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Par : le Il y a 9 heure(s)
"Le mercredi vingt-quatre avril 1793, une jeune fille de quinze ans, belle comme le jour, timide et modeste comme il se devait, se mariait dans une capitale en effervescence. Une vie de petites coquetteries n’élève en rien l’âme. Elle vaudrait beaucoup mieux si d'aventure, elle n’avait pas alors dépensé tout son cœur et son âme de tous les côtés". L'élégante et vaporeuse Juliette Récamier, passion de maturité de François-René de Chateaubriand, qui tenait un salon littéraire sous le Directoire recevant les sommités du monde artistique et politique parisien, fut surnommée dès son apparition dans le monde, "la Belle des belles." La "Grâce" fut beaucoup dans la réconciliation de l'auteur toujours tourmenté des "Mémoires d'outre-tombe" avec lui-même comme avec les autres. C’est elle qu’il a choisie comme sa femme, son lien stable. Les amateurs de littérature savent qu'elle fut aimée de Chateaubriand. Les plus érudits ajoutent qu'elle fut proche de Madame de Staël. Les historiens se souviennent que cette ancienne "merveilleuse" du Consulat eut avec Bonaparte des relations fort aigres. Mais la vie de Juliette Récamier (1777-1849) est loin de se limiter à ces épisodes, si remarquables soient-ils. Dès le début, l'histoire a de quoi passionner. Juliette naît en 1777, et selon l'état civil, est la fille d'un notaire lyonnais, Jean Bernard, et de son épouse Marie-Julie Matton. En 1793, à quinze ans, elle épouse Jacques Récamier, quarante-deux ans, né en 1751, banquier de son état. Or, Jacques Récamier, longtemps l'amant de Marie-Julie, est, selon toute vraisemblance, le père naturel de Juliette. Il épouse sa fille en pleine Terreur pour lui transmettre sa fortune au cas où il n'échapperait pas à la guillotine. Le banquier prévoyant n'est finalement pas inquiété. Il s'enrichit encore et devient régent de la Banque de France en 1800. Juliette peut alors, tout à son aise, devenir la reine de l'époque. Avec un sens remarquable des circonstances et des enjeux, elle utilise tous les moyens techniques que lui offre son temps pour construire et diffuser son image. À partir de 1797, Juliette Récamier, alors âgée de dix-neuf ans, commence sa vie mondaine, tenant un salon qui devient bientôt le rendez-vous d'une société choisie. La beauté et le charme de l'hôtesse, toujours très élégante, l'une des "Trois Grâces" du Directoire, avec Joséphine de Beauharnais et Madame Tallien, lui suscitent une foule d'admirateurs. Le cadre de l'hôtel particulier de Jacques Necker, ancienne rue de la Chaussée-d 'Antin, acquis en octobre 1798 et richement décoré par l'architecte Louis-Martin Berthault, ajoute à la réputation de ses réceptions. Elle est l'une des premières à se meubler en style "étrusque" et à s'habiller "à la grecque." L'influence de Madame Récamier est notable dans la diffusion du goût pour l'Antique qui allait prévaloir sous l'Empire. L'hôtel Récamier acquiert une renommée telle qu'il devient rapidement une grande curiosité parisienne.   "Il a l’imagination vive, la repartie heureuse, de la gaîté et un ensemble de qualités qui le font aimer de ceux qui le connaissent. La bienveillance qu’il inspire a toujours fait son bonheur. Il a le caractère et le cœur d'un gentilhomme". "Elle se laissait habiller tandis qu'elle causait en roulant dans ses doigts, une branche verte, entre tout à coup Madame Récamier, vêtue d'une robe blanche. Elle s'assit au milieu d'un sofa de soie bleue. Je me demandais si je voyais un portrait de la candeur ou de la volupté. Je n'avais jamais rien inventé de pareil et plus que jamais je fus découragé. Mon amoureuse admiration se changea en humeur contre ma personne. Je crois que je priais le Ciel de vieillir cet ange, de lui retirer un peu de sa divinité, pour mettre entre nous moins de distance." Juliette Récamier, dès son apparition dans le monde, fut appelée la "Belle des Belles." Forçant l'admiration par son charme légendaire, une gracieuse et vaporeuse silhouette, vêtue de blanc. Séduisante et séductrice, elle traîna tous les cœurs après soi. Elle est la Dame secrète des "Mémoires d'Outre-Tombe." Elle a inspiré les plus belles pages. Elle fut l'amour de sa maturité, la lumineuse tendresse de sa vieillesse. Mais, avant de rencontrer François-René de Chateaubriand, Juliette avait vécu. Julie-Adélaïde Bernard est née le 3 décembre 1777 dans le milieu aisé de la bourgeoisie financière. Sa famille appartenait à la bourgeoisie de Lyon. Jean Bernard était notaire royal. Il était, dit-on, assez bel homme, faible, bon, et même débonnaire. Il fut immédiatement dominé par sa femme, singulièrement jolie, éclatante, à l'esprit, à coup sûr, plus vif que son mari. Elle subjuguait son petit monde et menait la barque familiale. Juliette lui sera passionnément attachée. Julie, enfant choyée qui porte le même prénom que sa mère devient Juliette afin de les distinguer. Elle est élevée à Villefranche puis à Lyon dans le couvent de la Déserte. Douée pour les études, elle reçoit une éducation irréprochable, apprend la musique, chante et joue du piano et de la harpe, étudie Voltaire et Montaigne, s’initie à l’italien et lit Shakespeare, enrichissant brillamment son esprit de toutes les leçons intellectuelles qu’il convient de dispenser aux enfants bien nés. "Ce bon vivant était célibataire et avait des liaisons, ce que la prude sœur traduit alors par: son cœur naturellement sensible avait très souvent éprouvé des sentiments assez vifs, mais peu durables pour plus d’une délicate femme".   "Tous font des hymnes sur son incomparable beauté, son active bienfaisance, sa douce urbanité. Beaucoup de gens l'ont vantée comme très spirituelle. Mais peu de personnes ont su découvrir, à travers la facilité de son commerce habituel, la hauteur de son cœur, l'indépendance de son caractère, l'impartialité de son jugement et la justesse de son esprit. Quelquefois je l'ai vue dominée, je ne l'ai jamais connue influencée." Sa mère, Marie-Julie Matton, issue d'un milieu aisé, également originaire de Lyon, est une femme coquette et intelligente. Son père, notaire royal influent à Lyon qui a pris un peu plus d’assurance dans les affaires est aidé de surcroît par l’habille et énergique diplomatie de son épouse. Il jouit à présent d’une haute position administrative devenant ainsi Receveur Général des Finances. Les Bernard savent s’entourer des personnalités de grande influence. C’est ainsi que Jean Bernard bénéficie de la protection d’Alexandre de Calonne, l’homme en charge du redressement des finances de l’état, son prédécesseur Necker a laissé un gigantesque déficit de 50 millions. Calonne qui paiera cher par la suite sa proposition de taxer les "privilégiés" afin d’éponger les dépenses royales. Cependant un mystère flotte autour de cette famille heureuse. La présence constante de deux amis proches que seule la mort séparera. D'une part, un ami de jeunesse de M. Bernard, Pierre Simonard, nettement plus autoritaire et sans doute aussi plus intelligent. Les deux amis se marièrent en même temps. Devenu veuf, il vécut chez les Bernard avec son fils. Un autre homme, tout aussi proche, complétait ce quatuor. Jacques Rose Récamier, très beau, cultivé, intelligent mais de mœurs assez légères, disait-on, très XVIIIème siècle. Il avait eu une liaison avec Mme Bernard qu'il aimait. Leur entourage ne l'ignorait pas. Ces trois hommes resteront intimement liés jusqu'à la fin et veilleront sur la belle Juliette. On les surnomma pour cette raison les "pères nobles." "Le talent et le génie attiraient Mme Récamier plus sûrement que l’aimant attire le fer. Comme il était dans sa nature d’aimer ce qu’elle admirait, elle se trouva liée aux deux génies littéraires de l’époque: Mme de Staël fut son amie, presque sa sœur, Chateaubriand l’homme avec lequel elle devait former, à travers bien des vicissitudes, un couple".    "Partez, prince, suivez vos genreux desseins, rendez de mon pouvoir Athènes tributaire. J’accepte tous les dons que vous voulez me faire. Mais cet empire enfin si grand, si glorieux, n’est pas de vos présents le plus cher à mes yeux." Juliette vécut une petite enfance très douce. En 1786, quand M. Bernard fut nommé à Paris receveur des finances, la famille s'installa dans un hôtel particulier rue des Saints-Pères. Simonard, veuf, et son fils vivaient avec eux. Très vite, M. Récamier les rejoignit. Le bel hôtel particulier qui abrite la famille Bernard au treize rue des Saint Pères, niché en plein cœur de Saint Germain des Prés, accueille les hommes politiques, les écrivains, les artistes et les financiers de la capitale. La maîtresse des lieux les reçoit avec faste et luxe ostentatoire. Enfant, Juliette fut pensionnaire à Lyon. Puis elle rejoignit sa famille à Paris. Elle reçut une excellente éducation classique et de nombreuses lectures formèrent son intelligence. La littérature fera partie de sa vie. Elle apprit l'anglais, l'italien. Elle était très douée en musique, jouait fort bien du piano et de la harpe et travaillait le chant. Elle étudia le dessin et l'aquarelle auprès de maîtres célèbres. Et bien sûr, sa mère veilla à son apprentissage mondain. Elle lui apprit l'art de plaire. Mais en ce domaine, la très jeune fille avait des dons innés. Puis vinrent les temps troublés. La famille voyait avec sympathie le début de la révolution et partageait, avec tant d'autres, l'espoir de voir naître un monde nouveau. Mais, très vite, la révolution changea de visage. Après la fuite à Varennes et le procès du roi, la situation s'aggrava. Le quatuor se savait désormais en danger, d'une part à cause de leurs liens avec certains milieux aristocratiques et, d'autre part, parce qu'ils étaient très riches. "Toutes les femmes qui ont voulu l’imiter sont tombées dans l’intrigue et dans le désordre, tandis qu’elle est toujours sortie pure de la fournaise où elle s’amusait à se précipiter. Cela ne tient pas à la froideur de son cœur, sa coquetterie est fille de la bienveillance et non de la vanité. En réalité, elle a bien plus le désir d’être aimée que d’être admirée".    "Ma foi, j'y renonce, elle m'a fait passer une journée diabolique. C'est une linotte, sans mémoire, sans discernement, sans préférence. Si elle m'aimait, je m'en lasserai. Pour obtenir quelque chose en amour, n'exigeons jamais rien." Ainsi fut décidé son mariage avec Jacques Récamier. Il avait quarante-deux ans, elle allait avoir seize ans. Ils se marièrent en avril 1793. Est-ce à ce moment-là que sa mère lui apprit que Jacques Récamier était son vrai père ? Elle n'en fut pas troublée et accepta très simplement. Il avait été présent dans toute sa jeune vie. Son mari continua de mener sa vie privée hors de son foyer mais il lui donna son nom, sa fortune et sa protection. Il la combla de présents, la gâta comme une fille chérie, lui offrit tout ce qu'elle voulait. Ce fut un mariage blanc. Cet étrange couple fut uni par une affection sincère et profonde. Par miracle, et grâce à la protection de Barère et d'autres amis francs-maçons, ils sortirent tous indemnes du cauchemar de la Révolution. Après la Terreur, une frénésie de vivre s'empara de la société, comme si elle voulait oublier les jours tragiques de la Terreur. Ce fut le temps des "Merveilleuses", les belles années de Madame Tallien, de Joséphine de Beauharnais mais, contrairement à ce qui a été dit, Juliette ne partagea pas cette vie légère et libertine. Elle ne fréquentait pas les lieux de plaisir mais un lycée qui réunissait un auditoire choisi. Un vieil ami de la famille, La Harpe y enseignait la littérature. M. Récamier vivait près de la place des Victoires. "À l’issue de la Révolution, la bourgeoisie avait sans doute assis son pouvoir, mais la société n’était pas encore recomposée. Les nouveaux riches tenant le haut du pavé ne pensaient qu’à augmenter leur fortune, à s’amuser".    "Jamais on n'a aimé comme je vous aime, jamais on n'a souffert autant que je souffre. Ô mon Dieu, je n'en puis plus. Vous m'avez trop blessé, trop humilié, trop marché dessus. Parce que je vous aime, j'ai tout perdu à vos yeux." Au printemps de l'année 1797, quand Juliette apparût parmi les élégantes aux défilés de Longchamp, la foule des badauds la contempla ébahie. Quand, en décembre 97, le Directoire donna une fête en l'honneur de Bonaparte, revenu victorieux d'Italie, Juliette prit place avec sa mère sur les banquettes réservées. Profitant d'un moment où Barras parlait à Bonaparte, elle se leva pour le voir mieux et, devant sa beauté, un murmure d'admiration parcourut la salle. Cette rumeur n'échappa pas à Bonaparte. Il lui lança un regard dont elle ne put soutenir la dureté. Elle ne déteste pas être le point de mire, mais elle tranche sur le monde disparate du Directoire. Elle a créé son propre style. Son signe distinctif est le blanc, dans toutes ses nuances. Elle ne porte jamais de diamants mais des perles. À une époque d'ostentation, elle se singularise en refusant tout étalage de sa richesse. En 1798, au sortir du Directoire, Juliette refait entièrement la décoration de l’hôtel particulier que son époux vient d’acheter à Necker, le père de Madame de Staël. Depuis leur première rencontre, Mesdames de Staël et Récamier sympathisent très vite, elles partagent beaucoup d’affinités, la politique, les arts et les lettres, et une grande sagacité quand au monde qui les entoure. Une amitié profonde s’installe entre les deux femmes. Germaine était une femme de génie, une nature d'exception. Brillante, elle avait déjà beaucoup fait parler d'elle. Entre ces deux personnalités si différentes, la sympathie fut immédiate. Juliette, habituée à l'adulation des hommes, n'était pas fâchée de voir une femme, illustre de surcroît, sensible à son charme. Pour Germaine, qui malgré tout son esprit, se désolait de n'être pas jolie, Juliette apparaissait comme la femme qu'elle aurait voulu être. Avec son étonnante beauté, son charme indicible, sa coquetterie, Juliette entra pour toujours dans la vie de Germaine. Les deux femmes se complétaient. Elles le savaient. Juliette était fascinée par l'intelligence, la culture et le tempérament explosif de sa nouvelle amie.    "Les premières années du Directoire virent le triomphe des modes extraordinaires lancées par les merveilleuses et les muscadins, jeunesse toute dorée qui, pour avoir manqué de perdre la tête, l’avait alors tout à fait tournée". "Pardon, j’ai peut-être tort à quelques égards, mais dans une situation cruelle, est-il étonnant qu’on soit susceptible ? Et si vous vouliez, je ne le serais pas. Un mot de vous remet du calme dans mon âme, et de la raison dans ma tête." Juliette va jusqu’à suivre Madame de Staël dans son exil en Suisse au château de Coppet, son amie est poursuivie par la police de l’autoritaire Napoléon, le premier empereur des français, qui n’a pas apprécié du tout son ouvrage "Mémoire pour la défense de Marie-Antoinette, Épître au malheur" et qui, touché dans son impérial amour propre, a contraint Madame Récamier à fermer son salon parisien parce qu’elle ne voulait pas, par l’entremise de Fouché, être dame d’honneur de la cour impériale. Son refus face à Napoléon l’amène à passer dans l’opposition, le salon qu’elle tient au château de Coppet avec Madame de Staël étant ouvert aux artistes et politiques opposants à l’Empereur, elle sera au courant de tous les complots fomentés contre Napoléon. Ce qui ne l’empêche pas d’y accueillir avec philosophie les célébrités partisanes de l’impérialisme. De retour en France, toute l’élite du nouveau régime se bouscule dans le salon de l’hôtel Necker, Madame Récamier entraîne dans son sillage un groupe d’adorateurs toujours plus nombreux, les Montmorency, Lucien Bonaparte, Balzac, Constant, Moreau et Bernadotte et bientôt Chateaubriand. "Le costume grec, un temps laissé aux actrices et aux filles, gagna toute la gent féminine, en partie parce qu’il offrait l’avantage de supprimer les inconfortables corsets. Partout, à Paris et à Versailles, la sensualité gagna les esprits".    "Mais pourquoi faut-il toujours que j’arrache ce mot ? Je vous jure que cela me tue, que je suis plus épuisé d’une nuit de telles souffrances, que de je ne sais quelles douleurs dont tout le monde frémirait. Quelle année, grand Dieu !" C'est en faveur de ses amis malheureux et persécutés qu'elle va, calmement, sans éclat intempestif, mais avec une fermeté que rien n'ébranle, s'occuper de les défendre. Fouché qui a remarqué l'intérêt de Napoléon pour la belle Juliette, lui fait des avances afin qu'elle accepte de faire partie de la Cour impériale. Juliette se dérobe. L'Empereur avait de la sympathie pour elle mais ses liens bien connus avec la baronne de Staël lui déplaisent fort, de même que son appui sans réserve aux amis qu'elle sent menacés et pour lesquelles elle ne cesse de faire intervenir ses relations. En 1805, M. Récamier fit faillite. À l'origine une crise financière en Espagne et dans les colonies. Le mari de Juliette aurait eu besoin d'un prêt du gouvernement qui lui fut refusé. Mesquine vengeance d’un grand homme ? De nombreuses petites banques furent entraînées dans