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Elle se rendait compte depuis, qu'en étant amoureuse de sa Maîtresse, qu'elle projetait seulement en elle un état de son âme et que par conséquent, ce qui était admirable n'était pas sa propre vaillance, mais bien la profondeur de son état. Si en ce goût de la soumission, Charlotte avait quelque chose de Juliette, c'est qu'une certaine ressemblance existait entre les deux femmes qui s'aimaient, ressemblance qui tenait à la fixité de leur tempérament parce que c'est lui qui les choisissait, c'est à dire propre à satisfaire leurs sens, à la fois opposés et contraires. Au fil des ans, la jeune femme s'était découvert une envie d'audace dans la façon d'être prise et fouettée, de rupture dans les rythmes de leur érotisme érodé, le besoin même d'être forcée et vaincue, emmenée très loin de ses balises ordinaires par la Maîtresse qu'elle aimait, conduite par elle seule jusqu'au cœur de ses peurs les plus tentantes. Elle lui en voulait qu'elle n'eût pas deviné qu'elle souhaitait désormais être sa chienne, et regardée comme telle. Charlotte passa enfin dans la salle de bain, se fit couler un bain, vérifia la température. Tout en traversant nue la chambre en direction de la coiffeuse, elle ôta ses boucles d'oreilles en or. Dans sa trousse à maquillage, elle prit un rasoir et une savonnette, puis se déshabilla devant la commode. Depuis qu'elle était jeune fille, on lui disait qu'elle était ravissante et qu'elle possédait un charme ravageur. Elle s'observa dans la glace: un corps ferme et bien proportionné, des seins hauts placés et doucement arrondis, le ventre plat et les jambes fines. De sa mère, elle avait hérité les pommettes saillantes, la peau toujours hâlée et les cheveux bruns. Mais ce qu'elle avait de mieux était bien à elle, ses yeux, des yeux comme les vagues de l'océan ou le ciel, d'un bleu azur, se plaisait à dire sa Maîtresse, Juliette. Dans la salle de bain, elle posa une serviette à portée de main et entra avec plaisir dans la baignoire. Prendre un bain la détentait. Elle se laissa glisser dans l'eau. Quelle agréable journée. Elle avait le dos crispé, mais elle était contente d'avoir enfin terminé ses courses. Elle se couvrit les jambes de mousse et entreprit de les raser, songeant à Juliette, à ce qu'elle penserait de son comportement. Elle le désapprouverait sans aucun doute. Elle resta encore un moment allongée dans le bain, avant d'en sortir. Elle se dirigea vers la penderie pour se chercher une robe. La noire avec un décolleté un peu plongeur ? Le genre de toilette qu'elle portait pour des soirées privées. Elle la passa et se regarda dans le miroir, se tournant d'un coté, puis de l'autre. Elle lui allait bien, la faisait paraître féminine. Mais non, elle ne la porterait pas. Elle se voulait rien que chienne.
Dans l'eau chaude, elle était parvenue à se rejoindre, à faire de sa propre personne, sa plus attentive confidente. Elle considéra cette impression d'intimité avec elle comme une manière de tendresse, un réconfort offert. Elle en choisit une moins habillée, moins décolletée, bleu clair, boutonnée devant. Pas tout à fait aussi jolie que la première, mais mieux adaptée aux circonstances. Un peu de maquillage, maintenant un soupçon d'ombre à paupière et de mascara pour faire ressortir ses yeux. Une goutte de parfum, pas trop. Une paire de boucles d'oreilles, des petits anneaux. Elle chaussa des talons hauts que sa Maîtresse exigeait, comme elle exigeait qu'elle soit nue sous sa robe, d'autant plus nue qu'elle était toujours intégralement rasée, lisse, offerte, ouverte à ses désirs ou à ceux des inconnues auxquelles elle la destinait. Depuis son infibulation, elle ne portait plus aucun sous-vêtement, la culotte la plus légère irritait sa chair et lui faisait endurer de véritables tourments. Juliette l'obligeait à en porter lorsqu'elle n'avait pas été assez docile pour la punir. Elle portait deux anneaux d'or sur ses petites lèvres, signe de son appartenance à sa Maîtresse. Les marques imprimées sur son pubis, étaient creusées dans la chair. Rien que de les effleurer, on pouvait les percevoir sous le doigt. De ces marques et de ces fers, Charlotte éprouvait une fierté insensée presque irraisonnée. Elle subissait toujours les supplices jusqu'au bout, faisant preuve en toutes circonstances d'une abnégation totale. Qu'une femme fût aussi cruelle, et plus implacable qu'un homme, elle n'en avait jamais douté. Mais elle pensait que sa Maîtresse cherchait moins à manifester son pouvoir qu'à établir une tendre complicité, de l'amour avec les sensations vertigineuses en plus. Charlotte n'avait jamais compris, mais avait fini par admettre, pour une vérité indéniable, l'enchevêtrement contradictoire de ses sentiments. Toujours docile, elle aimait le supplice, allant jusqu'à regretter parfois qu'il ne soit pas plus long et plus féroce, voire inhumain. Mais sa nature masochiste ne suffisait pas à expliquer sa passion. Elle prenait tous les prétextes pour faire monter à sa conscience des parties intimes d'elle-même, plus essentielles, que le plaisir lui-même. Peut-être les deux sont-ils inséparables de l'amour réel, dès lors s'opéraient déjà en elle ces attirances qui se renouvellent au cours d'amours successives, pouvant du reste se reproduire, mais alors plus personnelles et plus lointaines, à travers les périodes périodiques de sa vie, de sorte à leur donner un caractère général. Ainsi, elle dut finir par obéir à ses instincts les plus vils, non pas qu'elle fut médiocre, bien au contraire.
