Méridienne d'un soir
par le 04/12/23
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"Je me sens toujours heureux, savez vous pourquoi ? Parce que je n'attends rien de personne. Les attentes font toujours mal, la vie est courte. Aimez votre vie, soyez heureux, gardez le sourire et souvenez vous. Avant de parler, écoutez. Avant d'écrire, réfléchissez. Avant de prier, pardonnez. Avant de blesser, considérez l'autre. Avant de détester, aimez et avant de mourir, Vivez. Il aimait la mort, elle aimait la vie. Il vivait pour elle, elle est morte pour lui. Doute queles étoiles soient de feu, doute que le soleil se meut, doute que la vérité mente elle-même, mais ne doute pas que jet'aime". Considéré comme le plus grand dramaturge de la culture anglo-saxonne, William Shakespeare (1564-1616) est issu de la bourgeoisie de Stratford-upon-Avon, dans le Warwickshire, une situation confortable qui lui permet d'étudier pendant quelques années avant un mariage précipité. On le suppose établi à Londres en 1588. Cette période de sa vie demeure mystérieuse pour les historiens qui retrouvent alors sa trace en 1592, citée dans des chroniques théâtrales. Son premier mécène est le comte de Southampton à qui il dédie ses Sonnets en 1609. Contemporain et collaborateur occasionnel de Christopher Marlowe et de Ben Jonson, l'écrivain joue ses propres pièces à la cour d'Elisabeth 1re et de Jacques 1er. Il acquiert un peu plus d'indépendance en devenant actionnaire du théâtre du Globe et du Blackfriars en 1608. Quatre ans plus tard, le poète met fin à sa carrière et rentre à Stratford. Auteur d'une œuvre unique et intemporelle, il s'attache à décrire les jeux du pouvoir et les passions humaines, mêlant joie et douleur avec "une poésie illimitée", selon Victor Hugo. Surtout connu pour ses tragédies: "Roméo et Juliette" (1595),"Hamlet" (1603), "Le Roi Lear" (1604) ou "Macbeth" (1606), Shakespeare déploie ses talents dans de nombreux registres comme la comédie, "Beaucoup de bruit pour rien", "La Mégère apprivoisée", et la tragédie historique "Richard III", "Henri V", "Henri VI". La virtuosité stylistique et la richesse de ses intrigues font de l'œuvre de William Shakespeare un monument de la littérature qui ne cesse d'inspirer les écrivains et les artistes d'hier et d'aujourd'hui. "Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde". "Totus mundus agit histrionem". Le monde entier fait l’acteur. Cette occurrence de la métaphore théâtrale, qui vient de Pétrone, est très riche de la tradition antique,chrétienne, médiévale et humaniste d’un topos que Shakespeare et ses contemporains connaissent bien. Que signifie-t-elle à l’entrée d’un théâtre ? Plus que la reprise d’un lieu commun, l’usage qui en est fait dans le contexte emblématique du seuil, ou de la frontière, entre un théâtre réel et le monde, actualise sa signification de manière singulière. Chacun des termes qui composent ainsi la devise qualifie aussi bien le théâtre que le monde, dont elle indique la troublante réversibilité. À des spectateurs qui entrent et sortent d’un théâtre où ils ont vu des acteurs interpréter une fable fictive, sous l’apparence illusoire de personnages qu’ils ne sont pas, elle rappelle que la fiction, l’apparence, et peut-être le faux ne sont pas enclos dans l’enceinte du théâtre qu’ils rejoignent ou qu’ilsquittent, mais qu’ils caractérisent le monde, et leur mode d’être dans le monde, que le théâtre ne fait que refléter.

