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Suite des aventures de Julien, dans ce monde parallèle au notre, où les rôles sont si subtilement inversés...
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— Peux pas rentrer… hic… chez moi ! Mon mec croit que j’dors… hic… chez une copine…
Soutenant tant bien que mal Angélique, dont la masse imbibée me faisait dangereusement tanguer sur le pavé, j’étais en train de lui demander son adresse pour la raccompagner chez elle en IREN quand elle m’avait sorti cette cocasse information.
Malgré son insistance, je n’avais pas voulu partager la bouteille de vin qu’elle avait commandée avec nos plats. Et comme ce nectar avait dû lui coûter un rein, Angélique n’avait pas voulu en laisser une goutte. À mes remarques sur le fait qu’elle ne devrait pas boire autant, elle m’avait tour à tout rétorqué qu’elle n’était pas une tapette et qu’elle, elle tenait l’alcool, que tout allait bien, merci, que je devrais plutôt m’occuper de mon plat, et finalement que je n’avais qu’à contribuer un peu à la descente de la bouteille. Ce que j’avais fait, mais de façon modérée.
Eh bien, j’avais été bien inspiré ! Du coup, je me retrouvais à charrier une soularde à 1 heure du mat’ en plein Paris. Bien joué, Julien ! Cette soularde, j’allais plus que probablement devoir la ramener dans mon minuscule studio de la rue Dupic. Non pour une nuit d’amour, comme dans le film qu’elle s’était projeté toute seule, mais pour une pénible cohabitation de quelques heures, entrecoupée de ronflements sonores.
L’espace d’une minute, j’avais sérieusement envisagé de la laisser là, assise par terre, le dos calé contre un réverbère. Et puis je m’étais dit que non, je ne pouvais quand même pas abandonner une collègue de bureau à la merci des petites frappes du quartier… Ah, j’te jure ! J’étais champion pour me mettre dans des situations de merde !
En priant pour qu’Angélique ne s’évanouisse pas avant l’arrivée de l’IREN, j’avais orienté nos pas incertains vers le lieu de prise en charge, juste au coin de la rue. À l’angle, une musique tonitruante s’échappait d’un bar où traînaient encore quelques consommatrices. Comme de bien entendu, plusieurs zonardes attablées à la terrasse du bar nous regardaient, levant le coude et rigolant à gorge déployée.
— Oh, les meufs, petit cul à 10 heures. Et mignon comme un ange, en plus !
— Un ange, un ange… plutôt un beau puteau ! J’me le ferais bien au quatre heures !
— Le petit minet a l’air occupé, avec sa grande gigue dans les bras… Mais c’est pas elle qui lui fera sa fête ce soir, elle est schlass !
— Oh, gueule d’ange ! Ça te dit pas, une bonne baise avec des vraies femmes ? On est quatre, mais on est partageuses… ha-ha-ha !
— Je ne crois pas, ai-je répondu, priant pour que la chauffeuse arrive rapidement. Mais merci d’avoir proposé.
J’essayais de ne pas montrer ma peur en restant détaché et souriant. Intérieurement, je me liquéfiais. Et cette voiture qui n’arrivait pas !
— Ce salop se foutrait pas un peu de notre gueule, par hasard ? Vous croyez qu’il se marrerait autant, si on lui fistait le cul ?
— Nan, j’crois pas. Quel pied ce serait, de lui éclater sa petite pine à coup de chattes…
— Hé, dugland ! Regarde-nous quand on te cause ! Fait pas comme si t’entendais rien…
— Il se croit sans doute trop bien pour nous, ce petit puteau !
— Vas-y Norberte, attaque !
Je tournai la tête vers leur tablée où s’amoncelaient les chopes vides. L’une des meufs s’était levée et s’avançait vers moi, un sourire mauvais épinglé sur sa tronche de cake. Le nez écrasé, légèrement tordu, le crâne rasé sur les côtés avec une longue mèche de cheveux huileux lui retombant dans les yeux. Des billes de haine, injectées de sang et ne cillant pas, qui me lançaient un message pas très compliqué à décoder.
Danger en approche rapide… Avec Angélique dans les bras, qui pesait autant qu’un cheval mort, l’option fuite était hors de portée !
— Alors, mon joli, on te plaît pas ? Tu sais quoi, avec nous tu prendrais bien ton pied… Ça te branche ? Oh ! Tu réponds quand j’te cause, salop !
— C’est bon, lâchez moi, dis-je entre mes dents serrées.