Combien de fougues impatientes et non sereines, lui fallait-elle recueillir de ces mondes inconnus avant de pouvoir être certaine qu'elle ne se laissait pas abuser par des coïncidences, mais de dégager les lois, certes certaines acquises au prix d'expériences cruelles, de son âme asservie ? Elle aimait cette partie obscure qui faisait partie d'elle et que sa Maîtresse nourrissait. Juliette la hissait, la projetait en révélant les abysses de son âme, en les magnifiant, la sublimant en tant qu'esclave, en lui faisant accepter son rôle d'objet. Elle avait créer entre elles un lien indestructible. Elle ne pourrait jamais oublier le jour de ses vingt ans. Ce jour-là, Juliette quitta tôt les cours qu'elle donnait à la Sorbonne pour venir la chercher à la sortie de la faculté. La soirée s'annonçait douce et agréable. Charlotte écoutait le bruissement des feuilles, en songeant à la beauté naturelle du jour. La nature vous rend plus qu'elle ne vous prend et ses bruits obligent à penser à son destin. Le grand amour vous fait cet effet-là. Les nuages traversaient lentement le ciel du soir. Ils s'épaissirent un peu. Désormais, la réalité de la nuit et la réalité du jour seraient la même réalité. Chez elle, Juliette lui demanda de se mettre nue, la regarda sans un mot lui obéir. N'avait-elle pas l'habitude d'être nue sous son regard, comme elle avait l'habitude de ses silences. Elle l'attacha et lui demanda pour la première fois, son accord. Elle voulait la fouetter jusqu'au sang. Elle lui dit seulement qu'elle l'aimait. Alors elle la battit si fort qu'elle suffoqua. Au petit matin, Charlotte était allongée près d'elle et elle ne pouvait penser à meilleure occupation que de la dévorer des yeux. Le soleil du matin qui entrait par raies obliques entre les lamelles du store rehaussait le brun luisant de son corps. Elle était assoupie sur le ventre. Le haut de ses bras étirés au dessus de sa tête était bronzé et ses aisselles blanches. Juliette glissa un doigt sur la courbe sinueuse de son dos et sa peau satinée se couvrit d'un frisson. Elle était grande et très blonde. Une femme idéalement belle. Bientôt, son regard s'attarda sur ses cuisses écartées et une tension sourde s'empara d'elle. De ses lèvres, elle lècha sa peau tout en dessinant ses omoplates avant de laisser glisser le majeur jusqu'au creux de ses reins. Elle frôla l'œillet secret qui déjà cédait aux effleurements. Les chairs se distendirent, pour se raffermir aussitôt comme déjà brusquées. Ses doigts, objets de l'irréparable, contournaient les formes plissées qui sertissaient l'anus. Ils lissèrent bientôt les veinules, les unes après les autres, consciencieusement.
