Méridienne d'un soir
par le 16/11/23
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"La seule façon de renforcer notre intelligence est de n'avoir d'idées arrêtées sur rien, de laisser l'esprit accueillir toutes les pensées. Je rêve que nous sommes des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours d’été seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire. La mer de ma vie a été cinq ans à sa marée basse. De longues heures ont laissé rouler le sable par flux et reflux. Depuis que je fus enlacé dans les rets de ta beauté, que je fus séduit par le dégantement de ta main". Ici repose celui dont le nom était écrit dans l’eau. "Here lies one whose name waswrit in wate". La simple épitaphe sur la tombe de John Keats (1795-1821), écrite et voulue par lui, dit tout de son passage "liquide" parmi nous. Il s’en va flottant dans les fleuves patients du temps, John Keats, basculé dans l’autre rive avant son temps, avant les fruits mûrs même. Pour lui Shelley, son ami, son protecteur, qui se noya dix-huit mois après la mort de Keats, et sur qui l’on retrouva un recueil des poèmes de Keats aura écrit: "Paix, paix, il n’est pas mort, il n’est pas endormi, il s’est réveillé, de ce rêve qu’est la vie". Ils reposent côte à côte désormais au cimetière protestant de Rome. John Keats fut le poète de l’effacement, l’amoureux de l’obscur. Celui d’une étrange alchimie entre une douce mélancolie et l’attrait de la douce mort. Il fut aussi un poète profondément épris d’éthique et de morale, d’affects romantiques et de visions transcendantes. Le poète d’Endymion et d’Hypérion aura inspiré les sagas éponymes de Dan Simmons. Il flotte comme l’aérien de la voix d’Alfred Deller sur ses vers ailés. Comme tout poète lyrique anglais romantique, il aura aimé célébrer la solitude, et la nuit, la nature immuable, le sommeil et le pays d’or à jamais perdu de la Grèce, ses dieux et ses titans ombrageux, ses amants de la Lune et ses légendes. Pourtant sa voix, longtemps méconnue de son vivant, est unique et singulière, admirée presque à l’égal de Shakespeare. Il reste celui que l’on aime tendrement, tant il semble fragile et évanescent, une sorte de frère cadet en poésie. Il est difficile de percevoir en notre langue, sans le déflorer, son univers vibrant à l’écoute du rouge-gorge et du vent tendre. Les insectes et les rossignols se mêlent aux dieux et aux automnes mélancoliques. Ses vers semblent s’évaporer. Il nous parle souvent entre rêverie et effacement. D’une voix douce venant des bords de l’oubli, il donne à boire aux lecteurs, une eau fraîche de mémoire puisée dans les ruisseaux de l’innocence.

 

"Et maintenant je ne fixe plus le ciel à minuit, sans que m'apparaisse la lueur de tes yeux restée vivace en moi. Jamais je n'admire la couleur d'une rose, sans que mon âme prenne son élan vers ta joue. Il m'est impossible de regarder une fleur en bouton, sans que mon oreille passionnée, en pensée à tes lèvres, et guettant un amoureux soupir, se rassasie". Sa recherche éperdue de la beauté semble indolente, évidente, malgré son affirmation péremptoire: "La beauté est la vérité, et la vérité est la beauté". Cet axiome réducteur, il ne se l’appliquera pas à lui-même. Il fera plutôt sienne cette phrase de Valéry. "L’amour a la puissance du chant, si vous ne le savez pas, allez le demander au rossignol". Keats le savait, il était lui-même rossignol. John Keats, éternel adolescent, semble ne jamais avoir eu son content d’hirondelles, elles passent encore en lui, entraînant la nappe du ciel avec elles. Sa poésie semble un doux périple dans un chemin bordés de saules et de noisetiers, de fantômes et de visages de femmes enfuies. Des dieux endormis sont les bornes où se glisser. Elle est gorgée d’images et de désirs, de formules magiques d’un autre temps et de deuils jamais cicatrisés. Comme brume monte de ses mots une profonde mélancolie. Elle est une alchimie des regrets, des espérances. Ses odes, partie centrale de son œuvre, sortent de la terre et flottent dans la fumée. Lui le fragile, le passant éphémère, l’orphelin, l’amoureux mal récompensé, ne trouvait de réconfort qu’en se projetant dans la nature éternelle. Il avait soif de transcendance et prenait son envol vers l’ailleurs par ses mots. "S’effacer, se dissoudre, surtout oublier ce que toi tu n’as jamais su parmi les feuilles. La lassitude, la fièvre et le souci, ici, là où se tiennent les hommes et s’écoutent chacun gémir. ("Ode au rossignol"). Telle semblait être son aspiration, avec cette sourde fascination pour cette mort douce et tendre, qui lui tenait déjà compagnie depuis si longtemps et lui mettra la main sur l’épaule fermement dès 1820, après avoir fauché ses proches. Cette tentation de cesser d’être, à minuit, sans aucune souffrance, sera en filigrane dans ses vers et dans sa courte vie. Il était lumineux, idéaliste. Lui le pauvre, l’autodidacte, le roturier parmi ses pairs poètes d’une autre classe sociale, il avait la tête dans les nuées et ses visions allaient vers un envol dans ces mots et par ses mots. Comme un somnambule, il traverse dans un rêve éveillé ce monde, se demandant s’il dort encore ou s’il est éveillé. Adorateur des sensations, "Ô qu’on me donne unevie de sensation plutôt qu’une vie de pensée". Il fut exaucé, mais dans la brièveté. Il est passé, elfe perdu dans ses visions.