Ça commençait à puer grave. Et ce n’était pas seulement l’odeur de bière chaude et de sueur grasse que dégageait ma nouvelle amoureuse : ça puait la peur, l’effroi, le stress montant en flèche et submergeant mon jugement, qui m’empêchait de trouver la moindre issue à cette situation se dégradant de minute en minute…
Les rares passantes traînant dans le quartier à cette heure avancée ne m’étaient d’aucune aide. Soit elles pressaient le pas, baissant le regard comme si l’agression ne les concernait pas, soient elles s’arrêtaient un peu plus loin pour regarder. Aucune de ces braves dames n’esquissait un geste pour me venir en aide ou appeler les fliques. Elles étaient simplement curieuses de ce qui allait arriver, sans être plus impliquées que ça…
Encouragée par le rire de ses copines, la loubarde s’était collée à moi en ondulant du bassin, poussant des petits cris étranglés et moqueurs.
— OH OUI, BABY… ! Comme c’est trop bon de te baiser, mon petit puteau !
La tête d’Angélique avait roulé sur mon épaule ; à force de soutenir ma collègue comateuse, je ne sentais presque plus mon bras. Et là, j’étais franchement épuisé, mes jambes flageolantes me soutenant à peine. Tout ça allait très mal finir !
Devant mon manque de réaction, la loubarde s’était enhardie et avait glissé sa main sous ma chemise, caressant mon dos de ses ongles ébréchés. Je fis alors un geste brusque, plantant involontairement mon coude dans la masse molle de son sein. Mon assaillante lâcha un juron. Mais vu sa carrure, c’était probablement plus dû à la surprise qu’à la douleur.
Dans un crissement de pneus, une berline de grosse cylindrée s’arrêta soudain à mon niveau. Une portière s’ouvrit et une très belle femme jaillit de la voiture avec un sourire avenant.
— Vous avez demandé une IREN, me voici ! Déso pour le retard, j’étais coincée porte de Vanves… Ça va ? Attendez, je vais vous aider à installer votre amie à l’arrière.
Sous le regard incrédule de la loubarde, bras ballants et ne sachant comment réagir, la chauffeuse vint me débarrasser d’Angélique. J’avais l’impression d’être extrait de sous une montagne. Cette magnifique blonde était ma sauveuse ! Depuis 10 secondes, je m’étais mis à l’aimer très fort…
Profitant de cette intrusion inespérée, j’essayai de m’engouffrer dans la Mercedes rutilante. Au moment où j’allais y parvenir, j’ai senti qu’on me tirait en arrière. Mon attaquante me tenait fermement par le bras ; elle avait repris ses esprits juste à temps pour me bloquer.
— Tu vas pas t’en tirer comme ça, p’tit lécheur de chattes ! Mes copines et moi, on va t’expliquer la vie, et on a toute la nuit devant nous…
— Vous voulez bien lâcher ce jeune homme, Madame ? Je ne crois pas que vous fassiez partie de ma course, et je suis déjà assez en retard comme ça…
— Fous-moi la paix, connasse ! Y va nulle part, ce sale pédé ! Il est à moi !
La blonde me fit un signe discret, un coup de menton en direction des sièges moelleux et accueillants de son carrosse. Elle était sur le point de tenter quelque chose, mais quoi !? L’autre devait bien faire 30 kilos de plus qu’elle !
Avant que la loubarde n’ait le temps de réagir, notre chauffeuse avait sorti de sa veste un shocker électrique et le brandissait dans sa direction. L’engin bourdonnait méchamment en lançant de petits éclairs orangés.
— Tut-tut, ma grosse, va pas faire d’histoires. Là, je plaisante plus. Tu enlèves tes sales pattes de mon client et tu te casses !
Sentant la poigne de Miss Hulk se desserrer autour de mon bras, je me jetai aussitôt dans la voiture et claquai la portière derrière moi. Sauvé ! Reculant vers le siège conductrice sans baisser son taser, la jeune femme blonde prit place à son tour dans le véhicule avant de mettre les gaz et nous emporter loin de ce bout de trottoir glauque, à présent peuplé d’une foule de curieuses.
Dans la lunette arrière, je voyais mon agresseuse nous hurler des insanités, ses deux index tatoués dressés vers le ciel. Jamais je n’avais été aussi soulagé de ma vie !
— Oh, putain ! On peut dire que vous êtes tombée à pic ! Je crois que je pourrai jamais assez vous remercier !
