Méridienne d'un soir
par le 29/06/21
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Quand je rencontrai Patricia, j'étais dans la pire période pour tomber amoureuse. J'avais voulu le succès,
l'amour, il ne me restait plus rien. Et Patricia proposait de me dédommager en m'offrant le bonheur, mais
elle le faisait au mauvais moment, celui où je ne pouvais rien recevoir, rien donner. À cette époque, j'aurais
dû la fuir, autant pour elle que pour moi. Il me fallait m'enfoncer dans ce deuil de l'amour, atteindre le fond.
J'aurais dû reforger mon âme dans la solitude mais on ne décide rien. On est que l'observateur impuissant
des événements qui doivent arriver. Et je vis Patricia, je la revis, et je devins son amante puis sa maîtresse.
Rarement, l'amour donne une seconde chance. Pourtant Patricia revint et elle me pardonna. À force de
tendresse, je tentais de lui faire oublier ce moment de folie. Son visage n'exprimait aucun sentiment de
rancune. Elle était douée pour le pardon. Souvent, je me disais que je devais prendre modèle sur elle, être
capable de tout accepter de l'amour, son miel comme son vin amer. Cette jeune fille me dominait en réalité
par sa sagesse. Les apparences sont parfois trompeuses. Elle se courbait avec grâce sous le fouet, mais
l'esclave, ce n'était pas elle. C'était moi. Elle n'évoquait jamais l'incident de Sauzon, pas plus que s'il n'avait
jamais eu lieu. Moi, il me ravageait. J'y pensais sans cesse. Qui pouvait m'en délivrer ? Ma faute m'emplissait
de honte. Quand je la serrais dans mes bras, je respirais le parfum iodé de Belle-Île, la bien nommée. Nous
nous promenions sur la côte sauvage, avec les yeux de John Peter Russell, le peintre australien si généreux
que les marins appelaient affectueusement "l'anglais". La beauté de Marianna, son épouse, que Monet vantait
et qui avait tant inspirée Rodin. Cachées dans une crique, nous nous baignons toutes les deux nues, non loin
de la plage de Donnant. J'étais si empressée à reconquérir Patricia que j'en oubliai Béatrice. Certes je la voyais
mais je ne la regardais plus. Nos gestes devenaient machinaux. S'en apercevait-elle ? Sans m'en rendre compte
je baissai la garde. Je ne me préoccupais plus de lui dissimuler ma liaison avec Patricia. Non que je souhaitasse
lui en faire l'aveu, mais je pressentais que le hasard se chargerait de lui faire découvrir la vérité en m'économisant
un courage inutile. La souffrance vient bien assez tôt. Point n'est besoin de devancer l'appel. Je m'abandonnais
à cette éventualité avec fatalisme. Un jour, je reçus une lettre particulièrement tendre de Béatrice. Elle y exprimait
de manière explicite les élans de son cœur. Aussitôt, je fus consciente de sa gravité, de son pouvoir de séduction.
Je la plaçais bien en évidence sur mon bureau afin de ne pas oublier de la dissimuler. Mais je fus distraite de cette
sage précaution. Oubliant l'existence de la pièce à conviction, Patricia était seule chez moi. Le destin se vengeait.
Quand je revins, la porte d'entrée était grande ouverte, ce qui m'étonna. Quelle ne fut pas ma surprise de voir que
la maison offrait le spectacle d'un ravage comme si elle avait été détruite par le passage d'un cyclone. Je crus à
un cambriolage. Mais très vite, je me rendis à l'évidence. Patricia s'était acharnée sur les bibelots qu'elle avait
brisés. Les tableaux gisaient sur le sol, leur cadre fracassé. Cette fureur me soulagea. Ainsi tout était dit, du moins
je le croyais. Mais Patricia revint bientôt à la charge. Il y avait dans son regard une flamme meurtrière qui n'était
pas sans charme. Peu d'êtres ont réellement le désir de vous tuer. Tout ce que son caractère avait amassé de
violence contenue s'exprimait à cause de moi. L'orage dura longtemps. J'en comprenais mieux que quiconque les
raisons. Mais que pouvais-je alléguer pour ma défense ? Je n'avais rien à dire. Je plaidais alors coupable avec
circonstance aggravante. Mon mutisme augmentait sa fureur. La vie seule portait la responsabilité de ce gâchis,
la vie qui nous jette, sans égard pour autrui, là où nous devons être. Ne pouvant rien tirer de moi, elle partit alors
en claquant la porte. Cet amour finissait comme il avait commencé, dans l'irraisonné, l'incohérence, la violence et
la tendresse mêlées. Béatrice la douce et Patricia la rebelle. Elles coexistèrent quelque temps et elles s'effacèrent
comme si elles étaient reliées à une époque révolue de ma vie et n'avaient existé que pour m'offrir les deux visages
d'un même amour. La pluie, le soleil, la brume ont peut-être plus d'influence sur notre comportement amoureux que
nous l'imaginons. il me semble que la nature a toujours émis des messages. Et le vent. Le vent qui soulève le sable
du désert, des oasis du Hoggar, et les dépose sur les arbousiers du maquis corse. L'invisible, ses sarabandes, ses
fêtes, ses débauches, ses orgies des sens, la fabuleuse orchestration qui s'y déroule sans qu'on y prête attention,
quelle conscience nous reste-il de l'immensité de tout cela ? Un instrument d'observation inapproprié, un organe
atrophié fossile d'une fonction perdue, l'amour. Lui seul nous fait pressentir l'invisible. Et la poésie des corps. Mais
c'est l'amour qui la suscite, l'éclaire, module son chant et fait frémir ses incantations lumineusement obscures.