 

"De sa douceur en sens inverse: - Tu éclipses, avec ton souvenir toutes les autres délices, et mélanges de chagrin mes plaisirs les plus chers. Beauty is truth, truth beauty, that is all. Ye know on earth, and all ye need to know". Au lieu du monde des sensations, il hume tous les parfums de l’imagination. Il s’y dilue, il fait passer l’intensité du monde dans l’intensité de ses vers. Mais cette intensité ne sert qu’à mieux s’effacer. Comme ses mots il est devenu une réminiscence. Sa très courte vie, son encore plus brève vie créatrice, aura eu l’éternité de la beauté. lI naquit à Londres, le trente-et-un octobre 1795. Il était fils d’un palefrenier. Orphelin de père à dix ans, il perd sa mère à l’âge de quinze ans. Il est plongé dans le monde de la littérature antique et celle de son temps, et il se voue au culte de la beauté, il fait allégeance au transcendant. En fait Keats "découvre qu’il ne peut exister sans poésie, sans poésie éternelle". Au travers uniquement de traductions, et de dictionnaires illustrés, il se recrée l’harmonie grecque sans connaître cette langue. Son éducation se fera à Enfield dans une petite école tenue par un pasteur. Il interrompit des études de médecine en 1814, alors qu’il avait près de vingt ans, préférant se tourner vers la poésie que vers la dissection. Ses premiers poèmes les sonnets  "Oh, Solitude if I withThee Must Dwell" et "Après une première lecture de l’Homère de Chapman", parurent en 1816. Son premier véritable recueil de poèmes, intitulé simplement "Poèmes" est publié en 1817. Shelley se disait alors son grand ami et Byron son admirateur, malgré une certaine réserve de classe envers le "cockney", le londonien de basse couche. Et puis cette sensualité et ce paganisme au milieu de la société victorienne, cela faisait mauvais genre. Son génie précoce est encore un mystère. Ses contemporains ne l’aimèrent guère. Son deuxième recueil, 1818, "Endymion", est une allégorie sur les amours d’un homme et de la déesse Lune. Il fut totalement incompris, tant sa novation était grande et son sens obscur. Sa pleine maturation poétique se situe entre 1818 et 1820. Mais déjà la phtisie et une maladie héréditaire le poursuivent. La mort de son frère Tom en 1818, l’accable. Son troisième et dernier recueil à paraître de son vivant contient ses plus belles œuvres, les odes dont "Ode à l’automne", "Ode sur une urne grecque", "Ode sur la mélancolie" et "Ode à un rossignol". Mais aussi le poème inachevé "Hypérion", la "Veille de la Sainte-Agnès", et d’autres poèmes sur des thèmes mythiques de l’Antiquité, de la chevalerie du Moyen Âge. Son amour passionné pour Fanny Brawne, restera inaccompli, en tout cas peu compris. Ses lettres à Fanny sont totalement déchirantes, il l’idéalisa et l’aima jusqu’à la plus profonde souffrance.

