officiellement. C'était un ménage assez particulier. Dali craignait les femmes et probablement les relations
intimes, aux dires de certains, Gala était la seule à pouvoir le toucher, tandis qu’elle était sensuelle et passionnée.
Dali était, lui aussi, passionné, mais juste dans ses fantaisies et ses créations. Gala, elle, assouvissait sa soif avec
de nombreux jeunes amants, dont les marins de la zone. Les œuvres réalisées par l’artiste pendant leurs années de
vie commune étaient signées par "Gala-Salvador Dali." Ce fut Gala qui réussit à ce que les collectionneurs et les
amateurs de la peinture commencent à assiéger leur maison, sous prétexte de "toucher le génie de Salvador Dali."
Autrement dit, c’était un manager très efficace. Si les œuvres ne se vendaient pas au prix souhaité, elle obligeait
Salvador à faire de la publicité, créer des vêtements ou, par exemple, décorer des vitrines. En raison d’une différence
d’âge de dix ans entre les deux, Salvador était pour Gala son fils, plutôt que son mari. Elle l’aimait bien plus que sa
propre fille, Cécile, qui était à la charge de la mère d’Éluard. Salvador lui-même, dont la mère était décédée lorsqu’il
avait quinze ans, et qu’il adorait sans mesure, acceptait volontiers ce rôle d’enfant gâté. Gala devient l'unique modèle
féminin et le principal sujet d'inspiration du peintre qui ne cessera de la magnifier et de la représenter comme un mythe
vivant et une icône moderne. De son côté, elle prend en main les affaires de son mari et saura les faire fructifier.
Pendant plusieurs décennies, Dali peignit Gala de différentes façons. Elle fut immortalisée dans ses œuvres sous
plusieurs formes, nue, faisant des poses obscènes, ou adoptant l’image de la Vierge Marie. Ce n’est pas pour rien
que certains critiques d’art estiment que Gala n’était pas un modèle silencieux. Elle jouait le rôle de coauteur qui aidait
le peintre à construire la composition de la toile. Gala contribua à la rupture de Salvador Dali avec les surréalistes,
mais en même temps et grâce à son énorme talent et son esprit entrepreneur, l’artiste pouvait dire à juste titre: "Je
suis surréaliste." En fait, la haine que l’un des fondateurs du surréalisme, André Breton, éprouvait envers Gala, suite
au divorce d’Éluard, valut à la muse la renommée douteuse d’une femme aux mœurs légères et amoureuse d’argent.
Plus tard, les médias l’ont baptisée la "Valkyrie insatiable", ce surnom étant l’un des moins offensants. Cependant,
ni Gala ni Salvador ne semblaient s’en soucier. Pour le peintre excentrique, sa femme était sa Gradiva, sa Galatée.
En 1934, les époux partent en Amérique suivant, comme d’habitude, le pressentiment infaillible de Gala. Elle estimait
que ce ne serait qu’aux États-Unis que son mari pourrait obtenir une vraie reconnaissance et devenir riche. Et elle
n’avait pas tort. En effet, c’est en Amérique où Salvador Dali commença à croire pour de vrai au surnom qu’André
Breton lui avait donné en Europe, "Avida Dollars." Il s’agit d’un anagramme composé avec les lettres de son nom,
et qui signifie “assoiffé de dollars”. Le couple organisait de nombreux événements lors desquels ils décoraient leur
apparition en grande pompe. Alors que Dalí descend du navire sur les côtes américaines, il tient dans ses mains une
miche de pain de deux mètres de long. Six ans après leur premier voyage aux États-Unis, Gala et Salvador y sont
retournés et s’y sont installés pendant huit ans. Les deux ont travaillé sans relâche. Il peignait des tableaux et écrivait
des scénarios. Il a créé le décor pour un film d’Alfred Hitchcock et a travaillé pour un dessin animé de Walt Disney.
Gala, elle, qui jouissait d’une énergie intarissable, organisait tous ces événements et signait de nouveaux contrats,
sans pour autant oublier ses propres besoins, trouvant constamment de nouveaux amants bien plus jeunes qu’elle.
En 1948, le couple Dali retourna en Espagne. Salvador adorait sa patrie, et la regrettait de plus en plus. Ils avaient
tout à l’époque, une bonne réputation, une grande fortune, un énorme succès. Mais quelque chose tracassait la vie de
Gala. Elle vieillissait. Et plus vieille elle était, plus jeunes et nombreux étaient ses galants. Elle dépensait une fortune
avec eux, leur offrait des bijoux, des voitures, et même des tableaux peints par son mari. Malgré tout cela, en 1958,
Gala et Salvador Dali se sont mariés dans le rite catholique. Pendant plus d’un demi-siècle d’histoire depuis leur union,
Gala fut invitée à de nombreuses interviews, lors desquelles elle ne révéla jamais les détails de la vie avec son mari.
Dali affirmait que pendant quatre ans, sa femme avait écrit un journal en russe, mais personne ne connaît à cette date
l’endroit où il se trouve, au point qu’on se demande s’il existe vraiment. L'artiste était connu pour sa mythomanie.