Elle la vit approuver d'un mouvement de reins, une cambrure pour l'instant étudiée, maîtrisée. Rien du domaine de l'abandon. Ils se confinaient encore dans la séduction. Ou en tout cas, le crut-elle. L'amante ne trichait pas. Elle était sexuelle. Mais Charlotte se l'imaginait t-elle, bien trop impatiente pour le savoir et cette caresse qu'elle n'acceptait jamais sans résister et sans être comblée de honte, elle sentit soudain qu'elle n'y échapperait pas. Bientôt l'anus ne se défendit plus. Il rougit en acceptant, s'humidifia, larmoya une liqueur d'acquiescement, frémit au moindre toucher et enfin sursauta. Elle ressentit la naissance d'une jouissance s'inscrire dans les va-et-vient de ce ce trou qui appelait. La sève s'écoula et lubrifia l'orifice pour permettre le passage. Voilà, elle ne joue plus, elle le sait; elle peut maintenant tout imposer, froidement, à ce corps qui ordonnait l'intromission. Elle supposa qu'elle aimerait être capable de hurler les mots et les actes qu'elle attendait. Elle se rembrunit, chercha à dégager son visage d'entre les draps. L'amante s'irritait parce qu'elle ne supportait pas l'affront d'un quelconque échec. Elle devait la soumettre. La douleur vive s'était évanouie alors Juliette la vit qui hésitait: devait-elle reprendre le fil de ses paroles susurrées ? Allait-t-elle l'accepter ? Elle désirait la faire oser pour elle, pour qu'elle puisse dérouler le fantasme d'une femme. Une femme objet. Bien sûr, il est à craindre que pour une autre, cela ne se passerait pas comme cela. Elle se tairait. Mais sa Maîtresse la voulait obscène, pour mieux la prêter. Elle la sentait brûlante, raidie sous ses doigts. Il courtisait ses hôtes, il les choyait, savoureusement. Le giclement séminal accompagna les mots venus se fracasser comme une éclaboussure. Le cœur s'était déplacé au fondement du corps. Il battit, se contracta et se rétracta comme l'aorte qui donne vie. Son âme n'était plus qu'un organe, une machine qui répondait à des mécanismes vitaux. Juliette sentait la jouissance envahir Charlotte peu à peu. Le désir brûlait, et retombait, suspendu à la prochaine salve en la dévorant. L'amante fut animale. Elle exigea tout, tout de suite. Elle écarta les doigts et en introduisit subrepticement un troisième. Là, la femme soumise s'attendit à ce qu'elle eut exigé un quatrième puis un cinquième. Mais elle se trompait.
Alanguie dans la douce conscience d'exister dans son abandon, elle s'écouta et entendit clairement son plaisir. Reconnaître ce doux sentiment ne l'en délivra certes pas mais cette disposition lui permit de ne plus se laisser dominer par son émotion qui, accueillie, ne cessa d'infecter tout son être. Charlotte songea que seule sa Maîtresse, pouvait abuser d'elle avec une telle luxure, forcer ses reins et pénétrer avec son poing, sans auncune hésitation, l'étroit pertuis. Mesurait-t-elle seulement combien, elle se trompait ? L'amante est toujours dans la force. La prouesse n'est bien souvent qu'un détail. Elle l'empala d'un mouvement violent pour se caler en terrain conquis, profondément. Le cri résonna en écho venant lécher les parois d'une chambre que l'on imaginait forcément sombre. Les murs étaient d'un blanc clinique; un matelas flanqué à même le sol pliait sous les corps nus, brunis par le soleil, soudés et parfaitement imberbes. Maintenant, Charlotte allait supplier. Il fallait qu'elle se livre totalement. Les chairs résistèrent, se plaignirent, s'insurgèrent puis craquèrent, obéissantes. Elle desserra les dents de son index meurtri, bleui par la morsure. La jouissance sourde venait de loin, d'un tréfonds dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Elle hurla. Qu'elle voulait le poignet. Qu'elle voulait plus encore. Qu'elle irait le chercher, elle même si sa Maîtresse ne cédait pas. Elle vit la fureur s'emparer du corps, et le vriller, l'hystérie libérer toute l'énergie de l'organisme. D'un mouvement brusque, le poignet venait d'écarteler ses reins, elle avait joui. La nuit tombée, jamais Charlotte fut alors plus heureuse d'être nue et enchaînée, après avoir été honorée par sa Maîtresse, songeant seulement que l'évasure de ses reins se devait d'être toujours accueillante, puisque Juliette daignait s'y enfoncer. Pas un instant, elle se sentit sale ou souillée car ce plaisir n'était pas un plaisir subjectif et que ce plaisir, Juliette ferait tout pour l'entretenir, sans ignorer qu'elle le souhaita.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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