 

"Dites, mon amour, s'il n'est pas cruel à vous de m'avoir pris dans vos filets, d'avoir détruit ma liberté. L'avouerez-vous dans la lettre que vous devez sur-le-champ m'écrire et où vous devez par tous les moyens me consoler". Keats, issu d'un milieu londonien très humble, menacé très tôt par la tuberculose, disparut avant sa vingt-sixième année. Il s'était voué très jeune au culte de l'absolue beauté. Il salua les Grecs, qu'il ne connaissait que par des traductions, comme ses inspirateurs et sut faire revivre leur mythologie. Plus tard, Milton fut son modèle. Il redonna une vie originale à la poésie narrative, et ses fragments épiques constituent l'une des très rares réussites romantiques dans le genre si périlleux de l'épopée. Surtout, dans plusieurs sonnets et dans cinq ou six grandes odes, Keats réalisa une œuvre d'une plénitude et d'une perfection qui le placent non loin de Shakespeare. Sa gloire n'a plus été mise en question après sa mort, alors qu'il avait été méconnu ou méprisé de son vivant. Sa courte et tragique existence, sa maîtrise de la forme et l'incroyable maturité de ses idées sur la poésie exprimées dans ses lettres, qui ont fasciné nombre de modernes, font de lui le génie le plus précoce de toute la littérature anglaise, comparable à Mozart ou à Rimbaud. À la différence de ses deux aînés, Wordsworth et Coleridge, qui appartenaient à la classe bourgeoise et venaient de l'Angleterre provinciale, de Byron et de Shelley, tous deux aristocrates, élèves des "public schools", de Cambridge et d'Oxford, John Keats était londonien, pauvre, fils aîné d'un palefrenier qui mourut en 1804 d'une chute de cheval. Sa mère semble avoir été une femme de caractère gai, affectueuse, très attachée à son premier enfant. Le second fils, George, émigra plus tard aux États-Unis, le troisième, Tom, mourut en 1818, ce dont John eut un immense chagrin. Une jeune sœur, Frances, née en 1803, s'efforça de comprendre son frère et correspondit avec la fiancée de celui-ci, alors qu'il se mourait de tuberculose en Italie. L'argent manquait pour envoyer l'enfant à l'une des écoles renommées de l'Angleterre. Il reçut néanmoins une éducation convenable dans une petite école d'Enfield tenue par un pasteur, y apprit le latin, ne sut jamais le grec, mais semble déjà s'être passionné pour la mythologie hellénique à travers des dictionnaires illustrés. Autodidacte de génie, la grâce s'abattit alors sur lui, pour ne jamais le quitter.

 

"Quelle soit aussi envoûtante qu'une bouffée de pavots et me fasse tourner la tête, tracez les mots les plus doux et baisez-les, que je puisse du moins poser mes lèvres là où les vôtres ont été". En 1813, il commença des études de médecine, s'en lassa au bout d'un an et demi, ne ressentant nul attrait pour la dissection. Il avait alors près de vingt ans et la lecture de "La Reine des fées" de Spenser lui avait révélé sa passion pour la poésie. Il se lia d'amitié avec un cercle littéraire à idées politiques avancées pour l'époque, un peu vulgaire de sensibilité et d'expression, dont l'animateur était Leigh Hunt. Shelley, qui plus tard aida financièrement. Leigh Hunt, apparaissait quelquefois parmi eux. Mais, peut-être en raison de leur origine sociale différente, Keats et Shelley ne se prirent pas alors d'une vive sympathie mutuelle. Byron se montra encore plus dédaigneux du poète "cockney" qu'il croyait voir en Keats. Dès sa vingt et unième année, Keats écrivit l'un des plus parfaits sonnets de la littérature anglaise, sur sa découverte de la traduction d'Homère par Chapman. Il y comparait son émotion devant ce monde merveilleux de la Grèce primitive, rendu par un poète élisabéthain, à celle d'Hernán Cortés et de ses compagnons apercevant le Pacifique: "Muets, sur un pic à Darién". Il traduisit alors dans d'autres sonnets son émerveillement à la visite des marbres du Parthénon que lord Elgin avait rapportés d'Athènes. Une note de joie intense en présence de la nature et des légendes de la chevalerie médiévale aussi bien que de la Grèce résonne dans le premier volume de Keats, "EarlyPoems" (1817). Le plus long poème de ce recueil juvénile "Sleep and Poetry" (Sommeil et poésie), ne traite guère du sommeil, thème favori des poètes anglais, sinon comme prétexte à des visions de rêve, mais affirme un credo poétique opposé à Boileau, à Pope, à tout classicisme aride. "Ce que l'imagination saisit comme beauté doit être la vérité", affirmera plus tard, ce jeune poète qui louera l'imagination avec plus de ferveur encore que Coleridge. Les maîtres de Keats étaient alors Spenser, les lyriques du XVIème siècle et Shakespeare, qu'il lut et médita envoyageant. La sensualité des poèmes de Shakespeare ("Vénus") et de Marlowe ("Héro et Léandre") le séduisait.

