Méridienne d'un soir
par le 21/01/22
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"Tu es une merveille. Chaque seconde que nous vivons est une parcelle nouvelle et unique de l'univers, un moment
qui ne sera jamais plus. Et qu'enseignons-nous à nos enfants? Nous leur apprenons que deux et deux font quatre, et
que Paris est la capitale de la France. Mais quand leur apprendrons-nous qui ils sont ? Nous devrions leur dire. Tu sais
ce que tu es ? Tu es une merveille. Tu es unique. Tout au long des siècles qui nous ont précédés, il n'y a jamais eu un
enfant comme toi. Tes jambes, tes bras, tes petits doigts, la façon rêvée dont tu bouges. Tu seras peut-être un nouveau
Shakespeare, un nouveau Michel-Ange, un nouveau Beethoven. Tu peux tout faire. Tu es une merveille. Tu dois œuvrer,
nous devons tous œuvrer, pour que ce monde soit digne de ses enfants". Si dans les années quatre-vingt du XXème
siècle, le monde entier découvre ou redécouvre Mstislav Rostropovitch comme étant le violoncelliste de notre temps,
durant toute sa vie et dès son plus jeune âge, c’est Pablo Casals qui règne alors en maître incontesté dans la sphère
du violoncelle. Durant près d'un siècle, son empreinte reste dans l’esprit de tous les artistes, car il est le premier à
prendre position et à s’engager au titre de son talent comme un défenseur de la liberté d’expression. D’autres suivront
son chemin, comme Yehudi Menuhin et encore maintenant des personnages irremplaçables comme Daniel Barenboïm,
en raison de leur engagement profond pour l’humanité, "par et pour" la musique. Pau Carles Salvador Casals i Defilló,
plus communément connu sous les noms de Pau Casals ou Pablo Casals, nait le vingt-neuf décembre 1876 à El Vendrell
dans la province de Tarragone en Catalogne. C’est en 1887, âgé de onze ans, que le petit Pablo, après avoir étudié la
musique auprès de son père dès l’âge de cinq ans au piano et avoir joué du violon, de l’orgue et de la flûte, tombe
littéralement amoureux du violoncelle. Si son père a une chaire d’organiste à El Vendrell ville du berceau familial,
celui-ci a toujours été farouchement opposé à ce que son fils puisse avoir une vie de miséreux comme pouvait l’être
à l’époque celle de la plupart des musiciens. Mais, dès l’âge de douze ans, le petit Casals touche ses premiers cachets
en jouant régulièrement au Café Tost de Barcelone, l’endroit le plus à la mode du moment. Sa Mère, catalane, originaire
de Porto Rico, fera tout pour que son fils suive cette grande carrière qu’elle ressent très vite pour cet enfant. Elle n’hésite
pas à partir à Madrid avec le petit prodige et ses deux autres enfants pour assurer un suivi de la grande destinée qui
Pau. Enfant réellement prodige, il reçoit une pension de la Reine Maria Cristina pour étudier au Conservatoire de Madrid.
"La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console
ceux qui pleurent. L'amour d'un pays est une chose magnifique, mais pourquoi l'amour devrait-il s'arrêter à la frontière ?".
Ce qui va révolutionner l’histoire du violoncelle et la vie de Casals, est essentiellement dû à sa façon très personnelle de
jouer de cet instrument. À la fin du XIXème siècle, la tenue de l’instrument est encore très stricte. Les élèves devaient,
pour jouer de façon académique, garder les coudes près du corps. Lors d’un voyage à Bruxelles, organisé par la reine
d’Espagne, le musicien qui doit l’auditionner, voyant alors simplement sa posture de jeu, se moque et méprise le jeune
musicien. De rage, Casals joue devant lui, et médusé le professeur décide de le prendre sous son aile. Mais déjà la forte
personnalité du petit musicien s’exprime. Il décline l’invitation et perdra ses ressources boursières qui le protégeaient
pour un temps. Il se rend alors plusieurs fois à Paris, et bien que tout juste âgé de vingt ans, il est nommé professeur au
Conservatoire de Barcelone, puis devient musicien du Grand Orchestre du Liceù. Mais Casals a d’autres ambitions.