— En fait, un simple pourboire fera l’affaire. Même si j’adore voler au secours des jolis princes, il faut aussi que je paie les traites de mon carrosse…
À mes côtés, Angélique commençait à reprendre ses esprits. Elle était pâle et défaite, avec ses cheveux en bataille collés sur son front moite de sueur. Ses yeux n’arrivaient pas à se stabiliser sur un point fixe. Chose plus inquiétante, elle virait de couleur à vue d’œil.
— Excusez-moi, mais… je crois que mon amie va être malade ! Arrêtez-vous, vite !!!
La voiture n’avait pas encore fini de freiner que j’ouvrais la portière. Sa main plaquée sur la bouche, Angélique se pencha au-dessus de mes genoux et se mit aussitôt à gerber. Une cascade nauséabonde, seulement interrompue par quelques éructations sonores et autres gémissements, déferla dans le caniveau.
J’étais aux premières loges pour profiter des soubresauts bruyants de son estomac. Bonjour le spectacle et l’odeur ! Et les éclaboussures, en prime ! Génial…
Après qu’Angélique eut bien tout vomi et pris un peu l’air, elle semblait aller mieux. Je lui ai tendu un Kleenex pour qu’elle puisse s’essuyer la bouche, ce dont elle me remercia avec un haut-le-cœur et un dernier rot.
— Oh putain, Julien… Vraiment chuis désolée… Je sais pas ce qui m’a pris de boire autant…
— J’espère qu’elle n’a pas tâché les sièges de ma bagnole, interrogea la blonde, son regard dur planté dans le mien via le rétro central de la Mercedes.
— Non. Bonne nouvelle pour les sièges, ils n’ont rien. Moins bonne nouvelle pour mon futal : il est bon pour un lavage en machine. Sinon tout va bien, on peut continuer à rouler.
Le temps qu’on arrive en bas de mon immeuble, Angélique s’était rendormie. Et une fois encore, sa tête reposait sur mon épaule. Ça devenait une habitude. Je fouillai dans mon sac à main et en sortis deux billets de 20 euros, proposant à notre ange gardienne de garder la monnaie.
— Je ne sais vraiment pas comment vous remercier, Madame. Vous ne voulez pas monter boire quelque chose de frais avec nous ?
— Une autre fois peut-être, dit-elle avec regret. Là, il est vraiment tard ; mon mari m’attend, et il n’aime pas que je traîne en route…
Elle tira une carte du réceptacle collé sur son tableau de bord et me la tendit.
— À charge de revanche, si vous avez besoin d’une course. Appelez-moi, jeune homme, j’aimerais bien vous revoir…
Elle vint m’ouvrir la porte et m’aida à extraire Angélique de la Mercedes… avant de faire une moue dégoûtée lorsqu’elle découvrit la décoration laissée par ma collègue sur le bas de caisse de sa voiture.
— Vous ne devriez pas laisser votre copine boire comme ça, elle ne tient pas l’alcool.
— C’est noté, merci du conseil.
— Si elle est sobre la prochaine fois, elle pourra au moins vous protéger… Parce que là, c’était vraiment chaud. Vous avez manqué de peu de vous faire violer !
Comme si je ne m’en étais pas rendu compte.
— Je sais me défendre, vous savez, ironisai-je.
— Oui, j’ai vu… Enfin, toujours est-il qu’un garçon aussi mignon que vous, traînant en pleine rue, la nuit, sans défense, et en plus habillé comme vous êtes… bah, c’est un pousse-au-crime, quoi !
— Rassurez-moi : vous n’êtes pas en train d’insinuer que j’ai provoqué cette agression ?
— Non, bien sûr. Même si les ennuis sont inévitables quand on ne fait pas attention…
Je bouillais d’une rage toute intérieure. Toutefois, ce n’était pas le moment d’expliquer à cette nana qu’aucune victime ne mérite qu’on l’accuse de « l’avoir cherché » ou d’avoir « provoqué » ses agresseuses. Cette façon de blâmer les hommes – ou du moins d’impliquer une responsabilité de leur part en cas d’agression sexuelle ou de viol – s’était malheureusement ancrée dans l’esprit de la plupart des femmes. Et même de certains mecs, c’est dire !
— OK. Il est tard, on va rentrer. Encore merci d’être arrivée à temps !
La blonde me fit un signe de tête avant de réintégrer l’habitacle de son monstre de tôle et d’acier. Elle leva la main et lâcha les chevaux, disparaissant rapidement au coin de l’avenue. Dès qu’elle se retrouva hors de vue, je balançai sa carte dans le caniveau. Dommage pour elle, mais je n’étais plus intéressé.
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