cette faillite. Mr Récamier, dont la compétence et l'honnêteté n'étaient pas en cause, se défit de tout. Juliette ne garda qu'un pied à terre dans son ancien hôtel. Ce brutal revirement ne l'affecta pas vraiment. "Ceux-ci disparurent, puis les jupons, puis les manches, puis les souliers remplacés par des semelles attachées de rubans croisés. Les tuniques d’abord légères devinrent immatérielles. La mode sembla alors échauffer bien des esprits". "Toute la nature me semble me repousser. L’abandon, l’opprobre, la malédiction semblent m’entourer. Il s’en est peu fallu que je ne me tuasse cette nuit. J’ai voulu prier, j’ai frappé la terre de mon front. J’ai invoqué la pitié céleste. Point de pitié." La banqueroute avait mis fin à une période d'enchantement, de fêtes perpétuelles mais elle ne le regrettait pas. Elle était au creux de la vague et sa santé s'en ressentait. En 1819, Juliette se retire à l’Abbaye-aux-Bois, Couvent situé au seize rue de Sèvres et y ouvre un salon au décor théâtral drapé de vaporeuses soieries blanches dans lequel elle donnera de somptueux bals. Sans perdre le rayonnement qu’elle avait dans son salon de l’hôtel Necker, elle évolue dans une aura de douceur et d’intelligence parmi ses fidèles sympathisants, Musset, Ampère, Sainte Beuve, Delphine Gay de Girardin, Hugo, Mérimée, Lamartine, Tocqueville et son cher Chateaubriand, ami de toujours. Les années passant, elle se lie de plus en plus avec Chateaubriand, celui qu’elle aime et admire, celui à qui elle apporte tendresse et fidélité, celui qui devient le centre et le Dieu de l’Abbaye-aux-Bois, celui qui l’aime mais la fait souffrir au point qu’elle se sauve à Rome d’où elle finit pourtant par revenir, celui qui lui propose enfin de l’épouser mais auquel elle refuse délicatement. "Ce je n’en suis point amoureux fait quelque peu pendant à la phrase de Mme de Staël disant de son mari. De tous les hommes que je n’aime pas, c’est celui que je préfère. Les deux femmes épousèrent sans les avoir choisis des hommes plus âgés auxquels elles ne furent jamais liées par des liens amoureux. Ainsi basculèrent alors leur vie".    "Mais vous pouvez tout. N’est-ce rien que de sauver un être qui vous aime ? De sauver sa vie et peut-être son âme ? Car s’il y a un dieu, c’est mal de se révolter comme je le fais, de chercher du secours contre le sort, contre l'amour." La belle oratrice en a vu passer des personnalités, chacun de ses salons représentant le microcosme d’une société disparate, des royalistes, des jacobins, des impérialistes, des républicains, des romantiques, des poètes, des écrivains, des journalistes, des peintres, des sculpteurs, des musiciens, hommes de tous bords et de toutes nationalité. Tous ont aimé et admiré la maîtresse des lieux qui dominait la vie mondaine du Consulat. Et brusquement voici qu'un autre homme s'en avise. Qui l'eût crû ? C'est Benjamin Constant. Il la connaît depuis plus de seize ans et voici qu'il tombe amoureux d'elle. Caroline Murat lui avait demandé de trouver une plume brillante pour écrire un mémoire. Elle avait alors pensé alors à Benjamin. Elle se veut convaincante, elle marivaude, sans doute, et Benjamin de s'enflammer. Il se prend pour elle d'une passion violente, dont témoignent ses lettres véhémentes mais aussi son "Journal." Il n'est plus qu'une suite de plaintes, de cris douloureux. L'inaccessible Juliette est navrée, d'une part parce qu'elle a beaucoup d'affection pour lui, d'autre part, parce qu'il n'est pas dans son style d'éconduire brutalement ses tendres soupirants. "La figure d’une femme, quelles que soient la force et l’étendue de son esprit, quelle que soit l’importance des objets dont elle s’occupe, est toujours une raison ou un obstacle dans l’histoire de sa vie. On peut alléguer à la décharge de la jeune Juliette sa réelle naïveté. Ignorante des réalités de la sexualité, les redoutant sans doute, elle jouait sans le savoir avec le feu. Avec le temps, cette excuse s’estompera. Si Juliette eut en matière de coquetterie bien des accusateurs, elle eut aussi des défenseurs, sa coquetterie paraissant d’autant plus inoffensive qu’elle était chaste". "J’ai voulu prier. J’ai frappé la terre de mon front. J’ai invoqué la pitié céleste. Point de pitié. Il se peut que je commence à devenir fou. Une idée fixe, depuis un an, peut bien rendre tel. Quelle année, grand Dieu ! Madame, je vous adore." Celle qui n’eut que des admirateurs est tombée il y a trente ans dans le piège de l’admiration, une admiration sans limite durant toutes ses années jusqu’au dernier souffle en 1848 de son cher amant François-René de Chateaubriand et qu’elle ira rejoindre le onze mai de l’année suivante. À partir de 1840, la santé de Juliette Récamier décline et sa vue baisse notablement. Elle mène alors une vie de plus en plus retirée. Quand l'épidémie de choléra sévit en 1849, elle quitte l'Abbaye-aux-Bois pour aller chez sa petite-nièce, Amélie Lenormant, qui habite près du Palais-Royal. Frappée par la maladie, c'est là qu'elle meut, le 11 mai 1849, à l'âge de soixante-onze ans. Elle est inhumée au cimetière Montmartre.   Bibliographie et références:   - Catherine Decours, "Juliette Récamier, ou la séduction" - Léna Widerkher, "Juliette Récamier, muse et mécène" - Françoise Wagener, "Madame Récamier" - René de la Croix de Castries, "Madame Récamier" - Édouard Herriot, "Madame Récamier et ses amis" - Benjamin Constant, "Lettres de B. Constant à Madame Récamier" - Amélie Lenormant, "Correspondance de madame Récamier" - Jean-Marie Rouart, "Une femme d'influence, Madame Récamier" - Virginie Ancelot, "Les Salons de Paris" - Auguste Jal, "Dictionnaire de biographie et d'histoire" - Julie Bertrand, "Madame Récamier" - Pascal Weigger, "Madame Récamier"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 06/05/24