 

"Quant à moi j'ignore la manière de témoigner mon ardeur à une personne d'une telle beauté. Il me faudrait un mot plus éblouissant qu'éblouissante, plus magnifique que magnifique". Voir en Keats un pur esthète serait un singulier contresens, largement répandu d’ailleurs par la critique victorienne et celle du début du XXe siècle. Certes l’art, en ce qu’il est fabrication du bel objet poétique, occupe une place essentielle dans son œuvre. Inventer le beau poème, trouver les schémas métriques, les textures phoniques et les structures strophiques permettant de le façonner, voilà qui a toujours été pour lui une préoccupation quotidienne, en quelque sorte nouée à l’existence, à la profondeur du sujet, à son étrangeté et, donc, à son mystère. Pour reprendre les deux notions sur lesquelles vient se conclure la célèbre "Ode on a Grecian Urn", beauté et vérité sont indissociables, jusqu’à tisser un lien étroit d’identité. La vérité du sujet, que celui-ci parle en son nom ou pas, vient se dire dans les effets de la lettre, dans le travail dusignifiant, dans le rapport, parfois angoissé, que l’artisan entretient avec le matériau de la langue et avec ceux qui l’ont déjà pétri. Déclaration aussi subtile que profonde, lestée de significations, tout à fait dans la manière keatsienne. "Allêgoria" (agoria allos): "parler autre", soit parler pour signifier autre chose. Peut-être aussi parler aux autres tout en signifiant un noyau de vérité relevant de ce que l’intériorité contient de plus secret, puisque le verbe "êgorein" suggère l’idée d’un discours tenu à la foule rassemblée. On le voit, Keats ressent obscurément le caractère foncièrement intime de la poésie. Socialisée, ouverte aux autres, elle s’enlève néanmoins sur ce qu’il y a de plus enfoui à l’intérieur du sujet. Il affirmait qu’il ne pouvait exister en dehors de la poésie, mais celle-ci, par sa nature de chant lyrique, par ses règles codifiées et ses conventions, par la fabrication même de l’objet de beauté qu’est le poème à lire, ne peut alors que se placer dans le champ de l’intersubjectivité, du dialogue et du plaisir partagé. Il n’aura d’ailleurs, tout au long de sa courte existence, le désir d'un lectorat, de vouloir, avec acharnement, se faire reconnaître en tant que poète authentique. Marque, certes, de narcissisme, mais non point d’égotisme.

 

"J'en viendrais presque à souhaiter que nous fussions papillons dotés seulement de trois journées d'été à vivre, ces trois jours avec vous, je les emplirais de plus de délices que n'en pourraient jamais receler cinquante années ordinaires". S’il est vrai que la vie d’un homme s’éploie sur un secret, que la trajectoire de son existence tisse le texte allégorique d’un mystère, texte sacré et figuré semblable à celui des Écritures, texte parabolique s’il en est, pour le moins à double face, la poésie de l'homme sera alors, même inconsciemment, "aimantée" par ce mystère, mue par "les forces secrètes qui animent en profondeur le sujet". Le texte, avec ses entours para textuels, devient "la réalité première qui détermine la vie ou qui tout au moins la préinscrit". Le destin de Keats ne sera pas de jouer un rôle, mais d’exister dans et par l’écriture. Il s’agira pour lui, accompagné, guidé par ces géants que furent à ses yeux Dante, Shakespeare, Milton ou Wordsworth, de figurer en un autre sens, de tisser la langue des figures pour se dire et, ce faisant, de rendre explicite le désir intense de produire l’œuvre. La vie de Keats est donc, tout à la fois, bien réelle et imaginaire. Reconnaître cette dimension d’une authentique existence poétique, c’est, fondamentalement, faire une biographie littéraire, une biographie qui rende compte du processus créateur. Dans le cas de Keats, la mort de la mère est l’événement traumatique permettant une interprétation aussi féconde que cohérente de la pratique poétique. Il n’échappera à aucun lecteur quelque peu informé des thèmes essentiels de son œuvre. La beauté, le désir et la poursuite amoureuse, l’oralité s’attachant au matériau des signifiants, la recherche d’une plénitude ici-bas dans cette forme d’éternité substantielle, et non point transcendante, qu’est l’instant gonflé d’intensité du poème se configurant, s’écrivant, cette belle chose dont Endymion nous dit qu’elle est une joie perpétuelle, que le mode poétique keatsien de l’existence s’origine dans le manque et donc qu’il consiste souvent à fantasmer les objets pouvant se substituer, fréquentes, en effet, sont les métonymies jouant cette fonction, à la "Chose qui a pour destin d’être perdue". Véritable approche psychanalytique, s'il en est.