En 1897, il intègre le Quatuor Crickboom aux cotés des violonistes Mathieu Crickboom, Josep Rocabruna et de l’altiste
Rafael Gálvez. Ils effectuent une tournée dans toute l’Espagne sous le haut patronage d’Enrique Granados, son ami
depuis 1891. Dès 1899 il s’installe à Paris et habite chez la cantatrice Emma Nevada. Il joue en soliste avec l’Orchestre
Lamoureux, l’un des plus prestigieux de l’époque. Il assure de nombreuses créations comme celles du Concerto pour
violoncelle de Lalo à Londres et à Paris. Il épouse bientôt une jeune violoncelliste Guilhermina Suggia, fille d’un célèbre
musicien portugais possédant un stradivarius qui garde encore son nom. Mais la vie internationale et trépidante ne
permettra pas au couple de survivre bien longtemps, les artistes ne se voient plus entre les concerts. Le nouveau siècle
sera pour la vie du musicien un tournant décisif. Il part pour la première fois en Amérique en 1901. Cela sera toute sa
vie une destination importante. Invité par Theodore Roosevelt en 1904, il y retourna en 1914 et se marie en secondes
noces avec la cantatrice soprano américaine Susan Metcalfe un quatre avril. Bien que les États-Unis n’aient pas pris
de position ferme contre Franco, le génial catalan ne pourra pas alors résister à l’invitation de John Kennedy en 1961.
"La technique la plus parfaite est celle que l'on ne remarque pas. La musique sauvera le monde. Nous devons tous
travailler pour rendre le monde digne de ses enfants". Pendant la grande guerre, en 1915, il réalise ses premiers
enregistrements pour la "Columbia Gramophone Company". Cette période grave et tumultueuse sera révélatrice d’un
sentiment de profondes réflexions contre les aberrations du désir de pouvoir des hommes. Alors qu’il avait fait un
premier voyage en 1912 à Saint-Pétersbourg, à l’annonce de la révolution bolchevique en octobre 1917, il décide de
ne jamais remettre les pieds dans ce pays tant que les principes fondamentaux de la démocratie ne seront pas établis.
Les années vingt sont une révolution culturelle forte dans le monde occidental, le "modernisme" est alors un courant
primordial dans l’architecture, la peinture et dans toutes les sociétés artistiques ou économiques et sociales qui
prennent enfin conscience du nouveau siècle. Musicalement pour Casals, c’est aussi l’occasion d’affirmer ses
positions sur des sujets graves. Il crée en 1926 la "Société ouvrière des concerts" qui permettra de trouver des
fonds financiers à l’aide des familles désœuvrées par la guerre. Parallèlement, il s’allie à Jacques Thibaud au violon
et à Alfred Cortot au piano pour créer le trio le plus mythique de la première moitié du XXème siècle. Ils sont en
concurrence avec l’autre trio mythique du "Million Dollars Trio" avec Heifetz au violon, Piatigorsky au violoncelle et
Rubinstein au piano. Les plus grands de la musique s’expriment dans une concurrence amicale. À partir de 1933,
il refuse d’aller en Allemagne, sentant que la démocratie, chère à son sentiment de liberté, y est bafouée, salie.
1936 ne sera un message d’espoir qu’en France avec le Front populaire. Pour l’Espagne, c’est malheureusement
le début d’un long tunnel d’obscurantisme qui durera près de quarante ans. Aussi Pablo Casals donnera-t-il des
concerts pour aider les idées démocratiques et surtout humaines qui manquent en cette période annonciatrice
de terreur. Avec sa troisième épouse Francesca Capdevilla, il se réfugie dès 1939 en France, terre d’asile pour
tous les opprimés de toutes les dictatures de cette époque. Il s’exile, car se sachant menacé de se faire "couper
les bras" par Franco. Bonne fortune sans doute, car les Dalí, Picasso et tant d’autres anonymes ont aussi vu la
France comme une terre de liberté. Richissime mais privé de ses richesses, tous ses avoirs sont bloqués dans
les banques espagnoles, il revit alors une vie modeste et dure, telle celle qu’il a connue dans sa prime enfance.
