J’essaie de faire le tri dans mes souvenirs, depuis notre toute première discussion : comment on en est arrivés à un jeu de rôle de jail bondage ? Je ne sais plus très bien.
Je crois qu’il est venu avec son univers, et ça s’est installé naturellement. Je ne réalisais pas vraiment la direction que ça prenait. Certes, il me parlait de ses kinks, de son fétichisme pour certaines tenues de prisonnier, au fait qu’il voit régulièrement des dominas pour du bondage. Nos échanges tournaient plutôt autour de nos kinks communs, de nos expériences respectives, et même de jardinage…Mariant les informations glanées au fil de nos discussions, sur mon profil et dans une kink list qu’il m’avait envoyée quelques jours plus tôt, les choses étaient fixées, écrites, prévues, avec une part de surprise volontaire et consensuelle.
Jeudi, il était de passage dans la région. On s’est retrouvés autour d’un verre, puis au restaurant. Je lui ai raconté mes expériences de jeu de rôle, qui m’ont peu à peu amenée vers l’univers BDSM. Cette quête d’intensité qui rendait le jeu pur de moins en moins satisfaisant, presque inconfortable. Je lui ai expliqué comment je prenais des rôles à contre-emploi : des méchants, des anarchistes, des figures iconoclastes, toujours avec le but inavoué de me faire coincer, emprisonner, punir. Il m’a fallu quelques années pour réaliser que cette mécanique était devenue systématique. Et c’est comme ça que j’ai glissé, naturellement, vers le BDSM.
Je ne m’étais pas encore rendue compte à quel point nous partagions ce kink de l’emprisonnement, de l’autorité. Il ne m’a pas dévoilé grand-chose de ce qu’il avait prévu, mais je me rends compte aujourd’hui que cette conversation lui a sûrement servi à valider la rencontre et le projet.
On s’est revus le samedi suivant, chez moi. Je lui ai fait visiter les lieux, notamment les deux pièces où on pourrait jouer. Rien n’avait vraiment été préparé pour ce qu’on allait y faire, même si c’était rangé (relativement rangé).
La grande chambre me sert un peu de débarras : un grand lit, une table, des cartons, des étagères, une vieille moquette verdâtre, un tapis bleu, du bazar rangé à moitié, et bien sûr la fameuse chaise-à-vêtements, vaguement camouflée au centre. C’est moche, mal fichu, mais c’est comme ça.
La deuxième chambre est plus petite, à demi rénovée. Le parquet a été poncé à la ponceuse à bande (donc à genoux, ouille), les murs blancs et sales sont juste détapissés, avec encore des restes de colle et de papier. Il y a une commode, un grand miroir de cheminée, un portant à vêtements, ma mini collection de bottes et rangers, un lit une place en métal noir, un fauteuil cubain jaune, un porte-manteaux bien fourni, et un tapis oriental un peu moche, un peu miteux, récupéré chez Emmaüs.
Elle a du charme, malgré sa taille. On peut jouer dedans, même s’il n’y a rien, ni au mur ni au plafond, pour accrocher quoi (ou qui) que ce soit.
Pour la prochaine fois, je préparerai au moins cette chambre-là : plus épurée, plus fonctionnelle.
On fait la revue du matériel : serflex, chaînes, tape, cordes, menottes, tenue de prisonnier rayée noir et blanc, cagoules. Et les outils pour libérer rapidement en cas de problème : ciseaux, pince coupante, pince coupe-boulons…
Il me montre son collier électrique, parce que j’étais curieuse de savoir l’effet que ça fait. Je teste différentes impulsions sur mon bras. C'est étonnant, ça pince un peu comme… une fourmi géante. C’est surprenant et ça peut être douloureux. On est tous les deux d’accord pour ne pas l’utiliser… quoi que je me réserve le droit de changer d’avis d’ici quelques temps.
Puis il me demande de me changer dans l'ample tenue de prisonnier, me tend des protège-poignets en polaire et des chaussettes de montagne rembourrées (horribles). Je suis sceptique, mais j’obéis.
À son ordre, une fois prête, je reviens, mains croisées sur la nuque. Il me plaque contre le mur, m’ordonne de ne pas bouger. Il cale une carte entre mon front et le mur, me somme de ne pas la faire tomber (spoiler : elle tombera… plusieurs fois).
C’est la fouille. Il vérifie que je ne porte rien de dangereux et que j’ai bien respecté la consigne : pas de sous-vêtements.
Il commence à m’attacher les mains derrière le dos avec un serflex. Les poignets rembourrées, c’était pour ça : le serflex peut être tranchant, cisaillant. Pour une première fois, on ne peut pas y aller à fond avant de bien se connaître, de bien connaître mes limites dans la douleur.
