La rubrique "Articles" regroupe vos histoires BDSM, vos confessions érotiques, vos partages d'expériences SM. Vos publications sur cette sortie de blog collectif peuvent aborder autant les sujets de la soumission, de la domination, du sado-masochisme, de fétichisme, de manière très générale ou en se contentrant très précisément sur certaines des pratiques quu vous connaissez en tant que dominatrice/dominateur ou soumise/soumis. Partager vos récits BDSM, vécus ou fantames est un moyen de partager vos pratiques et envies et à ce titre peut être un excellent moyen de trouver sur le site des partenaires dans vos lecteurs/lectrices. Nous vous rappelons que les histoires et confessions doivent être des écrits personnels. Il est interdit de copier/coller des articles sur d'autres sites pour se les approprier.
Par : le 14/05/24
  Du 16 au 20 mai 2024 Zuip & The Queen donneront une exceptionnelle série de concerts/performances   Au programme   Parce que le con serre/sert tôt. Ouverture matinale pour 3 trombones à coulisse.   Sarah Bande & Tony Truand. Charivari à la manière de Mouret (1682-1738). Violes de gambe, tambourins, flutiaux.   Les esclaves fouettées Chœur à capella, gémissements, supplications, cris, claquements de fouets et  bruit de chaînes.   In the Moon for Love Solo de percussions   Le respect pervers. Pour piano préparé : fourchettes, couteaux, cutters, épingles à nourrice, bouteilles de Prosecco.   Les contraintes. Symphonie dodécacophonique pour cordes, chaînes et sangles.   L'enfer est au bout du chemin. Concert promenade nocturne : 1- le confessionnal 2- la cave 3- la prison   Chaque prestation se conclura par un vibrant Gode fuck the Queen (repris en chœur) Nombre de spectateurs très limité. Tenue débraillée bien venue Le noir, le cuir et les vêtements sexys seront proscrits. Chaque concert se poursuivra par une improvisation avec les participants (on peut venir avec son instrument) Le programme pourra varier selon les désirs et l'inspiration du Maître.     Une brassée d'orties pourra être offerte à La Queen à l'issue du concert.
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Par : le Il y a 12 heure(s)
Je pense avoir toujours été attiré sexuellement par le fait d'avoir le sexe glabre. Cela fait parti intégrante de ma sexualité depuis l'adolescence. Je ne me l'explique pas, c'est un trait de ma personnalité fétichiste. Déjà au collège, je m'amusais à couper les poils de mon sexe avec une paire de ciseaux. Je précise que c'était avant les débuts d'internet et le sexe épilé n'était absolument pas encore démocratisé par les films ou les magasines porno. J'avais terriblement envie de me raser le sexe mais je n’osais pas. J'avais peur que quelqu'un le remarque. Puis un jour, à la période du lycée, l'envie était trop grande et j'ai sauté le pas. Enfermé dans la salle de bain, le cœur battant, j'ai pris un rasoir et de la mousse et je me suis rasé intégralement. Le processus était hyper excitant. Petit à petit, les poils disparaissaient et mon sexe se dénudait. J'ai trouvé le résultat incroyable. Mon pubis était glabre pour la première fois depuis l'enfance. Mon sexe était nu et je le trouvais à la fois indécent et magnifique. Ce qui m'a le plus surpris, c'était la sensation de mes doigts parcourant mon pubis et mes parties intimes parfaitement glabres. C'était ultra doux et sensuel... Au lycée et dans les lieux publiques en général, étant de nature timide, j'oscillais entre honte et excitation avec mon sexe rasé. C'était des sensations assez contradictoires, sûrement les prémices d'une sensation bdsm...Si quelqu'un l'avait remarqué, j'aurais sûrement été la risée des camarades de classe... Surtout dans un lycée techno majoritairement masculin. Il n'y avait en réalité que peu de raison que ça se remarque. La peur n'était pas rationnelle. L'excitation était, elle, bien réelle. Il m'arrivait dans mes rêveries en classe de me mettre à durcir en sachant que sous mon pantalon, mon sexe était dépourvu de poils. La contrainte principale était que depuis tout petit, tous les étés, j'allais en vacances dans un village naturiste où je retrouvais, en plus, mes ami(e)s de vacances. Pas moyen de me retrouver le sexe lisse dans cette situation. Au printemps je laissais donc repousser mes poils et les vacances terminées, avec impatience, je prenais un malin plaisir à me raser à nouveau et redécouvrir les délices de mon intimité imberbe.   J'ai une pensée ému pour toutes les femmes qui ont partagé ma vie et qui m'ont accepté tel que j'étais, avec mon fétichisme prononcé pour les sexes glabres. Elles ont joué le jeu et m'ont toutes autorisées à leur raser le sexe. Quelque fois avec une légère crainte au début, elles y ont toutes pris goût, sûrement rassurée de savoir que leur vulve glabre m'excitait énormément, et que malgré les apparences, elles n'avaient rien d'une petite fille, avec leurs hanches, et leurs sexes développés. Le fétichisme de l'acomoclitiste n'est-il pas d'ailleurs l'excitation de la vision d'un sexe glabre là où justement il devrait y avoir des poils pour le cacher ? Elles ont aussi découvert les sensations décuplées et la sensibilité d'un sexe épilé. Pour ma part, il va sans dire que je mettais un poing d'honneur à les raser moi même avec application pour mon plus grand plaisir.     Celle qui partage ma vie aujourd'hui s'épile aussi. Elle y a pris goût et elle aime mon sexe ainsi dénudé. Je ne me lasse jamais d'apercevoir sa fente lisse quand elle s'habille et se déshabille. Elle est magnifique. Moi je suis passé du rasoir, à l'épilateur et la pince à épiler, c'est plus long mais tellement plus doux...   Aujourd'hui, l'épilation intime s'est démocratisée pour les femmes et un peu chez les hommes aussi. Cette pratique est rentré dans les mœurs et n'est plus assimilé à la pédophilie ou lorsque l'on criait au scandale quand une femme avait le sexe glabre pour mieux l'asservir et l'infantiliser dans ce monde patriarcal.   Je vais toujours en vacances dans ce même village naturiste. Contrairement à mon époque, les ados restent aujourd'hui habillés et semblent être plus complexés qu'avant. Beaucoup d'adultes ont le sexe épilé aujourd'hui. Je dirais même une majorité. J'ai mis du temps à assumer le fait que je m'épile le sexe. La première année où j'ai décidé de rester épilé au village naturiste où je retrouve toujours mes ami(e)s d'enfance, je me suis mis en condition de soumis à ma femme. Puisqu'elle me préfère ainsi, je reste ainsi. Cela m'a beaucoup aidé puisqu'en quelque sorte je n'avais pas à l'assumer, ce qui est assez lâche de ma part. Ça a eu l'avantage de me décentrer et de me rendre compte que ça n'a choqué personne. Aujourd'hui je l'assume enfin presque totalement mais ne le vante pas auprès de certains de mes amis ou collègues à qui je sais que ça pourrait encore choquer.   C'était mon premier article, je n'espère pas le dernier. Merci de m'avoir lu.