 

"L'enfer est vide, tous les démons sont ici. Quand la neige fond, où va le blanc ? Ce qui n'est pas exprimé, reste dans le cœur, et peut le faire éclater. Rien n'est bon ou mauvais en soi, à part si la pensée le rend tel". Des signes lisibles se manifestent, dans le monde naturel, de la surveillance divine. Il n’est que de se remémorer, avec Macbeth,le désordre de la nature entière qui accompagne la nuit de l’assassinat de Duncan. Les morts surveillent les vivants. Les spectres des assassinés, Banquo, Hamlet père, les victimes de Richard III, regardent ainsi les assassins, et les conduisent à leur perte. Le théâtre de Shakespeare est problématique, non démonstratif. Il expose les échecs ou défaillances de la surveillance, plus que son fonctionnement régulier. Les filles déjouent la surveillance des pèresdans les comédies, les usurpateurs celle des rois dans les tragédies et pièces historiques. Les rois veillent mal surleur royaume et s’en font déposséder, les sentinelles ne protègent pas leurs remparts de l’irruption des spectres. William Shakespeare naît en 1564 et meurt cinquante deux ans plus tard, en 1616. Malgré les très nombreuses inconnues de sa biographie et les incertitudes persistantes qui continuent encore aujourd'hui, de passionner ses biographes et d’entretenir toutes sortes d’hypothèses, on ne se trompe pas en dégageant le fil rouge juridique qui la parcourt. Le père de William, John Shakespeare, homme d’affaires avisé, exerce des responsabilités importantes dans la petite ville qu’il habite, Stratford-upon-Avon, dans le Warwickshire, au cœur de l’Angleterre, dont il sera élu échevin en 1565, puis bailli trois ans plus tard. Il revêt la toge rouge et est précédé d’un huissier portant la masse, ce qui ne devait pas manquer de ravir le jeune William. Il exerce également des fonctions de juge et de président du greffe. En 1577, pour des raisons alors inconnues, il se retire brusquement et définitivement des affaires. On s’accorde généralement à penser que ses sympathies présumées pour le catholicisme désormais proscrit sont à l’origine de ce retrait et du renoncement à tous les honneurs qui accompagnaient ses fonctions. Il est en effet porté sur la liste locale des "récusants" qui refusaient obstinément d’assister aux offices anglicans. Sa situation est d’autant plus délicate qu’il est lié par mariage aux Arden, une famille notoirement catholique du Warwickshire. Cettegloire, puis ce brusque échec du père, allaient durablement marquer le fils. Ses pièces sont remplies de rois, de princes et de notables en proie au doute, ou encore déchus, comme si le poids des responsabilités les inhibait ou les écrasait. On songe à "Hamlet", "Prospero", "Timon d’Athènes", "Coriolan", "Lear", "Richard II", et tant d’autres.

 

"Notre corps est notre jardin et notre volonté est le jardinier. Gémir sur un malheur passé est le plus sûr moyen d'en attirer un autre. Nos doutes sont des traîtres et nous privent de ce que nous pourrions souvent gagner de bon parceque nous avons peur d'essayer". C’est dans ce contexte local, à la fois prospère et troublé, que William poursuit sa formation. A-t-il travaillé au service du greffier de Stratford ou comme clerc d’un notaire du lieu ? On le soutient très fréquemment. Dans les rares manuscrits de sa main dont nous disposons, les graphologues reconnaissent une écriture de juriste, ce qui confirmerait qu’il a étudié le droit ou du moins recopié des actes officiels. On relève aussi que c’est sans doute comme clerc qu’il a pu connaître de l’intérieur, et dans tous ses détails, l’affaire réelle qui l’inspirera plus tard pour décrire le suicide d’Ophélie: la mort par noyade, en 1580 et dans des circonstances très mystérieuses, d’une certaine Katherine Hamlett, que sa famille s’efforça, comme dans la pièce, de faire échapper à l’accusation de suicide afin de lui assurer une sépulture chrétienne. Une noyade, dans l’Avon, en un endroit bordé de saules et de couronnes. Plus important que l’écriture ou la bibliothèque. Les critiques ont souvent noté l’esprit juridique de Shakespeare, sa capacité de peser très soigneusement le pour et le contre de chacun des points qu’il aborde. Et lorsque, parvenu à maturité, il sollicita et obtint le droit de porter blason, il choisit une devise éloquente. "Non sans droit". Mais ses rapports au droit ne sont pas qu’honorifiques ou livresques. Tout au long de sa carrière. L’avènement de Jacques I allait consacrer le sommet de son ascension sociale. En 1603, le nouveau monarque l’autorise, par lettre patente, "à se produire pour la récréation de nos sujets bien-aimés comme pour notre réconfort et plaisir dans sa nouvelle demeure du Globe ainsi que dans les autres villes du royaume". Désormais la troupe de Shakespeare portera le nom envié de "Comédiens du roi". Shakespeare lui-même est alors nommé valet de la chambre du souverain, ce qui lui donnait le droit de participer en livrée à ses cortèges lors des cérémonies officielles. Il jouera jusqu’à quatorze fois la même année devant le roi. Du saltimbanque itinérant des débuts au notable couvert d’argent et de privilèges, il aura mis trente ans à parcourir tous les échelons de la réussite sociale.