"La musique est la voie divine pour dire des choses belles et poétiques au cœur. La musique chasse la haine chez
ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent". Le musicien
est tellement affecté par ces situations qu’il rentre dans un mutisme complet en voulant se retirer du monde. Durant
cinq années, il resta absent de toutes les scènes musicales. C’est l’anniversaire des deux-cent-cinquante ans de la
naissance de Jean Sébastien Bach, en 1950, qui le sortit de sa torpeur. Prades, terre d’asile, va devenir un des
centres musicaux internationaux et incontournables de la musique. Il y crée le fameux Festival en 1956. Le maître
ne réagit plus, aussi les artistes et le monde viennent-ils à lui. Les engagements de liberté et d’humanité sont
multiples dans la vie de ce musicien qui, d’un aspect physique malingre, a su par exemple, redécouvrir les "Suites
pour violoncelle seul" de Jean Sébastien Bach, qui restèrent après ses interprétations une référence incontournable
dans la vie de tous les musiciens et de tous les mélomanes de la planète. Alors au plus haut de sa reconnaissance
internationale, Pau Casals se place en opposant de toutes les dictatures et devient intransigeant avec ceux qui
pactisent avec le diable, incarné par Franco dès 1936. Il veut préserver sa famille et ses amis, il détruisit alors de
nombreuses archives qui manquent aujourd’hui pour connaître l’ensemble de sa vie. Durant la guerre froide, il
acceptera d’aller aux États-Unis, pays incontournable pour exister au niveau international, quand il a déjà pris
position contre la nouvelle URSS depuis 1917. C’est dans les années quarante qu’on lui doit alors d’avoir choisi
le thème d’une vieille chanson populaire catalane: "El cant dels ocells", comme hymne de reconnaissance à la
liberté, à la toute jeune UNESCO. 1958 est une année forte, de sa reconnaissance à présent mondialement établie.
Dans la période difficile des années d'avant et après la seconde guerre mondiale, il restera inflexible sur ses idéaux,
quelles qu'en soient les conséquences pour sa carrière. Lors de la guerre civile, il va alors soutenir les républicains
espagnols et va s'exiler en 1936. Apôtre de la paix, il était également un défenseur acharné de la Catalogne. Après
guerre, il ne donne plus de concerts pour marquer sa désapprobation du laxisme de la communauté internationale
envers le régime politique du caudillo Franco. Il participe néanmoins à plusieurs galas de soutien au mouvement
pacifiste et antifasciste de son ami Louis Lecoin. Pablo Casals décède le vingt-deux octobre 1973 à l'hôpital Auxilio
Mutuo de San Juan, à Porto Rico, à l'âge de quatre-vingt-seize ans. Il n'a pas connu la fin de l'État franquiste qui
se produit deux ans plus tard. Depuis le vingt mars 1979, il repose dans sa ville natale d'El Vendrell, en Catalogne.
"La relation entre la vie et la mort est la même que celle qui existe entre le silence et la musique, le silence précède
la musique et lui succède. L'acte même d’interpréter est un geste éthique autant qu’esthétique". 1936: Pablo Casals
est au faîte de sa gloire musicale. Avec plus de cent cinquante concerts par an, il est un des artistes les plus sollicités
de sa génération et probablement le mieux rétribué. Mais son attachement à la cause anti fasciste et républicaine lui
aliène les sympathies de la partie du public hostile à des prises de position politiques ostentatoires. À l’instar de tous
les virtuoses qui ont atteint la soixantaine, sa carrière semble naturellement prendre fin. Cette interruption coïncide
avec un exil volontaire à Prades dans les Pyrénées-Orientales. Pendant un quart de siècle, l’interprète a su concilier
engagement social et impératifs de carrière. D’extraction populaire, ami de souverains et de personnages influents,
il adhère à la cause du peuple catalan sans nuire à sa notoriété internationale. Après la guerre civile, l’option de
l’exil aurait dû le rapprocher de ses compatriotes sans pour autant l’écarter des grandes salles de concert. C’est
l’inverse qui se produit. Choisi ou contraint, l’exil le détache de son public, mais ne lui permet pas de conserver les
relations acquises avec le monde du travail. Après le festival de Prades, en 1950, Casals renoue avec le succès.
Entre-temps, les motivations de l’artiste ont changé. Une cause en a remplacé une autre et la relation établie entre
art et engagement s’est inversée. Les positions de Casals sont plus affectives que politiques. Les persécutions
subies par son ami Ziloti, après la révolution d’Octobre, l’amènent à refuser de se produire en Union Soviétique.