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Par : le Il y a 4 heure(s)
"La beauté de la vie ne dépend pas de nous, mais elle réside aussi dans notre capacité à la saisir. L'inconnu est aussi puissant que l'amour, et il faut s'y engager de toutes ces forces. À présent, Nefer savait que le bonheur était à la fois fragile comme les ailes d'un papillon et robuste comme le granit, à condition que l'on savoure chaque instant à la manière d'un miracle". Adorée comme la Grande Mère dans les régions africaines bordant la mer Erythrée jusqu'à la pointe de la côte des Somalis, Hathor, du grec ancien, Άθώρ/Háthôr signifiant "Maison d'Horus", était une déesse de la fécondité et de la fertilité, la Mère cosmique qui enfanta le monde et le soleil, la protectrice de la vie, la vache nourrissant les vivants de son lait, assurant la nourriture céleste aux morts qu'elle transportait sur son dos, s'ils savaient le lui demander, fonction symbolisée par un sycomore. On l'appelait la "Dame du sycomore". Elle fut ensuite considérée comme la déesse de la joie, de la danse et de l'amour, représentée un sistre à la main, instrument de musique qui avait le pouvoir magique de chasser les démons. Les grecs, maîtres de l’Égypte pendant trois cents ans, avant la domination romaine, adorèrent aussi Hathor, qu'ils identifiaient à leur propre déesse de l'amour et la beauté: Aphrodite. L’Égypte comme chacun le sait s’est lentement constituée à partir de tribus puis de Cités-États sans aucun lien religieux, politique, économique, linguistique, bergers des marais, agriculteurs primitifs, piroguiers du Nil ou chasseurs du désert. À l’aube du IIIème millénaire tous ces peuples tentent de s’unifier dans un syncrétisme des rites et mythes propres à chacun. Il fallut du temps pour que celui-ci en vint à la formation de synthèses théologiques mais forcément extrêmement complexes du fait de la diversité profuse des cultures locales regroupées. Et l’on assista alors à ce miracle d’une coexistence kaléidoscopique de mythes, de croyances, aussi contradictoires que possible et pourtant généralement acceptées de tous. L’Égypte antique est peut-être le seul État au monde qui ait jamais réalisé cette conjonction des opposés à un aussi haut degré. À l’inverse du syncrétisme babylonien, celui de l’Égypte contient donc plusieurs récits cosmiques qui ne s’excluent nullement, au contraire. Chaque ville, importante, avait conservé sa cosmogonie tribale primitive et bientôt s’enrichit de la cosmo-anthropogonie voisine. Mais, trois villes allaient imposer leur système dès le IIIème millénaire: Héliopolis, ville du soleil divin, avec Râ. Memphis, capitale des bâtisseurs des pyramides, avec Ptah et Hermopolis, de Moyenne Egypte, patronnée par Thot, messager du dieu solaire, le dieu des savants et des lettrés.   "Ne subit-on pas les épreuves que l'on mérite et que l'on est capable d'endurer ? Osiris a inventé la musique pour que l'harmonie dilate notre cœur. Elle avait le charme d'un scorpion et la magie d'une vipère à cornes. Quand on n'est pas armé, on ne hausse pas le ton, pouilleux !". Papyrus, stèles, temples et statues ne cessent de parler des dieux de l’Égypte, et fournissent d’innombrables renseignements à leur sujet. Mais quel désordre dans cette abondance. L’homme moderne habitué à l’unité de l’individu, fût-il divin, est bien embarrassé devant cette foule mouvante d’êtres sublimes dont l’ascendance fluctue au gré des nombreuses sources. L’approche géographique, commode sur le plan encyclopédique, est tout aussi déroutante. Les divinités locales les plus modestes affichent la glorieuse épithète de grand dieu. Quant à l’apparence de ces êtres dont une des vertus est précisément la faculté de transformation, elle est encore plus trompeuse. Rares sont ceux qui se contentent d’une seule fonction. Nombreux sont ceux qui se déclarent être l’Unique du premier instant. De plus, les dieux ne sont pas restés immuables pendant trois millénaires d’histoire. Il est donc bien difficile, dans ces conditions, de les ranger en groupes de grands et de petits, de majeurs et de mineurs, de cosmiques et de locaux. Au fil des documents, les dieux égyptiens se jouent de ces catégories et glissent entre les mailles du filet. Polymorphes et polyvalents, ils nous semblent insaisissables. Et pourtant, ils existent et répondent donc à une cohérence. Plus tard, Hathor se confondit avec Isis lorsqu'elle donna naissance à Horus, prototype du roi vivant, et lui transmit alors ses cornes. On disait qu'elle était la mère d'Horus enfant, qui s'enfermait dans son sein chaque soir sous la forme d'un aigle, pour renaître le matin. Elle apparaît aussi comme l'épouse d'Horus L'Aîné auquel elle donna un fils, Ihi ou Harsomtus. Pendant la période hellénistique, au moment du festival, on célébrait leur mariage le dix-huitième jour du sixième mois. Les prêtres emmenaient sa statue sur un navire de son temple de Denderah jusqu'à Edfou, sur la rive ouest du Nil. Elle y cohabitait pendant quinze jours avec son époux Horus, pour y consumer son union avec lui. Horus était conçu le quatrième jour du huitième mois.   "L'homme détruira tout autour de lui, y compris ses semblables, le fort anéantira le faible, l'injustice triomphera, la violence et la laideur s'imposeront partout. Mieux vaut mourir que de trahir la parole donnée". Cette cohérence réside dans le document, seule réalité antique qui nous soit encore accessible. Dans cette religion sans dogme et sans livre canonique, l’existence des dieux est éclatée, fragmentée en autant de parcelles vivantes qu’il y a de documents. Ceux-ci, fixés dans le temps et œuvre d’une personne ou d’une communauté, puisent alors à leur convenance et dans un but précis dans le monde divin du lieu et de l’instant. Car il fallait agir. Les dieux ont besoin des hommes et la sécurité de ceux-ci dépend entièrement du bon vouloir de ceux-là. Cette action, c’est le rituel. Paroles et gestes efficaces mais fugitifs. À la poursuite de cette efficacité, le théologien local manipulait dieux et mythes, combinait les noms, fonctions et apparences des êtres imaginaires, conjuguait les traditions ancestrales de sa ville avec les dernières trouvailles des collègues ritualistes de la ville voisine, glosait un vieux papyrus découvert dans la bibliothèque du temple à la lumière des idées du temps et du but à atteindre. On célébrait en l'honneur de la déesse Hathor, d'autres fêtes qui se terminaient alors en orgies, prostitution rituelle couramment pratiquée à cette époque, notamment le dernier jour de l'année, anniversaire de sa naissance. Les cornes coiffent également la déesse Io, transformée en vache par Zeus, afin de la protéger de la vengeance de son épouse Héra. On lui consacra les villes d'Itfou, d'Atfih et de Denderah où son temple était célèbre. Dame de Dendérah, de Cusae, d'Atfih, d'Imaou, Hathor du sycomore à Memphis, Hathor dans tous les lieux en qui les grecs voyaient des cités d'Aphrodite, dans le nord comme dans le sud, son nom signifie "demeure d'Horus." Les sources concernant les dieux égyptiens sont innombrables. L’État, Pharaon, la société faisaient partie d’un univers où les dieux sont alors présents quotidiennement, dans les plus infimes aspects de la vie. Ces sources peuvent être alors réparties en deux catégories: profanes et religieuses. La première comprend les objets, monuments ou documents dont le but premier n’est pas cultuel, mais où les dieux sont présents : par exemple, une lettre d’affaires commençant par l’énumération des dieux dont la protection est invoquée au bénéfice du noble destinataire, ou encore le décor d’un miroir dont le manche orné du visage d’Hathor évoque à travers la déesse céleste unie à l’astre solaire une jeune femme aux charmes resplendissants. Elle est souvent représentée portant un masque et toujours seins nus.   "Dieu avait créé le désert pour que l'homme alors se taise et entende la voix du feu secret. Tu as peur, c'est bien. Seuls les vaniteux et les imbéciles ignorent la peur. De cette crainte doit naître une force capable de la vaincre". Parmi les sources profanes, les documents littéraires occupent une place à part. Les textes qualifiés de contes puisent leur inspiration dans le monde divin. Souvent, il s’agit de textes à clés, glosant sur un mode plaisant des mutations soit politiques, soit culturelles, et notamment religieuses. Enfin les sagesses, formes littéraires très anciennes, mettent en scène un personnage qui, au crépuscule de la vie, transmet alors à son fils un ensemble de préceptes pratiques. Ces enseignements dressent le tableau d’une société idéale dont les principes sont fondés sur les rapports entre les dieux et les hommes. Les sources plus spécifiquement religieuses comportent les objets et monuments en rapport direct avec un culte officiel, un culte privé, ou toute manipulation se référant à l’imaginaire des Égyptiens. L’Égypte est toute la terre arrosée par le Nil, et sont Égyptiens tous les peuples qui habitent au-dessous d’Éléphantine et boivent l’eau de ce fleuve, proclama un jour l’oracle d’Amon (Hérodote II, 18). "Le Double Pays", comme l’appelaient les anciens Égyptiens, filiforme dans le Sud, avec ses 950 km de vallée étroite, s’épanouissant au nord dans le Delta, sorte de triangle fertile de 200 km de côté, est un joyau fertile enchâssé dans des déserts de sable et de rochers. À l’est, le désert minéral se prolonge par l’étendue liquide de la mer Rouge. À l’ouest, au-delà de la chaîne des Oasis, c’est l’infini du grand désert libyque et du Sahara. Au sud, le désert nubien enserre étroitement le fleuve barré par une série de cataractes. Au nord, enfin, une zone de marécages, infestée d’animaux dangereux et de brigands féroces, isole ainsi le pays de la mer Méditerranée.   "À force de se soumettre et de ne prendre aucune initiative, on devient plus inerte qu'une pierre. Face à l'épreuve, nous sommes seuls. L'important c'est la valeur d'un homme, et non ses titres". L’existence de l’habitant de la Haute-Égypte se déroule dans un paysage fortement orienté, avec le fleuve coulant vers le nord, les deux horizons ocre des déserts arabiques et libyques derrière lesquels surgit puis disparaît le disque solaire, chaque matin et chaque soir. Contrastant avec les jaunes et rouge pastel des déserts, la bande fertile qui suit le fleuve étale des teintes tranchées: noire au moment des labours, vert éclatant et lumineux lorsque croissent alors les cultures, jaune chaleureux lorsque le blé est mûr. Au centre, le ciel se reflète dans le large ruban liquide du Nil, venant du sud et coulant vers le nord. Source de fertilité, il est aussi une voie de communication unissant l’ensemble du pays. Rien n’est plus inconstant que l’apparence d’un dieu égyptien. Sa forme graphique ou plastique, pas plus que son nom ne suffisent pour exprimer par eux seuls sa nature. Sur sa stèle dédiée à Osiris, Imenmès exalte les instruments de la polymorphie. Nombreux sont les noms, les transformations-kheperou, les formes-irou, dans les temples. Le premier terme dérive d’une racine signifiant exister, venir à l’existence, se transformer. Les kheperou sont les produits d’une faculté de transformation alors en action. Par exemple, les changements d’apparences et de noms du dieu solaire au cours de sa course diurne font partie de ses kheperou. Il est Khépri au matin, Rê à midi et Atoum le soir, chaque stade correspondant à un état de l’astre. Passé dans le monde des dieux, l’homme aspire également à la multiplicité des kheperou lui permettant de se transformer en faucon divin, en lotus, en dieu, ou en phénix. Le terme "irou" dérive du verbe "ir" faire et il s’applique en principe aux apparences du dieu dans les temples, c’est-à-dire ses images de culte, faites de main d’homme. La connaissance du secret des formes-irou divines est en effet l’apanage des prêtres-artisans chargés de la fabrication des statues de culte. Régente et corps du ciel, nourrice du souverain d'Égypte, mère d'Horus comme Isis, déesse d'or, figure flamboyante qui revêt l'aspect d'une lionne et se confond alors avec Tefnout. La litanie des sanctuaires, surnoms et attributs d'Hathor s'allongerait interminablement, un même nom recouvrant en fait la personnalité initialement multiple de plusieurs divinités. On connaît ainsi même un groupe de "sept Hathor" qui jouait le rôle de nos fées, fixant dès la naissance les destins du nouveau-né. La déesse est polymorphe.   "Ainsi, des pharaons de l'époque tardive recopient le récit de batailles composé plusieurs siècles auparavant. Ce qui compte est le modèle symbolique, la victoire de la lumière sur les ténèbres. Être utile à autrui cassait les soucis personnels". S’il est fréquent qu’une divinité féminine soit associée à un dieu masculin, son statut n’est pas a priori celui d’une épouse. En Égypte le couple n’a pas de fondement religieux. Le lien social prédominant est celui qui unit le père et le fils, ou mieux, le père et son héritier, gage de continuité. Parfois, la divinité parèdre est un doublet affecté du signe grammatical du genre opposé: Sokaret, version féminine du dieu Sokar, Inpout, compagne d’Anubis ou Sécha, formes alors masculines des déesses Tefnout et Séchat. Parfois, les parèdres assument des charges complémentaires de celles du dieu principal. Au Moyen Empire Khnoum de Heour en Moyenne-Égypte, divinité-bélier de la fécondation, est ainsi assistée de la bonne déesse-grenouille Heqet, l’accoucheuse. Les dieux n’échappaient pas aussi aux vicissitudes conjugales. Un homme du village de Deir el-Medineh découvre avec stupeur que sa femme le trompe. C’est l’abomination de Montou, déclare-t-il indigné. Montou le dieu guerrier, parfois cité dans les contrats de mariage, paraît être le garant des bons ménages. Une Sagesse tardive attribue à Mout, mère divine de la Lumière, l’existence des bonnes épouses et à Hathor, la sensuelle, celle des femmes de mauvaise vie. Déesse de l'amour et de la mort, mère et fille céleste. Les différents aspects d'Hathor se résument dans son identification avec la vache. Sous les traits d'un bovidé ou d'une jeune femme, elle porte la couronne composée de deux cornes lyriformes autour du disque solaire. Dans les temples qui lui sont dédiés, elle orne les chapiteaux de son visage humain aux oreilles de vache. "C'est un monument que de dire une bonne parole, et comme on agira, on sera traité. Les édifices les plus robustes s'effritent et disparaissent. L'œuvre des scribes traverse les âges. Comme bien des peuples, les Égyptiens se sont interrogés sur les origines du monde. Jour après jour, année après année, les grands cycles naturels rythment l’éternité-neheh. Mais il y eut bien un premier matin, une première crue. Quel monde était celui de la "Première Fois" ? Quels sont les mécanismes qui le perpétuent et actionnent la face cachée de l’Univers ? Cette double interrogation sur la genèse (cosmogonie) et sur le fonctionnement (cosmologie) de l’Univers a grandement préoccupé les anciens Égyptiens. Leurs réponses ont été nombreuses, car plus les modèles sont divers, plus les moyens d’action de l’acte rituel sur l’imaginaire sont multiples. Si les allusions à la création sont fréquentes dans les textes de toutes époques, les récits mythologiques, même partiels, sont rares. Dans l’ensemble, ils appartiennent à trois grands groupes. Les Textes des sarcophages ont pour but d’introduire le défunt dans les grands circuits universels. C’est lui, qu’il soit un grand du monde ou un modeste fonctionnaire, qui va jouer le rôle suprême du Démiurge, devenir Chou ou plus simplement assister en témoin intéressé à l’immense œuvre de la création permanente. Les différentes visions du monde de la Première Fois sont exposées avec une rigueur proche du discours philosophique moderne. Le théologien a suivi sa pensée, sans chercher à reconstituer à tout prix un mythe fondateur d’un lieu de culte. Les égyptiens faisaient encore d'elle la maîtresse des pays lointains, Pount, Byblos, région minière du Sinaï. Sur la rive gauche, à Thèbes comme à Memphis, Hathor devient patronne de la montagne des morts, c'est dans ce rôle cosmique et familier que la montre la vache découverte dans la chapelle de Deir El-Bahari. Mais dans son temple de Dendérah, elle y est à la fois déesse universelle, jeune femme aimable et souriante, déesse de la joie et de la musique.   "La déesse-Lionne, tantôt Sekhmet la Terrifiante, tantôt Tefnout le feu créateur, est la maîtresse de l'énergie, tantôt destructrice, tantôt fécondatrice. Le bonheur, Champollion, c'est de festoyer avec des amis, de boire et de manger ensemble, d'écouter de la musique, de prolonger le souvenir des morts en attendant d'être morts à notre tour pour que nos amis célèbrent notre mémoire". Chou, espace de communication, transmet les paroles de "Celui-qui-est-venu-à-l’existence-par-lui-même" à sa multitude. Les baou divins imprègnent ainsi le monde et habitent les images de culte. Mais, pour l’individu, ces moyens de communication collectifs, certes vitaux et efficaces, sont insuffisants. Aussi les dieux, comme les hommes, ont-ils alors cherché des moyens de communication plus directs permettant aux premiers d’exprimer leur volonté et aux seconds de faire entendre leurs suppliques. L'un des plus grands lieux de culte d'Hathor fut le temple de Dendérah, où elle y fut vénérée en tant que Déesse de l'amour. Une chapelle lui est aussi dédiée dans le temple d'Hatchepsout (1479-1457) à Deir el-Bahari. Le Pharaon Ramsès II fit aussi édifier à Memphis un grand temple dédié au culte de la Déesse, comme en témoignent les nombreux cartouches relevés sur les parois en place. Hathor fut une Déesse pour laquelle les Égyptiens ont magnifiquement bâti, et à laquelle ils consacrèrent des fêtes imposantes. Son culte invitait à se tourner autant vers la naissance et la vie, que vers la mort, car Hathor était d'abord la "Dame de vie". Si Hathor avait sa place dans chaque sanctuaire, le temple de Dendérah en Haute-Égypte lui était en revanche entièrement consacré. Un tel privilège n'était pas l'apanage de tous les Dieux, confortant ainsi la place essentielle de cette Déesse dans le panthéon. Lorsque le dieu veut intervenir directement, il peut se dissimuler sous une apparence humaine et agir comme un esprit-akh. Mais ce procédé est rare. Plus fréquente est l’apparition du dieu en songe bien que réservée, toutefois, aux personnages de sang royal. Les dieux sont très discrets dans les "Clés des Songes" consultées par le peuple. Le jeune prince Thoutmosis, assoupi au pied du sphinx de Giza, reçut la visite du dieu Harmakhis venu lui demander de dégager son effigie des sables qui l’envahissaient.   "Tu te cachais dans ma main comme une étoile. Aujourd'hui , j'ouvre les doigts. Brille ou disparais. Regarder Hatchepsout était plus beau que toute chose. Sa forme était celle d'un dieu, elle faisait toutes choses comme un dieu, son éclat était celui d'un dieu". De par son ancienneté et l'extension géographique de son culte, Hathor nourrit des liens avec quelques-uns des plus grands Dieux de l'Égypte. À la fois leur fille, leur mère ou encore leur épouse, Hathor s'assimile aussi aux plus grandes Déesses. Plutarque fut le premier à nous donner une traduction du nom de la Déesse: "Demeure d'Horus" ou "Habitation céleste d'Horus". On doit alors comprendre qu'Hathor symbolisait l'espace dans lequel l'Horus solaire évoluait. À ce titre, la Déesse s'apparente à la Nout. Aussi enserre-t-elle de ses deux cornes le disque solaire d'Horus. Il faut donc entendre "la demeure d'Horus" comme étant le giron divin où Hathor prendra soin du Pharaon, l'Horus incarné. Si Hathor est mère d'Horus, le Pharaon par assimilation, devint fils d'Hathor. Elle est la matrice universelle et plusieurs légendes lui sont associées. Un texte, qui est sculpté dans des tombes de la vallée des Rois, dit que Rê qui était devenu vieux dut affronter un complot fomenté par les humains. Il envoya contre eux son œil, qui prit la forme de la lionne Hathor qui massacra les dissidents. Quand le Grand Dieu estima s'être assez vengé, il fit répandre un liquide enivrant de la couleur du sang sur le passage d'Hathor. La Déesse goûta le liquide, s'enivra jusqu'à sombrer dans l'inconscience et oublia ainsi sa poursuite. Un autre mythe est celui de la Déesse lointaine. Lorsque Rê était le grand Roi de l'Égypte, son œil quitta le palais de son maître. Il prit la forme de la Déesse Hathor, puis se rendit en Nubie et prit l'aspect d'une lionne sanguinaire. Rê demanda alors à Shou et Thot de faire ce qui était en leur pouvoir pour faire revenir l'œil en Égypte. Afin de pouvoir approcher la Déesse, ces derniers se changèrent en singes. Thot parvint à convaincre Hathor de rentrer en Égypte. Dans le but de l'apaiser, il la précipita dans les eaux du Nil. Elle se transforma alors sous les traits d'une chatte de la Déesse Bastet.   Bibliographie et références:   - Paul d'Alincourt, "Imagerie divine de la déesse Hathor" - Michel Augrand, "Représentation de la déesse Hathor" - Jean-Luc Bovot, "L'Égypte ancienne: art et archéologie" - Hans Bonnet, "Reallexikon der ägyptischin Religion geschichte" - Sylvie Cauville, "Le temple de Dendérah" - Sylvie Cauville, "Les fêtes d'Hathor" - Jean-Luc Chappaz, "La déesse aux multiples visages" - François Daumas, "Dendara et le temple d'Hathor" - Lucia Gahlin, Olivier Fleuraud et Isabelle Fleuraud, "L'Égypte: Dieux, mythes et religion" - Roland Harari et Gilles Lambert, "Dictionnaire des dieux et des mythes égyptiens" - Danielle Inconnu-Bocquillon, "Le mythe de la Déesse lointaine à Philae" - Claude Traunecker, "Les Dieux de l'Égypte"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 14/05/24
  Le rendez-vous   Pour financer ma nullification et me faire quelques sous, j’ai le droit de recevoir un peu de monde. Un gars a pris rendez-vous pour une pipe. Il sonne, je vais ouvrir, je suis en fauteuil roulant. Dans l’encadrure de la porte se tient une sorte de géant, presque deux mètres et bâtit comme un bucheron. Il me suit dans ma pièce. Je n’ai pas le temps de parler qu’il sort son membre, il est énorme et sent la transpiration. Je me retrouve avec ce membre dans ma bouche, lui debout devant moi assise dans mon fauteuil. Il me tient la tête et commence un mouvement de vas et viens. Il se retire, m’arrache du fauteuil, arrache mon leggins et me retourne comme une crêpe. Je lui dit : » met une capote » Il en sort une, se la met et sort aussi un petit pot, je pense que c’est de la crème, mais je réalise que c’est du baume du tigre. Il en met généreusement sur sa queue recouverte de la capote. M’en tartine la rondelle et d’un coup sec s’enfonce en moi. Je hurle d’abord de douleur par la taille et ensuite par le sentiment de brûlure. Il explose en moi et reste un moment collé . Il se retire, j’ai el cul en feu, la tête qui tourne. Il pose quelques billets et s’en va sans un mot.