 

"Pour bien connaître un homme, il faudrait d'abord se connaître soi-même. Pardonner est une action plus noble et plus rare que celle de se venger. L'amour est une fumée formée des vapeurs de soupirs". Mais cette ascension ne s’opère pas sans heurts. Croiser le droit, c’est aussi, pour lui, hanter les prétoires. ses démêlés judiciaires sontincessants. Son père déjà avait été mêlé, à titre de demandeur ou de défendeur, à une cinquantaine de procès de toute nature. En 1580, John fut même alors condamné à une très sévère amende par le Queens Bench de Wesminster pour refus de fréquenter l’église. Les registres attestent que, très souvent, dès qu’il eut atteint l’âge de la maturité, William agissait aux côtés de son père, n’hésitant pas à faire témoigner des amis comédiens en sa faveur. Mais le fils ne demeure pas en reste. Il est impliqué dans toutes sortes de litiges civils ou pénaux. On le retrouve devant des juridictions religieuses ou civiles, locales ou royales. Il assigne ou est alors assigné pour non paiement de dettes, pour des questions d’héritages, des litiges fonciers, des problèmes liés à l’exploitation de ses théâtres. À l’époque d’Elisabeth et de Jacques Ier, le théâtre anglais allait connaître un engouement sans précédent et une transformation fondamentale, au point qu’il n’est pas exagéré de soutenir ainsi que les années1560-1620, soit la durée vie de Shakespeare, furent véritablement celles de la naissance du théâtre moderne. Au cœur de ces mutations, quatre enjeux: le contrôle policier, la censure, le mécénat et le statut de l’auteur.William Shakespeare, qui est le troisième de huit enfants, fait alors ses études à la Grammar School de Stratford, d'excellente renommée, et selon certains, suit même pendant un trimestre ou deux les cours de l'université d'Oxford. Mais, à l'âge de dix-huit ans, il épouse Anne Hathaway, fille de cultivateurs, de huit ans son aînée, et, au cours des trois années qui suivent, a avec elle trois enfants, si bien qu'il doit renoncer à poursuivre ses études. Avant 1592, on ne possède guère d'indications sur sa vie. On ignore comment et où il vit. Une tradition qui remonte au XVIIème siècle rapporte qu'il est maître d'école à la campagne, et on considère aujourd'hui que cette tradition est encore digne de crédit. Quant à l'autre tradition selon laquelle Shakespeare a dû quitter Stratford pour échapper à sir Thomas Lucy dans la chasse duquel il aurait volé un daim, elle est abandonnée de nos jours. Sir Thomas Lucyne possédait tout simplement pas de parc renfermant des daims au moment de la jeunesse de Shakespeare.