Quelques années plus tard, le sort réservé par les nazis à Albert Einstein, qui compte parmi ses amis, Thomas
Mann ou Bruno Walter provoque une réaction similaire, bientôt étendue à l’Italie mussolinienne, au mépris des
risques encourus pour sa carrière. À chaque fois, les critères moraux prévalent sur l’analyse politique. Dans son
esprit, l’art doit élever l’humanité et non l’avilir. En foi de quoi l’artiste ne saurait se réfugier dans la "neutralité"
quand les droits de l’homme sont bafoués. Il est à la fois un "héritier", formé dès l’enfance par un père organiste
et professeur de musique, et un "promu" d’origine modeste qui doit à la ténacité de sa mère et au mécénat de la
famille royale espagnole d’avoir échappé à son destin initial de menuisier. Malgré sa gratitude envers les Bourbons,
il ne cachera jamais ses opinions politiques: "Certes, je suis un artiste, mais dans ma pratique d’instrumentiste,
je suis aussi un travailleur manuel. Je l’ai été tout au long de ma vie. Aussi quand j’ai dû opter entre république
et monarchie, incontestablement, sans hésiter, mes sympathies sont allées naturellement vers la république".
"La musique est infiniment plus grande et plus riche que ce que notre société veut qu’elle soit. Elle n’est pas
seulement belle, émouvante, envoûtante, réconfortante ou passionnée, même si, à l’occasion, elle peut être tout
cela. La musique est une partie essentielle de la dimension physique de l’esprit humain". Pourtant c’est parfois
la mort dans l’âme que Casals affiche ses convictions. Ainsi, alors qu’Alphonse XIII, hostile à l’autonomisme
catalan, assiste à un concert barcelonais, le public réserve son ovation au violoncelliste, érigé malgré lui en
champion de l’opposition à la dictature de Primo de Rivera. Compagnon de jeu, jadis, du futur roi, le musicien
regrette l’affront fait au souverain, mais n’en discute pas le bien-fondé: lui-même avait tenté, en vain, d’avertir
la reine-mère, sa bienfaitrice, des risques d’un scandale. Le roi ne lui en tiendra pas rigueur. Quelques années
plus tard, devant un parterre de monarques et de hauts dignitaires, bravant le protocole, il exprimera alors
ostensiblement son affection au concertiste. Aider les victimes du franquisme ou du fascisme participe du
devoir moral que l’artiste s’est imposé. Ses interventions bénéficient, en premier lieu, aux enfants et aux
soldats blessés. C’est à leur profit que Casals donne alors des concerts dans le monde entier, répétant
inlassablement "qu’il ne fait pas de la politique" mais "qu’il est un partisan de la démocratie et de la liberté".
L’artiste récidive alors en 1940, après l’invasion de la France et dès la fin du conflit, pour soutenir les œuvres
hospitalières. De tous ces concerts philanthropiques, le plus émouvant a lieu le neuf octobre 1938 dans la
Barcelone exsangue, affamée et victime de bombardements quotidiens. Ce jour-là, la somptueuse salle du
Liceu, drapée de rouge et d’or, et le programme éclectique, Gluck, Webern, Haydn, Dvorak, contrastent avec
le public inhabituel de soldats en permission aux vareuses fripées et sales, têtes, bras et jambes bandés, qui
remplissent les moindres recoins de la salle et acclament leur bienfaiteur. Ce sera la dernière apparition
publique du concertiste en Catalogne. Doublement affecté par la défaite républicaine en Espagne et la victoire
allemande en France, Casals opte pour l’exil et le repli. Les prises de position de Casals ne laissent guère
de choix après la victoire franquiste. Le nouveau pouvoir frappe vite et fort. Les rues qui portaient le nom de
l’artiste, à Barcelone et au Vendrell, sont immédiatement débaptisées. Le tribunal des responsabilités politiques
le condamne alors, cherche à s’emparer de ses biens et propriétés, harcèle ses frères restés en Espagne.
Ordre est donné que dorénavant, aucun plénipotentiaire en poste à l’étranger n’assiste à ses concerts.
