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La démonstration « je suis féministe donc je considère que les femmes sont libres de disposer d’elles-mêmes, donc de se soumettre à un homme si c’est leur choix » ne me satisfait pas et me paraît pour le moins simpliste.
La question posée par Eneidem est fort intéressante à priori et votre réponse pleine d'intelligence dialectique. Effectivement à brûle pourpoint l'on peut s'interroger, sur les motivations qu'une féministe pourrait avoir pour subir dans l'intimité la domination d'un homme et sa gestion des apparents conflits d'intérêts. Cependant il semble qu'un défaut de précision lexicale nous entraîne dans de faux débats. Le concept de soumission dans la sphère sociale et celui de soumission dans la sphère érotique ne se rejoignent qu'en apparence par le mot les définissant, lequel, comme beaucoup de mots dans notre langue, revêt divers acceptions.
Socialement la soumission se traduit par la mise en place de relations inégalitaires entre deux personnes, entre deux groupes, reposant principalement sur un rapport de force pouvant prendre différentes formes, physique, intellectuelle, financière...Dans ce cas il est évident que la, le, les soumis subissent une domination qu'ils n'ont en aucun cas souhaitée et contre laquelle ils sont par ailleurs susceptibles de se battre. Ici la relation est toxique. Cette soumission est subie, imposée, elle est l'expression d'une contrainte et génère chez la, le, les dominés un sentiment a minima désagréable. Ici le dominant tire de la situation un profit exclusif, nous sommes sur le terrain des relations à bénéfice unilatéral. Enfin sur le plan sociétal la soumission prend un aspect sexué dans le sens où elle s'exprime principalement au détriment des femmes et effectivement l'historique dominance masculine est un facteur essentiel pour appréhender correctement l'acception du mot soumission dans ce contexte.
Dans la sphère érotique, la soumission est l'élément d'un jeu, d'une fiction, animée par deux personnes qui en tirent des bénéfices partagés. Dans ce contexte la relation est égalitaire et rien ne peut advenir sans l'implication volontaire des protagonistes. En outre, l'ensemble des sexologues parait d'accord pour reconnaître que la soumission dans un rapport D/s porte une certaine ambiguïté, dans la mesure où la personne soumise retire quelques gratifications de la situation et la personne dominante s'engage à respecter les désidérata de sa/son protégé. Ici la relation n'est pas toxique elle est au contraire source d'équilibre et de bien être.
Au delà de ce problème lexical, je crois aussi qu'en pointant spécifiquement la soumission érotique d'une femme à un homme dominant on donne un caractère genré à cette dernière et c'est à mon sens une erreur. Le concept de soumission érotique ne s'applique pas seulement aux relations homme/D femme/s. Nous serons tous d'accord pour reconnaître que la soumission peut s'exprimer dans des formes de rapport diverses et variées, HD/Fs, FD/Hs, FD/Fs, HD/Hs, et que les mécanismes profonds qui la gouvernent sont identiques pour une F/s et pour un H/s. La soumission érotique puise ses ressources, bien sûr dans la psyché collective mais pas seulement. L'organisation intrapsychique de chaque individu et les fantasmes en découlent sont conséquents d'un historique riche de multiple éléments au rang desquels on trouve aussi bien, la génétique, le vécu, les expériences émotionnelles que les représentations sociétales. Analyser la soumission érotique en ne faisant référence qu'à la psyché collective hantée par la soumission des femmes et la domination des hommes, réduit le champ des investigations et amène à mettre en exergue de fausses problématiques. La soumission érotique revêt un caractère asexué et je crois que c'est un point essentiel à retenir pour éviter le piège de l'amalgame tendu par le défaut de vocabulaire.
Le rapport entre la sphère érotique et la sphère sociétale ne procède pas, me semble-t-il, d'un continuum mais d'une imbrication faite d'influences mutuelles, d'allers retours. Savoir laquelle est motrice de l'autre parait aussi impossible que de savoir qui de la poule ou de l'œuf...Cela dit je crois que l'organisation archaïque de nos sociétés, l'invention des normes, tabous et autres codes moraux s'est fondée sur une volonté de contrôler la sexualité, de l'encadrer et dans ce sens on peut dire qu'elle a présidé à cette organisation. Il en est de même entre l'être social et l'être intime, l'un façonne l'autre et inversement.
De fait je ne peux croire qu'il puisse y avoir un quelconque dilemme entre l'envie de se soumettre dans le cadre d'un jeu érotique et l'envie de combattre l'oppression sociale que subissent les femmes. Le féminisme reste un combat politique, une façon de penser le gouvernement des femmes et hommes entre eux dans le domaine sociétal et le combat politique n'a pas sa place dans la sphère intime tout simplement parce que c'est un non sens. En quoi vouloir obtenir à travail égal un salaire égal, vouloir plus de partage des pouvoirs, une meilleure représentation au sein de l'assemblée nationale et du sénat, plus de reconnaissance des compétences, moins de discrimination, vouloir lutter contre toutes les formes de harcèlement et d'agressions sexuelles etc... serait source d'un conflit interne chez une féministe engagée dans des pratiques érotiques où elle feinte la soumission? Par ailleurs qu'en serait-il de cette même problématique quand la soumission s'exprime entre une femme/D et une femme/s ou entre deux femmes switch?
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