 

"Faites concorder l'action et la parole, la parole et l'action, avec une attention très particulière, celle de ne pas outrepasser la modestie de la nature. Car tout ce qui surjoue ainsi s'éloigne du propos du théâtre, dont la seule fin,du premier jour jusqu'au jour d'aujourd'hui, reste de présenter comme un miroir à la nature". Il est possible que Shakespeare ait écrit ses premières pièces pour des compagnies de province: en 1592, il se trouve à Londres,et jouit d'une certaine renommée en tant qu'acteur et dramaturge, comme le prouvent l'allusion dédaigneuse faite par Robert Greene dans Deux liards d'esprit et l'appréciation favorable de Henry Chettle, datant de la même année, où il est dit que Shakespeare est protégé par diverses "personnes de qualité". Au vrai, il s'est lié dès 1594, l'on ignore de quelle façon, avec le jeune comte de Southampton, Henry Wriothesley, auquel il dédie deux poèmes,"Vénus et Adonis" (1593) et "Le Viol de Lucrèce" (1594), ainsi que la plus grande partie des "Sonnets", écrits peut-être entre 1593 et 1597. La première date marquante de sa carrière dramatique est l'année 1591, la seconde et la troisième partie d'"Henri VI". En effet, dans le remaniement qui a été fait de ce drame, on trouve des traits d'un caractère à la fois sentimental et comique qui semblent bien dans sa manière. Outre le drame historique alors en vogue, Shakespeare aborde la comédie, qui en est encore à ses débuts, avec "La Comédie des erreurs"et le drame sombre avec "Titus Andronicus" et "Richard III", première de ses pièces imprimée, sous l'anonymat,en 1594. "Titus Andronicus" et "Richard III" témoignent de l'influence de Marlowe, alors que Marlowe s'inspire lui-même de l'"Henri VI" de Shakespeare pour son "Edouard II". Le génie de Shakespeare transparaît alors à peine dans ce premier groupe de pièces de théâtre. On suppose parfois que le jeune dramaturge séjourne uncertain temps dans le nord de l'Italie entre 1592 et 1594, peut-être en compagnie de Southampton. Ces années coïncident d'ailleurs avec la désorganisation du théâtre londonien, à la suite de l'épidémie de peste. Mais au vrai, cette supposition ne repose que sur le fait que Shakespeare écrit ensuite une série de drames qui se déroulenten Italie et où abondent des détails géographiques assez précis. En fait, il est possible que Shakespeare ait appris ces détails d'un italien résidant à Londres, Giovanni Florio, auteur de manuels de conversation italienne,d'un dictionnaire italien-anglais, et célèbre traducteur de Montaigne, qu'il rencontre alors chez Southampton.

 

"De montrer son visage à la vertu, sa propre image au ridicule. Au corps et à l'âge même du temps sa force et son reflet. Mais surjouer, ou jouer trop faible, même si cela fait rire les ignorants, ne pourra qu'affliger les hommes de goût, dont l'opinion d'un seul doit avoir plus de poids pour vous que celle d'une salle entière". Le comte se montre extrêmement munificent à l'égard de Shakespeare et il est possible que ce soit grâce à sa générosité qu'il devienne actionnaire de la compagnie du lord chambellan. La carrière de Shakespeare s'identifie en effet à l'histoire de ces Chamberlain's men qui, sous Jacques 1er, prennent le nom de "King's Men", serviteurs du roi. La compagnie, en honneur à la cour, connaît une prospérité continue. Shakespeare ne cesse d'écrire des drames, sans faire tort à sa production poétique, puisqu'il compose en tout au moins mille six cents sonnets. Le ton des sonnets, bien qu'ils fassent leur part aux conventions alors à la mode, atteint à un pathétique que l'on ne trouve généralement pas dans ce genre de poésie, et permet de découvrir un aspect de Shakespeare que l'on nesoupçonne pas chez cet auteur de drames à succès tel que le montrent les documents biographiques qui nous sont parvenus. En 1596, les archives contiennent des indications d'après lesquelles Shakespeare est revenu à sa famille et à son pays natal: on trouve consignées la mort de son fils Hamnet, et une pétition adressée par lui au collège des hérauts pour que celui-ci lui accorde les armoiries à sa famille. En 1597, Shakespeare achète une propriété à Stratford, bien qu'il continue de résider à Londres au cours des années suivantes. La période qui va de la moitié de 1599 à 1601, c'est-à-dire depuis le départ du comte d'Essex pour l'Irlande jusqu'à l'échec de sa conspiration, coïncide avec une période d'incertitude dans la production de Shakespeare. Conscient de sa force, il semble hésiter à se lancer dans de grandes entreprises, et se contente de donner trois comédies: "Beaucoup de bruit pour rien", "Comme il vous plaira" et "La Nuit des rois". Vers la fin du règne d'Elisabeth, ildonne toute sa mesure dans le drame historique, atteignant ainsi aux plus parfaites réussites avec "Richard II","Henri IV", "Henri V", et dans la comédie avec "Les Joyeuses Commères de Windsor". Mais il n'est pas encore parvenu à écrire des tragédies dignes de lui, bien qu'il se soit essayé au drame sanglant, avec "Titus Andronicus",car il se contente encore, même s'il les transforme selon son génie propre, de se servir des anciennes méthodes.