Puis un crotchrope, une corde fixée en ceinture qui passe entre les jambes, par-dessus l’uniforme de prisonnier. La ceinture en cuir avec un anneau pour renforcer la contrainte des poignets. Je n’ai pas de désignation exacte pour ce type de ceinture, mais c’est un dérivé des chaînes Martin.
Enfin, il m’attache les chevilles avec des menottes en métal et raccourci la chaine avec du serflex, l’écart étant trop long à son goût… et pour cause.
Il m’écarte du mur, glisse ses mains sous mes bras, me force à m’incliner, le regard au sol :
- On va se promener.
Et me voilà partie, entravée, dans le couloir étroit menant à la grande pièce. Je n’avance pas assez vite, je suis maladroite… Mes pieds ne peuvent s’écarter que de 15 centimètres, et il faudrait marcher plus vite, éviter les encadrements de porte.
On revient au point de départ, mais il n’est pas satisfait. Je dois me laisser guider, sans regarder. Il me bande les yeux. Et c’est reparti. Cette fois, je dois compter mes pas à voix haute.
- 49… 50… 51… 52…
- 49, 51 ? Tu es sûre de toi ?
Il me remet contre le mur, encore la carte entre le front et le mur, qui tombe quasi immédiatement.
- Maintenant tu vas m’appeler chef. En début ou fin de phrase. Tu ne répondras qu’à mes questions, et tu réfléchiras avant de parler. Si tu parles trop, je te bâillonne. C’est compris ?
- Heu… chef oui chef ?
- Non, juste chef une fois. (Dois-je préciser qu’il est Belge ?)
- Chef ! J’ai pas compris !
- C’est très bien.
Il retire le bandeau, fixe des serflex sur chaque bras (sans protection) et les relie au milieu du dos par un troisième lien en plastique. Puis me demande :
- Bâillon boule ou tape ? De toute façon tu auras les deux.
J’hésite : est-ce qu’il va faire ce que je demande, ou est-ce qu’il va choisir l’inverse ?
- Le t… le bâillon boule, chef.
Il commence à me poser le harnais bâillon-boule (zut, raté) et me force à le prendre entièrement dans la bouche, me pose des questions auxquelles je peux rarement répondre par un “humpff” qui veut dire “oui” ou un “humpff” qui veut dire “non”. J’essaie d’articuler, ça me semble clair, mais lui ne comprend rien.
- Il ne faut pas oublier le collier, et puis comme tu le dis "un collier, oui, mais il faut que ça serve à quelque chose et gnagnagna !"
Il pose le collier puis le fixe avec un serflex dans le dos sur les liens qui maintiennent déjà les bras.
Il joue un peu, me tire la tête en arrière, puis me met à genoux.
Les serflex me rentrent dans la chair. Mes mains sont bloquées.
- Tu as l’autorisation de te détacher, si tu y arrives.
C’est là que je comprends à quel point mes mouvements sont limités. Je tente de tourner la ceinture sur mon ventre, ignorant que les poignets y sont attachés via l’anneau. Je tire sur les serflex, trop résistants. Je finis par atteindre le nœud du crotchrope, au creux des reins, et j’essaie de le défaire. J’arrive à dérouler un peu la corde, mais c’est tout. Loin d’être suffisant pour me libérer.
Il me relève, me dirige au centre de la pièce. Retire mon bâillon boule, la salive coule.
- On va faire un hogtie. Le lit ou le sol ?
Évidemment, le sol !
Je me retrouve à nouveau à genoux sur le sol, toujours solidement attachée. Et il me bascule, un peu rudement, face contre terre.
Le hogtie est fait. Pas trop sévère. Je le sens s’activer autour de moi, contre moi.
Il remplace les serflex aux poignets par des menottes à charnières, posées paumes tournées vers l’extérieur :
- Dans ce sens, c’est le plus contraignant.
Il s’assoit dans le fauteuil cubain, contemple son œuvre, pose son pied sur moi, me pousse doucement du bout de ses grosses chaussures de rando. Il m’écrase gentiment les mains.
Puis, se souvenant de ma photo de présentation, il sort du tape noir, de longues bandes, me les montre. Je ne comprends pas ce qu’il prépare. Encore un bâillon ?
- Ferme tes poings, pouces à l’intérieur.
Il les enveloppe de tape.
- Voilà. Tes patates de forain !
Un moment de pause. Lui dans son fauteuil, moi à ses pieds, solidement attachée. Il prend quelques photos.
- Comment tu vas ?
- Je crois que je pourrais faire une sieste, chef.
Ma pointe de sarcasme fait mouche. Il attrape un rouleau de tape blanc, plus large. Le déroule, lentement.
Il voulait me faire taire.
- Après ça, on écoutera un peu de musique…
Enjoy the Silence.