"Des femmes de tous les mondes se disaient éprises du poète, elles lui écrivaient des lettres tendres et sentimentales, puis s'arrangeaient pour le rencontrer fréquemment. D'abord, cette cour qu'on lui faisait l'avait amusé, et, enfant, un peu naïf, il avait cru vrais et sincères ces amours qu'on lui offrait. Mais ces passions ne duraient guère. À peine un hiver, rarement un printemps. Lui, se lassait bien vite. Ces âmes futiles et légères, qu'un caprice lui amenait, ne savaient pas donner le bonheur. Elles, un peu déçues, ce grand homme parfois les ennuyaient, le quittaient sans regret". La première des plus jolies filles de France, voilà plus de cent ans, était originaire d’Espelette, au Pays basque. Agnès Souret n’a pas pu dérouler la carrière de comédienne dont elle rêvait, fauchée par la maladie, à vingt-huit ans, en Argentine. C’était le premier concours. À cette époque, pas question d’anglicisme tapageur. La toute jeune Agnès Souret, née à Bayonne d’un père breton et d’une mère basque, envoie depuis Espelette une photo d’elle en communiante pour le concours de la plus belle femme de France. "Je n’ai que dix-sept ans. Dites-moi si je dois traverser la France pour courir ma chance", écrit-elle au dos, en s’adressant, pleine de candeur, à l’équipe de Maurice de Waleffe, journaliste mondain qui a pris l’initiative de ce concours relayé dans tous les cinémas de France. Deux-mille concurrentes se manifestent alors dès la première année. Un petit mètre soixante-huit, le teint clair, les yeux bruns et les cheveux châtains d’Agnès Souret vont faire le reste, avec cette once de fragilité dans le regard. Elle qui rêvait de devenir artiste de l’écran remporte le concours et peut désormais frayer dans les milieux parisiens. Où sa simplicité fait alors tache. "Le ciel lui a donné une beauté éblouissante, infiniment de bonté et de sagesse et un heureux caractère", écrit d’elle Hervé Lauwick, dans les colonnes du Figaro. C’est si dangereux d’être trop belle et l’orgueil vient si vite au cœur humain. Enfin, la jeune Agnès est choisie pour tourner son premier film, au Mont-Saint-Michel. "Le Lys du Mont Saint-Michel" est tiré du roman "Rêve d’amour" de T. Trilby, pseudonyme de la femme de lettres Thérèse de Marnyhac (1875-1962). Agnès se lance. Comme son idole Sarah Bernhardt, Agnès Souret rêve de la scène. T. Trilby, ou Madame Louis Delhaye, nom d'alliance, encore Marraine Odette lui aura offert le rôle de sa vie. Car la malheureuse jeune fille, alors qu'elle effectuait une tournée en Argentine, meurt d'une péritonite le trente septembre 1928 à l'âge de vingt-six ans. Sous le pseudonyme de Trilby, qu’elle emprunte à un conte de Nodier ou à un roman de George du Maurier, se cache une femme de lettres aujourd’hui très méconnue: Marie-Thérèse de Marnyhac (1875-1962). Elle est l’auteur d’une œuvre romanesque abondante dont les premiers titres paraissent au tournant des siècles et les derniers à la veille de sa disparition, sa carrière littéraire s’étendant sur une soixantaine d’années au cours desquelles elle livre un ou deux ouvrages par an. Née d'un père marchand à Paris, elle a été éduquée de façon stricte. Pendant la Grande Guerre, elle est infirmière de la Croix-Rouge, et recevra la Légion d'Honneur. La guerre terminée, elle poursuivra son activité à la Croix-Rouge et s'occupera de jeunes filles en difficulté. En 1899, elle épouse Louis Delhaye, un industriel. D'une nature optimiste et enthousiaste, elle souhaite, par ses écrits, transmettre aux enfants et aux très jeunes gens, les valeurs morales qui lui ont été enseignées: admiration de l'armée, esprit colonialiste, proximité avec les Croix-de-Feu, hostilité au Front Populaire, dans "Bouboule chez les Croix-de-feu"(1936) et dans "Bouboule et le Front populaire" (1937). Généreuse et volontaire, mais d'esprit proche de l'extrême droite, deux de ses romans seront couronnés par l'Académie française: "Le Retour" (prix Montyon en 1920) et "En avant" (1948).    "Lui, n'avait été, dans sa vie, qu'un amusement, un fantoche, un pantin tout pareil aux autres, un imbécile de plus, venant grossir le flot de ses admirateurs. Mais c'était fini, fini. Leur flirt, comme disait Suzy, se terminait ce soir". Faute d’archives, elle n’est plus connue que par ses œuvres, lesquelles ont disparu de l’horizon des lectures contemporaines, mais ont tenu une place dans les lectures féminines de leur temps. Rarement mentionnées dans les revues bibliographiques des grands périodiques, elles sont en revanche souvent évoquées, signe qu’elles touchent un assez large lectorat. Plusieurs d’entre elles, rédigées du milieu des années 1930 à la fin des années 1950 et destinées à un public de jeunes lecteurs ont été rééditées, mais n’ont alors guère rencontré de succès ou d’intérêt. Du fait de ce travail, mené par les Éditions du Triomphe, Trilby ne passe plus aujourd’hui que pour "un auteur à succès pour la jeunesse", ce qui revient à ignorer une part considérable de sa production. Celle-ci se développe en effet sur deux plans. Celui du roman éducatif qui représente dans l’ensemble de sa production une quarantaine de titres publiés entre 1936 et 1961. Celui du roman sentimental comme en témoignent des publications sous forme de feuilletons dans "Le Petit écho de la mode", périodique qui prétend offrir à ses lectrices "des romans bien faits qui joignent à la grâce d’une intrigue heureusement conduite, à la séduction d’un style élégant toute la force saine d’une noble pensée". Comme le montrent toutes ces données, Trilby réoriente sa production littéraire au cours des années 1930, moment de sa