 

"J'en connais qui rient tout seuls pour entraîner le rire de quelques spectateurs pauvres d'esprit au moment même où telle ou telle question cruciale de la pièce se trouve en jeu. C'est là une chose vile, qui montre la plus pitoyable des ambitions chez le fou qui s'en sert". C'est ce qu'il fait encore dans Roméo et Juliette et dans Jules César. Mais une nouvelle tragédie, "Hamlet", dont la version devait être conçue comme une imitation des premières tragédies de Sénèque, brise ce cadre. Ce que l'auteur veut faire entendre, ces protestations passionnées d'Hamlet devantles sophismes inévitables que produit la pensée, lui impose une forme neuve et plus libre. La terrible répression qui suit la révolte avortée d'Essex et qui a lieu l'année (1601) où il écrit Hamlet, bouleverse pendant quelque temps la vie du protecteur du poète. D'ailleurs, Shakespeare prête la main au complot, en ce sens qu'il accepte de réciter Richard II la veille du jour où éclate la révolte. Le parti qui s'oppose à la reine met en circulation un parallèle entre Élisabeth et Richard. La scène de la déposition du roi doit déclencher, de l'avis des conjurés, celle de la reine.Toutefois, la compagnie de Shakespeare n'est pas inquiétée lors de la découverte du complot. Mais les paroles d'adieu qu'Horatio adresse à Hamlet mourant: "Bonne nuit, doux prince, et que des vols d'anges te conduisent enchantant à ton repos", paraissent, aux yeux du grand critique Malone, faire allusion à celles que prononce Essex lorsqu'il monte sur l'échafaud le vingt février 1601: "Quand ma vie se séparera de mon corps, envoie tes anges bienheureux pour recevoir mon âme et la transporter jusqu'aux joies du ciel". De toute évidence, les pièces que Shakespeare compose au début du règne de Jacques 1er, c'est-à-dire vers 1603, montrent qu'il est en proie à un grand trouble. L'ironie et le dégoût transparaissent à travers "Troïlus et Cressida", Tout est bien qui finit bien. Mesure pour mesure. Mais il n'existe plus aucune de ces ambiguïtés dans les trois grandes tragédies, "Othello","Le Roi Lear" et "Macbeth", qui mettent en lumière le mystère d'un mal objectif et qui présentent un tableau de l'existence accommodée, telle "une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien".

 