"Interpréter des chefs-d’œuvre est la tâche de toute une vie, et cela implique la responsabilité d’un dévouement
complet à l’œuvre.” Du moins Casals aurait-il pu opter, à l’instar d’autres musiciens ou intellectuels, pour une
émigration vers des cieux plus cléments. Le langage de la musique transcende les frontières. Cependant le
musicien refuse d’abord d’envisager la réémigration et quand il y songera, à la fin du printemps 1940, les
circonstances ne le permettront plus. Bouleversé par le sort de ses compatriotes enfermés dans les camps du
Roussillon, il décide de les secourir et s’installe provisoirement à Prades, petite commune catalane au pied du
mythique Canigou. Les conditions d’une aide humanitaire se compliquent. Les concerts de bienfaisance proposés
à un public de mélomanes fortunés ne sont plus d’actualité. Le contexte politique éloigne Casals des grandes
salles de concerts et gêne ses déplacements à l’étranger. C’est par la plume et financièrement, quand il le peut,
que Casals poursuit sa mission. Chaque jour, il consacre 4 à 5 heures pour répondre aux lettres désespérées
qu’il reçoit, remplir des cartons de vivres, plaider la cause des compatriotes auprès des responsables politiques.
Il en va autrement après la victoire alliée. La déception de Casals est à la mesure des espoirs mis dans la volonté
des puissances anglo-saxonnes de chasser le franquisme. Il interrompt une tournée triomphale au Royaume-Uni,
décline une invitation à la Cour des Windsor, refuse tous les honneurs qui lui sont proposés, lorsqu’il réalise
que ni les États-Unis ni le Royaume-Uni ne souhaitent le rétablissement de la République en Espagne. De là
date véritablement le choix du silence que rompent, loin des salles publiques, les cours de violoncelle donnés
à quelques privilégiés venus du monde entier. Replié à Prades, Casals continue de recevoir proches et disciples.
Avec la complicité de mélomanes locaux, amis personnels de l’illustre exilé, le violoniste Alexandre Schneider
parvient à le convaincre que l’organisation d’un festival, à Prades, ne l’amènerait pas à rompre son serment
dès lors que le public viendrait à lui. La commémoration prochaine du bicentenaire de la naissance de Bach
emporte les dernières réticences du musicien. Reste à trouver les financements, attirer et recevoir le public.
Le répertoire retenu et les artistes pressentis garantissent la qualité de la rencontre. Les obstacles d’ordre
matériel paraissent plus difficiles à surmonter. La fondation que dirige Alexandre Schneider n’est pas en
mesure de financer seule le coût de l’opération, mais l’horizon s’éclaircit alors bientôt lorsque "Columbia",
la grande maison d'édition de disques américaine décide de s’engager financièrement dans l’entreprise.
"L'art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l'orchestre. La vie sans musique
est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil". Les festivals de Prades ont redonné au musicien le goût
des spectacles publics. Dans le même temps, sa vie personnelle est ébranlée par la mort de sa compagne
et le mariage d’une nièce qui partageait leur foyer. Casals se trouve à la croisée des chemins. Soit il opte
pour la solitude, s’enfermant dans un combat en faveur des exilés dont le festival de Prades est le dernier
prolongement, soit il opère une reconversion complète qui le délie de son serment sans déroger à ses
principes. Sa rencontre avec une jeune musicienne portoricaine, venue à Prades étudier le violoncelle,
bouleverse sa vie. En 1957, leur mariage, l’installation définitive à Porto-Rico et l’échec de sa candidature
au prix Nobel de la paix déterminent une nouvelle orientation dans la vie de Casals. Dès 1956, le nom de
Casals circule, comme candidat potentiel au prix Nobel de la Paix, sans recueillir de suffrages, faute de
préparation. L’idée est relancée par les associations catalanes d’Amérique qui font appel à Albert Schweitzer,
ami du musicien et lauréat du prix en 1953. Celui-ci accepte volontiers la présidence du comité de parrainage,
créant les conditions pour que la candidature Casals soit alors retenue par le jury de Stockholm. Au sein de
ce comité, composé de personnalités du monde politique et artistique issues du large réseau d’amis de l’artiste,
on note l’absence des grandes figures de l’intelligentsia exilée. Il est vrai que les artisans de la campagne
ne cachent pas leur volonté d’écarter les espagnols et de souligner l’origine catalane du Maître, au risque
d’émousser la dimension universaliste d’une candidature placée sous le signe de la défense de la paix.