carrière où, délaissant la veine du roman sentimental, elle donne ses premiers romans éducatifs, "Moineau la petite libraire" (1936) et "Dadou gosse de Paris" (1936). En ces mêmes années, elle fait également paraître un cycle romanesque où elle s’intéresse à la vie sociale et politique de son temps: "Bouboule ou une cure à Vichy" (1927), "Bouboule dame de la IIIème République" (1931), "Bouboule en Italie"(1933), "Bouboule à Genève" (1933), "Bouboule dans la tourmente" (1935), "Bouboule chez les Croix de Feu" (1936), "Bouboule et le Front populaire" (1937). Elle livre ainsi une série de sept volumes qui suivent le parcours d’une héroïne, Bouboule, qu’ils font pénétrer au Sénat et à la Chambre où siègent son père puis son mari, M. de Sérigny, qui accède à un ministère et effectue, après qu’il a perdu son portefeuille, une mission auprès de la Société des Nations. Bien qu’il s’appuie sur une large tradition d’écritures romanesques autoritaires où l’antiparlementarisme est alors porté par des narrateurs et des héros dont la parole se fait polémique, le cycle de Bouboule peine à s’inscrire dans le cadre du roman à thèse dont les structures ordinaires, assurément présentes, perdent de leur force assertive. Il est en effet porté par un personnage féminin qui ne dispose pas d’une voix autorisée, audible et crédible, et prend alors les aspects d’une suite d’œuvres où sont évalués des discours capables de se substituer à ceux des hommes de pouvoir, de s’opposer à une parlementarisation généralisée de l’espace social. Aussi se lit-il comme une quête visant à inventer ou à retrouver une parole que le parlementarisme ne contamine pas. Quelque soit la valeur littéraire de l'œuvre, le cas de l'auteur est rare.    "Cette belle poupée parisienne s'ennuyait dès qu'on ne l'adulait plus. Pour être aimable, il lui fallait respirer l'atmosphère des salons et sentir autour d'elle des hommes empressés, prêts à lui murmurer des compliments bêtes que les femmes acceptent". Le premier volume du cycle s’ouvre sur une scène de lecture à travers laquelle Trilby manifeste ses intentions, elle présente Mme Lagnat, la mère de son héroïne, comme la "demoiselle d’un sous-préfet", expression qui l’indexe à l’univers du personnel politique républicain, mais aussi comme une mondaine qui se plaît dans l’univers des salons ets’adonne à des activités qu’elle associe à son statut: "la broderie, la musique et les livres". Elle parcourt alors "le livre d’un Maître": " À l’ombre des âmes fleuries". Trilby indique ainsi que son entreprise sérielle s’éloigne du modèle proustien, ce que marquent les premiers propos de Bouboule: "L’auteur appartient à cette nouvelle école que tu admires et qui est pour moi le meilleur des soporifiques". Essentielle à la caractérisation des personnages, l’allusion proustienne oppose deux univers, celui d’une intellectuelle attachée à une vision bourgeoise du régime républicain et celui de Bouboule qui ne cesse de signaler son peu d’intelligence afin de mettre alors en valeur son bon sens légendaire et son âme simple de fermière auvergnate. Aussi les romans dont elle est l’héroïne échappent-ils à la tentation du roman psychologique, dont Proust est le représentant, ainsi qu’aux cruelles énigmes chères à Bourget à qui il est fait allusion en une autre occasion. De fait, Bouboule ne lit qu’en chemin de fer et n’attend de ses lectures qu’un délassement qu’elles ne lui procurent pas."Je coupe les pages d’un livre nouveau que je n’achèverai pas, histoire de trois personnages, mari volage, cela ne m’a jamais amusée". Trilby se détache ainsi des intrigues de cœur de la tradition du roman sentimental dont elle est, avec Delly, un des maîtres, aussi bien que de celle, voisine, du mélodrame que son héroïne condamne également. S’en prenant autant à la littérature difficile qu’à la littérature facile, Trilby situe alors l’écriture de son cycle dans un espace intermédiaire qui lui impose d’inconfortables contraintes puisqu’elle doit renoncer à l’analyse psychologique de ses personnages comme à la conduite d’intrigues reposant sur la thématique des liaisons très contrariées ou, solution à laquelle elle s’arrête, ne leur offrir qu’une place secondaire en s’intéressant aux amours de Bouboule au seuil du cycle. Bouboule dispose d’une culture littéraire dont elle fait état chaque fois qu’elle croise le souvenir d’auteurs connus. Elle se tient toutefois à distance d’œuvres qu’elle se dit incapable de comprendre et d’admirer, attitude qui renvoie, comme l’intérêt qu’elle porte à Mme de Sévigné, à des usages scolaires solidement établis. "J’ai lu sur un mur une phrase de Rousseau que je n’ai pas trouvé digne d’être admirée. Du reste, je ne comprends pas le génial écrivain, la nature qu’il a décrite m’a toujours parue un peu artificielle, je ne l’ai jamais vue comme il l’a vue. Mais je ne suis qu’une fermière sans culture et il est évident que Bouboule ne peut comprendre Jean-Jacques Rousseau. Moquerie de la pédanterie.    "Par des nuits si belles, être seul, c'est presque douloureux. Lorsque quelque chose m'émeut, j'ai besoin d'une présence amie près de moi. On n'aime pas une femme qui vous prévient d'avance que le flirt l'ennuie". Contredisant les méthodes et ignorant les discours de l’école, Bouboule renonce à tout propos qui prendrait une dimension historique ou critique. Elle refuse ainsi, découvrant Rome, qu’une amie de sa fille lui résume les cours de son "professeur de littérature" sur Chateaubriand: "Je ne suis pas assez littéraire pour admirer les écrits de cet homme et son caractère m’est odieux". De manière similaire, Trilby se contente de la mettre à l’écoute, lors d’une visite à Ferney, d’une dispute entre une amie de sa fille et son futur époux à propos de Voltaire et de son œuvre, celle-ci reprochant à celui-là de n’en faire cas que sur le fondement de souvenirs scolaires avant de se lancer dans une virulente charge: "Vous ne me ferez jamais admirer Voltaire, j’aime son château, sa prairie, tout ce que Dieu lui avait permis d’avoir sur terre et dont il ne sut jamais être reconnaissant". De fait, Trilby ne fixe à la littérature, par l’intermédiaire de ses personnages, qu’une mission éducative. S’en prenant à tous ceux qui y dérogent, son héroïne déclare que les dramaturges ont oublié que le "théâtre a un rôle éducateur", propos qu’elle précise par la suite en reprochant à un "littérateur" à succès de s’adonner à un travail de démoralisation. Comme le montre ainsi une scène de bal masqué auquel participent des couples figurant des œuvres d’écriture, Trilby associe la littérature à un univers de mondanités superficielles et dangereuses. Ce carnaval littéraire donnant à sa fille l’occasion de se lier avec un diplomate allemand, avec qui elle souhaite représenter "Kœnigsmark" de Pierre Benoit, elle lui conseille pour la détourner de ce projet de lire "Les Croix de bois": "Tu le liras très attentivement, religieusement, tu comprendras qu’un baron Von Klupp ne doit pas oser représenter dans nos salons un héros français". Aux littératures de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle comme aux littératures de son temps, qu’elle fait condamner à son héroïne, Trilby préfère des œuvres qui, à l’image du roman de Dorgelès, confortent le sentiment national. Aussi le cycle de Bouboule prend-il les aspects d’une littérature éducative du politique. Un seul écrivain de son temps trouve grâce aux yeux de Bouboule, Anatole France, dont elle ne retient ainsi qu’une phrase, extraite des"Opinions de M. Jérôme Coignard", qui évoque les parlementaires. "Ils devront s’étudier à parler pour ne rien dire, et les moins sots d’entre eux seront condamnés à mentir plus que les autres". La romancière avait des avis tranchés.    "Avec une franchise parfois cruelle, Suzy disait ce qu'elle pensait, même quand on ne le lui demandait pas. Elle avait des boutades d'enfant terrible qui la faisaient haïr de certains. Mais ceux qui l'aimaient, l'adoraient. Pourtant il semblait à Philippe impossible que quelqu'un aime cette femme d'amour". Comme l’indique cette citation, Trilby envisage la littérature éducative du politique dont elle se réclame comme une littérature de dénonciation du parlementarisme. Son héroïne adresse en effet les mêmes reproches aux gens de lettres dont elle réprouve totalement l’influence et aux parlementaires qu’elle observe. Assistant à plusieurs débats parlementaires, Bouboule résume ou cite des fragments de discours, s’arrête aux réactions qu’ils suscitent et montre les tribuns du Sénat ou de la Chambre comme des menteurs et des sots qui ne veulent pas voir ou ne voient pas les périls, intérieurs ou extérieurs, qui menacent la société française: "La politique avec ses ambitions, ses compromissions, ses mensonges, les a contaminés, ils sont devenus les responsables du mal fait à leur pays". Tandis que le monde des lettres est transformé en bal masqué où se nouent des intrigues de cœur, celui des enceintes parlementaires est présenté comme un univers d’intrigues autant que de manœuvres et vu comme le lieu de spectacles de la parole. Révélatrices sont, à cet égard, les premières visites de l’héroïne au Sénat, dont elle découvre la bibliothèque avant d’entendre le vain discours d’un ministre des Affaires étrangères. Bien que celui-ci lui soit présenté comme un "virtuose de la parole", elle le voit comme une "vedette qui fait recette", terme qui qualifie ailleurs des "littérateurs", ne retient de son intervention que l’élégance de "la langue" et "les passages d’émotion et d’éloquence". Aussi ce discours, qu’elle se surprend alors à applaudir sans l’approuver, est-il aussi captieux que les plates intrigues des romans sentimentaux. Bouboule fait en outre des assemblées parlementaires, vues comme des lieux où l’intérêt particulier l’emporte sur l’intérêt général, le modèle à partir duquel elle envisage une instance internationale, la Société des Nations, mais aussi d’autres secteurs de la vie sociale. Elle décrit en effet les réunions de charité qu’elle fréquente, le monde de la Croix Rouge où elle s’introduit ainsi que la section féminine des Croix de Feu dont elle devient membre comme des lieux de discours où règnent rivalités et ambitions personnelles, c’est-à-dire comme autant de petits parlements. Aussi envisage-t-elle le mal parlementaire comme un fléau généralisé, qui touche le monde politique des hommes aussi bien que celui des activités traditionnellement réservées aux femmes et en vient-elle à dénoncer, à grand renfort de scènes qui se répètent, une parlementarisation généralisée de la société française. S’en prenant toutefois surtout aux députés et aux sénateurs, Trilby confie à son héroïne des réflexions que Bouboule, "ne comprend rien du tout à la politique".    "Marie-Rose, pour moi, c'était une petite fille, une petite fille charmante, mais une femme, ma femme, cette enfant, cela me paraît impossible. Et puis, je ne suis pas seul il est probable, il est même certain que Marie-Rose n'a jamais vu en moi qu'un oncle, qu'un parent qui sera vieux, bien avant elle, qu'on ne peut aimer que comme un grand frère". Constatant que celle des parlementaires est viciée, elle prête ainsi une attention de plus en plus soutenue aux interventions de ceux qui s’expriment hors des enceintes institutionnelles, aux discours que prononce La Rocque après le 6 février 1934 ou au moment de la dissolution des ligues et, par le biais d’une amie, à ceux de Doriot lors de la fondation du PPF. Capital dans ce contexte, son séjour romain lui donne l’occasion d’écouter le discours que prononce Mussolini pour le dixième anniversaire de sa prise de pouvoir, discours qui s’oppose, dans la logique du cycle, au premier de ceux qu’elle entend: "Harangue courte, le Duce n’aime pas les discours". Si Bouboule en appelle à un nettoyage par le vide en commençant par le Palais Bourbon, elle rêve donc surtout d’un monde politique où "quelques hommes intelligents, décidés à travailler sans discours accepteraient d’obéir à un chef de valeur", chef auquel elle prête les traits d’un sauveur et dont elle donne divers modèles. Aussi Trilby cherche-t-elle à donner une œuvre romanesque nettoyée de tout parlementarisme, une œuvre romanesque où la harangue l’emporte sur le discours. Rêvant d’un chef qui parle moins qu’il agit, Bouboule ne peut pas plus être montrée comme une femme de discours que comme une lectrice, situation à laquelle elle échappe puisque, femme et épouse d’un homme politique, elle est condamnée au silence devant les spectacles de la parole auxquels elle assiste et contrainte d’observer de loin les manifestations auxquelles elle se rend. Elle voit les événements du 6 février 1934 depuis le restaurant Weber de la rue Royale et doit se contenter de donner des soins aux blessés. Comme le montre cet exemple, Bouboule fait usage hors des enceintes institutionnelles de pratiques qui y ont cours, l’interpellation ou l’interruption. Tout comme sa manière de la donner, sa parole resterait donc contaminée par la discursivité parlementaire si Trilby ne la présentait, à l’image de certaines héroïnes de Gyp, sous les aspects d’un Gavroche du sexe faible dont l’impertinence est l’unique arme. Une arme dont elle se sert moins, comme le voudrait l’économie du roman à thèse, afin de véhiculer un discours d’escorte à valeur idéologique ajoutée que pour ridiculiser ceux qui suscitent son indignation. Aussi ne parvient-elle le plus souvent qu’à ôter la parole à des adversaires d’importance secondaire, un touriste allemand croisé au cours d’une visite des catacombes romaines, une "simple française malheureusement devenue plus que jamais hitlérienne".    "Ma chérie, dit-elle, un jour ce sera toi qui voudras t'en aller, et ta vieille grand'mère tâchera, ce jour-là, de ne pas pleurer pour ne pas attrister ton jeune bonheur. Tu te marieras, mignonne, et ton mari t'emmènera. Tu le suivras, heureuse, et, très vite, tu oublieras la vieille maison". Dans ce contexte, les épreuves de la parole auxquelles elle soumet les "chefs" en qui elle place ses espoirs de régénération nationale de même que celles auxquelles elle se soumet l’amènent à prêter intérêt et attention à une autre forme du discours politique, sa forme journalistique, et à modeler ses comportements et ses interventions sur ceux d’un porteur de discours politique, que n’incarne aucun des personnages du cycle, le journaliste. Désireuse de donner à la parole de son héroïne une forme de légitimité, Trilby la conduit à adopter la posture d’un chambrier pour rendre compte des débats parlementaires, celle d’un reporter quand elle décrit alors des émeutes, des défilés ou des réunions publiques. Conduite de sa propriété auvergnate aux centres de la vie politique parisienne, extraite de sa petite patrie et amenée par sa fréquentation des assemblées parlementaires à se préoccuper alors de l’avenir de la société française, Bouboule prend à bien des égards les aspects d’un personnage déplacé. Parfaite huronne de la vie sociale et politique, elle est en effet présentée sous des aspects qui prêtent au rire et minent son autorité discursive. De fait, elle est surtout la femme d’un monde d’hier, d’un monde de l’avant première guerre mondiale, contexte qui est celui du premier roman du cycle, en témoignent les "rotondités" qui lui valent son surnom, et conduite à évoluer dans un univers où elle ne peut rester en place et où elle ne parvient pas à trouver sa place, ce que signale le fait qu’elle est désignée par son surnom (Bouboule) plutôt que par son nom (Mme de Sérigny) ou son prénom (Béatrice) et qu’elle ne sait comment signer lorsqu’elle écrit, partagée qu’elle est entre un idéal de retrait familial, qui ferait d’elle une mère ou une épouse de roman sentimental, et des devoirs de citoyenne qu’elle ne peut remplir, faute de parvenir à s’inventer une parole d’autorité, ce qui lui interdit de devenir l’héroïne d’un roman à thèse. Trilby peine ainsi à trouver une écriture capable de la prendre en charge. Aussi le cycle de Bouboule se conclut-il sur une évocation de l’interdiction des cortèges de la fête de Jeanne d’Arc, en mai 1937, évocation qui donne lieu à une ultime prise de position. Il revient ainsi à Jeanne, "qui aurait bien mérité d’être électrice", de vaincre le mal parlementaire, mal que Trilby lie alors à la déchristianisation de la France et à son entrée dans le monde moderne de la parole délibérative.    Bibliographie et références:   - Constance Auger, "Le destin tragique de la première Miss France, Agnès Souret" - André de Fouquières, "Agnès Souret, première Miss France" - Aro Velmet, "Agnès Souret, l’éternelle fiancée d’Espelette" - Susan Suleiman, "Thérèse de Marnyhac" - Karine-Marie Voyer, "Trilby un auteur à succès pour la jeunesse" - Hélène Millot, "Thérèse de Marnyhac" - Corinne Saminadayar-Perrin, "Thérèse Trilby" - Denis Pernot, "Thérèse de Marnyhac" - Catherine Douzou, "Écritures romanesques de droite au XXème siècle" - Paul Renard, "Thérèse de Marnyhac, une femme de conviction"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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