"La douleur rebondit où elle tombe, non qu'elle soit vide et creuse, mais à cause de son poids. Surveille ta langue aussi longtemps que tu vivras. Conquête trop aisée est bientôt méprisée. À Noël je n'ai pas plus envie de rose que je ne voudrais de neige au printemps. J'aime chaque saison pour ce qu’elle apporte". Dans ces trois tragédies ,les passions sont étudiées à travers des caractères primitifs, ceux de "Lear" et de "Macbeth", barbares qui viventà une époque très lointaine, celui d'"Othello", un africain. L'influence qu'a "Macbeth" sur Antoine et Cléopâtre est indéniable. C'est une tragédie presque romantique, où l'on voit alors deux amants, de caractère et de mentalité absolument opposés, s'entre-déchirer jusqu'à ce que l'un des deux réussisse à donner à l'autre une sorte de grandeur, mais au prix de sa perte. Coriolan contient une autre étude de caractère primitif, tout d'une pièce et presque puéril dans la générosité de sa nature, avec laquelle contraste le caractère machiavélique de sa mère. Dans "Timon d'Athènes", Shakespeare reprend le thème de l'ingratitude humaine qu'il a déjà traité dans le "RoiLear". Mais cette pièce n'est qu'ébauchée, peut-être parce que Shakespeare est atteint d'une maladie soudaine, sur laquelle on ne possède aucune précision, mais qui transforme profondément le poète. Il traverse alors une crise religieuse et l'inspiration de ses derniers drames, en particulier de "La Tempête", peut alors être considéréecomme chrétienne. Richard Davis, un prêtre, déclare vers la fin du XVIIème siècle que Shakespeare est mort"papiste", c'est-à-dire catholique romain. Il semble en tout cas que son père était catholique, car il figure dans une liste de "recusants", c'est-à-dire de personnes ordinairement catholiques qui tentaient de s'opposer alors à l'influence croissante de l'église anglicane. En 1599, la compagnie de Shakespeare ouvre un théâtre appelé"The Globe" à cause du globe terrestre qu'Hercule porte sur son dos, et de cette phrase: "Totus mundus agithistrionem". Au cours de l'automne 1609, il occupe le théâtre de Blackfriars, qui devient le siège de son activité.

 

"Cet amour pleurnicheur est comme un grand idiot qui court en tirant la langue, pour cacher son joujou dans un trou. Les poignards qui ne sont pas dans les mains peuvent être dans les paroles. Les hommes font parfois sans réfléchir des actes." Il a une part d'actionnaire dans la gestion de l'un de ces théâtres, ou même des deux. Il faitpartie, selon le terme alors en usage, des "housekeepers" de la compagnie. On ne trouve pas son nom parmiceux des acteurs après 1603, il est possible que le fait d'écrire des drames et d'en faire régler la mise en scène,soit considérée comme une participation suffisante aux activités de la compagnie. C'est en 1610 que l'on peut placer de façon approximative son installation définitive à Stratford, où il passe en paix les dernières années de sa vie. En 1613, il écrit, en collaboration avec le jeune dramaturge John Fletcher, son dernier drame, "Les Deux Nobles Cousins". La tradition et le testament qu'il rédige nous montrent Shakespeare en bons termes avec les paysans et les familles aristocratiques de l'endroit. S'il a du déplaisir, c'est peut-être à cause de ses filles, Susan et Judith. D'aucuns prétendent que Shakespeare est mort à la suite de trop grandes libations faites en compagnie de Ben Jonson et de Drayton, mais, par ailleurs, sa tempérance est si nettement attestée qu'il faut tenir pour aumoins très douteuse cette hypothèse. Il est alors probable que Shakespeare ne meurt pas subitement puisqu'il commence à rédiger son testament en janvier, l'achève et le signe le vingt-cinq mars, soit un mois avant la date officielle de sa mort, le vingt-trois avril 1616. Sa femme et ses deux filles lui survivent. L'aînée, Susanna, s'est mariée au docteur John Hall en 1607, tandis que Judith a épousé un marchand de vin, Thomas Quiney, deux mois avant la mort de son père. Susanna hérite de la majeure partie des biens de Shakespeare, qu'elle est censée transmettre intacts à l'aîné de ses éventuels fils. Les Quiney ont trois enfants qui meurent sans descendance.Les Hall n'ont qu'une fille, Elizabeth, qui meurt en 1670 sans avoir eu d'enfant de ses deux maris. Sa mort marque l'extinction de la descendance du dramaturge. Shakespeare est alors inhumé dans le chancel de l'église de la Sainte-Trinité de Stratford-upon-Avon deux jours après sa mort. Sa tombe porte l'épitaphe suivante: "Mon ami, pour l’amour du Sauveur, abstiens-toi de creuser la poussière déposée sur moi. Béni soit l’homme qui épargneraces pierres mais maudit soit celui violant mon ossuaire". Un monument funéraire est aussi édifié en sa mémoire.