 

"Si je devais être heureux avec vous ici-bas l'existence la plus longue serait ô combien brève, je voudrais croire en l'immortalité. Je voudrais vivre éternellement avec vous. Pour qui est demeuré longtemps confiné dans la ville, il est bien doux d'absorber son regard, dans le visage ouvert et beau du ciel, d'exhaler une prière, en plein sourire du firmament bleu". Le recueil de 1817 a quelque chose d’initiatique dans la carrière de Keats. Moment clé où s’élabore la singularité d’un lyrisme, son véritable registre. Le poète y cherche sa voix, y dessine l’espace propre à sa parole en se confrontant aux contraintes formelles. Il se prépare, mais l’on sent naître et déjà monter un style. C’est sans doute à ce moment qu’il se forge sa langue propre, cette langue qui ne plonge que dans la mythologie personnelle et secrète de l’auteur, où s’installent une fois pour toutes les grands thèmes verbaux de son existence, langue qui se libère, pourrait-on dire, à partir "des profondeurs mythiques". Pan, Endymion, Apollon, puis Saturne et Hypérion sont les figures mythologiques autour desquelles se construit le scénario de l’avènement de la parole de beauté et de vérité. Stases mélancoliques, refuges dans l’Imaginaire, nécessité d’ourdir la trame de la parole symbolique raccordant le sujet au Réel. Telles sont, alors, les étapes du sujet keatsien fabriquant une langue, travaillant à "se faire parler" à travers les formes poétiques. Travail pour ainsi dire scandé et éclairé par ses marges, par ces textes lyriques courts qui illuminent alors la correspondance, mais aussi par une authentique théorisation paradoxale de la poésie, du poète et du poétique attestée par cette même force correspondance. Le trois février 1820, alors que s'accentue la fréquence des crachements de sang, Keats offre à Fanny de lui rendre sa parole, ce qu'elle refuse. En mai, alors que Brown voyage en Écosse, il demeure à Kentish Town près de Leigh Hunt, puis chez Hunt même. De plus en plus, les médecins recommandent un climat clément, celui de l'Italie. Shelley, qui se trouve à Pise, invite le malade à le rejoindre, mais il répond sans enthousiasme. Ce n'est que le cinq novembre que commence l'ultime étape vers Rome dans une petite voiture de louage. Son ami peintre Joseph Severn passe son temps à distraire au mieux son compagnon de voyage. Arrivés le dix-sept novembre, les deux voyageurs s'installent au vingt-six Place d'Espagne, au pied des escaliers de la Trinité des Monts dans un appartement donnant sur la Fontaine Barcaccia. Keats sombre dans la mort, le vingt-quatre février 1825, si doucement que Severn, qui le tient dans ses bras, le croit toujours endormi. Il avait vingt-cinq ans. Ses dernières volontés sont à peu près respectées. Keats repose au cimetière protestant de Rome. Comme il l'a demandé,aucun nom ne figure sur sa tombe et y est gravée l'épitaphe "Ici repose celui dont le nom était écrit sur l'eau". 

 

Bibliographie et références:

 

- Hermione De Almeida, "La médecine romantique et John Keats"

- Grant F. Scott, "The sculpted word: Keats"

- Stephen Coote, "John Keats, a Life"

- Ayumi Mizukoshi, "John Keats"

- Greg Kucich, "Keats and english Poetry"

- Christine Berthin, "Keats entre deuil et mélancolie"

- Marc Porée, "Keats, au miroir des mots"

- Alain Suied, "John Keats et le sortilège des mots"

- Bernard-Jean Ramadier, "Le périple poétique dans Endymion"

- Robert Davreux, "Seul dans la splendeur de John Keats"

- Christian La Cassagnère, "John Keats: les terres perdues"

- Jean-Marie Fournier, "L'hypersensibilité de la poésie keatsienne"

- Denis Bonnecase, "Keats revisité: Melencolia II"

- John Strachan, "The Poems of John Keats"

 

Bonne lecture à toutes et à tous.

Méridienne d'un soir.

Thèmes: littérature
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