Le désir le conjugue au plus-que-parfait. Chaque étape initiatique de notre existence, par des liens secrets, est en
relation avec un amour qui épanouit ses virtualités. Parfois, quand l'inanité d'écrire me ravage, je ne reprends alors
confiance qu'en m'agrippant à la certitude que ce que je recherche ne réside que dans le partage, et la seule chose
qui m'importe est ce qui jette mon destin dans de vastes espaces, bien au-delà de moi-même. La grande distinction
d'Arletty coiffée de son turban blanc. Trois années avaient passé depuis ce réveillon où j'avais fait connaissance de
Claire. Cette rencontre m'avait placée dans une position qui avait le caractère d'une parenthèse. Elle appartenait à
un monde irréel puisque aucun des maux de ce monde ne l'atteignait. Un univers trop parfait n'est pas fait pour une
femme qui veut toujours se prouver quelque chose en modifiant le cadre de son existence. Le temps passait avec
une lenteur inexorable. Il semblait enfermer Claire dans une perpétuité du bonheur. Il me fallait des drames, des
souffrances, un théâtre d'émotions, des trahisons qui ne pouvaient nullement se développer sur ce terreau-là.
Claire, insatisfaite comme on l'est lorsqu'on choisit le chemin de la perfection, avait trouvé en moi un dérivatif à sa
passion d'aimer endurer. Aimer c'est souffrir mais c'est aussi vivre. Vivre avec Claire ? J'y songeais, je le souhaitais
et je le redoutais. Je le souhaitais car le sentiment amoureux ne se doublant pas d'amitié n'est qu'un état intérimaire
de peu de durée, que l'indispensable amitié se fonde sur le temps qui passe, sur une accumulation heureuse de
situations partagées, de circonstances vécues en commun. Je le redoutais parce que j'ai déjà fait l'expérience de
prendre des trains en marche. Pas besoin d'imagination pour prévoir ce qui, tôt ou tard, adviendra, il me suffit d'avoir
un peu de mémoire. Me voici, soumettant Claire. Nous dégustions les charmes de cette situation nouvelle dans
une profonde entente mutuelle. Je la fouettais avec application tout en réfrénant son masochisme. Je ne voulais pas
casser ma poupée de porcelaine. Me manquait-il une certaine cruauté ? Voici Claire qui s'anime alors d'amples
mouvements à la rencontre du cuir. Voici qu'ils se confondent et s'exaspèrent et que de sa bouche captive, elle pousse
un gémissement qui me déchire le cœur. L'insensée crie et m'invite plus intensément. Ils se perdent ensemble au
au comble d'une tempête dont je suis le vent. Les yeux clairs s'agrandissent et leur eau se trouble. Elle ne me voit
plus, son regard s'accommode au-delà. L'un après l'autre, les traits du visage changent d'ordonnance, alors ils se
recomposent en une géographie que je ne connais plus. Sur ses lèvres qui s'entrouvrent, les miennes se posent,
ma langue cherche et investit. La bouche de Claire accepte et requiert et c'est bientôt son corps qui se transporte.
Ses yeux immenses se ferment et je devine qu'ils se tournent en dedans sur un monde encore ignoré d'elle.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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Méridienne d'un soir
@LesbienneBDSM, un récit écrit pour vous; douce journée à vous 🌹🌹
J'aime 30/06/21
Quel maelstrom ! Confusion des sentiments et des corps...
J'aime 30/06/21
Méridienne d'un soir
Bonjour et merci cher Helier, belle journée à vous. 1f607.png
J'aime 30/06/21
A vous aussi, bien que le gris domine.
J'aime 30/06/21
Méridienne d'un soir
Vivement enfin les beaux jours, cher ami 2b50.png2b50.png
J'aime 30/06/21
Certes, ce n'est pas encore le temps de s'étreindre nues sur une plage, mais cela va venir.
J'aime 30/06/21
Méridienne d'un soir
Bonjour cher Equinoxe, c'est toujours un réel plaisir de vous lire, excellente journée à vous également. 1f607.png
J'aime 01/07/21
Méridienne d'un soir
@lucbasel, merci pour votre commentaire, bon dimanche à vous, mon ami. 1f607.png
J'aime 04/07/21