En 1964, Gradiva fêta son soixante-dixième anniversaire, et elle et son mari s’éloignaient de plus en plus. Elle passait la
plupart de son temps avec ses admirateurs, et lui, avec sa maîtresse platonique, la chanteuse Amanda Lear. En 1968,
Dali a commis une action juste, propre à lui. Il acheta à sa Gala adorée le château de Púbol, où il ne pouvait se rendre
qu’avec une autorisation par écrit de son épouse. Gala y passa ses dernières années empreintes d’amertume, luttant
contre ses affections et essayant de résister à une inévitable faiblesse sénile. En 1982, elle se fractura le col du fémur,
et suite à un long séjour à l’hôpital, Gala Dali, née Elena Ivánovna Diákonova, mourut à l’âge de quatre-vingt-huit ans,
le dix juin 1982. Dali la fit enterrer dans la crypte du château de Púbol, dans un cercueil au couvercle transparent. Il
lui survécut sans son seul amour seulement sept ans encore, victime d’une dépression profonde et atteint d’un Parkinson
progressif. Le peintre mourut le vingt-trois janvier 1989 à Figueras, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Contre sa volonté,
Il fut inhumé dans la crypte de son théâtre-musée et non dans le château de Púbol. Sa fortune fut pillée à sa mort.
Bibliographie et références:
- Adam Biro, "Gala"
- René Passeron, "Dictionnaire général du surréalisme"
- Robert et Nicholas Descharnes, "Salvador Dalí"
- Paul Éluard, "Lettres à Gala"
- Dominique Bona, "Gala"
- Bertrand Meyer-Stabley, "La véritable Gala Dali"
- Dominique Bona, "Une vie de Gala"
- Carmen Domingo, "Gala Dali"
- Victoria Charles, "La muse de Salvador Dali"
- Jean-Pierre Thiollet, "Gala Dali"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
15 personnes aiment ça.
Il y aurait tant à dire sur cette période ou ces artistes et intellectuels étaient les seules lueurs éblouissantes d'un monde en pleine tragédie. Y en a-t-il encore aujourd'hui et qui sont-ils ? Je cherche....
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FemmeFemelleEsclave
Moi aussi cher Helier 1f642.png
J'aime 12/12/20
Méridienne d'un soir
La question se pose cruellement mais "dans le doute, nul ne désespère." Bon week-end à vous deux, mes chers amis.
J'aime 12/12/20
Bonjour Maxime. Quand je parle de tragédie, je parle d'un temps plus ancien qu'ont bien connu Dali, Eluard, Gala, Picasso et d'autres. Celui qui allait de Guernica aux distributions aériennes du poème Liberté au dessus d'un continent devenu noir.
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FemmeFemelleEsclave
Merci Maxime Fenice de ce rappel. Mais je pense que c’est davantage aux années 30, l’époque où il rencontra Gala qu’Helier faisait référence. L’époque des Garcia Lorca, Bunuel et Picasso, qui fut à la fois son rival et son mentor. Celle où « l’époque d’Hitler » répondait à Guernica.
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FemmeFemelleEsclave
Nos messages se sont croisés, cher Helier ????
J'aime 12/12/20
Vu que vous avez parfaitement traduit ma pensée, rien de troublant.
J'aime 12/12/20
FemmeFemelleEsclave
Je ne dirais pas que j’ai la nostalgie de cette période, et je n’ai pas connu non plus les années 60. Juste la médiocrité qui a suivi.
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FemmeFemelleEsclave
Et il en va de l’art comme du reste, les temps médiocres ne se prêtent pas aux grandes œuvres.
J'aime 12/12/20
Sans sombrer dans un optimisme béat, disons-nous qu'il y a sans doute dans cette médiocrité quelques perles dont l'éclat va demeurer. Et merci à Méridienne de provoquer de tels débats avec ses portraits.
J'aime 12/12/20
katharina
Merci à vous tous pour ces partages... Je me régale
J'aime 12/12/20
Méridienne d'un soir
Bonjour et enchanté, Maxime-Fenice. Merci pour votre rappel historique, mais le bref portrait de Gala dessiné concerne le domaine artistique et non la géopolitique ou la macroéconomie mondiale. Bon week-end à vous, Monsieur. Bien à vous@Maxime-Fenice.
J'aime 12/12/20
FemmeFemelleEsclave
1f642.png encore une fois, on est complètement « hors cadre ». On est quand même en principe sur un site bdsm ! Mais de grâce, et surtout vous Méridienne, ne changez rien. J’aime trop vous lire.
J'aime 12/12/20
Méridienne d'un soir
Ma chère L., encore merci, mais ne craignez rien, chassez le naturel, il revient au galop. 1f607.png
J'aime 12/12/20
FemmeFemelleEsclave
Personne ne vous en tient grief cher Maxime Fenice. La période que vous évoquez a été un bel interlude, si j'en juge par la manière dont mes parents en parlent. Où tout semblait possible. La liberté, s'engager, sortir des carcans, de la morale bourgeoise. Vivre. C'est avec ma génération que les choses ont basculées. Mais bon, c'est comme ça. Alors, comme le disais Helier, à nous quand même de continuer de chercher les perles qui demeurent dans la médiocrité ambiante. Parce qu'il a raison. Il en existe. Et déjà en chacun de nous.
J'aime 12/12/20
Méridienne d'un soir
Cher Maxime-Fenice, aucun souci. Soyez le bienvenu. 1f607.png
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Méridienne d'un soir
Buen fin de semana para ti, mi amigo Old-Man-Rêveur. 1f607.png
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Marc Nancy
Bonjour Méridienne d un soir Merci pour cette biographie Pubol , un bel endroit, à visiter pour retrouver l esprit de Gala
J'aime 14/12/20
Méridienne d'un soir
Bonjour Marc Nancy, merci pour votre commentaire, bonne fin de journée à vous.
J'aime 14/12/20