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Par : le 14/05/24
"Semita Voluptatis" est un livre qui se démarque par une approche rafraîchissante et profondément humaine de la relation BDSM. Écrit du point de vue d'un dominant, ce livre de Paul Fontaine offre une perspective rare et enrichissante sur la dynamique de pouvoir entre un Maître et sa soumise. Le récit, narré avec une plume à la fois élégante et incisive, explore les émotions complexes et les dilemmes moraux du Maître, un personnage que les lecteurs trouvent souvent "perturbant, troublant et excitant". À travers ses yeux, nous découvrons non seulement la puissance de la domination mais aussi la vulnérabilité inhérente à celui qui la détient. Ce dominant, loin d'être le stéréotype du tyran froid, se révèle être un personnage riche en émotions, partagé entre force et douceur, contrôle et doute. La soumise, décrite comme forte et déterminée, est loin d’être une victime passive. Elle est le pilier sur lequel repose l'équilibre de leur relation, apportant confiance et consentement, des thèmes chers aux lecteurs de ce genre. Le livre "a le mérite d’être clair" et offre une "immersion passionnante dans le monde du BDSM", comme le souligne un des commentateurs, ajoutant une couche de réalisme et d’authenticité à cette exploration de la soumission et de la domination. Les scènes détaillées de BDSM sont décrites avec un équilibre parfait entre intensité et respect, évitant l'écueil de la vulgarité tout en restant fidèle à la réalité de ces pratiques, ce qui fait de "Semita Voluptatis" un "voyage inconnu" qui provoque une "irrépressible envie de savoir jusqu'où ils vont aller". La relation entre le Maître et sa soumise est peinte avec une "belle plume" qui capture leur interaction complexe et leur croissance mutuelle. Cela est souligné par le fait que, selon les lecteurs, ce livre change la donne par rapport aux narrations typiques, offrant "une pépite dans le domaine du BDSM". "Semita Voluptatis" s'avère donc être un livre captivant et provocateur qui ne manquera pas de séduire celles et ceuxen quêtee d’une histoire où la psychologie des personnages est aussi importante que les actes qu’ils commettent. Dans les bonnes librairies ou en vente en ligne  
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Par : le Hier, 08:33:49
"Demande aux femmes de mon temps, bagnardes, cent-cinq, prisonnières, et nous te raconterons tout. Que la peur nous abrutissait, que nous élevions alors des enfants, pour la prison, la torture et la mort. Pinçant nos lèvres bleuies, Hécubes devenues folles, Cassandres de Tchoukhloma portant des couronnes de honte, nous serons un chœur de silence. Au-delà de l'enfer, il y a nous". "Tout est prêt pour la mort, ce qui résiste le mieux sur terre, c’est la tristesse, et ce qui restera c’est la Parole souveraine". Ces belles paroles sont de la grande poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966) qui, avec Osip Mandelstam et dans une moindre mesure Marina Tsvetaieva, aura été la nouvelle source de la littérature russe du vingtième siècle. Elle est à jamais cette parole souveraine qui aura fait taire toutes les voix de l’oppression. Les plus criardes, les plus haineuses. Elle semble trôner au milieu de nous comme une Pietà, avec sa douleur dans ses bras, son sourire las, sa présence intimidante, sa beauté hautaine. On ne voit d’ailleurs jamais les portraits de sa vieillesse, seulement ceux de sa belle moisson inaltérable de son visage des années vingt. Elle était la beauté même qui ne pouvait se flétrir. Le temps ne pouvait réaliser ce que les bourreaux ne purent. Voix de contralto sur les lettres russes, elle incarne la douleur et la résistance à la dictature. Si fortement que de son œuvre poétique on ne connaît souvent que le recueil "Requiem" composé à la fin des années trente pour témoigner, avec des millions de petites gens, sur la disparition d’êtres chers. Ce texte passant clandestinement de main en main sera le réconfort d’une population soumise à un fou sanguinaire, et qui trouvera dans ces mots la description de sa propre réalité quotidienne. Il ne sera publié officiellement en Russie qu’en 1980, vingt-sept ans après que les vers aient enfin pris possession de ce psychopathe nommé Staline et petit père des peuples par tous les communistes et affidés. Son œuvre importante va des "poésies antipopulaires et décadentes" du renouveau lyrique russe avec les passeurs d’âmes, les acméistes, au cœur du siècle, jusqu’aux œuvres de témoignage de la douleur du monde. Toujours cette fille de la haute bourgeoisie sera étiquetée "renégate", nuisible pour la jeunesse, réactionnaire et totalement morbide par le pouvoir de terreur de Staline. Seule sa renommée la sauvera du goulag. Comme le disait le pouvoir soviétique, "nous ne pouvons compatir avec une femme qui n’a pas su mourir à temps". Cette noble parole est de 1935 et Anna a trente-six ans. Trente ans, les cheveux blancs. C’est l’exil pour Marina, bientôt le rideau de fer. Dans le train, elle n’entend alors que l’appel du Cygne blanc, ce jeune père qu’Alia a si peu connu.    "Cette merveille de notre rencontre, était lumière et chanson. Je ne voulais plus aller nulle part. C'était une amère douceur qu'un bonheur au lieu d'un devoir, je devais ne pas lui parler, et j'ai parlé longtemps". Sergueï, son mari-fils, éternel adolescent qu’elle a voué à jamais au culte de leur jeunesse et promis, contre sa vie sauve, de suivre "comme un chien", galère piteusement. Le fiacre les conduit à la gare, elle et Alia, une dernière fois elle se signe devant l’église de Boris-et-Gleb. Pour quelle fatalité ? Vous êtes aveugle ? Non, voyante ! Vous êtes sourde ? J’ai une oreille de musicienne. Le train passe devant l’ancienne propriété de la famille Meyn, "Yasenka", et traverse Riga. Le voyage dure quatre jours. Marina ne dort ni ne mange, ne dit pas un mot. Elle a été prévenue: "Dans votre compartiment, il y aura un membre de la Tcheka, ne parlez pas inconsidérément". Au début des années révolutionnaires, elle fêtait avec une amie le Nouvel An en disant la bonne aventure, selon la coutume. Et Anna aura beaucoup à souffrir de ces psychopathes voulant le bien des ouvriers, et plus sûrement le leur. Elle leur survécut par les mots et devint l’étendard des pauvres et des persécutés, elle la haute bourgeoise. Elle restera universelle, les autres resteront seulement boue de l’humanité. "J’ai vécu trente ans sous l’aile de la mort". Née à Odessa le onze juin 1899, elle mourra d'un infarctus, le cinq mars 1966, à l'âge de soixante-seize ans, dans sa chère ville de Moscou. Son ami Josef Brodsky exilé à New York pour parasitisme, en fait victime de l’antisémitisme, écrira à la mort d’Anna: "Je salue les cendres de cette grande dame, pour avoir eu ces mots, dormant en terre natale, là où par son bienfait fut doté de parole un monde sourd-muet". "La souveraine du verbe et de la dignité" aura traversé les épreuves de sa vie comme une Pietà, une madone en douleur portant la mort de son mari Nikolaï Goulimev fusillé en 1921 pour déviationnisme et la longue détention en goulag, près de vingt ans, de son fils Lev, arrêté dès 1933, de ses amis exécutés comme Osip Mandelstam, ou traqués comme Boris Pasternak ou Marina Tsétaëva. Nul n’osera l’attaquer de front car grandes étaient son aura et sa faculté à universaliser le malheur. La force et le courage.   "Que les passions étouffent les amants, qu'elles exigent des réponses. Nous n'étions plus, ami, que des âmes sur le bord du monde. Enfant, déjà j'avais peur des masques". Elle traversera les frontières du monde comme oiseaux migrateurs. Mais tant de poèmes détruits, perdus ou non écrits marquent encore la victoire des salauds. Cette voix d’au-dessus des goulags doit encore faire son chemin en France, car si enracinée dans la langue russe par sa construction, ses rimes, ses sentiments, elle attend toujours ses traducteurs sachant rendre cette aveuglante simplicité, sa pureté de feu. Il est douloureux de voir tant de pauvres et fausses gloires en présentoir, ainsi le lâche Aragon, falsificateur de l’amour et de l’éthique, alors que pour trouver quelques bribes de poèmes de l’immense Anna Akhmatova un si long chemin de croix est nécessaire. Elle était d’une nature profondément aux aguets des signes de la vie et du destin. Profondément croyante, elle y mettait toute la superstition des vieilles babouchkas. Et en même temps totalement moderne dans ses relations sociales, n’hésitant jamais à proclamer son féminisme et son attachement viscéral à sa liberté. Elle ne pouvait pas alors vivre une relation amoureuse sans vouloir la détruire de l’intérieur. Belle, elle le savait, et savait séduire ses proies. Elle tentera mélangeant foi orthodoxe étroite et magie dans les hasards de décrypter sa vie et celle des autres. Ainsi elle est née le jour de la Saint Jean, le 23 juin 1899 en Russie, comme prédestinée à la quête du soleil et de la vie. Mais elle se trompait, comme souvent, et ni paix, ni amour, ni rire ne lui furent abondamment donnés. La douleur était sa plus proche amie à venir. Certains sont voués aux anges ou à la pluie, elle était vouée au tragique, et malgré la grâce souriante de ses premiers poèmes centrés sur les relations amoureuses, c’est bien de la condition humaine qu’elle devra témoigner. Née Anna Andreievna Gorenko, sa recherche de signes et de symboles la feront choisir le nom de son arrière-grand-mère maternelle, Akhmatova, pour s’auréoler alors d’un passé tartare sanguinaire. Elle pouvait signer un triple AAA ses poèmes, Anna Andreievna Akhmatova.   "Il me semblait toujours et j'ignore pourquoi, que je ne sais quelle ombre indésirable sans visage et sans nom, au milieu d'eux s'était glissée". Odessa et la mer Noire la marqueront bien moins que Saint-Pétersbourg sa ville d’adoption, dont elle devint le symbole. Loin des domaines de sa famille, de sa richesse, et ayant expérimenté la pauvreté avec le départ de son père, elle put rencontrer à la même hauteur ses pairs les poètes, et affirmer sa liberté, son égalité avec les hommes. Gardant en elle les fêlures de la séparation de ses parents, elle en imagina l’inéluctable destruction de tout amour avec le temps. Mariée par lassitude avec son ami d’enfance, Nicolas Goumilev en 1910, elle fut admise dans les cercles littéraires où sa forte personnalité s’imposa bien vite. Son charisme, sa séduction firent autant que ses poèmes. Sa tentation de la vie brillante l’amena dans de nombreux voyages, dont Paris où Modigliani lui fut alors très proche. Ses initiations se firent par les paysages et les rencontres. En 1912 une autre femme se révèle, moins encline au brillant des choses. Son fils unique Lev naît en 1912, et sa découverte des grands poètes russes, Pouchkine dont elle se croyait une réincarnation, Biely, Blok, Balmont et bien d’autres. Dépassant le symbolisme russe elle se joindra aux écrivains de sa génération pour se libérer de la perfection formelle et aller vers le réel. Ce réel ne se situait pas dans la vénération des machines comme pour Maïakovski, ni dans le mysticisme de l’acte créateur, mais dans la croyance absolue en la puissance de la Parole et de la force du verbe. Son mari Nicolas Goulimev fondera le mouvement des acméistes avec Osip Mandelstam. Sa forte personnalité faite alors de domination et de reconnaissance la fit devenir la figure de proue de ce mouvement. Elle sera célébrée, imitée, vénérée par la jeunesse russe. Elle devait être la louve alpha de sa vie et de ses proches. Là se tient une des clés de la psychologie d’Anna: le besoin de déification par le verbe, le vertige de la domination, le besoin d’être la grande prêtresse des choses, amour ou douleur. Elle se voulait chef de meute d’une troupe d’hommes valeureux et aucun lien ne pouvait l’en dissuader, surtout pas ceux du mariage. De divorces en remariages nombreux et vains, elle put alors expérimenter cela. "Je bois à la maison en feu, et à ma vie aux abois".   "La porte est entrouverte. Les tilleuls frémissent, oubliés sur la table, une cravache, un gant. La lampe fait un cercle de clarté. Il y a des bruits que j’entends. Pourquoi es-tu parti ? Je ne comprends pas". À ces problèmes d’amour et de liberté, de tension et de séduction, il suffit d’ajouter alors l’atroce impact de la première guerre mondiale et de sa boucherie insensée, pour comprendre l’évolution d’Anna à qui se révèle sa nature tragique. La révolution bolchevique fut la fin de son monde et de ses amis. Elle la croyante, ne pouvait comprendre ce matérialisme purificateur par le sang. Jamais, sauf une ode à Staline pour libérer son fils, elle ne se compromit avec ce régime qui bascula alors très vite dans la terreur qu’il prétendait abattre. Elle ne fuira pas, profondément patriote, mais sera "l’exilée de l’intérieur", la statue du commandeur raillant ses persécuteurs. La suite se tissa sinistrement logique: exécution en 1921 de son Pygmalion et premier mari Nicolas Goumilev, ferveur des gens jusqu’à l’hystérie pour une diva jusqu’en 1925. Puis le régime comprit qu’il ne pourrait jamais la récupérer, et qu’elle serait toujours cette émigrée intérieure dans la plus totale et irréfutable opposition. Alors pleuvent les interdits et les persécutions. D’abord rendue muette vers les années 1925, elle sera la bête à abattre quand Staline prit le pouvoir. Arrestations de ses maris, déportations, interdiction d’écrire et de publier, flicage, tout fut employé contre elle. Quelques poèmes appris par cœur par ses amis sont parvenus jusqu’à nous pour des centaines perdus ou brûlés. Les sept ou onze apôtres formaient la seule chaîne de mémoire. Ils avaient le droit d’apprendre par cœur le papier griffonné qui ensuite était détruit. Sans doute avait-elle inconsciemment attendu, espéré peut-être, cette épreuve, vue comme épreuve christique pour elle. L’apocalypse avait fondu sur elle. Elle prenait alors son envol au fronton de la résistance à l’horreur. De brèves accalmies n’empêchèrent pas son exécution littéraire par le subtil Jdanov, qui en 1946 la jeta aux chiens et la renvoya alors au vide des lecteurs.   "Demain matin la lumière sera pleine de joie. Cette vie est brève. Sois sage, mon cœur. Tu es à bout de force, tu bats plus sourdement. Tu sais, je l’ai lu quelque part, les âmes sont immortelles". La jeune fille d’autrefois, la foudre dans la poitrine sous le collier d’ambre héréditaire, l’amoureuse de Napoléon, célébrait à quinze ans la mise en terre de Manon Lescaut "à l’épée, non à la pelle" et fleurissait de roses blanches le tombeau de Marie Bashkirtseff au cimetière de Passy. Marina s’acheta alors un revolver, gardé dans son sac de velours, pour se supprimer, pendant la représentation de L’Aiglon, au moment où Sarah Bernhardt prononçait. "On n’avait pas le droit de me voler ma mort". Cette jeune fille qui courait à tire-d’aile envers et contre la mort peut-elle affronter son propre miroir et se reconnaître en cette femme aux mains rongées ? Seuls les anneaux tsiganes enlacent encore les doigts qui écrivent, au fil de sa fatalité. Le train persécuteur maudit le temps, le pourchasse, l’avale, mineur désincarné dans un grisou qui l’a fait exploser. Sa prédiction de vie, "je veux tout, que la veille soit une légende et chaque jour une fête", l’a reconduite aux sœurs éternelles. Eurydice égarée dans les Enfers, Ophélie enfoncée dans la vase de l’étang et absorbant les herbes amères en guise d’amoureuses, Anna Pavlova dansant “La mort du cygne”. La paix des lèvres et des mains, elle ne l’aura jamais. Le peuplier du jardin d’autrefois est devenu noir, les pogromes "étripent bétail et édredons" et la montagne de son poème pleure. Les requiems s’annoncent. Le suicide de Maïakovski secoue blancs et rouges. Et Marina jette sa rose en poème à l’archange aux semelles de plomb. Elle n’embrassera pas non plus le cercueil de Max Volochine. Sa mort lui ramène tout ce qui était en profondeur. Marina va descendre dans le puits éternel où tout reste toujours vivant le ressusciter dans sa prose. Par une mystérieuse coïncidence, dans le fatras d’un brocanteur près du bois de Clamart, Marina tombe sur les cinq volumes reliés de Joseph Balsamo, le roman-refuge qu’il lui avait fait lire dans sa jeunesse. Huit francs seulement, mais elle n’en a que deux, destinés à l’achat de Jeanne d’Arc. A cette heure même, midi, et ce jour même, Max mourait. Une lettre d’Assia lui en fait part. Il est enterré sur le mont des Janissaires.   "Chaque jour il est un instant et trouble et chargé de menace. Et à voix haute, les yeux somnolents, je bavarde avec mon angoisse". Aujourd’hui je suis retournée chez moi, admirez, champs labourés si chers, Ce qui pour cela m’est arrivé. L’abîme a englouti mes bien-aimés. Et la maison de mes parents est saccagée. Aujourd’hui, Marina, nous marchons avec toi dans la capitale nocturne, mais nous suivent des millions de nos semblables et il n’est pas de procession plus silencieuse. Tout autour sonne le glas et gémit, sauvage, la tourmente moscovite effaçant de nos pas les traces sur la neige. En gare de Moscou, le 18 juin 1939, seule Alia l’attend, avec Lilia, la sœur de Sergueï, celle qui jadis rêvait de théâtre. Sergueï, malade, a dû rester à Bolchevo, une banlieue résidentielle de Moscou, où il occupe une datcha avec la famille Klepinine-Sezeman. Mais où est Assia ? Atterrée, Marina apprend ce qui lui a été soigneusement caché: l’arrestation, la déportation de sa sœur bien-aimée, il y a deuxans. Leurs retrouvailles sont bouleversées. Sergueï est souffrant, au bord du désespoir. "Inconfort. Trouver du pétrole à brûler. Sergueï achète des pommes. Mon cœur se serre peu à peu. L’énigmatique Alia avec sa gaieté forcée. Je vis sans papiers, sans me montrer à personne". Alia vit avec Samuel Gourevitch, Moulia, qui gère cette datcha. Il la dit dépendre des éditions d’État, le Litfond, Fonds littéraire, mais un adolescent, Dimitri Sezeman, se lie immédiatement avec Mour et le renseigne. Il s’agit bel et bien d’agents du NKVD, le ministère de Bolchevo est un lieu redoutable. Le chef de Moulia, Mikhaïl Koltsov, journaliste international, a été arrêté. "Marina Ivanovna a bien fait, elle n’avait pas d’autre issue". Cette phrase, Mour la répéta à tout le monde, extérieurement calme, le regard froid. Malgré les apparences, son sommeil était agité, il gémissait la nuit. "Le plus dur, écrivit-il, ce sont les larmes solitaires, tandis que tout le monde alors s’étonne, comme il a le cœur sec, il est impénétrable. Pour payer la nuit qu’il passa chez Dima, Mour lui laissa le corsage, la veste de sport et le béret que Marina Ivanovna avait portés. On sait peu de chose de la vie de Georgui-Mour Efron après la mort de Marina. Le 4 septembre 1941, il se fit rayer de la liste des habitants d’Elabouga et prit le bateau, passa deux ans dans le dénuement le plus complet mais réussit néanmoins à terminer ses études. Il retrouva l’adresse de sa tante Anastasia Ivanovna Tsvetaeva, en déportation au fin fond du pays. Anastasia, l’Assia du passé, n’apprit la mort de Marina qu’en 1943. Elle ne revit pas son neveu vivant. Le soldat de l’Armée rouge Georgui Efron est tué sur le front un an plus tard.   "Notre séparation, je la supporterai mais sans doute pas nos retrouvailles. Celui qui n'a que peu de temps à vivre, qui ne demande à Dieu rien que la mort et qu'on oubliera pour toujours, fait les cent pas, il est alors plus de minuit". Le plus étonnant est que sa malédiction dura bien après la mort de Staline, tant la haine des communistes contre elle était forte. Mais jamais elle ne céda, de crises cardiaques en crises cardiaques elle attendait la délivrance. En 1964, elle put sortir de son pays, pour la première fois depuis plus de cinquante ans. Bien que morte le 5 mars 1966, son fantôme continue à terroriser les Poutine et autres. Et très rares sont les publications, mais sa reconnaissance par l’Occident lui a redonné la ferveur de la jeunesse russe qui en a fait son poète préféré. Cela aussi elle l’aura sans doute voulu. la résurrection après les épreuves terrestres. Vite dégagée des entrelacs précieux et surannés du symbolisme et même de l’acmétéisme, Anna Akhmatova se sera construit une langue poétique basée sur des rythmes souples, des rimes riches, et surtout d’un vocabulaire limpide et simple. La construction de sa grammaire poétique est désarmante de transparence. Sa poésie est fondée sur sa propre respiration, ample et transcendante. Elle refusera les artifices du métier de poète que tant d’autres emploieront (Essenine, Blok, Maïakovski). Et pourtant sa voix reste unique, originale et envoûtante. Elle disait que sa poésie ne pouvait pas être traduite car tout entière enracinée dans le terreau de la langue russe, de sa mémoire. Elle savait ce dont elle parlait, elle-même traductrice émérite. Chacun de ses mots si translucides en russe prend en français une lourdeur irrémédiable, et pour peu que l’on essaie de conserver un semblant de rimes, elles seront pauvres et affectant le sens premier de sa langue. Nul ne pourra reproduire le long fleuve de la respiration d’Anna Akhmatova. Chacun de ses mots va à la mer. Une part de l’indéfinissable nous restera celée. Pourtant grâce soit rendue aux intrépides marins qui ont osé s’aventurer en cet océan immense et faussement serein de sa poésie. Le public francophone aura un avant-goût de la sidérante beauté de l’écriture d’Anna par leurs tendres approximations. Elle s’était drapée dans les mots de la poésie, dont elle fit son maquis, sa terre de résistance. Elle reste la recluse, la beauté irradiante mise en cage par les bourreaux staliniens. Interdite de publication, traquée par la police et par les déportations ou la mise à mort de ses proches, elle semble par la force tranquille de ses poèmes s’opposer seule à la tyrannie du monde. Sa poésie, à peine redécouverte, nous saisit par ce qui semble irradier d’elle: une pureté d’eau. En ces temps toujours incertains, les mots de cette statue de la résistance au mal, à l’extermination folle, sont toujours dressés et actuels.   Bibliographie et références:   - Cédric Gras, "L'hiver aux trousses" - Antoinette Fouque, "Anna Akhmatova" - Sophie Benech, "Anna Akhmatova" - Alma De Groen, "The Woman in the window" - Jean-Louis Backès, "Poème sans héros et autres poèmes" - Modigliani, "Nus d'Anna Akhmatova" - Gil Pressnitzer, "Anna Akhmatova" - Henry Deluy, "Anna Akhmatova" - Claude Delay, "Marina Tsvetaeva" - Jacques Burko, "La poésie de Marina Tsvetaeva" - Paul Valet, "Requiem et autres poèmes" - Florence Corrado-Kazanski, "Marina Tsvetaeva"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le Il y a 17 heure(s)
Emanuele Taglietti, est né en 1943 à Ferrara en Italie, il est l'une des figures reconnues pour ses oeuvres réalisés dans le cadre des fumetti, ces bandes dessinées italiennes de petit format et leur approche qui leur est propre : les histoires mêlant sexe, violence et horreur. Emanuele s'est illustré sur plus  500 couvertures de ce genre. Ces couvertures illustraient  parfois de façon à peine voilée les clichés du bondage et du BDSM. Fils de Otello Taglietti, peintre et décorateur, Emanuele grandit dans un environnement où il est nourrit de nombreuses influences artistiques. Ayant fréquenté les plateaux de cinéma aux côtés de son père et de son cousin, le célèbre réalisateur Michelangelo Antonioni, Emanuele Taglietti a su développer une approche cinématographique dans son art. Après ses études à l'École expérimentale de cinématographie à Rome, il travaille sur plusieurs films avant de se lancer dans l'illustration pour Edifumetto, le principal éditeur de fumetti en Italie. Les fumetti : un espace d'expression qui fleure souvent bon le BDSM et le bondage Les fumetti, à l'apogée de leur popularité dans les années 70, offraient un espace incomparable pour l'exploration de sujets tabous. Les couvertures de Taglietti, souvent chargées d'érotisme et de mystère, plongeaient les lecteurs dans des récits où le bondage et les pratiques BDSM étaient bien présentes, fussent-elles sous jacentes. À travers ses illustrations pour des titres comme "Zora la Vampire" et "Sukia", il a pu développer des créations où le fantasme se mêle souvent à la terreur, dans des mises en scène où le cuir et les chaînes ne sont jamais loin. L'œuvre de Taglietti se caractérise par un style distinctif, mélangeant réalisme et surexpression des émotions. Ses personnages, souvent des femmes puissantes et provocantes, sont mis en scène de manière à illustrer autant leur force autant que leur vulnérabilité. Leur représentation dans des scènes de bondage,, témoigne d'une maîtrise artistique qui transcende le simple érotisme pour toucher à des aspects plus profonds du désir et du contrôle. Avec la baisse de popularité des fumetti à la fin des années 80, Taglietti s'éloigne de l'édition pour se consacrer à la peinture à l'huile et à l'enseignement.      (ce livre est disponible en vente en ligne, cliquez là)
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Par : le Il y a 4 heure(s)
"L’inspiration est toujours délirante, dionysiaque pour reprendre l’expression de Nietzsche. Elle a besoin de la conscience ordonnée, musicale, apollinienne. C’est un équilibre. Quand Alexandre le Grand brûle le palais de Persépolis, il fait basculer la Grèce sous la suprématie de Dionysos. Elle ne s’en est jamais relevée. Tout a changé de réalité depuis. Les années qui ont suivi cet amour m'ont fait devenir un grand lecteur et j'ai compris vite, trop vite peut-être, la vérité d'une parole de Tagore: que le rêve est une réalité aussi importante que la vie." L’œuvre d’Henry Bauchau est multiple: théâtre, poésie, journaux, romans. Il s’agit ici de contempler cette écriture, travail des profondeurs, travail de la forge, et les couleurs qui s’y succèdent lors des étapes de la "forgerie": le rouge, le noir, le blanc, sans ordre immuable, au contraire, un labeur incessant alternant les tons. Ecouter le texte et méditer ses couleurs essentielles dans les lieux, les personnages, les mots de quelques livres de Bauchau. Si la psychanalyse se mêle à l’enjeu de l’écriture, c’est qu’elle lui a permis de remonter vers le mythe, les récits de création du monde, les grandes initiations. Elle est un motif de l’œuvre et le psychanalyste, un personnage dont la figure se métamorphose. Il est celui qui écoute et délie: étrange "psychothéraprof" de "L’Enfant bleu"; motif mythologique de la Sybille dans "La Déchirure"; multiples visages dans "Œdipe sur la route". Le plus souvent, cette figure est féminine. D’autres motifs rythment l’ensemble des livres: l’escalier bleu va des premiers poèmes au dernier roman, "L’Enfant bleu". "Maison chaude" est à la fois la maison chaude de l’enfance où l’on est protégé dans "La Déchirure", et le village où Pierre arrive enfin pour trouver la paix et l’amour dans "Le Régiment noir". L’univers d’Henry Bauchau ne serait-il pas, au fond, un immense rêve, un rêve en rouge noir et blanc qui peu à peu s’en irait vers le bleu ? Dans "Le Régiment noir", au cœur du chapitre central intitulé "Cheval Rouge", se trouve une scène de recréation du monde. Les trois couleurs y sont en présence: le rouge des Indiens, le noir des esclaves affranchis, le blanc des soldats nordistes. Lorsque Shenandoah, renommée Eve à ce moment du récit, noircit de suie son corps d’indienne en traversant le feu qui la chauffe à blanc, centre névralgique du désir des hommes, eux-mêmes rouges, noirs et blancs qui l’entourent, ne serait-elle pas la métaphore même de l’écriture ? Ce roman est aussi structuré en trois temps reprenant le nom d’un personnage. Le premier, Stonewall Jackson, désigne le général blanc sudiste, l’image même du monde blanc. Le deuxième se nomme Cheval Rouge, le nom indien du narrateur, ce par où il lui faut passer. Le dernier porte le nom de Mademoiselle Mérence, la femme noire qui attend Pierre. La forge serait le motif essentiel de l’œuvre: le gris d’avant le travail, le désir et la vie, le rouge, le noir et le blanc en trilogie du labeur et, au bout du trajet tellurique, l’ouverture sur le bleu. Mais le bleu à lui seul serait une autre histoire. Henry Bauchau aura aussi écrit pour se parcourir et parcourir la peau du monde et nous parcourir aussi. Ses routes sont les routes de la réalisation de soi-même. L'écrivain est sur la route comme ses chers amis Œdipe, de sa fille Antigone, et de la lumineuse jeune persane Diotime. Depuis qu’il est entré en écriture, il promène à la face du monde la torche éclairante des mythes grecs. Il est devenu lui-même psychanalyste et la thérapeutique des jeunes enfants modèle aussi sa vie. Et il marchera aux côtés d’ Œdipe sur les voies tenant à la fois le journal d’Antigone, celui des humains et le bâton de l’aveugle.    "Je vis entre deux soleils celui du cœur et celui du temps. Pendant ma promenade ce matin j'ai pensé de nouveau que, jusqu'à la mort de ma mère, je n'ai pas vécu ma vie mais celle qu'elle aurait voulu avoir. Votre vie n'est pas à vous, elle n'est pas votre bien, et celui qui vit dans l'instant comment pourrait-il déchiffrer la langue épineuse du temps ? La vie, la mort, la maladie sont de grands fauves, d'intrépides joueuses qui lancent leurs dés sans hésiter." Henry Bauchau n’est pas enfermé dans le monde grec, ni prisonnier des mythes, mais attentif aux rumeurs du monde, ceux de la Chine en particulier, de la lutte contre le sida et plus encore aux mouvements intérieurs de la conscience et de l’inconscience. Il aura vécu en Belgique, à Paris, puis en Suisse et à Paris dans ce lieu prédestiné nommé le Passage de la Bonne Graine, dans le onzième arrondissement. Il est temps de parler de ses multiples vies, lui qui les cache jalousement. Lui le survivant. Conteur prodigieux des errances il sait ce dont il parle. Longue est sa route jonchée de poussières d‘humanité entrelacées à celle des étoiles, longue est sa route depuis sa naissance en Belgique, à Malines le 22 janvier 1913. Après une petite enfance marquée par l’invasion allemande, l’incendie de sa maison, il fait des études de droit à Louvain. Avant d’être mobilisé en 1939, il exerce des activités dans le journalisme et milite dans des mouvements de jeunesse chrétiens. Pendant la guerre, il fait partie de la Résistance armée. À la libération, il aurait dû rester dans les grimoires du droit, lui le docteur en droit. Mais ce mal-être profond qui un jour nous pousse soit sur les routes soit nous ensevelit dans nos puits fermés. Cet étrange besoin de pouvoir enfin dire "je", et non pas "moi, on", le met en marche. Il y fonde une maison de distribution et d’édition, qu’il implante en 1946 à Paris. Après avoir suivi une psychanalyse de 1947 à 1951 avec Blanche Reverchon-Jouve, l’épouse du poète Pierre-Jean Jouve, il est devenu psychothérapeute. Mais surtout obéissant au conseil de la confiance en l’écriture qui devait le construire, et de la foi en la force de l’art pour parler au monde, il deviendra véritablement écrivain à 45 ans. Formateur à Gstaad en Suisse de 1951 à 1975, dans son institut pour jeunes filles qu’il a fondé, il aura à la fois la révélation des souffrances d’autrui et la présence de la montagne. À la fermeture de son école, il fait l’hôpital de jour à Paris depuis 1975. Il sera non plus un passeur mais un acteur psychothérapeute avec la douleur du quotidien, la culpabilité de n’avoir su comprendre à temps le patient souvent impatient. Cette non-assistance à quelqu’un qui se noie dans toutes ses personnalités si nombreuses dans sa tête. Et les difficultés financières également qui reviennent plusieurs fois par semaines. Il a une illumination en 1983 et commence à écrire son triptyque ("Œdipe, Antigone, Diotime"), qui lui apportera une renommée tardive. Ses chemins de traverse nombreux entre psychanalyse et invention romanesque ont pu déconcerter. Des lieux de passage existent bien sûr entre son expérience de psychothérapeute et sa création littéraire, surtout dans son dernier roman "L’enfant bleu". Raconté du point de vue de la jeune femme qui l’analyse, il raconte la lente et laborieuse avancée d’un enfant perturbé vers l’art. "Sans la mort quels terribles combats entre ceux qui ne mourraient plus et ceux qui grandissent, avides de terres et de liberté."   "En arrivant je vois, affiché sur le mur par le professeur d'art, un dessin qui m'enchante et s'accorde à la détresse bien cachée que j'éprouve. C'est une très petite île, une île bleue, entourée de sable blond et couverte seulement de quelques palmiers. Cette île, son ciel, sa lumière, sa minuscule solitude protégée par une mer chaude expriment le désir, la douleur d'un coeur blessé." Le gris est la teinte de ce qui est sans vie. Dès les premières pages de "La Déchirure", il est question des cendres de la ville de Sainpierre, après l’incendie où le narrateur faillit mourir: "C’était une ville couchée dans ses décombres, un fantôme fumeux de cette couleur de cendres que je devais retrouver sur le visage et les bras de maman lorsque je l’ai retrouvée après le désastre." Le gris n’est pas encore le noir de l’écriture, il n’est qu’une trace laissée par le crayon de papier. Il est une matière informe qui doit passer par le feu, être forgé. Revenir par écrit sur son enfance n’est de l’ordre ni de l’analyse, ni de la littérature. Le gris est la couleur du temps de l’enfermement. Les rideaux du cabinet de la Sibylle sont gris. Quitter le gris, quitter Bruxelles. Pour aller vers le rouge, en passant par le noir et ce que l’on ne sait pas encore, il faut le travail de la forge. Le forgeron travaille un métal à chaud, sur l’enclume ou le marteau, après l’avoir chauffé sur la forge elle-même, pour lui donner une forme ou en améliorer la qualité. Les étapes de la transformation du fer forgé se manifestent par trois couleurs: le noir du départ et de l’arrivée, le rouge incandescent, le blanc de la brûlure lorsqu’il peut être ployé, tordu, travaillé. Ainsi l’être humain et les personnages du roman: chacun doit être forgé. L’écrivain forgeron est forgé par l’écriture qu’il forge. "Le Régiment noir" réinvente au père la vie qu’il aurait voulu mener, et dont la mère l’a empêché, vie de forge, d’armes et de canons, vie de guerre, de rébellion et de libération. L’homme noir est un motif central de Bauchau, dès "La Déchirure". Il est l’homme révolté, le rebelle, celui qui s’oppose et permet de dire non. Il est l’homme de la cave, le double sombre que l’on tente d’enfermer. Il s’agit d’assumer l’homme noir qui est en soi, de tenter de vaincre l’autre, l’homme blanc qui maintenait en esclavage, au moins de ne pas être vaincu par lui. L’homme noir représente le motif essentiel de l’esclave à libérer. Ce travail s’accomplit avec l’aide de ceux qui délient. Il s’agit de se délier, de défaire de leurs chaînes l’énergie première et le corps profond. L’aveugle devient poète en étant guéri par Diotime et accompagné par Antigone, les femmes rouges, les femmes-lions. Le roman "Antigone" commence par un temple rouge, peint par Clios: "Pourquoi ce temple est-il rouge ? Narsès m’explique que c’est une grotte où depuis les temps les plus reculés, les pêcheurs et les marins viennent implorer et honorer le dieu. Cet antre obscur a inspiré Clios, il a recouvert l’entrée d’un rouge ardent, qui s’est peu à peu étendu au temple tout entier." Antigone est rouge, comme Shenandoah, comme Diotime, elle est le rouge du cri, de la colère et de la passion brûlante: "Soudain le rouge est là, un rouge impérieux qui subjugue à la manière de Clios. J’ai aussitôt plaisir à le voir, à le respirer, à sentir sa joie dans mes paumes. Je désire m’engager plus avant dans sa sonorité. Je suis dans un rouge en mouvement, je le touche sur les parois merveilleusement polies, je marche sur lui quand il prend la forme de larges dalles. Le rouge s’enfonce dans le noir, et s’y mêle sans se perdre, de son audacieuse lumière Clios a fait jaillir mille couleurs."    "Je sens une tristesse en moi en voyant Roland s'éloigner. Il est venu me voir hier, la séance a été bonne, au moment de partir il m'a donné un petit carton à dessin: C'est pour toi. C'est un portrait de mon père. Il est parti sans rien ajouter. En ouvrant le carton j'ai vu un dessin maladroit en noir et blanc. Ce n'est pas du tout un portrait". Le rouge du sang et les muscles noirs de la lutte dominent le combat représenté sur les parois de la grotte. L’abondance du rouge, l’équilibre des noirs, et la rigueur de l’espérance. Le noir et le rouge sont les couleurs de Thèbes. Lorsque les deux frères se sont entre-tués, "le corps d’Étéocle est entouré de bandelettes noires et rouges aux couleurs de Thèbes". Le contraste du blanc de l’étalon avec le corps noir et rouge d’Etéocle est souligné. Le corps de Polynice, lui, jeté au-dehors des murailles blanches, attend la terre noire et rouge dont Antigone le recouvrira. Quand elle est enfermée dans la grotte où elle doit mourir, pour avoir accompli ce qu’elle se devait d’accomplir, le capitaine lui donne son grand manteau rouge afin qu’elle s’allonge sur le sol, en attendant Hémon, espère-t-il, dans la lumière des torches qu’il lui a allumées. L'écriture est claire comme une colonne grecque en plein soleil sans aucune absence ni aucune présence. Sa prose est orale, musicale, balancée, aérienne et pour cela il aura souvent été mis en théâtre ou en opéra. Les déchirures sont tapies comme les oracles et ses textes des récits d’initiation, celle du jet de pierre dans la rivière pour Antigone la jeune mendiante, celle du combat avec les lions pour Diotime, de sa transgression. La violence et le sacré montrés par René Girard se trouvent ici en plein jour. Depuis les victimes prédestinées, boucs émissaires de la condition humaine jusqu’à l’exaltation des rebelles le mythe convulsif est là, éclairé par la psychanalyse. Mais la liberté de la chose littéraire oblige à une mise en art. Et ses romans sont en même temps bien autre chose qu’une relecture psychanalytique de deux grands mythes. Il ne revisite pas les classiques mais se situe dans leur présence charnelle. Antigone danse, se cogne sur les pierres, a soif, a faim, a peur surtout. "Depuis la mort d’ Œdipe, mes yeux et ma pensée sont orientés vers la mer et c’est près d’elle que je me réfugie toujours. À l’ombre d’un rocher, j’écoute la rumeur du port et des hommes et les cris des oiseaux de mer. Je me souviens du jour où Jocaste m’a dit: N’oublie jamais, Antigone, que ton père est d’abord un marin". C’est ce marin qui m’a emmenée dans son vertigineux voyage jusqu’au lieu qui me faisait si peur. Ce lieu qui, après dix ans sur la route, est devenu Athènes, où je suis seule maintenant, en deuil, sur le bord de la mer. Je contemple dans le ciel un oiseau. Œdipe, un jour, s’est brusquement tourné vers moi et a dit: Tu n’as jamais été sur la mer, Antigone, et pourtant tu es un vrai marin. Sans voiles, sans gouvernail, voici des années que tu navigues, sans chavirer, dans mon aveuglement, mes vertiges, la folie de Clios et la tienne." Les paysages de la Grèce sont là avec les oliviers, les ronces, le midi accablant, la blancheur des habitations. Et Bauchau s’en va dans les pas des ombres des mythes pour rencontrer l’autre et aussi lui-même. "Ainsi dans cette inconnaissance où nous sommes, nous continuons parfois à nous découvrir l’un l’autre." Pour avancer il fallait soi-même être rebelle à un ordre établi, à un destin clos. Diotime et sa condition de femme, Antigone et sa rédemption aux lois. Elle refuse "d’obéir comme une plante qui sort de la terre, comme un ruisseau qui s’écoule". Et elle proclamera ce cri: "Est-ce qu’il ne faut pas être rejeté pour devenir soi-même ?"   "Il est parsemé de ces pierres à demi cachées, c'est un sentier comme il y en a beaucoup en Grèce. Un chemin qui n'est jamais, qui serpente indéfiniment et sans dire d'avance où il va. Il ne faut pas qu'ils enferment leur malheur en eux-mêmes, il vaut mieux qu'ils le vivent. On ne mendie pas seulement pour survivre, on mendie pour n'être plus seul." Diotime sait qu’un jour pour être reconnue autrement par sa féminité il lui faudra affronter les tabous et les règles de son clan. Elle s’y prépare: "J’étais seule un matin avec une jeune servante. Cambyse est survenu. Étincelant, sur son cheval couvert d’écume dont il n’avait pas daigné descendre, il nous observait d’un œil sévère. J’étais toute petite, j’ai été éblouie, j’ai couru vers lui en demandant: "À cheval, à cheval avec toi !" "Ma confiance a fait rire cet homme sauvage, elle l’a peut-être touché. Il m’a saisie par le cou et juchée devant lui sur sa selle. Nous sommes partis au galop, entourés par ses gardes et ce qui n’était pour lui qu’une chasse après tant d’autres a été pour moi l’ivresse, l’invention de la vie. J’ai découvert alors la joie de la vitesse dans l’air brûlant et l’odeur des chevaux. Je n’ai retrouvé pareil plaisir qu’en haute mer, par grand vent, quand Arsès gouvernait le navire. Cambyse m’a gardée avec lui tout le jour, et c’est endormie dans ses bras qu’il m’a ramenée chez mes parents. En me tendant à lui il a dit à Kyros: Ta fille sera bonne cavalière, je lui apprendrai à monter et à chasser moi-même. Il a tenu parole, il est venu souvent, puis presque chaque jour, pour m’emmener avec lui. Il m’a donné très vite un joli poulain et a commencé à m’initier à l’art de la fauconnerie qui était, de ses nombreuses passions, la plus vive". Voici tracé le destin d’une jeune fille adoubée par l’autre et qui va se fondre dans les règles coutumières par l’initiation du combat des lions. La lutte avec les lions ne durait qu’une partie de l’année et on ne pouvait s’attaquer qu’à un fauve à la fois. Une fois par an, avait lieu entre eux et nous une guerre rituelle qui durait deux jours et une nuit. C’était la plus grande fête de l’année, il y avait toujours plusieurs morts et de nombreux blessés, mais il n’y avait pas, pour les chasseurs du clan et des tribus voisines, de plus grand honneur que d’y être admis par Cambyse. En grandissant, j’éprouvais un désir croissant de participer à cette fête, j’en ai parlé à ma mère, elle m’a suppliée d’y renoncer en me disant que ce n’était pas la place d’une jeune fille et que la tradition ne le permettait pas. Je pensais au contraire qu’à l’origine de notre clan il y avait eu des déesses lionnes aussi terribles, aussi puissantes que les lions. Je descendais sûrement de l’une d’elles et si, pour des raisons évidentes, il était dans notre guerre interdit de tuer les lionnes et leurs lionceaux, elles prenaient au combat une part redoutable et provoquaient parmi nous autant de morts et de blessures que les mâles. "Je ne pouvais pas renoncer à ce désir. J’en ai parlé à mon père, Kyros immédiatement m’a comprise. Ce n’était pas, m’a-t-il dit, l’esprit ni le cœur qui s’exprimaient dans mon désir, mais le sang. Et le sang est mouvement, mouvement de la vie elle-même qui ne peut s’arrêter qu’à la mort. Je n’étais pas d’âge alors à le comprendre mais, quand il m’a permis de demander à Cambyse l’autorisation de participer à la guerre des lions, je me suis précipitée chez mon grand-père. Je lui ai dit qu’étant déjà le meilleur fauconnier du clan, je pouvais aussi rivaliser à la chasse avec nos meilleurs chasseurs. Je n’avais pourtant jamais combattu ni tué un lion et il était temps que je m’affronte, comme lui et mon père, aux êtres de mon sang. Tant que je n’aurais pas participé au combat rituel avec eux, je ne connaîtrais plus la paix et ne pourrais pas être heureuse."   "Chacun va bientôt devoir retrouver l’itinéraire de ses songes et tracer sur la terre et dans le ciel le chemin inconnu qui correspond à son image intérieure. Une blessure écoute toujours plus, finalement, qu’une oreille. Le matin, nous nous éveillons avec le désir que ce soit déjà le soir, et nous nous endormons le soir en espérant ne plus nous réveiller." L'auteur trace des constellations "impérieuses", où le destin se fige face au partage et à l’écoute de l’autre: Il y a une fidélité à la vie qui est au-delà de toutes les fidélités. Cette fidélité de Bauchau écrivain, cette foi en l’autre se sont longtemps retrouvées en Bauchau psychothérapeute auprès des enfants saccagés ou dans ses actions de formateur. Entre le côtoiement pendant toute une vie de la folie, du désordre et des hallucinations et la recréation des mythes la liaison est évidente. Ceci s’appelle l’espérance en l’homme, la signification d’exister. "Cette part, infinie un peu, infirme sûrement, qui m’a été donnée dans l’acte d’exister". Face à un monde démuselé, où la banalité et la violence triomphent, Bauchau ne questionne pas trop l’espérance, il en fait un sens de vie: "Exister me suffit". Il donne chair à des personnages hasardés dans les rêves, vivant les drames humains de tous les temps. Il nous apprend à résister au monde. Après les attentats du onze septembre 2001, il avouait repenser beaucoup à son Antigone. Pour lui, "la tâche du poète était de planter une objection dans le champ du malheur." Homme de solidarité autant que passeur de mots, Henri Bauchau voulait tout dire du dedans et ses romans sont dans la lumière du soleil révélateur. Dans un espace des mythes passent les caravanes des rêves, les coffres de l’art et l’histoire des hommes. Il définissait ainsi son écriture: "L’inspiration est toujours délirante, dionysiaque pour reprendre l’expression de Nietzsche. Elle a besoin de la conscience ordonnée, musicale, apollinienne. C’est un équilibre. Quand Alexandre le Grand brûle le palais de Persépolis, il fait basculer la Grèce sous la suprématie de Dionysos. Elle ne s’en est jamais relevée." Il faut se souvenir des "Falaises de marbre" d’Ernst Jünger pour comprendre Bauchau. Son enthousiasme mystique pour l’existence se nourrit autant de chrétienté que de bouddhisme, ou de mythes grecs. Pour lui l’écriture est une activité spirituelle. Et humains, trop humains sont ses héros consumés par la peur et la crainte d’un destin caché et funeste. Il trace une route entre folie et roman, une route inconnue, celle de la conscience entre doutes et angoisses. Il dit "l’écriture est mon moteur" et il avance encore et encore. Art et thérapie sont valeurs jumelles pour lui qui conçoit l’art comme une transmission, une révélation libératoire qui seul permet de ranimer "les trésors perdus de la mémoire". Il ne les confond pas, car si la révélation des pulsions se fait par l’art, il a retenu de sa pratique qu’il ne faut pas pousser l’autre, ni peser sur le destin de l’autre. Il nous dit qu’il ne suffit pas d’aider l’autre à mieux vivre, mais lui apprendre à décider de sa vie, à pouvoir dire "je". L’art permet de garder hallucinations et délires derrière la porte. Il aide à vivre dans une vie à la banalité insupportable, dans une société dévolue à la vitesse, à l’efficacité, à la rapidité, à l’effet de masse. L’art est alors thérapie. Il permet de réenchanter le monde, car vivre sans enchantement est pour lui impossible. Il aura lutté contre le temps, mais élaboré une œuvre patiente et profonde. Son œuvre l’aura maintenu en vie par le long cheminement du destin. Henry Bauchau avait une manière haute de nous rendre humain et rebelle aux temps oppressants. Membre de l'Académie royale de littérature française de Belgique, il s'éteint à Paris, le 21 septembre 2012 à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.    Bibliographie et références:   - Olivier Ammour-Mayeur, "Henry Bauchau, une écriture en résistance" - Geneviève Henrot, "Henry Bauchau poète" - Jérémy Lambert, "Henry Bauchau, une poésie de l'existence" - Régis Lefort, "L'Originel dans l'œuvre d'Henry Bauchau" - Emilia Surmonte, "Antigone, La Sphinx d'Henry Bauchau"  - Michele Mastroianni, "La Déchirure di Henry Bauchau" - Myriam Watthee-Delmotte, "Henry Bauchau" - Véronique Petetin, "Henry Bauchau" - Anne Neuschäfer, "Les Constellations impérieuses d'Henry Bauchau" - Marc Quaghebeur, "Henry Bauchau" - Adriano Marchetti, "Deux lettres à Henry Bauchau" - Laurent Déom, "Henry Bauchau" - Fratta Anna Soncini, "Henry Bauchau, Un écrivain, une œuvre"   Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.  
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