 

 

"L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’âme, et voilà pourquoi l’ailé Cupidon est peint aveugle. L’âme del’amour n’a aucune idée de jugement. Des ailes, et point d’yeux, voilà l’emblème d’une précipitation inconsidérée,et c’est parce qu’il est si souvent trompé dans son choix, qu’on dit que l’amour est un enfant". La publication desœuvres de Shakespeare a été faite sans aucune surveillance. Un groupe d'éditeurs peu scrupuleux publia ainsiplusieurs drames au format in-quarto. Quelques-uns sont conformes au textes originaux, l'auteur étant plus oumoins consentant, alors que d'autres sont incomplets et remplis d'erreurs, le texte en ayant été établi à partir denotes prises pendant les représentations, des reconstitutions faites ainsi de mémoire, et des copies non revuespar l'auteur. En 1619, Thomas Plavier publie dix drames ans autorisation. Peu après, deux acteurs, des collèguesde Shakespeare, Sir John Heminge et Henry Condell, entreprennent alors une édition complète qui, en dépit desdifficultés, est rendue publique en 1623 par les soins de l'éditeur William Jaggard et qui est connue comme lepremier in-folio. Elle renferme l'unique version que l'on ait de dix-huit drames. Quant aux autres, si l'on excepte"Périclès", elle donne des textes qui, pour n'être pas toujours meilleurs que ceux des in-quarto, ont malgré toutune importance considérable. Outre les critiques malveillants, qui ont prétendu que les drames de Shakespeareont été écrits par celui-ci en collaboration avec d'autres dramaturges, bon nombre de spécialistes se sont entêtésdans l'idée que Shakespeare n'était qu'un acteur ignorant, un prête-nom, et que son oeuvre a été écrite par unhomme extrêmement cultivé, tel que le philosophe Francis Bacon ou le comte d'Oxford. On peut tout au pluss'étonner que dans son testament, il ne soit fait aucune mention de ses œuvres. Mais si les dates de la vie deShakespeare ne satisfont pas notre désir de connaissances précises, il faut cependant reconnaître qu'elles sontabondantes au regard de celles que nous possédons sur d'autres écrivains de l'époque élisabéthaine, à l'exceptionpeut-être de Ben Jonson. De son vivant, l'œuvre de Shakespeare est l'objet de commentaires élogieux, mais iln'est pas pour autant considéré comme un génie. Au XIXème siècle, l'admiration pour Shakespeare confine àl'adoration. Le courant moderniste du début du XXème siècle ne rejette pas ses œuvres, bien au contraire. Sespièces sont mises à contribution par le théâtre d'avant-garde. Elles sont mises en scène aussi bien par lesexpressionnistes allemands que par les futuristes russes, et Bertolt Brecht développe l'idée du théâtre épiqueen s'inspirant de Shakespeare. T. S. Eliot prend le contrepied de la critique de Shaw en déclarant que c'est trèsprécisément le caractère "primitif" de Shakespeare qui le rend moderne. "La joie de l'âme est dans l'action".

 

Bibliographie et sources:

 

- Hélène Frouard, "Les dix jours qui n'existèrent pas"

- Susan Willis, "The BBC Shakespeare Plays"

- Harold Bloom, "Shakespeare"

- John Madden, "Shakespeare in Love"

- Frederick S. Boas, "Shakespeare"

- Charles Boyce, "Dictionary of Shakespeare"

- A. C. Bradley, "Shakespearean tragedy"

- E. K. Chambers, "William Shakespeare"

- Mario Praz, "William Shakespeare"

- Wolfgang Clemen, "Shakespeare's imagery"

- Samuel Schoenbaum, "William Shakespeare"

- Michael Wood, "Shakespeare"

- George T. Wright, "William Shakespeare"

 

Bonne lecture à toutes et à tous.

Méridienne d'un soir.

Thèmes: littérature
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Encore une très bonne contribution de Méridienne. Je partage beaucoup d'assertions de WS, sauf "je n'attends rien de personne", car de certains, j'attends de l'amour ou de l'amitié.
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