Instrumentalisée par les nationalistes catalans, la campagne échappe au principal intéressé au moment
où se profile la redoutable candidature concurrente du Président en exercice des États-Unis. Le silence
entretenu sur cet échec par tous les biographes de Casals, sans exception, semble à la mesure de la
déception engendrée. Il est possible que Casals l’ait davantage interprété comme une impasse de la cause
catalane que comme un affront personnel. Cela le conduit aussi à réévaluer l’inanité des sacrifices déployés
depuis tant d’années. Aussi, lorsque l’année suivante l’O.N.U. lui donne l’occasion de changer de combat,
il enfourche sans état d’âme ce nouveau cheval de bataille. Dès lors, Pablo Casals s'engagera à fond.
"La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée. Si on veut connaître un peuple, il faut
écouter sa musique. Il y a seulement deux moyens d'oublier les tracas de la vie: la musique et les chats".
Lot de consolation et manifestation de la mauvaise conscience de la communauté internationale à l’égard de
Casals, le secrétaire général des Nations Unies, Dag Hammarskjold, l’invite, le deux octobre 1958, à prendre
la parole à l’occasion d’un concert commémorant le dixième anniversaire de la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme. Cette fois encore, le directeur conclut sa représentation par le "Cant dels Ocells" auquel
il semble vouloir ôter la signification nationaliste qu’il lui prêtait auparavant. Profitant alors de l’achèvement
de l’oratorio, il décide d’en faire le fer de lance de son combat pour la paix. À partir de 1962, il enchaîne
les concerts dans les principales capitales internationales. Parmi les temps forts, il convient de signaler
l’exécution du "Pessebre" en 1961 devant la famille Kennedy à la Maison Blanche et en 1963 devant les
délégués des Nations Unies. Comme autrefois, le bénéfice des concerts est reversé à une Fondation pour
la paix. Comme jadis, un public de mélomanes fortunés fréquente ses représentations. Mais, alors qu’avant
la guerre, on venait acclamer le virtuose philanthrope, on vient désormais applaudir et soutenir le défenseur
d’une cause qui dirige une œuvre unique, la sienne, "Le Pessebre". Casals, devenu le "musicien institutionnel
de la paix", se verra confier, en 1971, deux ans avant sa mort, la composition de l’hymne des Nations Unies
et recevra, à défaut de prix Nobel, la médaille de la Paix des Nations Unies. L’exil a transformé Casals en
personnage de légende. Il a aussi brisé sa carrière et l’a définitivement coupé de son public populaire. Hors
de sa patrie, il ne sera plus le passeur de culture qu’il avait été dans la Catalogne des années 1930. Le
musicien s’est effacé devant l’autorité morale, l’interprète devant le compositeur et le chef d’orchestre. À sa
manière, l’itinéraire de Casals témoigne de l’impossibilité d’une culture d’exil, surtout lorsque le déracinement
se prolonge. Confronté à l’impasse de la cause catalane et républicaine, mais homme de fidélité, tiraillé entre
son rôle de porte-parole et l’attrait de la scène, l’artiste finit par trouver un compromis qui l’éloigna de ses
compatriotes, sans trahir ses engagements antérieurs. Utopiste, Pau Casals, très déçu par la communauté
internationale, se lança dans un long combat pour la paix universelle, il décida alors de jouer pour la paix.
Bibliographie et références:
- Henri Gourdin, " La jeune fille et le rossignol"
- J.-M. Corredor, "Conversations avec Pablo Casals"
- Jean-Bernard Blandenier, "Pablo Casals"
- J.-L. Tingaud, "Pablo Casals, musicien de la paix"
- Arthur Conte, "La légende de Pablo Casals"
- Jean-Jacques Bedu, "Pablo Casals, une conscience"
- Phryné Pigenet, "Pablo Casals"
- Joan Alavedra, "Pau Casals"
- Josep Anselm Clavé, "Pablo Casals"
- Bruno Lehmann, "Casals, musicien de la paix"
- Marc Albet, "Conversations avec Pablo Casals"
- Josep Maria Figueres, "Pau Casals, une vie au service de la paix"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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